1917 |
"Dans l'histoire en général, et surtout en temps de guerre, il est impossible de piétiner sur place.
Il faut ou avancer ou reculer. Il est impossible d'avancer dans la Russie du XX° siècle (...) sans marcher au socialisme (...).
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La catastrophe imminente et les moyens de la conjurer
Le groupement forcé en cartels
La cartellisation forcée, c'est-à-dire le groupement forcé des industriels, par exemple, en cartels, est déjà pratiquement appliquée par l'Allemagne. Là encore, il n'y a rien de nouveau. Là encore, par la faute des socialistes-révolutionnaires et des mencheviks, nous constatons la stagnation la plus complète dans la Russie républicaine que ces peu honorables partis « amusent » en dansant le quadrille soit avec les cadets, soit avec les Boublikov, soit avec Térechtchenko et Kérensky.
D'une part, la cartellisation forcée constitue en quelque sorte un moyen pour l'État de stimuler le développement du capitalisme, qui mène toujours et partout à l'organisation de la lutte des classes à l'accroissement du nombre, de la diversité et de l'importance des cartels. D'autre part, cette cartellisation forcée est la condition préliminaire et nécessaire de tout contrôle tant soit peu sérieux et de toute politique tendant à économiser le travail du peuple.
La loi allemande oblige, par exemple, les patrons tanneurs d'une localité donnée ou du pays entier à se grouper en cartel; un représentant de l'État fait partie de la direction de ce cartel, aux fins de contrôle. Cette loi n'affecte nullement par elle-même les rapports de propriété; elle ne prive pas du moindre copeck aucun propriétaire d'entreprise et ne laisse rien préjuger sur le point de savoir si le contrôle sera appliqué dans les formes, le sens, un esprit bureaucratiques et réactionnaires ou démocratiques et révolutionnaires.
On pourrait et l'on devrait, sans perdre une seule semaine d'un temps précieux, promulguer tout de suite chez nous des lois semblables et laisser à la vie sociale le soin de déterminer elle-même les formes plus concrètes d'application de la loi, la rapidité de cette application, les moyens de la surveiller, etc. Pour édicter une telle loi, l’État n'a besoin ni d'un appareil spécial, ni de recherches particulières, ni d'études préliminaires d'aucune sorte; il faut simplement être résolu à rompre avec certains intérêts privés des capitalistes, qui « ne sont pas accoutumés » à une pareille ingérence dans leurs affaires, qui n'entendent pas perdre les surprofits que leur assure, en plus de l'absence de tout contrôle, la gestion à l'ancienne mode.
Il n'est besoin d'aucun appareil administratif, d'aucune « statistique » (que Tchernov voulait substituer à l'initiative révolutionnaire de la paysannerie), pour promulguer pareille loi, car son application devra incomber aux fabricants ou aux industriels eux-mêmes, à des forces sociales existantes, sous le contrôle des forces sociales (c'est-à-dire non gouvernementales, non bureaucratiques) également existantes, mais qui doivent être obligatoirement celles des couches dites inférieures, c'est-à-dire des classes opprimées, exploitées, toujours infiniment supérieures - l'Histoire l'atteste - aux exploiteurs, par leur aptitude à l'héroïsme, à l'abnégation, à une discipline fraternelle.
Admettons que nous ayons un gouvernement vraiment démocratique révolutionnaire, et qu'il décrète : tous les fabricants et industriels employant, disons, deux ouvriers au moins, sont tenus de se grouper sans délai, par branches de production, en associations de district et de province. La responsabilité de l'exécution scrupuleuse de cette loi incombe en premier lieu aux fabricants, aux directeurs, aux membres des conseils d'administration, aux gros actionnaires (car ce sont eux les vrais chefs de l'industrie moderne, ses véritables maîtres). Au cas où ils se refuseraient à coopérer à l'application immédiate de la loi, ils seraient considérés comme des déserteurs et punis comme tels. Leur responsabilité est solidaire et engage tout leur avoir; tous répondent pour chacun et chacun pour tous. La responsabilité incombe ensuite à tous les employés également tenus de former un syndicat unique, et à tous les ouvriers groupés dans leur syndicat. La cartellisation a pour but d'établir une comptabilité aussi complète, rigoureuse et détaillée que possible, et surtout de coordonner les opérations ayant trait à l'achat des matières premières, à la vente des produits fabriqués, ainsi qu'à l'économie des ressources et des forces du peuple. Avec le groupement d'entreprises dispersées en un syndicat patronal unique, cette économie atteindrait d'immenses proportions, ainsi que nous l'enseigne la science économique et que nous le montre l'exemple de tous les syndicats, cartels et trusts. Répétons une fois encore que, par elle-même, cette cartellisation ne change pas d'un iota les rapports de propriété, n'ôte pas le moindre copeck à aucun possesseur. C'est un fait qu'il convient de souligner tout particulièrement, parce que la presse bourgeoise ne cesse d'« effrayer » les petits et moyens patrons en leur disant que les socialistes en général et les bolcheviks en particulier, entendent les « exproprier »; assertion qui est un mensonge évident, car les socialistes, même dans une révolution intégralement socialiste, ne veulent ni ne peuvent exproprier les petits cultivateurs, et ne le feront point. Or, nous parlons seulement ici des mesures les plus indispensables et les plus urgentes déjà appliquées en Europe occidentale, et qu'une démocratie tant soit peu conséquente devrait appliquer immédiatement chez nous pour conjurer la catastrophe certaine dont nous sommes menacés.
Le groupement des petits et tout petits patrons en associations se heurterait à des difficultés sérieuses au point de vue de la technique et de la culture, en raison du morcellement extrême de leurs entreprises, de leur technique primitive et de l'ignorance ou du manque d'instruction de leurs propriétaires. Mais ces entreprises précisément pourraient être exemptées de l'application de la loi sur la carteIlisation forcée (comme nous l'avons déjà indiqué dans l'hypothèse précédente); leur non-association et, à plus forte raison, tout retard dans leur association, ne constituerait pas un obstacle sérieux, car les petites entreprises, bien qu'extrêmement nombreuses, ne jouent qu'un rôle infime dans l'ensemble de la production, dans l'économie nationale en général; au surplus, elles dépendent souvent, d'une façon ou d'une autre, des grandes entreprises.
Seules les grandes entreprises ont une importance décisive; là, les forces et les moyens d'ordre technique et culturel de la « cartellisation » existent; il ne manque que l'initiative du pouvoir révolutionnaire, une initiative ferme, résolue, d'une sévérité impitoyable envers les exploiteurs, pour que ces forces et ces moyens soient mis en œuvre.
Plus le pays est pauvre en forces techniquement instruites, et, d'une façon générale, en forces intellectuelles, plus s'impose la nécessité de décréter, aussi rapidement et aussi résolument que possible, le groupement forcé, et de le réaliser en commençant par les grandes et très grandes entreprises; car c'est précisément ce groupement qui économisera les forces intellectuelles et permettra de les utiliser pleinement, de les répartir d'une façon plus rationnelle. Si les paysans russes eux-mêmes ont su, dans leurs villages reculés, faire un pas énorme en avant après 1905 en ce qui concerne la création d'associations de toute sorte, sous le gouvernement tsariste, et malgré les milliers d'obstacles que celui-ci leur opposait, il est certain que le groupement des grandes et moyennes entreprises industrielles et commerciales pourrait se faire en quelques mois, si ce n'est plus vite, à condition qu'elles y soient contraintes par un gouvernement véritablement démocratique et révolutionnaire s'appuyant sur la sympathie, la participation, les intérêts, les avantages des « couches inférieures » de la démocratie, employés, des ouvriers, que ce gouvernement appellerait à exercer le contrôle.