1917

«Rabotchi i Soldat », n° 20, 9 (22) novembre 1917
Conforme au texte du journal «Rabotchi i Soldat »

Œuvres t. 26, pp. 322-325, Paris-Moscou,


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Lénine

Entretien du gouvernement avec le Quartier Général

par fil direct

le 9 (22) novembre 1917 [1]


 

- C'est le commandant suprême ?

- Ici Diterichs.

- Ayez l'obligeance d'appeler la personne chargée du commandement suprême. Si le général Doukhonine ne remplit pas ces fonctions, veuillez appeler celui qui le remplace actuellement. A notre connaissance, le général Doukhonine ne s'est pas encore démis de ses fonctions.

Le Quartier Général répond : - Le général en chef Doukhonine qui remplit les fonctions de commandant suprême vous a attendus jusqu'à une heure du matin ; il dort en ce moment. L'appareil ne fonctionnait pas, puis il a été occupé sur la ligne du Grand Quartier Général.

- Pouvez-vous nous dire si vous avez reçu le radiotélégramme du Conseil des Commissaires du peuple, expédié à 4 heures, et ce qui a été fait pour exécuter les instructions du Conseil ?

Le Quartier Général : - Nous avons reçu un télégramme officiel d'une importance majeure, sans numéro et sans date ; c'est pourquoi le général Doukhonine s'est informé auprès du général Manikovski pour avoir les garanties nécessaires confirmant l'authenticité de la dépêche.

- Quelle a été la réponse de Manikovski ? A quelle heure la demande a-t-elle été envoyée et par quel moyen : radio, téléphone ou télégraphe ?

Le Quartier Général : - La réponse n'est pas encore arrivée, nous avons demandé il y a une heure d'en hâter l'expédition.

- Je vous prie de me dire exactement à quelle heure et par quel moyen a été envoyée la première demande de renseignements. N'est-il pas possible de faire plus vite ?

Le Quartier Général : - Le télégramme a été envoyé au général Manikovski par téléphone et par radio, je vais vous dire tout de suite à quelle heure. I1 a été transmis à 19 heures 50 minutes.

- Pourquoi cette demande ne m'a-t-elle pas été adressée en même temps, à moi, Commissaire du peuple à la guerre [2], puisque le commandant suprême savait, à la suite d'une conversation qu'il a eue avec moi, que le général Manikovski n'est chargé que d'assurer la continuité du travail technique d'équipement et de ravitaillement, alors que c'est moi qui assume la direction politique du ministère de la guerre et la responsabilité de cette activité.

Le Quartier Général - Je ne peux rien vous dire à ce propos.

- Nous déclarons de façon catégorique que la responsabilité du retard dans une affaire d'Etat de cette importance retombe entièrement sur le général Doukhonine et nous exigeons formellement : Primo, l'envoi immédiat de parlementaires et secundo, la présence personnelle du général Doukhonine à l'appareil demain matin à 11 heures précises. Si le retard conduit à la famine, au désordre ou à la défaite, ou à des soulèvements anarchiques, toute la responsabilité retombera sur vous, et les soldats en seront informés.

Le Quartier Général : - Je le transmettrai au général Doukhonine.

- Quand ? - Tout de suite ? - Alors, nous attendrons Doukhonine.

Le Quartier Général : - Je vais le réveiller.

- Ici le général Doukhonine, commandant suprême par intérim.

- Ici les Commissaires du peuple, nous attendons votre réponse.

- Convaincu par la bande télégraphique de votre conversation avec le Grand Quartier Général, qu'on vient de me remettre, que vous m'avez adressé votre dépêche avant de prendre une décision sur le fond du télégramme signé Oulianov-Lénine, Trotski et Krylenko, Commissaires du peuple, il m'est absolument indispensable d'avoir les renseignements suivants : 1) le Conseil des Commissaires du peuple a-t-il reçu une réponse quelconque à son message aux Etats belligérants au sujet du décret sur la paix ? 2) comment se proposait-on d'agir vis-à-vis de l'armée roumaine qui fait partie de notre front ? 3) envisage-t-on d'entamer des pourparlers en vue d'un armistice séparé et avec qui, avec les Allemands seulement ou aussi avec des Turcs, ou les pourparlers seront-ils menés par nous en vue d'un armistice général ?

- Le texte du télégramme qui vous a été adressé est parfaitement clair et précis ; il y est question d'entamer immédiatement des pourparlers d'armistice avec tous les pays belligérants et nous repoussons résolument le droit de retarder cette affaire d'importance d'Etat, en posant des questions préliminaires, quelles qu'elles soient, nous insistons sur l'envoi immédiat de parlementaires et sur la transmission d'heure en heure d'informations sur la marche des pourparlers.

Le Quartier Général : - Mes questions ont un caractère purement technique : si elles ne sont pas résolues, il est impossible de mener les pourparlers.

- Vous n'êtes pas sans savoir qu'au cours des pourparlers surgiront de nombreuses questions techniques, plus exactement, des questions de détail, sur lesquelles nous vous donnerons une réponse au fur et à mesure qu'elles se poseront ou seront posées par l'adversaire ; c'est pourquoi, une fois encore, nous exigeons impérativement que vous engagiez immédiatement, sans conditions, des pourparlers formels d'armistice avec tous les pays belligérants, aussi bien avec les pays alliés qu'avec les pays qui sont en état d'hostilité avec nous. Veuillez donner une réponse précise.

- Ce qui est clair pour moi, c'est qu'il vous est impossible d'engager des pourparlers directs avec les puissances. A plus forte raison sont-ils impossibles pour moi en votre nom. Seul le gouvernement central, soutenu par l'armée et par le pays, peut avoir assez de poids et de crédit pour l'adversaire, afin de conférer à ces pourparlers l'autorité nécessaire, et d'aboutir à des résultats. J'estime aussi que la Russie a intérêt à la conclusion la plus rapide possible d'une paix générale.

- Refusez-vous catégoriquement de nous donner une réponse précise et d'exécuter nos instructions ?

- La réponse précise sur les raisons qui m'empêchent d'exécuter les instructions de votre télégramme, je l'ai déjà donnée, et je répète une fois de plus que la paix nécessaire a la Russie ne peut être obtenue que par le gouvernement central. Doukhonine.

- Au nom du Gouvernement de la République de Russie, sur mandat du Conseil des Commissaires du peuple, nous vous relevons du poste que vous occupez, pour la désobéissance aux ordres du Gouvernement et pour votre conduite qui apporte aux masses laborieuses de tous les pays et en particulier aux armées des souffrances inouïes. Nous vous ordonnons, sous peine de poursuites, conformément aux lois du temps de guerre, de continuer à expédier les affaires courants jusqu'à l'arrivée au Quartier Général du nouveau commandant en chef ou de la personne à qui il donnera pleins pouvoirs. Le sous-lieutenant Krylenko est nommé commandant en chef.

Lénine, Staline, Krylenko


Notes

Les notes rajoutées par l’éditeur sont signalées par [N.E.]

[1]. Les circonstances dans lesquelles se déroula la conversation entre les membres du gouvernement soviétique et le Quartier Général, installé à Moguilev, sont exposées par Lénine dans le radio-message à tous les comités de régiment, de division, de corps d'armée, d'armée, et autres, à tous les soldats et marins, en date du 9 (22) novembre 1917 et dans le compte rendu sur les pourparlers avec Doukhonine exposé à la séance du Conseil exécutif central de Russie du 10 (23) novembre.

Le 20 novembre (3 décembre) le Quartier Général, qui était l'un des centres de lutte contre le pouvoir des Soviets, fut occupé par les troupes révolutionnaires. [N.E.]

[2]. La conversation fut menée du nom de Krylenko, Commissaire du peuple à la guerre. [N.E.]


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