1917 |
«Pravda » n° 188,
26 (13) novembre 1917 |
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Lénine Séance du comité exécutif central de Russie du 10 (23) novembre 1917 |
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Rapport sur les pourparlers avec Doukhonine
Le texte intégral de nos pourparlers avec Doukhonine ayant été publié, je peux me borner à de courtes déclarations. Pour nous, il était évident que nous avions affaire à un adversaire de la volonté du peuple et à un ennemi de la révolution. Doukhonine usa de divers subterfuges et faux-fuyants qui avaient pour but de faire traîner les choses. On exprimait des doutes sur l'authenticité de notre télégramme, et pour avoir des renseignements à ce sujet on s'adressait au général Manikovski et non à Krylenko. C'est ainsi que les généraux ont fait perdre au moins vingt-quatre heures au moment où se posait une question aussi importante, aussi essentielle que celle de la paix. C'est seulement quand nous déclarâmes que nous nous adresserions aux soldats que le général prit l'appareil. Nous exigeâmes de Doukhonine qu'il entamât des pourparlers immédiats d'armistice, et rien d'autre. Nous n'avions pas donné à Doukhonine le droit de conclure un armistice. Non seulement cette question n'était pas de sa compétence mais encore chacun de ses actes, dans la conduite des pourparlers, devait être contrôlé par les commissaires du peuple.
La presse bourgeoise nous reproche, paraît-il, de proposer un armistice séparé, de ne pas tenir compte des intérêts de l'armée roumaine. C'est un pur mensonge. Nous proposons d'engager immédiatement des pourparlers de paix et de conclure un armistice avec tous les pays sans exception. Nous savons que nos radiotélégrammes parviennent en Europe. Ainsi, notre radiotélégramme annonçant notre victoire sur Kérenski [1] a été capté par la radio autrichienne et a été transmis. Les Allemands ont fait du brouillage pour le retarder. Nous pouvons communiquer par radio avec Paris et quand un traité de paix sera établi, nous aurons les moyens de faire connaître au peuple français qu'il peut être signé et qu'il dépend du peuple français de conclure un armistice en deux heures. Nous verrons ce que dira alors Clemenceau. Notre parti n'a jamais déclaré qu'il pouvait instaurer une paix immédiate. Il a dit qu'il ferait une proposition immédiate de paix et qu'il publierait les accords secrets. C'est chose faite et la lutte pour la paix commence. Cette lutte sera difficile et opiniâtre. L'impérialisme international mobilise toutes ses forces contre nous, mais si puissantes soient-elles nous avons de grandes chances de réussir ; dans cette lutte révolutionnaire pour la paix nous lierons la lutte pour la paix et la fraternisation révolutionnaire. La bourgeoisie voudrait réaliser l'entente des gouvernements impérialistes contre nous.
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Quelques mots de conclusion
Le camarade Tchoudnovski disait qu'il « s'est permis » de soumettre l'action des commissaires à une vive critique. Il ne peut pas être ici question de savoir si l'on peut ou si l'on ne peut pas se permettre une vive critique. Cette critique est le devoir d'un révolutionnaire et les commissaires du peuple ne se considèrent pas comme infaillibles.
Le camarade Tchoudnovski a déclaré qu'une paix honteuse est inacceptable pour nous, mais il n'a su proférer un seul mot, avancer un seul fait prouvant que cette paix fût inacceptable pour nous. Nous avons dit : la paix ne peut être signée que par le Conseil des Commissaires du peuple. Quand nous sommes entrés en pourparlers avec Doukhonine, nous savions que nous avions affaire à un ennemi ; et quand il est question d'un ennemi, on ne peut pas temporiser. Nous ne savions pas quels seraient les résultats des pourparlers. Mais nous étions résolus. Il était nécessaire de décider sur-le-champ, au fil direct. Il fallait prendre des mesures immédiates contre un général qui refusait d'obéir. Mais nous ne pouvions pas appeler le Comité exécutif central à l'appareil ; il n'y a là aucune infraction aux prérogatives du Comité exécutif central. Dans la guerre, on n'attend pas l'issue de la bataille, or il s'agissait d'une guerre contre des généraux contre-révolutionnaires, et pour les dénoncer nous avons fait appel aussitôt aux soldats. Nous avons destitué Doukhonine, mais nous ne sommes pas des formalistes ni des bureaucrates, nous savons que la seule destitution était insuffisante. Il marche contre nous et nous en appelons contre lui à la masse des soldats. Nous leur donnons le droit d'entamer des pourparlers d'armistice. Mais nous ne concluons pas d'armistice. Les soldats sont prévenus qu'ils doivent mettre sous bonne garde les généraux contre-révolutionnaires [2]. J'estime que n'importe quel régiment est assez bien organisé pour maintenir l'ordre révolutionnaire nécessaire. Si les soldats en ouvrant des pourparlers d'armistice sont victimes d'une trahison, d'une attaque pendant la fraternisation, ils auront le devoir de fusiller les traîtres sur l'heure, sans autre forme do procès.
Dire que nous avons maintenant affaibli notre front en cas d'offensive allemande est monstrueux. Tant que Doukhonine n'a pas été démasqué et destitué, l'armée n'avait pas la certitude de faire une politique internationale de paix. Aujourd'hui, cette certitude existe : on ne peut combattre Doukhonine qu'en faisant appel à l'esprit d'organisation et d'initiative de la masse des soldats. La paix ne peut être conclue seulement d'en haut. Il faut s'efforcer d'obtenir la paix d'en bas. Nous n'avons pas la moindre confiance dans les généraux allemands, mais nous avons confiance dans le peuple allemand. Sans la participation active des soldats, une paix conclue par les commandants en chef n'est pas solide. Je suis contre la proposition de Kaménev, non parce que je suis contre elle en principe, mais parce qu'elle est insuffisante, trop faible. Je n'ai rien contre la commission, mais je propose de ne pas déterminer d'avance ses fonctions ; je suis contre les mesures peu énergiques et je propose que sur ce point nous ne nous liions pas les mains.
Notes
Les notes rajoutées par l’éditeur sont signalées par [N.E.]
[1]. Voir Réunion des représentants des régiments de la garnison de Pétrograd (N.R.)
[2]. Voir Entretien du gouvernement avec le Quartier Général par fil direct le 9 (22) novembre 1917 (N.R.)