1919 | Imprimé en 1919 dans Le VIIIe Congrès du Parti communiste (bolchevique) de Russie, Compte rendu sténographique. 18-23 mars 1919 Œuvres t. 29, pp. 139-196, 198-216 et 222-226 Paris-Moscou, |
Lénine VIII CONGRES DU P.C. (b)R. (18-23 MARS 1919) |
DISCOURS DE CLÔTURE DU CONGRÈS
LE 23 MARS
Notre ordre du jour est épuisé, camarades. Permettez-moi à présent de dire quelques mots en cette fin de congrès.
Camarades, nous avons dû nous réunir à un moment pénible, non seulement parce que nous avons perdu Iakov Mikhaïlovitch Sverdlov, le meilleur de nos organisateurs et de nos dirigeants politiques. Nous nous sommes réunis à un moment particulièrement difficile, parce que l'impérialisme international, aucun doute ne subsiste maintenant, a entrepris sa dernière tentative, d'une force exceptionnelle, pour écraser la République soviétique. Il est absolument certain que la puissante offensive lancée à l'Ouest et à l'Est, jointe à toute une série de soulèvements organisés par les gardes blancs, à des essais de sabotage des voies ferrées en certains endroits, que tout cela est un plan des impérialistes de l'Entente nettement mûri et manifestement arrêté à Paris. Nous savons tous, camarades, avec quelles difficultés la Russie, au bout de quatre années de guerre impérialiste. a dû reprendre les armes pour défendre la République soviétique contre les rapaces impérialistes. Nous savons tous combien cette guerre est dure, combien elle nous épuise. Mais nous savons aussi que, si elle est menée avec une énergie accrue, avec un héroïsme accru, c'est uniquement parce que, pour la première fois au monde, a été mise sur pied une armée, une force militaire qui sait pourquoi elle se bat, et que, pour la première fois au monde, les ouvriers et les paysans qui consentent de très lourds sacrifices, ont clairement conscience de défendre la République socialiste soviétique et le pouvoir des travailleurs contre les capitalistes, de défendre la cause de la révolution socialiste prolétarienne mondiale.
Dans ces conditions difficiles, nous avons réussi à accomplir en peu de temps un travail extrêmement important. Nous avons pu ratifier le programme et ce à l'unanimité, comme d'ailleurs toutes les décisions essentielles du Congrès. Nous sommes persuadés que, malgré ses nombreuses insuffisances rédactionnelles et autres, ce programme est déjà entré dans l'histoire de la IIIe Internationale, comme le programme qui dresse le bilan d'une nouvelle étape dans le mouvement mondial de libération prolétarienne. Nous sommes persuadés que, dans de nombreux pays, où nous avons beaucoup plus d'alliés et d'amis que nous ne le pensons, la simple traduction de notre programme sera la meilleure réponse à la question de savoir ce qu'a fait le Parti communiste de Russie, l'un des détachements du prolétariat mondial. Notre programme constituera un matériel de propagande et d'agitation extrêmement puissant ; ce sera le document qui permettra aux ouvriers de dire : « Là sont nos camarades, nos frères, là s'accomplit notre œuvre commune.»
Camarades, à ce Congrès, nous avons également pris d'autres décisions très importantes. Nous avons approuvé la fondation de la IIIe Internationale, l'Internationale Communiste, formée ici même, à Moscou. Nous avons abouti à une décision unanime sur les questions militaires. Aussi grands que paraissaient au début les différends, aussi divergentes qu'étaient les opinions des nombreux camarades qui se sont exprimés ici en toute franchise sur les défauts de notre politique militaire, nous sommes parvenus avec une extrême facilité, au sein de la commission, à une décision absolument unanime ; nous quitterons ce Congrès, certains que notre principal défenseur, l'Armée Rouge, pour qui le pays tout entier consent des sacrifices sans nombre, trouvera dans tous les membres du Congrès et dans tous les membres du Parti les plus ardents auxiliaires, dirigeants, amis et collaborateurs qui lui seront dévoués sans limites.
Camarades, en ce qui concerne la question de l'organisation, si nous avons résolu aussi facilement les problèmes qui se posaient à nous, c'est parce que l'histoire des relations du Parti avec les Soviets a suggéré toutes ces décisions. Nous n'avons eu qu'à dresser le bilan ; en ce qui concerne le travail à la campagne, par une décision unanime et rapide, le Congrès a défini notre ligne dans une question particulièrement nécessaire et particulièrement difficile, jugée même insoluble dans d'autres pays, la question de l'attitude du prolétariat qui a renversé la bourgeoisie à l'égard des millions de paysans moyens. Nous sommes tous persuadés que cette résolution du Congrès affermira notre pouvoir. Au moment difficile que nous vivons, alors que les impérialistes font leur dernière tentative pour renverser par la violence le pouvoir soviétique, alors que la terrible pénurie de vivres et la désorganisation des transports réduisent de nouveau des centaines, des milliers et des millions de personnes à une situation désespérée, nous sommes certains qu'en ce moment pénible, la résolution que nous avons adoptée et l'esprit qui animait les membres du Congrès aideront à surmonter cette épreuve et à sortir de ce difficile semestre.
Nous sommes persuadés que ce sera le dernier semestre difficile. Ce qui nous renforce particulièrement dans cette conviction, c'est la nouvelle que nous avons communiquée ces jours-ci au Congrès, la nouvelle de la victoire de la révolution prolétarienne on Hongrie. Alors que, jusqu'à présent, le pouvoir soviétique n'avait triomphé qu'à l'intérieur, parmi les peuples de l'ancien empire russe : alors que, jusqu'à présent, les gens à courte vue qui ont beaucoup de peine à se débarrasser de la routine, des vieilles habitudes de pensée (encore qu'ils appartiennent au camp socialiste) pouvaient penser que seules les particularités de la Russie avaient provoqué ce tournant inattendu vers la démocratie soviétique prolétarienne et que les particularités de cette démocratie reflétaient peut-être, comme en un miroir déformant, les vieilles particularités de la Russie tsariste, - alors que cette opinion pouvait encore se maintenir, elle est à présent anéantie de fond en comble. Camarades, les nouvelles d'aujourd'hui nous brossent le tableau de la révolution hongroise. Nous apprenons, par les informations de la journée, que les puissances alliées avaient posé à la Hongrie l'ultimatum le plus brutal concernant le passage des troupes. Le gouvernement bourgeois, voyant que les puissances alliées voulaient faire passer leurs troupes par la Hongrie et que le fardeau inouï d'une nouvelle guerre allait retomber sur ce pays, le gouvernement conciliateur bourgeois a donné lui-même sa démission, engagé lui-même des pourparlers avec les communistes, avec les camarades hongrois emprisonnés ; il a reconnu lui-même qu'il n'y avait pas d'autre issue que la remise du pouvoir au peuple travailleur. (Applaudissements.)
Camarades, si nous avons été traités d'agresseurs, si, fin 1917 et début 1918, la bourgeoisie et nombre de ses partisans n'avaient d'autres mots à la bouche que ceux de «violence » et de « conquête » pour qualifier notre révolution, si, maintenant encore, on entend dire que le pouvoir bolchevique ne se maintient que par la violence, ce dont nous avons maintes fois démontré l'absurdité, s'il était possible, auparavant, de répéter ces absurdités, maintenant l'exemple de la Hongrie met fin à ces bavardages. Même la bourgeoisie a constaté qu'il ne peut pas y avoir d'autre pouvoir que le pouvoir des Soviets. La bourgeoisie d'un pays plus civilisé a vu, plus clairement que la nôtre, à la veille du 25 octobre, que son pays était perdu, que des épreuves de plus en plus dures accablaient le peuple et que, par conséquent, le pouvoir devait appartenir aux Soviets, que la Hongrie devait donc être sauvée par ses ouvriers et ses paysans, par une démocratie nouvelle, prolétarienne et soviétique.
Les difficultés de la révolution hongroise, camarades, sont énormes. Ce petit pays, par rapport à la Russie, peut être étouffé beaucoup plus facilement par les impérialistes. Mais, quelles que soient les difficultés qui se dressent incontestablement devant la Hongrie, nous avons là, outre la victoire du pouvoir soviétique, une victoire morale. La bourgeoisie la plus radicale, la plus démocratique et conciliatrice a reconnu qu'à l'heure d'une très grave crise, alors que son pays épuisé par la guerre est menacé d'une guerre nouvelle, le pouvoir soviétique est une nécessité historique ; elle a reconnu qu'il ne peut y avoir dans ce pays d'autre pouvoir que celui des Soviets, que la dictature du prolétariat.
Camarades, nous avons derrière nous un grand nombre de révolutionnaires qui ont fait le sacrifice de leur vie pour affranchir la Russie. La majorité de ces révolutionnaires ont été victimes d'un sort cruel. Ils ont été victimes des persécutions du tsarisme ; ils n'ont pas eu le bonheur de voir la révolution victorieuse. Mais nous, nous avons un bonheur plus grand encore. Non seulement nous avons vu triompher notre révolution, non seulement nous l'avons vue, à travers des difficultés incroyables, s'affermir et créer de nouvelles formes du pouvoir qui nous valent la sympathie du monde entier mais encore nous voyons les graines semées par la révolution russe lever en Europe. Cela nous donne la certitude absolue, inébranlable, que, si dures que soient les épreuves qui peuvent encore nous frapper, si grands que soient les maux dont peut encore nous accabler la bête expirante de l'impérialisme international, cette bête périra et le socialisme triomphera dans le monde entier. (Applaudissements prolongés.)
Je déclare clos le VIIIe Congrès du Parti communiste de Russie.