1870-71

Marx et Engels face au premier gouvernement ouvrier de l'histoire...


La Commune de 1871

K. Marx - F. Engels

Le drame


Conjuration de la bourgeoisie internationale

« Il y a quinze jours, les Anglais supputaient les conséquences possibles d'une victoire française dans la première grande bataille. Ils craignaient avant tout qu'un tel succès initial fournît à Napoléon III une occasion de conclure une paix rapide, dont la Belgique eût fait les frais.  [1] Ils furent vite rassurés sur ce point » (Fr. Engels, la crise de la guerre, in Pall Mall Gazette, 20 août 1870.)

Marx à Engels

Londres, le 14 septembre 1870

Cher Fred,

En même temps que cette lettre, 12 exemplaires de l'Adresse. Diverses erreurs typographiques, omissions de petits mots, etc., mais rien ne fausse le sens. Ce sera corrigé à la 2e édition. Il ne faut pas oublier que le Conseil général se heurte de toutes parts aux susceptibilités, et il ne peut donc écrire comme nous le ferions en notre nom.

La nouvelle de Brunswick nous est arrivée hier soir de la part de Liebknecht; mais, comme toujours, l'imprécision de Wilhelm la rend inutilisable. J'ai envoyé aujourd'hui des notes à ce sujet à la Pall Mall, l'Écho, etc.

Le fait est excellent. Cette fois la chasse aux démagogues  [2] commence avant même que la guerre ne soit terminée et se fait contre les ouvriers, au lieu des étudiants fumeux d'antan. C'est une très bonne chose que les Prussiens révèlent ce qu'ils sont, et qu'ils détruisent toute illusion possible dans la classe ouvrière, avant même que la paix ne soit conclue. En outre, la classe ouvrière ne peut être poussée dans le feu du combat que sous la persécution directe de l'État.

La « république » - même le simple mot - a donc donné une tournure nouvelle aux événements. En Angleterre, par exemple, Mr George Potter - ce « héros » de l'ouvrier - professe publiquement qu'il est républicain. Cela te fera comprendre l'état d'âme de Londres. J'espère que la politique prussienne de la Cour déclenchera le mécanisme. L'ingérence inconstitutionnelle de la petite-fille de George III et de la belle-mère du Fritz, c'est un fameux levier.

Dans tout cela, Bismarck est un âne. Comme tout lui a réussi tant qu'il fut l'instrument des aspirations allemandes à l'unité, il a perdu la tête au point de croire maintenant qu'il peut faire, sans pudeur et sans fard, une politique spécifiquement prussienne, non seulement à l'extérieur, mais encore à l'intérieur.

Hier, il y a eu un meeting ouvrier dans un local de Lincolns Fields. Nous étions réunis comme chaque mardi à notre siège, lorsqu'est arrivé un télégramme nous appelant à la rescousse. Les partisans de la Société de la Paix qui ont fait des « achats de grand style » parmi les ouvriers (par exemple Cremer) s'étaient presque assurés d'une toute petite majorité. Notre arrivée à l'improviste a fait tourner le vent. Il s'agissait notamment de diverses résolutions en faveur de la République française qui, comme le soutenait la Société de la Paix, auraient pu conduire à la guerre contre la Prusse. J'ai écrit aujourd'hui longuement pour donner des instructions, en Belgique et en Suisse, ainsi qu'aux États-Unis.  [3]

La lettre ci-incluse de Serraillier t'intéressera ainsi que Dupont. Je ne t'envoie qu'un fragment, car le reste contient des nouvelles de la famille et est donc demeuré aux mains de madame Serraillier.

Salut.

Ton K.M., Secrétaire pour la Russie !

Le livre de Schaeffle s'intitule: Capitalisme et socialisme, etc.

Marx à Engels

En toute hâte.

Londres, le 16 septembre 1870

Cher Fred,

Charge Dupont de répondre - au nom du Conseil général - aux Marseillais (ci-inclus leur manifeste et lettre) pour leur passer un savon, et leur faire parvenir en même temps notre Adresse . S'il le faut, je lui enverrai d'autres Adresse.

En dehors du Spectator, qui a écrit un article perfide sur notre Adresse, et de la Pall Mall qui en a publié un bref passage, toutes les feuilles de Londres se sont appliquées à la passer sous silence.

Salut.  **

Ton K.M.

Marx à Edward Spencer Beesly

Londres, le 12 septembre 1870

Très estimé monsieur Beesly,

À. Serraillier, membre du Conseil général de l'Association internationale des travailleurs et chargé des pleins pouvoirs du Conseil, est parti mercredi dernier pour Paris. Il tenait pour son devoir d'y aller, non seulement pour participer à la défense, mais encore pour user de son influence sur notre Conseil fédéral de Paris, car il possède effectivement de remarquables qualités intellectuelles. Sa femme vient d'être informée de ce projet. Hélas, elle n'est pas seulement sans le sou, elle et son enfant, mais les créanciers de Serraillier, qui ont des traites s'élevant à quelque 12 livres, menacent de faire vendre ses meubles et de la jeter à la rue. Dans ces conditions, mes amis et moi, nous avons décidé de lui venir en aide, et c'est pour cela que je me permets d'en appeler, par cette lettre, également à vous et à vos amis.

Vous remarquerez que l'Adresse que j'ai présentée vendredi dernier au Conseil général et qui est actuellement sous presse, coïncide sur bien des points presque littéralement avec votre pamphlet.  [4]

Mon opinion est que Paris devra capituler; de lettres personnelles que je reçois de Paris, il ressort clairement que plusieurs membres influents du Gouvernement provisoire sont préparés à une telle issue.

Serraillier m'écrit aujourd'hui que la hâte avec laquelle les Prussiens marchent sur Paris est la seule chose au monde qui puisse prévenir une nouvelle insurrection de juin. Si Paris tombe, la France est loin d'être perdue si les provinces font leur devoir.

Le Conseil fédéral de Paris me bombarde de télégrammes, ayant tous pour seul but d'obtenir la reconnaissance de la République française par l'Angleterre. C'est effectivement d'une importance primordiale pour la France. C'est le seul moyen de l'aider à présent. Le roi de Prusse traite officiellement Bonaparte comme le souverain régnant de la France. Il voudrait le rétablir sur le trône. La République française n'existera pas tant que le gouvernement britannique ne l'aura pas reconnue. Mais il n'y a pas de temps à perdre. Permettrez-vous à votre reine et à votre oligarchie, sous la dictée de Bismarck, d'abuser de l'immense influence de l'Angleterre ?

Respectueusement,

votre Karl Marx

À propos. En ce moment, la presse anglaise bavarde bien inutilement sur les mesures pour assurer la « défense » de l'Angleterre. En cas de guerre avec la Prusse ou d'autres puissances militaires du continent, vous disposez d'un moyen d'attaque, mais celui-là imparable: la destruction du commerce maritime des pays du continent européen. Vous ne l'obtiendrez qu'en remettant en vigueur vos « droits maritimes  [5]  » qui ont été abandonnés à la Russie en 1856 par le traité de Paris, à la suite d'une intrigue ministérielle, sans aucune ratification du parlement. La Russie attribue à cette affaire une telle importance qu'elle a poussé la Prusse, tout au début de la guerre, à revendiquer officiellement ces clauses de l' « accord » de Paris. Il va de soi que la Prusse n'y était que trop disposée. D'abord, elle n'a aucune marine. Ensuite, il est incontestablement de l'intérêt commun des puissances militaires du continent d'amener l'Angleterre, seule grande puissance maritime d'Europe, à renoncer aux moyens les plus efficaces de la guerre maritime, sous prétexte d'humanitarisme. Le privilège de l'inhumanité - et l'on ne peut faire la guerre d'une façon « humaine » - sera donc réservé aux forces terrestres ! En outre, cette « philanthropie » diplomatique présume que la propriété - toujours sur mer, et non sur terre - est plus précieuse que la vie humaine. Telle est la raison pour laquelle les fabricants et marchands anglais que l'on prend pour des imbéciles, ont permis eux-mêmes qu'on les berne par les clauses de Paris sur la guerre maritime - pour eux sans effet pratique, puisque non reconnues par les États-Unis. En effet, ce n'est que dans une guerre contre ces derniers qu'une telle condition pourrait être de quelque valeur pour les marchands d'argent d'Angleterre. Le mépris que vouent désormais à l'Angleterre la Prusse aussi bien que la Russie (qui avance tranquillement vers les Indes) provient uniquement de ce qu'elles savent que l'Angleterre n'est bonne à rien dans une guerre offensive sur terre, et que pour une guerre maritime, décisive pour elle, l'Angleterre s'est désarmée elle-même, ou mieux: a été désarmée par le geste arbitraire de Clarendon, agissant sur les instructions secrètes de Palmerston. Déclarez demain que ces clauses du traité de Paris - qui n'ont même pas reçu la forme de clauses de traité -sont des chiffons de papier, et je vous garantis que les matamores continentaux baisseront aussitôt le ton.

Marx à Edward Spencer Beesly

Londres, le 16 septembre 1870

Très estimé monsieur Beesly,

Veuillez m'excuser de vous importuner encore avec une lettre, mais à la guerre comme à la guerre (Fr.).

Les prévisions les plus pessimistes des deux Adresses du Conseil général de l'Internationale se sont déjà réalisées.

Après avoir déclaré qu'elle faisait la guerre à Louis Bonaparte et non au peuple français, voilà que la Prusse combat maintenant le peuple français et fait la paix avec Bonaparte.  [6] Elle vient de libérer l'assassin et de proclamer son intention de le rétablir, lui ou quelqu'un de sa famille, aux Tuileries. L'infâme Times tente aujourd'hui de présenter cette nouvelle comme un simple cancan. Elle sait, ou devrait savoir que l'information provient de l'officiel Staatsanzeiger de Berlin, le Moniteur prussien. D'après les journaux prussiens semi-officiels, telle que la Gazette de Cologne, je vois que ce vieil âne de roi Guillaume, fidèle aux traditions de famille des Hohenzollern, se prosterne déjà aux pieds du tsar et l'implore d'être assez magnanime pour l'employer comme sa créature contre les Turcs. Bref, la réaction a déjà commencé en Allemagne. Nos gens de Brunsvick, pour commencer par eux, ont été transportés, enchaînés comme de vulgaires criminels, vers la frontière orientale, comme je vous l'ai déjà écrit. Mais, ce n'est qu'un fait parmi tant d'autres.

Après la première guerre d'indépendance allemande contre Napoléon 1er, le gouvernement fit, vingt ans durant, une chasse féroce aux prétendus démagogues,  [7] mais alors elle n'eut lieu qu'après la fin de la guerre. Or, maintenant, elle commence avant la conclusion de la paix.

À l'époque les persécutions visaient des idéalistes soufflés et la jeunesse exubérante (les étudiants des universités) de la bourgeoisie, de la bureaucratie et de l'aristocratie. Elles visent désormais la classe ouvrière.

Pour ma part, je suis enchanté de tous ces méfaits du gouvernement prussien. C'est ce qui mettra l'Allemagne en mouvement. Je pense que vous devriez faire maintenant la chose suivante: la première Adresse du Conseil général sur la guerre n'a été publiée en entier que par la Pall Mall Gazette, d'autres journaux n'en ayant donné que des extraits ou l'ayant simplement évoquée dans leurs éditoriaux. Cette fois, bien que l'Adresse ait été envoyée à tous les journaux de Londres, aucun n'en a soufflé mot, à l'exception de la Pall Mall, qui en a donné un très bref extrait.

Soit dit en passant, ce journal, qui, dans son numéro d'hier, parle de vous en termes fort élogieux, a certaines obligations personnelles à mon égard. En effet, ne lui ai-je pas proposé les Notes sur la guerre de mon ami Engels ? Je l'ai fait à la demande de Nicolas Léon Thieblin qui passait parfois en contrebande quelques passages sur l'Internationale dans la Pall Mall. C'est pourquoi notre seconde Adresse n'a pas été entièrement étouffée dans ce journal.

Sur le continent, jusqu'à Moscou et St-Pétersbourg, et même dans les journaux français sous le règne bonapartiste et actuellement à Berlin, les gens avaient et ont l'habitude de voir les manifestes de l'Internationale traités sérieusement et reproduits en entier par un journal ou l'autre, si bien qu'on nous reproche souvent de ne pas « user » avec assez de zèle de la « libre» presse londonienne. On n'a certes aucune idée de la totale corruption de cette vile engeance, flétrie depuis longtemps déjà par William Cobbett pour sa « vénalité, son infamie et son inculture »: on ne peut pas y croire sur le continent.

J'estime que vous rendriez le plus grand service à l'Internationale - et je me préoccuperai de faire reproduire votre article dans nos journaux en Espagne, Italie, Suisse, Belgique, Hollande, Danemark, Hongrie, Allemagne, France et États-Unis -, si vous publiiez dans la Fornightly Review, quelque chose sur l'Internationale, les manifestes du Conseil général relatifs à la guerre et le traitement que nous avons subi aux mains de ce modèle de presse qu'est la « libre » information anglaise.  [8] Cette espèce est en fait plus asservie à la police prussienne que la presse de Berlin.

Lafargue, qui dirige en ce moment un journal à Bordeaux, vous envoie, à vous et à madame Beesly, ses meilleurs compliments.

Votre dévoué

Karl Marx

Extraits du protocole de la réunion du Conseil Général du 17.1-1871.

Marx
Exposé sur le gouvernement de la Défense nationale à la réunion du 17 janvier 1871 [9]

Le citoyen Marx, constatant qu'un assez grand nombre de membres anglais étaient présents, dit qu'il désirait faire une importante observation: les déclarations faites par Odger, président de l'Association, au dernier meeting public de St. James' Hall ne correspondent pas à la vérité. Nous affirmions, dans notre seconde Adresse, que plusieurs membres du gouvernement provisoire français étaient marqués d'une ineffaçable flétrissure depuis la révolution de 1848. Ce qui n'a pas empêché Odger d'affirmer qu'aucune faute ne pesait sur qui que ce soit.

Et Marx de poursuivre: on ne peut accueillir Favre que comme représentant de la République, et non comme un patriote sans reproche. Or, la manière avec laquelle on parle aujourd'hui de Favre le pousse sur l'avant-scène, tandis qu'on perd pour ainsi dire de vue la République. Un exemple des agissements de Favre: après la révolution de 1848, Favre fut choisi par Ledru-Rollin comme ministre de l'Intérieur, Flocon étant tombé malade. L'une des premières mesures de Favre fut de ramener l'armée à Paris, ce qui permit ensuite à la bourgeoisie de faire tirer sur les ouvriers et les écraser. Plus tard, lorsque le peuple se fut convaincu que l'Assemblée nationale était composée d'hommes issus de la bourgeoisie, il manifesta sa sympathie à la Pologne, et envahit, à cette occasion, l'Assemblée constituante.  [10] Le président de celle-ci supplia Louis Blanc de s'adresser aux manifestants et de les tranquilliser, ce qu'il ne manqua pas de faire. Une guerre contre la Russie eût sauvé la République.

La première chose que Jules Favre entreprit quelques jours après, ce fut de réclamer les pleins pouvoirs afin de poursuivre Louis Blanc comme complice des manifestants. L'Assemblée nationale était convaincue que Favre avait reçu à cet effet un mandat du gouvernement, mais les autres membres du gouvernement déclarèrent que cette mesure était une initiative personnelle de Favre tendant à faire croire que le gouvernement provisoire aurait conspiré pour provoquer l'insurrection de juin 1848.

Après que la troupe eut tiré sur les manifestants et les eut terrassés, Favre proposa d'éliminer la Commission exécutive.  [11] Le 27, il promulga le décret selon lequel les prisonniers pouvaient être « transportés » sans procès ni jugement des tribunaux.  [12] Il y eut 15 000 déportés. En novembre, l'Assemblée constituante fut contrainte d'examiner certains cas de déportés. Dans la seule ville de Brest, on dut libérer 1000 prisonniers. Il fallut aussi relâcher un grand nombre de personnes arrêtées et mises en accusation par la Commission militaire comme étant particulièrement dangereuses; d'autres ne purent être condamnées qu'à des peines de prison légères. On proposa l'amnistie par la suite: Favre s'y opposa sans relâche. Il prétendait être de ceux qui avaient demandé la création d'une commission d'enquête sur toute la révolution, à l'exception de Février.

Il a participé à l'élaboration des lois de presse les plus infâmes  [13] qui aient jamais existé, et que Napoléon III sut habilement exploiter. Sous la monarchie de juillet, Favre entretint certaines liaisons avec les bonapartistes et mit en oeuvre toute son influence pour accueillir Napoléon à l'Assemblée nationale. Il fit tout ce qui était en son pouvoir pour réaliser l'expédition de Rome,  [14] qui fut le premier pas vers l'instauration de l'Empire.

Engels
Projet de résolution sur l'attitude de la classe ouvrière anglaise vis-à-vis de la guerre franco-prussienne dans l'actuelle phase

(réunion du Conseil général du 31.1.1871)

  1. Que le mouvement ouvrier, pour le soutien de la République française, aurait dû en premier concentrer ses efforts pour obliger le gouvernement britannique à reconnaître la République,
  2. Que l'intervention militaire de l'Angleterre en faveur de la France - telle qu'elle était envisagée par ceux qui la proposaient - n'aurait pu avoir d'effet qu'à un moment bien déterminé, moment qui est maintenant dépassé;
  3. Que l'Angleterre non seulement demeure incapable d'intervenir efficacement dans les affaires continentales, mais qu'elle ne peut même pas se protéger contre le despotisme militaire du continent, tant qu'elle n'aura pas reconquis la faculté de disposer de sa véritable force militaire, sa flotte de guerre. Elle ne le peut qu'en dénonçant la Déclaration de Paris.  [15]
Marx et Engels
Exposé sur le mouvement républicain en Angleterre, à la réunion du 28 mars 1871

Le citoyen Engels dit que la question n'est pas de savoir s'il faut soutenir le mouvement républicain, mais si, dans les conditions actuelles, il s'engagerait dans notre voie. Des hommes tels que Peter Taylor et d'autres réclament simplement la république; mais, il faut tenir compte de ce que l'abolition de la monarchie entraînerait l'élimination de l'Église d'État, de la Chambre des Lords et de beaucoup d'autres institutions.  [16] En Angleterre, nul mouvement républicain ne peut se développer sans transcroître en un mouvement de la classe ouvrière. Lorsqu'un tel mouvement prend naissance, il importe donc de savoir aussi comment il continuera de se développer. Il faut que la république soit instaurée pour que nos idées passent dans la réalité. Il s'agit donc de suivre avec la plus grande attention la manière dont évolue le mouvement républicain; et il est juste que des membres de l'Internationale y prennent part et lui donnent la direction adéquate. Si le mouvement républicain devait prendre une forme bourgeoise, il deviendrait l'affaire d'une clique. La classe ouvrière ne peut pas ne pas rompre avec toutes les formes traditionnelles.

Le citoyen Engels ajoute que l'oppression est aussi grande en Amérique qu'en Angleterre, mais que la république offre à la classe ouvrière de larges possibilités d'agitation. Dans les États à population de forte densité, le mouvement ouvrier est organisé, mais l'immensité d'un pays faiblement peuplé l'empêche de se renforcer.

Le citoyen Marx exprime sa conviction qu'aucun mouvement républicain ne peut devenir une force réelle s'il ne se transforme en mouvement social. Ceux qui tirent les ficelles de l'actuel mouvement n'ont évidemment aucune intention de ce genre.

Engels à Carl Klein et Friedrich Moll

122, Regent's Park Road, N.W.

Londres, le 10 mars 1871

Chers amis Klein et Moll

... Une dure période commence maintenant pour les ouvriers allemands. Il semble bien qu'on ait décidé de les sacrifier sur l'autel de la réconciliation entre les hobereaux et la bourgeoisie. Mais, cela ne fait rien. Le mouvement ouvrier n'est-il pas désormais trop puissant pour être liquidé à la suite de quelques manœuvres prussiennes. Bien au contraire, les persécutions, auxquelles nous devons nous attendre, nous procurerons des forces accrues et, dès lors que l'ivresse du bourgeois plein de sa victoire se sera dissipée et que les pleurnicheries recommenceront, alors il se trouvera de nouveau une occasion où notre parti trouvera son mot à dire. En tout cas, les ouvriers allemands ont démontré par leur attitude exemplaire au cours de la guerre, qu'ils savent fort bien quel est l'enjeu. De tous les partis le leur seul sait déchiffrer justement l'histoire de notre temps, alors que l'ivresse de la victoire embrouille complètement les bourgeois.

J'habite à Londres depuis 5 mois. Il est douteux que vous puissiez longtemps encore faire partie, autrement qu'en principe, de l'Association internationale des travailleurs, étant donné qu'en Allemagne on semble vouloir considérer une telle adhésion comme un crime. En tout cas, attendez-vous à ce que nous fassions ici tout ce qui est humainement possible pour éviter que se brise de nouveau le lien entre le prolétariat de toute l'Europe et de l'Amérique que nous avons établi il y a 7 ans. Et c'est ce qui importe.

Salut fraternel et poignée de main

votre F. Engels

Engels à Rudolf Engels

Londres, le 10 mars 1871

Cher Rudolf,

... Je doute fort que les sympathies que vous éprouvez pour la France dans votre région (et qui sont répandues à peu près dans le monde entier) proviennent de ce que la France a essuyé les coups les plus durs. Quoi qu'il en soit, ce qui est sûr, c'est que si la Prusse recevait à l'occasion d'événements futurs une bonne raclée (ce qui n'est pas si improbable), elle ne bénéficierait d'aucune sympathie, mais on rirait d'elle. Tout bonnement, vous ne voyez pas plus loin que le bout de votre nez; les jérémiades feront bientôt suite aux ivresses de la victoire: vous serez alors tout marris de vous trouver dans votre peau. Avec toute votre puissance et votre gloire, vous êtes dans la même situation qu'à Olmütz, cet Olmütz qui a été conclu à Varsovie  [17] où votre maître suprême - le tsar de toutes les Russies - vous a donné l'ordre de vous incliner bien humblement devant l'Autriche et la Diète Impériale. À présent que vous avez fait de la France (qui demeure de toute façon à votre frontière) votre ennemie pour longtemps, la Russie reste votre seul rempart et vous fera bientôt payer sa protection. Car vous êtes plus que jamais sous la domination russe.

Veux-tu transmettre à maman mes meilleures salutations, et lui dire que je lui écrirai bientôt. Salue ta femme, tes enfants, les frères et sœurs, ainsi que tout ce qui se rattache à la famille et s'y balance.

Ton Frédéric

Engels

Le sort de Metz

Pall Mall Gazette, le 17 octobre 1870

Metz est une forteresse infiniment plus forte que Paris... La reddition de Metz aurait une répercussion morale infiniment moindre, mais un effet matériel bien plus considérable sur le cours ultérieur de la guerre que la chute de Paris. Si Paris est perdu, la France cédera peut-être, mais cela ne s'imposerait pas plus à ce moment-là qu'à présent. En effet, la majeure partie des troupes prussiennes qui encerclent aujourd'hui Paris continueraient d'être nécessaires pour tenir Paris et ses environs. Il est donc plus que douteux que les Allemands disposent alors d'assez de troupes pour avancer jusqu'à Bordeaux.

En revanche, si Metz capitulait, les Prussiens pourraient disposer de 200 000 soldats devenus libres; dans l'actuelle situation des troupes françaises en ligne, cette armée suffirait amplement pour gagner le pays non fortifié, quand il lui plaira et jusqu'où elle le voudra. L'occupation du reste de la France qui est empêchée par les deux grands camps retranchés, commencerait aussitôt et toutes les tentatives d'une guerre de guérilla qui, actuellement, pourraient être très efficaces, seraient alors rapidement écrasées.  *

Engels

Sur la Guerre

Pall Mall Gazette, le 6 octobre 1870

Les bataillons des faubourgs de Paris, composés d'ouvriers, sont résolus à se battre; ils obéiront et manifesteront une espèce de discipline instinctive s'ils sont conduits par des hommes ayant personnellement et politiquement leur confiance. Envers tous les autres chefs, ils seront rebelles. En outre, ils n'ont ni instruction, ni officiers entraînés et, à moins qu'il n'y ait une bataille finale derrière les barricades, leurs excellentes qualités de combat ne seront pas utilisées.

En revanche, le gros des Gardes nationaux, armés par Palikao, se compose de bourgeois, particulièrement de la classe des petits boutiquiers, et ces hommes-là répugnent par principe à se battre. Sous les armes, leur affaire est de garder leurs boutiques et leurs maisons: si celles-ci sont attaquées à distance par les obus ennemis, leur enthousiasme martial s'évanouira probablement. C'est une force organisée plutôt contre un ennemi intérieur qu'extérieur. Toutes ses traditions vont en ce sens, et neuf sur dix d'entre eux sont convaincus qu'un tel ennemi intérieur est dès maintenant embusqué en plein cœur de Paris, n'attendant qu'une occasion pour lui tomber dessus ...  *

Marx à Edward Spencer Beesly

Londres, 19 octobre 1870

Très honoré monsieur Beesly,

Deak est hostile aux ouvriers. En fait, c'est la version hongroise d'un whig anglais.

En ce qui concerne Lyon,  [18] j'ai reçu des lettres qui ne sont pas faites pour être publiées. Au commencement, tout a bien marché. Sous la pression de la section de l' « Internationale », on proclama la République, avant même que Paris n'ait fait ce pas. On forma aussitôt un gouvernement révolutionnaire - la Commune -, composé en partie d'ouvriers appartenant à l' « Internationale », en partie de républicains radicaux de la bourgeoisie. On abolit immédiatement les octrois, et ce avec raison. Les intrigants bonapartistes et cléricaux furent intimidés. On prit des mesures énergiques pour l'armement de tout le peuple. La bourgeoisie commençait, sinon de sympathiser vraiment avec le nouvel ordre des choses, du moins à le tolérer passivement. L'action lyonnaise eut aussitôt un effet sensible à Marseille et Toulouse, où les sections de l' « Internationale » sont fortes.

Mais, les ânes de Bakounine et de Cluseret arrivèrent à Lyon et gâchèrent tout. Comme tous deux appartiennent à l' « Internationale », ils eurent hélas suffisamment d'influence pour fourvoyer nos amis. Ils s'emparèrent de la mairie - pour peu de temps - et proclamèrent les lois les plus insensées sur l'abolition de l'État et autres bêtises du même genre. Vous comprendrez que le simple fait qu'un Russe - présenté comme un agent de Bismarck par la presse bourgeoise - ait la prétention de jouer au chef d'un Comité de Salut de la France, suffise à faire revirer l'opinion publique. Pour ce qui est de Cluseret, il se comporta à la fois en fou et en lâche. Tous deux ont quitté Lyon après leur échec.

À Rouen, comme dans la plupart des autres villes industrielles de France, les sections de l'Internationale, en suivant l'exemple de Lyon, ont imposé que l'on reconnaisse officiellement des corps d'ouvriers dans les « comités de défense ».

Malgré tout, je suis bien obligé de vous dire que, d'après toutes les informations que j'ai reçues de France, la bourgeoisie préfère la conquête prussienne à la victoire d'une République de tendance socialiste.

Votre très dévoué

Karl Marx

Je vous envoie un exemplaire de la New York Tribune arrivé hier. Je vous serais reconnaissant de bien vouloir me le renvoyer après lecture. Vous y trouverez un article sur l'Internationale. Je n'en connais pas l'auteur, mais à en juger par le style et la manière, je suppose qu'il s'agit de Mr. Dana. Ci-joint également trois exemplaires de la Défense nationale de la part de Lafargue qui vous adresse ses salutations.

Marx à Lafargue

Londres, le 4 février 1871

Cher Paul,

Il faut créer de nouveaux défenseurs à la France (Fr.). Vous - toi et Laura - vous semblez sérieusement et efficacement préoccupés de cette tâche patriotique. Toute la famille a été heureuse d'apprendre que notre chère Laura a victorieusement surmonté ce moment critique et que la suite se présente favorablement.

Embrassez de ma part le petit Schnappy et dites-lui que Old Nick est très fier des deux photographies de sa succession. Dans la pose « grave », notre petit bonhomme exprime davantage ses qualités de sérieux, tandis que dans celle où il prend l'attitude d'un franc-fileur il fait preuve de charme, d'esprit et d'espièglerie.

Vous savez que j'ai une triste opinion des héros de la bourgeoisie. Mais il se trouve que Jules Favre et Cie ont encore dépassé mes pires attentes. Lorsque Trochu a exécuté son « plan » secret,  * autrement dit lorsque ce « sabre orthodoxe », ce « crétin militaire » eut poussé la résistance passive de Paris jusqu'au point extrême où il ne restait plus d'autre alternative que de mourir de faim ou se rendre, Jules Favre et Cie n'eurent plus qu'à suivre l'exemple du commandant de la place fortifiée de Toul. Il ne capitula pas après que sa force de résistance se fut effondrée. Il informa simplement les Prussiens de la situation, en déclarant que le manque de vivres le forçait à renoncer à la défense et qu'ils pouvaient faire ce qui leur plairait. Il ne rechercha aucune concession, mais reconnut simplement un fait accompli. Jules Favre et Cie ne se bornèrent pas à signer une capitulation. formelle,  [19] ils eurent l'impudence d'ajouter qu'ils agissaient au nom, de la France ! oui entière, bien qu'ils ignoraient totalement la situation de la France en dehors de Paris (Fr), étant donné qu'ils en étaient réduits aux informations partiales que Bismarck avait la grâce de leur communiquer. Qui plus est: après qu'ils eurent capitulé et qu'ils furent devenus les prisonniers du roi de Prusse, ils allèrent jusqu'à déclarer que la fraction encore libre du gouvernement de Bordeaux  [20] avait perdu ses pleins pouvoirs et ne pouvait plus agir sans le consentement de messieurs les prisonniers du roi de Prusse. Lorsqu'il capitula et fut fait prisonnier à Sedan, Louis Bonaparte lui-même déclara à Bismarck qu'il ne pouvait engager la moindre négociation, puisqu'il ne pouvait plus agir selon sa volonté propre et qu'il ne disposait plus d'aucune autorité en France, du fait qu'il était prisonnier de la Prusse.

Même L. Bonaparte avait eu plus de pudeur que Favre et Cie.

Favre pouvait tout au plus convenir d'un armistice sous condition, c'est-à-dire sous réserve de ratification de la part du gouvernement de Bordeaux. Quoi qu'il en soit, il eut dû laisser le soin de déterminer les clauses de cet armistice à des hommes qui n'étaient pas prisonniers du roi de Prusse. En tout cas, ils n'eussent pas permis que le théâtre de guerre oriental fût exclu de l'armistice, de sorte que les Prussiens peuvent invoquer l'armistice pour arrondir leur zone d'occupation d'une manière aussi avantageuse pour eux.

Rendu insolent par les abus de pouvoir et la servilité des délégués du gouvernement parisien qui continuent de jouer au gouvernement français, après que ces messieurs les capitulards soient prisonniers du roi de Prusse, Bismarck se considère de facto comme l'autorité suprême en France et se met à agir en conséquence. Il proteste, le noble, contre le décret de Gambetta relatif aux élections générales, sous prétexte qu'il porte atteinte aux « libertés » électorales.  [21] Il dicte les conditions dans lesquelles l'Assemblée nationale doit être élue ! En fait, Gambetta aurait dû répondre par une protestation contre toutes les entraves qui suppriment la liberté des élections au Reichstag. Pour rendre libres ces élections, il devrait même réclamer que Bismarck lève - ou du moins suspende - l'état de siège imposé à la majeure partie de la Prusse. Pour vous donner un exemple de la liberté des élections en Allemagne: à Francfort-sur-le-Main, un ouvrier (qui n'est pas domicilié à Francfort) se présente comme candidat, et commence sa campagne électorale dans cette ville. Que font les autorités prussiennes ? Elles expulsent ce candidat de Francfort, en mettant la police à ses trousses.  [22]

Je souhaite que les Prussiens maintiennent inflexiblement leur « modeste » contribution de guerre de 400 millions de livres sterling, soit la moitié de la dette publique anglaise ! [23] Cela pourrait, en effet, mettre en colère les bourgeois français, dont les intrigues menées de concert avec les autorités locales (laissées en grande partie par Gambetta entre les mains des bonapartistes, des orléanistes, etc.) donnent la véritable explication des défaites subies jusqu'ici dans la guerre. Peut-être la bourgeoisie pourrait-elle comprendre enfin qu'elle a plus à perdre si elle cède que si elle combat.

Par ailleurs, si la France résiste encore quelque temps. la situation internationale évoluera bien plus favorablement pour sa cause. En Angleterre, le cabinet Gladstone semble enfin menacé. Il se peut qu'il soit bientôt chassé du gouvernement. L'opinion publique s'affirme de plus en plus favorable à la guerre. Ce revirement a été suscité par les revendications de la Prusse, et surtout par ses visées sur Pondichéry et les vingt meilleurs navires de guerre français. L'Anglais moyen y voit une menace contre l'Angleterre et une manœuvre de la Russie (de fait, cette revendication a été suggérée à la Prusse par le cabinet de Saint-Pétersbourg.  * )

En Russie même, il semble que de grands bouleversements soient imminents. Depuis que Guillaume s'est métamorphosé en Empereur d'Allemagne, le parti anti-allemand - ce que l'on appelle le parti de la vieille Russie - à la tête duquel se trouve l'héritier présomptif du trône, a repris complètement le dessus. On peut donc s'attendre à ce que le tsar actuel ou bien accepte le diktat et renverse complètement l'orientation de sa politique extérieure, ou bien qu'il partage le sort de ses prédécesseurs et morde la poussière. Si ce bouleversement s'opérait en Russie, la Prusse, dont les frontières avec la Russie et l'Autriche sont entièrement dégarnies de troupes, serait gravement exposée, sans résistance possible, si bien qu'elle ne pourrait maintenir en France ses forces militaires actuelles.

Cela amènera Bismarck à modérer son ton et le rendra plus conciliant.

Si la France résiste, utilise l'armistice pour réorganiser ses armées et comprend enfin que pour mener une guerre révolutionnaire il faut des mesures et des énergies révolutionnaires, elle peut encore être sauvée dans le rapport de forces actuel. Bismarck sait fort bien qu'il est en posture difficile. Il espère s'en sortir, en usant de l' « intimidation.» et en faisant confiance au soutien actif de tous les éléments réactionnaires de la France.

Votre Old Nick


Notes

[1] Au cours de la révolution française, l'occupation de la Belgique incita les Anglais à entrer en guerre contre la France, car ils ne pouvaient supporter qu'une France puissante occupât la Belgique qui fait directement face à la capitale anglaise et représentât un revolver braqué en plein cœur de l'Angleterre». Cette question est traitée en détail dans l'État et la nation belge, produits de la contrerévolution, in Fil du Temps, nº 1 et 3 (J. Angot, B.P. 24, Paris 19e).

[2] La réaction allemande appela démagogues les éléments progressistes du mouvement libéral et démocratique parmi les intellectuels et les étudiants allemands, après la guerre de libération allemande contre Napoléon 1er. La chasse aux démagogues commença en 1819, et reprit après la révolution française de 1830, s'organisant alors en véritable système judiciaire et policier de terreur.

[3] Pour ce qui est des instructions de Marx adressées à la section belge, il s'agit sans doute de la lettre à de Paepe du 14 septembre (cf. supra, p. 81). Les lettres envoyées en Suisse et aux États-Unis n'ont pas été retrouvées.

** Marx et Engels cessent désormais de s'écrire régulièrement, car Engels s'installe à Londres vers le 18 septembre, à quelque dix minutes du domicile de Marx. Dorénavant, les deux amis se rencontreront pour ainsi dire chaque jour, sauf à l'occasion de quelques rares voyages de l'un ou de l'autre.

[4] Cf. Edward Spencer Beesly, A Word for France: Addressed to the Workmen of London.

[5] Le gouvernement Gladstone signa la Déclaration sur le droit maritime - sans en informer le Parlement, ni la faire sanctionner par un acte officiel quelconque - renonçant à son arme militaire la plus efficace contre tout ennemi continental, et surtout russe: le droit de course et de saisie en mer de biens ennemis sous pavillon neutre, cf. Marx et Engels, la Guerre civile aux États-Unis, Union Générale d'Éditions, 10/18, 1970, p. 174-178.

[6] Dans sa lettre du 2 août à Oswald, Marx cite un passage du Rappel, journal de tendance républicaine de gauche, fondé par Victor Hugo et Rochefort en 1869: « Extrait d'une correspondance de Francfort-sur-le-Main, 27 juillet: la ville est pleine de gens stipendiés pour maintenir l'esprit belliqueux et gallophobe [sic]. Une lettre de Londres adressée à la « Gazette de Francfort » contient entre autres choses un aveu très intéressant. Des Français de Londres ayant eu l'intention de lancer une proclamation contraire à cette guerre napoléonienne, avaient convoqué à cet effet les principaux républicains allemands résidant à Londres également. Les Allemands auraient refusé de se joindre à leur protestation, en déclarant que la guerre était une lutte défensive du côté de l'Allemagne. Et Marx d'ajouter que Blind était l'auteur de ce faux, qui servait manifestement les intérêts de Bismarck. Par ailleurs, celui-ci s'était assuré le concours de J. B. von Schweitzer, directeur du Social-Demokrat et membre influent de l'Association ouvrière générale d'Allemagne, pour lancer un Manifeste déclarant que la Prusse ne faisait pas la guerre au peuple français, mais uniquement au régime bonapartiste.

[7] La réaction allemande appela démagogues les éléments progressistes du mouvement libéral et démocratique parmi les intellectuels et les étudiants allemands, après la guerre de libération allemande contre Napoléon 1er. La chasse aux démagogues commença en 1819, et reprit après la révolution française de 1830, s'organisant alors en véritable système judiciaire et policier de terreur.

[8] Edward Spencer Beesly utilisa les indications données par Marx pour son article intitulé The International Working Men's Association, publié le 1er novembre 1870.

[9] Marx répond ici à Odger, ex-président de l'Internationale qui avait fait l'éloge du gouvernement de la Défense nationale, lors d'une réunion publique, organisée à St. James'Hall. Marx entendait que le Conseil général affirmât nettement et publiquement son opposition au gouvernement bourgeois de la Défense nationale, afin d'éviter toute équivoque possible dans les interventions des membres de l'Internationale lors des manifestations en faveur de la République française, non celle de la Défense nationale mais celle qui a hissé « l'étendard de la révolution sociale du XIX° siècle ».

[10] Le 15 mai 1848, les clubs révolutionnaires de Paris organisèrent une manifestation rassemblant près de 150 000 hommes, surtout des ouvriers. Les manifestants envahirent l'Assemblée nationale qui débattait de la question polonaise, et ils demandèrent une aide militaire en faveur des Polonais luttant pour leur indépendance. En outre, ils réclamèrent des mesures contre le chômage et la misère. Ces revendications ayant été repoussées, les manifestants tentèrent de dissoudre l'Assemblée nationale et de former un nouveau gouvernement provisoire. La troupe et des sections de la Garde nationale dispersèrent les manifestants.

[11] Il s'agit de la Commission exécutive - gouvernement de la République française - créée par l'Assemblée constituante le 15 mai 1848. Elle prit la place du gouvernement provisoire qui avait renoncé à ses pleins pouvoirs. Cette Commission subsista jusqu'à l'instauration de la dictature de Cavaignac, le 24 juin 1848.

[12] En fait, le gouvernement choisit le terme de « transporter » au lieu de « déporter », car la loi exigeait un jugement pour « déporter » un prisonnier, mais non pour le « transporter ».

[13] Ces lois anti-presse furent votées par l'Assemblée constituante, les 9 et 11 août 1848: lors de l'enregistrement d'un journal, il fallut déposer une forte caution, ce qui empêcha la création d'une presse ouvrière. En outre, de graves peines de prison et des amendes furent prévues contre les articles qui attaquaient la propriété privée, le gouvernement et l'ordre existant. Ces lois complétaient celles qui furent prises sous la Restauration et la Monarchie de Juillet.

[14] En avril 1849, en accord avec l'Autriche et Naples, le gouvernement français expédia des troupes en Italie pour liquider la République romaine et rétablir l'autorité temporelle du Pape. Après avoir assiégé Rome et bombardé la ville, les troupes françaises écrasèrent l'héroïque résistance des républicains italiens.

[15] Le gouvernement Gladstone signa la Déclaration sur le droit maritime - sans en informer le Parlement, ni la faire sanctionner par un acte officiel quelconque - renonçant à son arme militaire la plus efficace contre tout ennemi continental, et surtout russe: le droit de course et de saisie en mer de biens ennemis sous pavillon neutre, cf. Marx et Engels, la Guerre civile aux États-Unis, Union Générale d'Éditions, 10/18, 1970, p. 174-178, et note nº 106.

[16] Engels cite ici un exemple concret où la violence (renversement de la monarchie) s'avère, selon la formule marxiste, « un agent économique », puisqu'elle entraîne des modifications considérables dans les rapports de propriété et le statut économique du clergé et de la grande propriété foncière.

[17] En octobre 1850, le tsar Nicolas 1er arbitra à Varsovie le conflit surgi entre la Prusse et l'Autriche pour l'hégémonie en Allemagne. Le tsar, sentant que la Prusse était la plus capable d'unifier l'Allemagne, prit parti contre elle. Le conflit trouva une conclusion à Olmutz, lors d'une rencontre entre le ministre prussien von Manteuffel et le premier ministre autrichien von Schwarzenberg- la Prusse fut contrainte de signer une déclaration affirmant qu'elle renonçait à l'hégémonie en Allemagne.

* Dans son article du 29 octobre 1870 sur la Chute de Metz, Engels écrit: « Nous apprendrons certainement que, dans cette guerre, les motifs politiques ont paralysé, ici comme partout, l'action militaire. »

* Dans son article du 26 janvier 1871, Engels écrit: « Toutes les informations de Paris rapportent unanimement que l'absence de succès est due au manque de confiance des soldats dans le haut commandement. Nous ne devons pas oublier que Trochu est orléaniste et, en tant que tel, il vit dans la peur constante de la Villette, de Belleville et des autres quartiers révolutionnaires de Paris, qu'il craint plus que les Prussiens. Ce n'est pas une simple hypothèse ou conclusion de notre part. Nous le savons d'une source qui ne laisse aucun doute: une lettre... » Cf. la lettre de Marx à Lafargue du 4 février 1871, un peu plus loin.

[18] Le 4 septembre, une insurrection avait éclaté à Lyon. Arrivé dans cette ville le 15 septembre, Michel Bakounine s'efforça de prendre la direction du mouvement et de réaliser son programme anarchiste. Dans sa critique du programme bakouniste du Congrès de Sonvilier (Volksstaat, 10.1.1872), Engels reprochera aux anarchistes de vouloir réaliser leur société sans classes, immédiatement, en niant la nécessité d'une dictature du prolétariat, et du parti autoritaire et centralisé: « Au lieu de notre Comité exécutif, ils veulent un simple bureau de statistique et de correspondance, qui n'a plus qu'à se débrouiller avec les sections autonomes, disposant d'une autonomie telle qu'elles ne doivent même pas reconnaître d'autorité directrice, même créée avec leur libre assentiment, car elles violeraient alors leur premier devoir, à savoir: être une préfiguration fidèle de la société future ! Il n'est plus question de regroupement des forces, ni d'action commune. Si, dans chacune des sections, la minorité se pliait à la majorité, ce serait un crime contre les principes de liberté et la reconnaissance d'un principe tendant à l'autorité et à la dictature ! Si le policier Stieber avec tous ses chenapans, si tout le cabinet noir, si tous les officiers prussiens, entraient, sur ordre supérieur, dans l'organisation social-démocrate pour la ruiner, le Comité directeur - ou mieux: le bureau de statistique et de correspondance - ne pourrait pas les en empêcher, car ce serait instituer une organisation hiérarchisée et autoritaire ! Et surtout pas de sections disciplinées, ni de discipline de parti, ni de centralisation des forces en un point, ni d'armes de lutte ! Que deviendrait la préfiguration immédiate de la société future ? »
Marxistes et anarchistes régleront leurs comptes sur le plan organisationnel et programmatique, après, la Commune, où, sur le terrain concret, chacune des deux écoles avaient fait ses preuves.

* Dans sa lettre du 4 février 1871 à Kugelmann, Marx relate les mêmes faits, mais il ajoute, à ce point, la précision suivante: « Il ne s'agit pas là de conjectures de ma part. J'ai eu connaissance d'une lettre écrite par Jules Favre à Gambetta; il s'y plaint de ce que lui-même et, les autres membres du gouvernement installés à Paris n'ont pu amener Trochu à entreprendre une offensive sérieuse, ce dernier répondant toujours que la « démagogie parisienne » prendrait alors le dessus. Gambetta lui répondit: « Vous avez prononcé votre propre condamnation ! » (Fr.). Plutôt que de battre les Prussiens, Trochu préfère brider les Rouges à Paris, grâce à sa garde bretonne qui lui rend les mêmes services que la garde corse à Louis Bonaparte. C'est le véritable secret des défaites essuyées à Paris comme partout en France, la bourgeoisie agissant d'après ce même principe en accord avec la plupart des autorités locales. »

[19] Le 28 janvier 1871, Bismarck et Jules Favre signèrent une convention relative à l'armistice et à la capitulation de Paris. Une Assemblée nationale, élue à bref délai, devait décider s'il fallait poursuivre la guerre ou conclure un traité de paix. Les élections eurent lieu le 8 février 1871. Louis-Adolphe Thiers, qui fut nommé à la tête de l'Exécutif par l'Assemblée nationale, entama aussitôt des négociations de paix. Le 26 février 1871, la France et l'Empire allemand signèrent à Versailles un traité de paix préliminaire; le 10 mai 1871, ce fut la signature du traité de paix proprement dit à Francfort-sur-le-Main.

[20] Une délégation du gouvernement de la Défense nationale formé le 4 septembre fut envoyée à la mi-septembre à Tours pour organiser la résistance en province et pour susciter l'intervention de puissances étrangères en faveur de la France. Cette délégation s'installa le 6 décembre à Bordeaux. Du 6 octobre à la fin de la guerre, Gambetta, ministre de la Guerre et de l'Intérieur, dirigea la délégation. Le gros du gouvernement de la Défense nationale, resté à Paris, était dirigé par Louis-Jules Trochu.

[21] Le 31 janvier 1871, le gouvernement de Bordeaux prit un décret privant du droit de vote les personnalités ayant occupé de hautes fonctions sous le second Empire, etc. Le 3 février, dans un télégramme envoyé à Gambetta, Bismarck protesta contre ce décret. Le gouvernement de Paris ne prévit aucune restriction au droit de vote dans son décret du 28 janvier. Le 4 février 1871, un décret du gouvernement de Paris annula celui de la délégation gouvernementale de Bordeaux et Gambetta démissionna.

[22] Marx fait allusion à l'arrestation de l'ouvrier francfortois Joseph Schneider, candidat au Reichstag et élu le 3 mars 1871. Le Volksstaat révéla son arrestation le 1er février 1871.

[23] Le Times avait publié, le 2 février 1871, les conditions de la paix fixées par Bismarck.

* Dans sa lettre à Kugelmann, Marx donne à ce point la précision suivante: « La racaille, distinguée ou non, juge le résultat immédiat d'après les apparences, la façade. Elle a porté aux nues Louis Bonaparte dans le monde entier pendant vingt ans. En fait, même à son apogée, je l'ai toujours considéré comme une canaille médiocre. J'ai la même opinion du hobereau Bismarck. Toutefois, je ne tiens pas Bismarck pour aussi sot qu'il le paraît, mais il n'a pas les mains libres en diplomatie. La chancellerie russe l'a pris dans des rets, dont seul un lion pourrait se dégager, or, ce n'est pas un lion ».


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