Pourquoi faire un sort particulier à quelques dizaines de lettres que Karl Marx et ses proches écrivirent de 1862 à 1874 à un correspondant allemand, aujourd'hui presque oublié, alors que nous avons entrepris par ailleurs la publication de toute la correspondance de Marx et d'Engels actuellement connue ? Pourquoi rééditer à part ces Lettres à Kugelmann ?
C'est que cette correspondance nous fournit des précisions sur des événements et des questions d'importance capitale et en particulier sur la Commune de Paris, sur la conception marxiste de l'État, sur les conditions et les tâches de la révolution. Lénine ne s'y était pas trompé qui écrivit en 1907 une préface enthousiaste à l'édition russe de ces lettres et en commenta de nouveau plusieurs passages dans L'État et la révolution [1]
Avant de parler de la France, c'est surtout de questions économiques et de problèmes allemands que Marx traite dans ces lettres à Kugelmann. Nous verrons plus loin comment l'amitié naquit et se développa entre les deux hommes. Le point de départ en fut l'admiration de Kugelmann pour les travaux scientifiques de Marx, alors fort peu connus et très peu diffusés. Admiration active et efficace, à laquelle Marx fut d'autant plus sensible qu'elle contrastait davantage avec l'hostilité, le silence, l'ignorance des spécialistes et même de certains amis politiques [2]
Du coup, Marx non seulement va se montrer plus confiant, plus libre qu'avec la plupart de ses correspondants, mais surtout il va se donner la peine d'expliquer ce qu'il fait et ce qu'il pense, de motiver et de développer ses jugements sur des questions économiques ou des événements historiques. Quand Marx écrit à Engels, beaucoup de choses vont de soi, inutile d'enparler. Entre les deux amis existent des liens si étroits, si anciens, une telle connivence, une telle communauté d'idées, que souvent on n'apas besoin de s'expliquer longuement. Ces lettres sont souvent allusives. Il en est autrement avec Kugelmann, dont Marx est à la fois l'ami et l'obligé, avec Kugelmann qui pose toujours beaucoup de questions et dont les jugements politiques, souvent critiquables, suscitent des réfutations et des explications plus détaillées. Plus, les questions de Kugelmann l'incitent parfois à préciser sa position (par exemple à l'égard de Lassalle).
Le premier sujet sur lequel cette correspondance nous éclaire, c'est la genèse et l'édition du Capital. Dans sa lettre de décembre 1862, celle qui ouvre ce recueil, Marx explique le plan de l'ouvrage projeté et les rapports de celui‑ci avec son premier travail économique d'envergure, la Contribution à la critique de l'économie politique, parue en 1859. A ce moment‑là il espère que l'ouvrage pourra être prêt dans quelques mois et pense qu'il sera de dimension modeste (30 placards). Il envisage déjà une traduction française dont Élie Reclus pourrait se charger.
La maladie ‑ pendant toute cette période, que de lettres où il est question de furoncles, d'anthrax qui le font souffrir et l'empêchent de travailler ! ‑, le travail qu'exige l'Internationale, avec sa deuxième lettre, en novembre 1864 Marx envoie à Kugelmann six exemplaires de l'Adresse inaugurale qu'il a rédigée et qui vient d'être adoptée ‑ tout cela retarde considérablement l'entreprise. Il voulait s'atteler à la « mise au net » du Capital dès 1863, il ne le publiera, on le sait, qu'en 1867. C'est aussi la période où, comme il le dit, « sa situation économique atteint un point critique [3] ». Elle est quasi désespérée. Les dettes se sont accumulées. Engels ne cesse de lui venir en aide, mais cette aide ne peut suffire à faire vivre toute la famille. Et Marx se refuse à prendre une « occupation pratique » parce qu'il estime plus important « de travailler pour la cause [4] » et de terminer son ouvrage, auquel, à certains moments, il consacre ses jours et ses nuits : « J'étudie le jour et j'écris la nuit [5]. »L'achèvement de cet ouvrage lui tient tellement à cœur, le préoccupe si fort qu'il en délire et parle en dormant de tel ou tel chapitre qui lui trotte par la tête, lorsqu'au début de 1866, un nouvel et grave accès de furonculose est venu interrompre l'ultime mise au point (lettre de Mme Marx du 26 février).
Entre‑temps d'ailleurs, le plan de l'ouvrage a changé : la lettre du 13 octobre 1866 nous propose le découpage que nous connaissons aujourd'hui :
« Livre I. Procès de production du capital. Livre II. Procès de circulation. Livre III. Formes du procès d'ensemble. Livre IV. Contribution à l'histoire de la théorie. »
Les difficultés au milieu desquelles Marx se débat sont donc effroyables [6]. Pendant tout ce temps, les lettres de Kugelmann constituent pour lui un stimulant certain : par l'admiration que son correspondant lui manifeste [7] par l'intérêt que celui‑ci prend à l'ouvrage, par la publicité qu'il en fait autour de lui, avant même sa parution. Il en parle à ses amis, éveille leur curiosité, et en même temps ne cesse d'exhorter Marx à en poursuivre et en achever la rédaction.
C'est précisément durant son premier séjour chez les Kugelmann, en avril‑mai 1867, que Marx corrigera les premières épreuves du Livre I du Capital. Son hôte lui ayant suggéré de préciser son point de vue sur la question de la valeur, Marx accepta et ajouta à son oeuvre un complément qu'il incorporera par la suite aux éditions ultérieures [8].
Le livre une fois paru, Kugelmann va s'en faire l'infatigable agent de publicité. Marx lui écrira : « S'il y avait en Allemagne six personnes de votre calibre, la résistance de la masse des philistins et la conspiration du silence des spécialistes seraient [...] vaincues [9] », et encore, mais sans doute non sans quelque exagération, « Vous avez plus fait pour mon livre que l'Allemagne tout entière [10] ».
L'éditeur du Capital confirme d'ailleurs l'efficacité des démarches de Kugelmann puisqu'il écrit à Marx au début de 1869 que s'il y avait eu des « agents » de ce genre dans toutes les grandes villes, une deuxième édition serait en vue [11].
Médecin connu, Kugelmann avait de nombreuses relations dans la bourgeoisie hanovrienne et pouvait toucher et faire toucher des organes de presse libéraux. Il réussit effectivement à faire insérer dans plusieurs journaux des comptes rendus anonymes du Capital qu'Engels avait écrits à la demande de Marx. C'est à cette occasion qu'Engels à son tour est entré en relation épistolaires avec Kugelmann et cette correspondance, dont on trouvera plus loin quelques exemples, se poursuivra d'ailleurs jusqu'à la mort d'Engels. Une fois le premier livre paru, Marx continua à tenir Kugelmann Informé de ses projets. Toujours optimiste, Marx, à la fin de l'hiver 1869, espère se rendre en Allemagne, au cours de l'été de la même année, « porteur du manuscrit » du Livre II [12]. C'est la période où l'échange de lettres est le plus fréquent; à l'occasion, Marx donne à son ami des précisions sur sa conception de la valeur ou formule des idées plus générales : « Comme le processus de la pensée émane lui-même des conditions de vie et est lui-même un processus de la nature, la pensée en tant qu'elle appréhende réellement les choses ne peut qu'être toujours identique et elle ne peut se différencier que graduellement, en fonction de la maturité atteinte par l'évolution et donc aussi de la maturité de l'organe qui sert à penser [13] ».
Bien entendu cette correspondance nous fournit un grand nombre de renseignements très précis sur Marx lui-même, sur sa vie et celle de sa famille. Laura et Jenny se marient. Engels abandonne son métier de « commerçant » et vient vivre à Londres. Mais cela, nous pouvons l'apprendre par ailleurs.
Peut‑être simplement les Informations sont‑elles, dans cette correspondance‑ci, plus nombreuses en ce qui concerne la santé de Marx. Parce qu'il est médecin, Kugelmann s'inquiète de la façon dont Marx se soigne ou ne se soigne pas, donne des conseils, propose des thérapeutiques. Lorsqu'il apprend que Marx est plus sérieusement malade, à deux reprises il écrit à Engels pour savoir ce qu'il en est [14].
Plus intéressante sans doute est, dans ce domaine, la biographie de Marx, rédigée par lui-même, qu'il envoie à Kugelmann en 1868 [15]. A cinquante ans, Marx insiste particulièrement sur son activité pendant la révolution de 1848 et sur ses années de jeunesse (les années de 1842 à 1849 occupent plus de la moitié du texte).
Kugelmann a été en outre un précieux informateur sur les gens et les choses d'Allemagne à un moment où ‑ après plus de quinze ans d'exil londonien ‑ cette ennuyeuse idylle (!) pour reprendre l'expression que Marx emploie lui-même ‑les relations de celui-ci avec son pays d'origine sont très lâches, d'autant plus lâches que pendant cette longue absence l'Allemagne aussi a beaucoup changé. Bismarck arrivé au pouvoir s'emploie à réaliser l'unité allemande par « le fer et par le sang », tandis que Lassalle a fondé en 1863, l'Association générale des travailleurs allemands. Dans une des premières lettres, Kugelmann demande à Marx de préciser sa position vis‑à‑vis de ce dernier. Celui‑ci le fait, le 23 février 1865, dans une lettre très remarquable. Il dira le surlendemain à Engels à ce propos : « Je lui ai mis les points sur les i [16] ».
Effectivement Marx expose avec plus de netteté qu'il ne l'avait jamais fait les raisons de son différend avec Lassalle qui s'imaginait que l'État prussien pourrait entreprendre une « action socialiste directe ». Marx savait ‑ la preuve n'en fut apportée que bien plus tard ‑ que Lassalle avait « trahi le parti » en engageant des pourparlers avec Bismarck. Mais la critique que fait Marx dans cette lettre de la tactique lassallienne dépasse la personne de celui‑ci. En s'en prenant aux Realpolitiker, à tous ceux qui prétendent voir « les choses comme elles sont » et ne voient en réalité que ce qu'ils ont « juste sous le nez » et sont incapables d'imaginer et de prévoir les transformations révolutionnaires de la société, Marx, par avance, fait le procès de l'opportunisme en général. Ce qu'il dit de Lassalle et de ses successeurs s'applique, entre autres, à maint dirigeant de la social‑démocratie allemande d'avant 1914.
Le successeur de Lassalle à la tête de l'Association générale des travailleurs allemands, J. B. von Schweitzer poursuit la politique de son prédécesseur. Comme lui, il était prêt à engager ses troupes aux côtés de Bismarck, à soutenir sa politique d'unité de l'Allemagne autour de la Prusse et à son profit, en s'imaginant que, le Reich une fois constitué, Bismarck faciliterait l'émancipation de la classe ouvrière allemande. Bien que von Schweitzer eût consacré dans son journal plusieurs articles au Capital [17], Marx n'hésita pas à rompre avec lui [18]. Il avait d'ailleurs soumis son « réalisme politique » à une critique aussi serrée que l'opportunisme lassallien [19]. Sur un point cependant Marx se trompait: il pensait que Schweitzer était « honnête », alors qu'il semble établi qu'il a, l'année suivante, accepté une subvention importante des autorités prussiennes [20].
Peu à peu Kugelmann devient pour Marx, qui communique très souvent ses lettres à Engels, le correspondant n° 1 en Allemagne. Il lui fait parvenir livres et coupures de presse, lui transmet le point de vue de milieux bourgeois et libéraux que Marx ne connaît pas ou connaît mal et, inversement, Marx le met en relation avec nombre de ses amis politiques sur le continent (J. Ph. Becker, Borkheim, Carl Hirsch, W. Liebknecht, etc.). Lorsqu'ils sont devenus intimes, Marx n'hésite pas à s'exprimer dans ses lettres avec la plus grande franchise, en particulier il porte à plusieurs reprises des jugements peu flatteurs sur Wilhelm Liebknecht (lors de la première publication de cette correspondance, Kautsky supprima soigneusement ces jugements); en outre, Marx charge Kugelmann de missions délicates: c'est en particulier par son intermédiaire qu'il fait parvenir à la direction du parti social‑démocrate (Bracke et Cie) à Brunswick, en mars 1870, la « Communication confidentielle » qui établit, preuves à l'appui, le travail de sape de Bakounine au sein de l'A.I.T. et prépare son exclusion de l'Internationale [21].
Nous avons vu que le début de la correspondance coïncidait presque avec la fondation de la I° Internationale. Marx tient Kugelmann au courant de son activité au sein du Conseil Général, lui fait parvenir les principales résolutions ou adresses de l'Internationale. Sans être un « militant » très actif, Kugelmann avait adhéré à l'Association au début de 1865 et placé autour de lui quelques cartes. En 1867, il prit part au Congrès international de Lausanne et un peu plus tard au Congrès de la paix qui se tint à Genève : il réussit à y contrer le vieil ennemi de Marx, l'agent de Napoléon III, Karl Vogt; ce qui lui valut un satisfecit de Marx [22].
Celui‑ci insista pour que Kugelmann assiste au Congrès de La Haye et qu'il y participe en qualité de délégué « puisqu'il y allait de la vie de l'Internationale […] qu'il fallait protéger contre les éléments de dissolution » (les bakouninistes).
La section française avait eu avec l'Internationale des démêlés que Marx raconte à Kugelmann : nous en venons là à la partie de ces lettres qui intéressera plus directement encore nos lecteurs; dans cette correspondance en effet il est beaucoup question du mouvement ouvrier français à cette époque et notamment de la lutte héroïque des Communards.
Les premiers jugements de Marx sur la French branch, la section française de l'Internationale, ne sont guère favorables: il condamne sévèrement « ces héros de la phrase révolutionnaire » (5 décembre 1868). Mais quelques mois plus tard (3 mars 1869), Marx note : « En France a lieu un mouvement très intéressant. Les Parisiens se remettent bel et bien à étudier leur passé révolutionnaire récent, se préparant ainsi à la nouvelle entreprise révolutionnaire qui est imminente [23]. » Jugement qui montre à la fois la perspicacité de Marx et en méme temps sa clairvoyance objective. Noter cette perspicacité ne signifie pas faire de Marx le Prophète infaillible qu'il n'est pas. Dans sa première lettre il prévoit en Allemagne une révolution qui n'a pas eu lieu, dans la seconde, il craint une guerre qui n'a pas éclaté, etc.
Il a sévèrement condamné le comportement des délégués français au Congrès de Genève de l'Internationale « Messieurs les Parisiens [...] parlent toujours de science et ne savent rien; ils dédaignent toute action révolutionnaire, id est toute action qui jaillit de la lutte des classes elle-même, tout mouvement social général, c'est‑à‑dire réalisable également par des moyens politiques (par exemple, la réduction de la journée de travail par une loi), sous prétexte de liberté, d'anti‑gouvernementalisme ou d'individualisme anti‑autoritaire [24] » mais dès qu'il constate un réveil de l'action révolutionnaire à Paris, qui d'abord ne se manifeste que par la publication d'articles et de livres d'histoire, il le note avec joie, il en mesure l'importance. Ces mêmes Parisiens pour lesquels il n'avait pas de termes assez durs, il exaltera quelques mois plus tard, leur courage et le donnera en exemple, quand ils se lanceront « à l'assaut du ciel ».
La clairvoyance de Marx se manifeste surtout à notre avis dans cette faculté qu'il a d'analyser l'événement avec une rapidité surprenante, d'en mesurer la portée alors même que la situation politique est encore apparemment bouleversée, confuse. Déjà en 1848, il avait, dans la Nouvelle Gazette rhénane, jugé l'importance des Journées de Juin, alors que les combats venaient tout juste de cesser à Paris [25]. Le Jugement historique coïncidait presque avec le reportage, avec la relation de l'événement lui-même. De même pour la Commune, Marx écrit La Guerre civile en France (C'est‑à‑dire porte sur la Commune, sa signification historique, ses enseignements, un jugement qu'aucun historien aujourd'hui ne saurait ignorer) alors qu'on se bat encore dans les rues de Paris, en avril et en mai 1871 et son texte est on le sait, adopté le 30 mai, deux jours après la fin de la lutte des derniers Communards, par le Conseil Général de I'Internationale. Les deux lettres à Kugelmann, que Lénine ne se lasse pas de commenter, dans lesquelles Marx déduit de l'exemple de la Commune que « toute révolution populaire sur le continent » devra « briser l'appareil bureaucratico‑militaire » et que le combat des Parisiens a fait entrer la lutte de la classe ouvrière contre la classe capitaliste et son État « dans une Phase nouvelle » sont respectivement du 12 et du 17 avril 1871, donc écrites moins d'un mois après le début du mouvement.
Nous n'insisterons pas davantage sur les enseignements que Marx a tirés, pour le mouvement ouvrier international, de l'expérience de la Commune de Paris. Le lecteur pourra se reporter, sur ce point, aux commentaires de Lénine.
Notons simplement que ce furent les doutes, les hésitations, les incompréhensions de Kugelmann qui provoquèrent les explications de Marx.
Le 5 avril 1870 en effet, Kugelmann écrivait « L'insurrection parisienne me semble absolument manquée et cet échec retombera à nouveau sur l'Internationale. Au lieu de s'organiser, de s'implanter solidement face au gouvernement, de gagner dans les grandes villes de l'influence dans l'appareil administratif, on provoque la défaite par une dictature qui s'en prend au pays [26] » (c'est‑à‑dire aux paysans) [27]. Marx lui répond le 12 avril en soulignant les mérites de la Commune « l'exploit le plus glorieux de notre parti depuis l'insurrection parisienne de juin » 1848. Kugelmann n'est pas convaincu. Il revient à la charge le 15 avril : « La défaite privera de nouveau les ouvriers de leurs chefs pour un temps assez long. Ne sous‑estimez pas ce malheur ! » (Marx ‑ on le verra par les lettres de Jenny ‑ ressentait sans doute plus que Kugelmann toute l'étendue de ce malheur.) Tout comme Plékhanov en 1905 à propos de la révolution russe, Kugelmann, reproche aux Parisiens de s'être insurgés : « A mon avis le prolétariat a pour le moment beaucoup plus besoin d'éducation que de luttes les armes à la main. Imputer l'insuccès à un quelconque hasard, n'est‑ce pas retomber dans l'erreur que le 18 Brumaire reproche aux petits bourgeois de façon si convaincante ? » Marx lui réplique le 17 avril, d'une part, en soulignant le rôle que joue réellement le hasard en histoire, d'autre part, en montrant que la défaite des Parisiens n'est pas tant due aux « conditions générales de la société française » qu'à la présence des Prussiens, qui non seulement campaient toujours aux portes de Paris, mais aidèrent encore directement les Versaillais, en particulier en libérant de nombreux prisonniers.
Sur la Commune, on trouvera aussi beaucoup d'informations dans les lettres que la fille aînée de Marx, Jenny, adresse à la famille Kugelmann et que nous avons ajoutées à la soixantaine de lettres de Marx qui, depuis soixante‑dix ans, avaient, au moins, pour la plus grandepart été maintes fois rééditées. Publiant dans la Neue Zeit au début du siècle, une partie des lettres de Marx à Kugelmann, Kautsky signalait l'existence de ces lettres de Jenny « quipossèdent elles aussi un trèsgrand intérêt et sontfort précieuses pour le futur biographe de Marx [28] ». Ces lettres sont d'autant plus précieuses qu'elles concernent les années 1870‑1872, dont Engels disait que c'était « une époque décisive », « la période la plus importante de la vie publique de Marx » et en même temps celle qu'il n'est pas possible de relater avec exactitude à partir de documents imprimés [29]. On sait que Jenny Marx, non seulement partageait les idées et les points de vue de son père, mais encore lui servait souvent de secrétaire. Si bien que, dans la plupart de ses lettres, on peut considérer que c'est Marx qui s'exprime par sa plume. D'autre part, Jenny (comme Laura) s'employa beaucoup à venir en aide aux Communards français réfugiés à Londres [30]. Deux d'entre eux : Flourens et Lissagaray, ne seront pas souvent que seulement les hôtes de la famille Marx; ils semblent bien avoir éprouvé pour Jenny et Eleanor des sentiments plus tendres qu'une simple amitié [31].
Ces quelques lettres révèlent chez Jenny une nature ardente et généreuse qui se passionne pour la cause des insurgés parisiens et souffre de ne les pouvoir aider davantage. Dans les lettres de la fille, nous retrouvons la passion révolutionnaire, l'indignation de Marx; en même temps elles témoignent du grand attachement de Jenny pour son père.
Ces lettres nous renseignent aussi sur l'activité de Lafargue qui tente de soulever Bordeaux (lettre du 19 novembre 1870) et se rend à Paris, en pleine Commune, pour se faire donner des pleins pouvoirs afin d'agir dans le Sud‑Ouest (lettre du 18 avril 1871). Dans cette lettre, Jenny explique qu'il lui est impossible de rester tranquillement assise, tandis que sur l'ordre de Thiers, ce clown sanguinaire, on massacre (à Paris) les meilleurs et les plus braves. Toute la famille Marx est d'ailleurs terriblement éprouvée par cette hécatombe de combattants révolutionnaires. « Notre cher Maure [32], écrit Jenny, souffre durement de la situation actuelle. C'est là, sans aucun doute, une des causes principales de sa maladie. »
Très riches de précisions sur la Commune, les lettres de Jenny Marx nous donnent aussi des informations sur sa préhistoire immédiate. Le 30 janvier 1870 elle parle ‑ et ici encore c'est manifestement Marx qui dicte ‑ de l'incroyable tumulte et de l'incroyable excitation qui règnent à Paris. Surtout, elle corrige les informations publiées par la presse allemande sur la grève du Creusot en soulignant l'importance de ce fait : des soldats envoyés sur place pour réprimer le mouvement ont fraternisé avec les ouvriers. Un peu plus tard, elle raconte à Kugelmann comment le gouvernement français a tenté sans succès de compromettre l'Internationale en essayant de l'impliquer dans un prétendu complot contre Bonaparte [33].
Dans les lettres de Marx à Kugelmann étaient relatés les avatars de la première édition allemande du Capital. Jenny nous dit comment l'édition française a vu le jour. Après Élie Reclus, ce fat Keller qui entreprit, puis abandonna cette traduction [34]. Enfin Jules Roy s'en chargea, mais la traduction ne s'avéra pas aussi bonne « que nous avions tout lieu de l'espérer ». « Papa est forcé [...] de réécrire des pages entières [35] » « La prochaine livraison du Capital [36] sera excellente : papa l'a réécrite complètement » ce qui lui donne, on le comprend, un travail énorme : « il travaille toutes les nuits jusqu'à deux ou trois heures du matin [37] ».
La soixantaine de lettres de Marx à Kugelmann s'étend sur douze années. C'est par le truchement de Freiligrath, que Kugelmann avait connu en 1848‑1849, que les deux hommes furent mis en contact [38] : dans sa première lettre, Kugelmann expliquait qu'il était un adepte des idées de Marx et s'informait des travaux de celui-ci après la Contribution à la Critique de l'économie politique. Le ton de la lettre était si enthousiaste que Marx reprendra pour la caractériser la formule de Freiligrath : « les paroles d'un croyant [39] ».
Bientôt la correspondance se fait plus personnelle. Le « Monsieur » cède très vite la place à « cher ami », ou à « cher Kugelmann », surtout après le séjour d'un mois que Marx fait dans la famille du docteur, à Hanovre, du 17 avril à la mi‑mai 1867. A partir de ce moment‑là toute la famille Marx ou presque est ou va être en correspondance avec les Kugelmann : la femme de Marx et ses deux filles, Jenny et Eleanor. Par ailleurs, Kugelmann correspond aussi avec Engels (à partir de 1867). Un deuxième séjour que Marx fait chez les Kugelmann en septembre 1869, cette fois en compagnie de sa fille aînée Jenny, rend les liens d'amitié plus étroits. Marx tutoie désormais Kugelmann qu'il appelle « cher Wenceslas » ou « cher empereur Wenceslas » [40],, tandis que Mme Kugelmann devient « Madame la Comtesse » en raison de ses allures élégantes et leur fille Franziska, « la petite chouette » ou « Petite Madame ». On se fait mutuellement des cadeaux et par exemple, Kugelmann envoie à son ami un buste de Zeus, qu'il avait dans son salon, et qui, disait‑on, n'était pas sans ressemblance avec Marx [41]. Les deux hommes se rencontrèrent encore à La Haye, au Congrès de l'Internationale en 1872, puis passèrent plusieurs semaines ensemble à Karlsbad, où tous deux faisaient une cure. C'est là que la rupture eut lieu. Marx envoya à l'occasion des livres à Mme Kugelmann, mais ne renoua jamais la correspondance. Kugelmann lui-même, nous dit sa fille, ne parlait guère des motifs de la rupture et il ne chercha pas à renouer avec Marx [42]. Il resta par contre en relation avec Engels.
*
Né à Osnabrück, le 19 février 1830, Ludwig Kugelmann était de douze ans le cadet de Marx. Jeune employé de commerce, il avait participé en Rhénanie à la révolution de 1848. Peut‑être avait‑il alors fait partie de l'Association ouvrière que dirigeait le docteur Gottschalk [43]. Ce qui est sûr c'est qu'il avait adhéré à l'Association sportive de Bonn aux destinées de laquelle présidait un membre de la Ligue des Communistes, le docteur Abraham Jacobi. Après la révolution, Kugelmann se rendit en France et en Suisse. Rentré bientôt en Allemagne, il modifia ses projets et entreprit des études de médecine à Göttingen. Il y adhéra à la corporation d'étudiants Normannia, qui sera dissoute en raison de son esprit progressiste, et où il fit la connaissance de Miquel, disciple de Marx... et futur ministre de Bismarck,avec lequel il semble s'être lié d'amitié. Kugelmann, lui, resta fidèle à ses convictions et continua de rassembler tous les écrits de Marx et d'Engels qu'il pouvait se procurer. Quand il séjournera chez les Kugelmann pour la première fois, Marx s'apercevra que son ami possède des œuvres ou des articles de lui, que lui-même ou Engels n'ont plus.
Ses études médicales terminées, Kugelmann s'installa à Hanovre, où sa réputation de gynécologue ne tarda pas à se confirmer. Il était en relation avec la bonne société et correspondait avec les sommités médicales de son époque, Virchow, Semmelweis, participant aux Congrès de spécialistes, écrivant dans les revues médicales. Après avoir fait sa connaissance, Marx écrira à Engels « Kugelmann est un médecin très important dans sa spécialité [...]. Lorsqu'un cas difficile se présente dans ce domaine, on le consulte toujours [...] Il possède aussi beaucoup d'ingéniosité technique. Il a inventé quantité d'instruments nouveaux dans sa spécialité [44].
Il semble qu'à Hanovre Kugelmann ait mis Marx en relation avec de hauts fonctionnaires, des ingénieurs auxquels il avait fait partager l'intérêt qu'il portait aux travaux économiques de son ami [45]. Surtout c'était un admirateur «fanatique » ‑ le mot est de Marx lui-même ‑ de l'auteur du Capital. Admirateur intelligent au reste. « Il comprend, il est foncièrement honnête [...]ce qui est l'essentiel, il est « convaincu [46]. »
De son premier séjour à Hanovre, Marx dira qu'il fut une très belle oasis dans le désert de sa vie[47]. Après les soucis matériels de tous ordres, la maladie, le travail harassant, il passa chez les Kugelmann au printemps de 1867 des semaines fort agréables. Causeur plein de vivacité et d'esprit, d'une culture prodigieuse, Marx avait plaisir à bavarder avec Mme Kugelmann, gracieuse jeune femme, qui s'intéressait à la philosophie et était rhénane comme lui [48] et avec le cercle d'amis qu'ils recevaient. Après les misères et les tracasseries du long exil londonien, Marx retrouvait avec plaisir l'atmosphère chaleureuse, les prévenances gentilles d'une famille allemande où tout le monde l'admirait.
Mais alors comment expliquer la rupture survenue après douze ans d'amitié? On sait que ni Kugelmann, (qui n'en parlait, nous dit sa fille, « que par allusions » [49]) ni Marx ne se sont longuement expliqués sur ce point. La raison qu'avance Franziska Kugelmann : « Il semble qu'il [Kugelmann] chercha à pousser Marx à s'abstenir de toute propagande politique et avant toutes choses à écrire le 3° livre du Capital [50] [...]Peut-être mon père fit‑il preuve alors d'un zèle excessif [...] et Marx ne le supporta pas [...]cette intervention lui apparut constituer une atteinte à sa liberté[51] » ‑ cette raison ne nous paraît pas déterminante. Marx n'avait‑il pas décidé lui-même, après le Congrès de La Haye, de résilier ses fonctions officielles au sein de l'Internationale pour se consacrer en premier lieu à ses travaux économiques [52] ? N'avait‑il pas, dès sa sixième lettre, précisé que ses recherches lui paraissaient plus importantes pour la classe ouvrière que sa participation à un Congrès quelconque? La vérité est sans doute que certains traits du caractère de Kugelmann, qui n'apparaissaient pas nettement dans ses lettres d'ailleurs, lui étaient brusquement devenus insupportables. Dès le début, il avait expliqué à Engels ce que l'enthousiasme, l'admiration de Kugelmann pouvaient avoir d'importun. Par la suite, la chaleur de l'hospitalité des Kugelmann, l'enjouement de « Madame la Comtesse », surtout les services de tous ordres rendus par l'ami, avaient fait passer ce défaut au second plan. Mais Kugelmann manquait souvent de discrétion. En avril 1871, Jenny Marx se fâche : Kugelmann venait de la sermonner longuement en lui expliquant qu'elle devait prendre soin de la santé de son père. Quand on sait l'amour que Jenny vouait à celui-ci, on comprend que l'insistance de Kugelmann, sans fondement d'ailleurs, ait été ressentie presque comme une injure, en tout cas comme un manque de tact. L'agacement de Marx lui-même se marque dans sa lettre du 19 janvier 1874. Kugelmann semble avoir été à l'origine d'informations de presse sur la santé de Marx. Or celui‑ci ne détestait rien tant que de voir sa vie privée livrée au public.
A Karlsbad même, Kugelmann lui devient « insupportable ». Marx accepte difficilement son perpétuel et pédant bavardage. Les amis que Kugelmann a amenés avec lui sont encore plus importuns. Mais ce qui fait « perdre patience » à Marx, c'est la façon dont Kugelmann, qui se prend pour un grand esprit, traite sa femme « qui lui est à tous égards supérieure » avec une condescendance pédante. Marx découvre avec surprise les conceptions petites‑bourgeoises de Kugelmann : sa cure en est « sérieusement gâchée ». Bref, on en vient à des scènes déplaisantes. Marx, pour qui Kugelmann avait loue une chambre à côté de la sienne, change d'étage. On ne se réconcilie qu'à la veille du départ de Kugelmann. Mais Marx déclare péremptoirement qu'il n'ira pas à Hanovre [53]. Lors de ses précédents séjours à Hanovre, dans le cercle de famille ou dans celui des amis, c'était Marx qui menait la conversation. Plus jeune, connaissant mal Marx, Kugelmann devait être plus discret. A Karlsbad, au cours de longues promenades à deux, il avait été terriblement bavard.
Sans doute aussi Marx voyait‑il mieux les limites de son ami sur le plan politique. Ses lettres d'avril 1871 nous ont montré que Kugelmann méconnaissait l'importance de la Commune. En 1895, il écrira à Engels à propos de Bebel et de Liebknecht [54] : « Je ne comprends pas pourquoi ils soulignent toujours que la social‑démocratie est un parti révolutionnaire et nullement un parti de réformes. » Il pense qu'il faudrait « organiser, éduquer, améliorer le sort du prolétariat, en attendant [...] que l'évolution ait atteint un point tel qu'on vole apparaître dans les nuages le Sub hoc signo vinces [55] ».
Ce raisonnement annonce déjà celui que Bernstein ne va pas tarder à tenir.
Son admiration fanatique pour les analyses économiques de l'auteur du Capital [56] s'alliait, chez Kugelmann, à l'idée que la doctrine de Marx s'imposerait de par sa seule force scientifique. Il rêve du jour où les représentants idéologiques de la bourgeoisie se déferont de leurs erreurs et reconnaîtront leurs illusions; il pense que la bourgeoisie finira par comprendre qu'approche un nouvel état social dans lequel elle est superflue. Bref, il avait tendance à sous‑estimer l'importance de l'activité révolutionnaire des masses [57] et par là même sans doute à considérer que Marx, auquel il ne reconnaissait aucune qualité d'organisateur, perdrait plus ou moins son temps en s'occupant de l'Internationale et de l'organisation de la classe ouvrière [58]. On comprend qu'une admiration importune qui s'accompagnait d'une méconnaissance aussi profonde de l'aspect révolutionnaire du marxisme ait fini par rendre insupportable à Marx la fréquentation de Kugelmann.
Il faut ajouter que la situation de Marx, en quelques années, a changé. En 1862 il est presque isolé, exilé à Londres. Il n'a que peu de liens avec l'Allemagne. Les informations de Kugelmann lui sont précieuses, voire indispensables. En 1871, le monde entier connaît celui qu'un journal parisien appelle « le grand chef de l'Internationale ». On vient le voir « de France, de Russie ou de Hong‑Kong », il reçoit des messages de Garibaldi ou d'un suédois illuminé [59]. Par l'Internationale, il est en liaison avec le monde entier. En Allemagne même, ses correspondants se multiplient, ses ouvrages vont peu à peu connaître une meilleure diffusion, il dispose d'un journal, celui de Liebknecht. Bref Kugelmann se montre plus importun au moment même où il est moins utile et où ses limites apparaissent plus nettement. C'est là sans doute la raison profonde de la rupture.
Après la rencontre de Karlsbad la correspondance entre les deux hommes ne reprit pas. Jenny continua d'écrire de loin en loin, Eleanor aussi. En 1875, l'une d'elles fit parvenir à Kugelmann la version française du Capital; celui‑ci remercia en deux lignes [60]. Par contre Marx demeura en relations épistolaires avec le frère de Mme Kugelmann, Max Oppenheim, auquel il rendit visite à Prague en 1875 et 1876.
Pourtant Kugelmann continua à s'intéresser à l'œuvre de son ancien ami. Il correspond avec Engels (12 lettres de 1874 à la mort de ce dernier) et l'aide, vers la fin de la vie de celui-ci, à rassembler les œuvres de Marx parues dans des revues ou des journaux quasi introuvables [61]. Jusqu'à sa mort (1902), il échange des lettres avec les dirigeants de la social‑démocratie allemande Bebel, Singer et les presse de faire éditer les œuvres complètes de Marx [62].
Au Congrès du parti social‑démocrate allemand qui se tint à Hanovre en 1899, Kautsky avait fait la connaissance de Kugelmann. Celui-ci lui montra la collection de lettres que Marx lui avait adressées et qu'il considérait « comme la plus grande fierté de sa vie [63] » en lui demandant de les publier après sa mort.
Kautsky fit effectivement paraître, de mars à septembre 1902, dans sa revue Die Neue Zeit, une partie de ces lettres. Il ne publia ni la longue lettre sur Lassalle dé février 1865, ni 14 autres lettres, et opéra de nombreuses coupures dans plusieurs des lettres publiées. La même année ces lettres, avec les mêmes coupures, paraissaient en français dans le Mouvement socialiste [64]. Ce recueil fut traduit en russe en 1907 et Lénine écrivit à cette occasion la préface que l'on trouvera plus loin. En mai 1918, Kautsky publiait dans une petite revue du parti social‑démocrate indépendant, la lettre de Marx sur Lassalle [65]. Par la suite, les 59 lettres de Marx à Kugelmann furent éditées notamment en russe, en allemand, en français et cette correspondance connut de nombreuses rééditions [66]. Les lettres de Kugelmann a Marx (et à Engels) sont demeurées jusqu'ici inédites [67].
Les éditions françaises précédentes comportaient de nombreuses erreurs de traduction qui parfois déformaient le sens de certains passages. La date de certaines lettres y est erronée [68]. Les notes y sont tout à fait insuffisantes. Nous avons donc retraduit entièrement cette correspondance et assorti chaque lettre des notes qui nous paraissaient indispensables. Celles‑ci renvoient fréquemment à la dernière édition allemande des oeuvres de Marx‑Engels en 45 volumes (abréviation: M.E.W.). Notre édition comprend en outre un télégramme et une brève lettre (8 mai 1870) de Marx à Kugelmann qui ne figuraient pas dans les précédents recueils.
Nous avons de plus pensé qu'il était utile de joindre à celles de Marx quelques lettres d'Engels, (totalement inédites en français), de la femme de Marx (inédites en partie) et surtout de sa fille Jenny, toutes adressées également aux Kugelmann, et qui, nous l'avons dit, ou bien reproduisent très souvent la pensée ou les points de vue de Marx lui‑même ou prolongent sa correspondance. Les lettres de Jenny qui n'ont paru en français que dans une revue nous paraissent d'un intérêt tout particulier pour le lecteur français [69].
Ces lettres ont été publiées pour la première fois dans le texte original [70] en 1962 par les soins de Bert Andréas. Jenny écrit le plus souvent en anglais [71], seule est écrite en français une lettre très courte de décembre 1869. Cette correspondance a été reproduite en allemand dans la récente édition de lInstitut du Marxisme‑Léninisme de Berlin (M.E.W.).
En outre nous avons publié quand nous en possédions le texte, à la suite des lettres de Marx, les documents ou lettres que celles‑ci contenaient. C'est ainsi qu'on pourra lire dans ce recueil deux textes émanant de l'Internationale (et qu'il est extrêmement difficile de trouver en France); il s'agit, d'une part, de la Communication confidentielle: la réponse de l'Internationale aux accusations des bakouninistes; d'autre part du procès‑verbal de la séance du Conseil Général où fut décidé l'envoi de la circulaire sur Jules Favre et de la mise au point adressée à cette occasion, par l'Internationale à toute une série de journaux.
Ces différents ajouts ont évidemment augmenté considérablement le volume de ce recueil. Pour en faciliter la lecture, nous avons adopté un ordre chronologique strict, ne séparant pas par exemple les lettres de Jenny Marx de celles de son père ou de celles d'Engels. Les mêmes sujets étant souvent abordés dans diverses lettres de Marx, de sa femme ou de sa fille, celles‑ci se complètent souvent et il est donc intéressant pour le lecteur de les retrouver sous leur date.
Nous avons adopté en général pour cette édition les conventions typographiques utilisées pour la Correspondance Marx‑Engels. Les mots et expressions en français dans l'original sont imprimés en italique et suivis d'un astérisque; les mots et expressions anglais sont traduits entre crochets, dans le corps même du texte.
L'ouvrage comporte en outre, comme la plupart des publications de cette collection, un index des noms cités.
Nous l'avons dit, des sujets traités dans cette correspondance, la Commune est sans doute le plus important. En cette année du centième anniversaire de l'insurrection parisienne, il nous a semblé que c'était un moyen de rendre hommage au courage des combattants parisiens que de rééditer les jugements de Marx sur ces événements historiques, jugements qui intéressent l'ensemble du mouvement ouvrier.
Gilbert Badia.
Notes
[1] Nous reproduisons dans la présente édition les commentaires de Lénine et sa préface. Voir ci‑dessous p. 237 et suiv,
[2] Voir ci‑dessous, lettre du 28 décembre 1862 et passim.
[3] Lettres du 23 août et du 9 octobre 1866.
[4] Lettre du 9 octobre 1866.
[5] Lettre du 6 avril 1866. Dans la lettre précédente, il travaille à mettre le livre au net « douze heures par jour ».
[6] Il dira non sans raison qu'aucun autre ouvrage n'a sans doute été écrit dans des conditions plus difficiles (lettre du 11 octobre 1867).
[7] Marx se montrera même parfois un peu agacé par ces témoignages d'admiration : « Kugelmann m'agace quelquefois [...] par son enthousiasme. » (Lettre à Engels du 24 avril 1867, Marx‑Engels Werke, ‑ référence abrégée : M.E.W., ‑Berlin, 1957‑1969, t. 31, p. 290.)
[8] Voir lettre du 13 juillet 1867.
[9] Lettre du 7 décembre 1867.
[10] Lettre du 12 octobre 1868.
[11] Lettre du 11 février 1869.
[12] Lettre du 3 mars 1869.
[13] Lettre du 11 juillet 1868.
[14] Voir M.E.W., t. 33, pp. 218‑219, 593‑594 et passim.
[15] Elle est jointe à la lettre du 30 janvier 1868.
[16] Lettre du 25 février 1865, M.E.W., t. 31, p. 83.
[17] Lettres du 17 mars, 17 avril, 11 juillet 1868.
[18] Lettres du 17 mars 1868, du 28 mars 1870.
[19] Lettre du 23 février 1865.
[20] Sur cette question, voir Gustav Mayer : « Der Allgemeine Deutsche Arbeiterverein und die Krisis von 1866 ». Archiv für Sozialwissenschaft und Sozialpolitik, 1927.
[21] Voir ci‑dessous lettre du 28 mars 1870.
[22] « Vos manœuvres contre Vogt à Genève m'ont très satisfait » (11 octobre 1867).
[23] Ci‑dessous p. 122.
[24] Lettre du 9 octobre 1866. Ces phrases n'ont rien perdu de leur intérêt.
[25] Voir Karl Marx‑Friedrich Engels : La Nouvelle Gazette rhénane. Éd. soc., t 1, pp. 180‑185.
[26] Nous empruntons pour l'essentiel ces citations de Kugelmann à l'introduction écrite par E. Czobel pour une précédente édition des Lettres à Kugelmann, Éditions sociales internationales, Paris, 1930, pp. 11 et 12.
[27] Sur la position de la Commune envers les paysans, voir l'appréciation de Marx dans La Guerre civile en France, Ed. soc. pp. 70‑71.
[28] Cité par Bert Andréas dans son introduction à des Lettres et documents de La famille Marx (1862‑1873), Archiv für Sozialgeschichte, 2Bd. 1962 (p. 167) à laquelle nous empruntons un certain nombre de précisions.
[29] Lettre à Kautsky du 25 mars 1895, M.E.W., t. 39, p. 447.
[30] Dans sa lettre du 21 décembre 1871, elle explique qu'elle court et qu'elle écrit partout afin de « ramasser de l'argent pour venir en aide aux réfugiés ».
[31] Voir Bert Andréas, op. cit., p. 168 et p. 261, note 242.
[32] Surnom de Marx que ses proches (Engels, etc.) emploient souvent. Il le devait à son teint et à ses cheveux noirs.
[33] Lettre du 8 mai 1870.
[34] La lettre du 30 octobre 1869 nous fournit des renseignements sur Keller, traducteur du 18 Brumaire.
[35] Lettre du 3 mai 1872.
[36] On sait que Le Capital parut en français de 1872 à 1875 en livraisons séparées. Chaque fascicule était de 8 pages. Ici il s'agirait de la 6° livraison, donc des pages 41 à 48, voir. B. Andréas, op. cit., p. 289, note 297.
[37] Lettre du 23 décembre 1872.
[38] Franziska Kugelmann assure que son père avait eu l'adresse de Marx à Londres par Miquel (Souvenirs..., p. 280). La fille de Kugelmann a publié entre les deux guerres des souvenirs sur Marx qui figurent dans le recueil consacré à Marx et Engels et intitulé Mohr und General, Dietz Verlag Berlin 1964, que nous citons sous la référence abrégée : Souvenirs. Malheureusement ils ne constituent pas une source très sûre. Franziska Kugelmann avait huit ou neuf ans lorsque Marx vint à Hanovre chez ses parents et elle écrit plus d'un demi‑siècle après l'événement.
[39] Lettre à Freiligrath du 15 décembre 1862, M. E. W., t. 30, p. 638.
[40] Sur cette coutume de Marx et les siens de donner des surnoms à leurs amis et à leurs proches ; voir F. Kugelmann : Souvenirs... pp. 286‑287, où elle explique comment et pourquoi son père fut appelé « Empereur Wenceslas », sa mère « Madame la Comtesse », etc.
[41] Mme Marx raconte spirituellement l'arrivée de ce buste à Londres. voir ci‑dessous p. 80 et suiv.
[42] F. Kugelmann: Souvenirs, op. cit., p. 313.
[43] Voir à ce sujet la lettre de Freiligrath à Marx du 3 décembre 1862 (Bert Andréas, op. cit., p. 186, note 43).
[44] Marx à Engels, 24 avril 1867, M.E.W., t. 31, pp. 289‑290.
[45] Introduction de E. Czobel, p. 18.
[46] Lettre du 24 avril 1867, M. E. W., t. 31, p. 290.
[47] Lettre du 10 juin 1867.
[48] Voir à ce sujet les Souvenirs de Franziska Kugelmann, op. cit., p. 282, 286 et passim.
[49] F. Kugelmann, op. cit., p. 315.
[50] Erreur de F. Kugelmann. Il s'agit du livre II.
[51] F. Kugelmann, op. cit., p. 316.
[52] Lettres du 9 et du 29 juillet 1872. Et surtout lettre de Jenny du 27 juin 1872 : « Le Maure est totalement de votre avis en ce qui concerne son activité dans l'Internationale…, etc. »
[53] Voir la lettre de Marx à Engels du 18 septembre 1874. M.E.W., t. 33, pp. 116‑117, d'où sont tirées toutes ces citations et ces précisions.
[54] Lettre du 14 juillet 1895, citée par E. Czobel, op. cit., p. 24.
[55] « Sous ce signe tu vaincras » : inscription que, selon certains chroniqueurs, l'empereur romain Constantin aurait vu briller sur une croix à la veille de sa bataille contre Maxence.
[56] Il félicite Meissner d'être « l'éditeur du plus grand penseur de ce siècle » (lettre du 16 décembre 1868). Il écrivit à Marx que Le Capital était le levier d'Archimède qui « soulèvera le monde bourgeois » (31 octobre 1873). Voir E. Czobel, op. cit., p. 22.
[57] Il ne pouvait « s'enthousiasmer pour les révolutions avortées des Français à qui jusqu'ici toute base théorique a fait défaut » (Lettre du 21 janvier 1874).
[58] Franziska Kugelmann: Souvenirs, op. cit., p. 316.
[59] Lettre de Jenny du 3 octobre 1871.
[60] Lettre du 16 décembre 1875.
[61] Voir ci‑dessous la réponse d'Engels 234 et suiv.
[62] Dans les archives de l'Institut du Marxisme‑Léninisme de Moscou figurent 14 lettres de Kugelmann à Bebel échangées de 1892 à 1901, 8 lettres à Paul Singer (1892‑1897), 2 lettres à Kautsky (18981901). Voir E. Czobel, op. cit., p. 25.
[63] E. Czobel, op. cit., p. 9.
[64] Traduction de Léon Rémy.
[65] Sozialistische Auslandipolitik, n° 18, Berlin, I° mai 1918.
[66] La dernière édition française est celle des éditions Anthropos, Paris 1968. En fait cette édition n'est que la reproduction ‑pM. des procédés photomécaniques de l'ouvrage paru en 1930 aux Editions sociales internationales. Dans l'édition Anthropos le nom de la traductrice des lettres, Rosa Michel, a disparu.
[67] L'Institut du Marxisme‑Léninisme de Moscou possède les photocopies d'une petite centaine de lettres de Kugelmann à Marx, l'Institut d'histoire sociale d'Amsterdam 35 lettres de Kugelmann à Engels. Voir Bert Andréas, op. cit., p. 187, note 49.
[68] Par exemple la lettre datée du 9 novembre 1866 est du 9 octobre, celle datée du 11 octobre 1867 est du 11 février 1867.
[69] La plus grande partie d'entre elles avait été publiée, en version française, par les soins d'Émile Bottigelli dans La Pensée, n" 74 et 75(1957).
[70] Les originaux ont été acquis par l'Institut Feltrinelli, de Milan.
[71] Nous avons repris, pour l'essentiel, la traduction de Paul Meier (La Pensée, n° 74 et 75).