1865

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Le Capital - Livre III

Le procès d'ensemble de la production capitaliste

K. Marx

§ 5 : Subdivision du profit en intérêt et profit d'entreprise. Le capital productif d'intérêts.


Chapître XXXV : Le métal précieux et le cours du change

1. Le mouvement du trésor métallique.

La thésaurisation des banknotes en temps de crise n'est que la thésaurisation des métaux précieux dans les sociétés primitives, pendant les périodes d'incertitude. A ce point de vue l'Act de 1844 est intéressant à observer en ce qui concerne ses conséquences, étant donné qu'il a été édicté dans le but de transformer en moyens de circulation tout le métal précieux du pays et qu'il cherche à identifier la contraction ou l'expansion des moyens de circulation avec le drainage ou l'afflux de l'or. L'expérience démontre que le contraire se produit. A part une seule exception, que nous citerons dans un instant, la masse de billets que la Banque d'Angleterre a eue en circulation depuis 1844 n'a jamais atteint le maximum de l'émission qu'elle est autorisée à faire, et, d'autre part, la crise de 1857 a démontré que dans certaines circonstances ce maximum est insuffisant. Du 13 au 30 novembre 1857, la circulation dépassa journellement de 488.830 £ en moyenne le maximum légal (C. B. 1858, p. XI), lequel était à cette époque de 14.475.000 £, plus l'encaisse métallique se trouvant dans les caves de la Banque.

Le mouvement du métal précieux donne lieu aux remarques suivantes :

Primo. - Il faut distinguer le va-et-vient du métal dans les contrées qui ne produisent ni or ni argent, du mouvement de l'or et de l'argent des pays où ils sont produits vers les autres pays et de leur distribution entre ceux-ci.

Avant l'entrée en scène des mines d'or de la Russie, de la Californie et de l'Australie, l'afflux de métal précieux suffisait à peine pendant ce siècle au renouvellement des pièces usées, à la fabrication des objets de luxe et aux exportations d'argent en Asie. Le développement du commerce de l'Europe et de l'Amérique avec l'Asie vint renforcer considérablement ces exportations et il fallut suppléer en grande partie par de l'or à l'argent, qui ne tarda pas à devenir insuffisant. En même temps, une partie de l'or nouvellement importé fut absorbé petit à petit par la circulation intérieure, et c'est ainsi qu'en 1857 on évalua à 30 millions la quantité d'or qui avait été incorporée à la circulation de l'Angleterre [1]. Vint ensuite l'Act de 1841 qui poussa à l'augmentation de la réserve métallique de toutes les banques centrales de l'Europe et de l'Amérique du Nord. En outre, l'extension de la circulation monétaire intérieure eut pour effet que pendant les périodes d'accalmie suivant les paniques, la réserve de la Banque s'augmenta chaque fois plus rapidement sous l'action du numéraire qui avait été retiré de la circulation et immobilisé. Enfin, les nouvelles découvertes de mines d'or, en augmentant la richesse, renforcèrent la consommation de métal précieux pour la fabrication d'objets de luxe.

Secundo. - Entre les pays qui ne produisent ni or ni argent, il y a un va-et-vient continuel de ces métaux. Chaque pays en importe et en exporte constamment, et c'est la différence entre ces deux mouvements - souvent ils se neutralisent - qui décide si dans un pays déterminé il y a afflux ou exportation de métal précieux. Toujours ces résultats sont considérés comme l'expression et la conséquence des rapports entre les importations et les exportations de marchandises, alors qu'ils sont déterminés en même temps par des exportations et des importations de métal précieux entièrement indépendantes du commerce.

Tertio. - La différence en plus ou en moins de l'importation par rapport à l'exportation est mesurée par l'augmentation ou la diminution de la réserve métallique dans les banques centrales. Le degré d'exactitude de cette mesure dépend du degré de centralisation de l’organisation des banques, c'est-à-dire de la fidélité plus ou moins exacte avec laquelle l'encaisse métallique des banques dites nationales représente le trésor métallique de la Nation. Et même en admettant que cette représentation fut fidèle, l'unité de mesure ne serait pas rigoureuse puisque, dans des circonstances données, un afflux de métal précieux peut être absorbé par la circulation intérieure ou la fabrication d'objets de luxe, de même que sans qu'il y ait afflux, l'absorption de la monnaie d'or par la circulation intérieure peut devenir plus considérable et par conséquent le trésor métallique diminuer sans qu'il y ait en même temps un accroissement de l'exportation.

Quarto. - Une exportation de métal devient un drainage lorsque se prolongeant longtemps elle est l'indice d'un mouvement dans une direction déterminée et qu'elle abaisse la réserve métallique de la Banque jusqu'à son minimum moyen. Ce dernier varie d'une banque à l'autre et dépend des dispositions légales relatives à l'encaisse nécessaire pour garantir la convertibilité des billets, etc. En ce qui concerne la Banque d'Angleterre, voici ce que Newmarch en dit devant la C. B. 1857, Evid. n° 1494 :

« A en juger par l’expérience, il est très invraisemblable que l'exportation de métal par suite d'une oscillation quelconque du commerce extérieur puisse dépasser 3 a 4 millions de £. »

En 1847, la réserve métallique de la Banque d'Angleterre descendit à son minimum le 23 octobre, et elle fut inférieure de 5.198.156 £ au minimum et de 6.453.748 £ au maximum de l'année 1846 (respectivement le 26 décembre et le 29 août.)

Quinto. - La réserve métallique de la banque dite nationale - réserve qui ne règle nullement l'importance du trésor national, qui peut augmenter par un simple ralentissement du commerce intérieur ou extérieur - a une triple destination : elle est un fonds de réserve pour les paiements internationaux, c'est-à-dire une réserve de monnaie mondiale ; elle est un fonds de réserve pour la circulation métallique- intérieure et doit faire face aux expansions et contractions de celle-ci ; elle est un fonds de réserve garantissant le remboursement des dépôts et la convertibilité des billets, ce qui lui assigne un rôle dans les opérations de banque et non dans le fonctionnement de la monnaie métallique.

La réserve peut donc être affectée par des événements qui se rattachent à chacune des trois fonctions qu'elle doit remplir. Comme fonds international elle peut subir le contre-coup de la balance des paiements, quels que soient les facteurs qui déterminent celle-ci et quelle que soit la corrélation de cette balance avec la balance du commerce. Comme fonds de réserve de la circulation monétaire intérieure, elle se ressent de toutes les variations de cette dernière. Quant à sa troisième fonction, bien qu'elle ne détermine pas les mouvements propres du métal constituant la réserve, elle se manifeste de deux manières :

  1. Lorsque la banque émet des billets remplaçant la monnaie métallique dans la circulation intérieure, la deuxième fonction du fonds de réserve disparaît, et une partie du métal précieux qui était requis pour cette fonctiori peut passer à l'étranger ; dans ce cas, le fonds de réserve ne doit rien avancer pour la circulation intérieure de même qu'il ne peut rien en recevoir.
  2. Lorsqu'un minimum de réserve métallique doit être maintenu, quelles que soient les circonstances, pour le remboursement des dépôts et la conversion des billets, l'action s'en fait sentir sur le va-et-vient du métal, sur la partie du trésor que la Banque est obligée de posséder continuellement ou sur celle dont elle cherche à se débarrasser à certains moments, parce qu'elle est inutile. Lorsque la circulation est exclusivement métallique et que l'organisation des affaires de banque est concentrée, le trésor métallique doit être considéré également comme une garantie du remboursement des dépôts, ce qui, en cas de sortie du métal, peut donner lieu à une panique comme celle qui se produisit à Hambourg en 1857.

Sexto. - A l'exception peut-être du cas de 1837, les crises ont toujours éclaté après le revirement des cours du change, lorsque les importations de métal précieux avaient repris le dessus sur les exportations. En effet : en 1825, le krach éclata réellement lorsque l'exportation d'or eut pris fin ; en 1839, il y eut exportation de métal précieux sans que la situation des affaires en arriva à un désastre ; en 1847, l'or cessa d'être exporté en avril et la crise eut lieu en octobre; en 1857, l'exportation d'or avait cessé au commencement de novembre et le krach éclata à la fin du mois. L'exemple le plus frappant est celui de 1847 : l'exportation de l'or avait déjà pris fin en avril, déterminant une crise anodine, alors qu'en octobre seulement survint le krach véritable.

Les dépositions suivantes ont été recueillies parle Secret Commiltee of the House of Lords on Commercial Disiress 1848 (c'est la même série de dispositions, publiées en 1857, que nous avons désignée précédemment par C. D. 1848/57.)

Tooke. - En avril 1847, éclata une crise ou à proprement parler une panique, qui fut de courte durée et qui ne fut, pas accompagnée de faillites de quelqu'importance. En octobre, la crise fut beaucoup plus intense qu'en avril et il y eut un nombre inouï de faillites (2196).
En avril, nous fûmes contraints par les cours du change, surtout le cours avec l'Amérique, à exporter une masse considérable d'or pour payer des importations d'une importance extraordinaire, et ce ne fut qu'au prix d'un violent effort que la Banque parvint à arrêter la sortie du métal précieux et à relever le cours (2197).
En octobre, les cours du change étaient favorables à l'Angleterre (2198).
Le revirement des cours se manifesta dès la troisième semaine d'avril (3000).
Ils vacillèrent en juillet et en août, mais depuis le commencement d'août, ils nous furent continuellement favorables (3001).
La sortie de l'or au mois d'août fut provoquée par les besoins de la circulation intérieure.

J. Morris, gouverneur de la Banque d'Angleterre.

En 1847, bien que depuis le mois d'août le cours fut devenu favorable à l'Angleterre et que de l'or fut importé, la réserve métallique de la Banque diminua

«2.200.000 £ en or sortirent des caves de cette dernière pour satisfaire la demande à l'intérieur. » (137).

Ce fait trouve son explication, d'une part, dans l'extension de la demande d'ouvriers pour la construction des chemins de fer, d'autre part, dans le

« désir des banquiers d'avoir dans les temps de crise une réserve d'or leur appartenant » (117).

Palmer, ex-gouverneur et directeur depuis 1811 de la Banque d'Angleterre.

« 684. Pendant toute la période allant de mi-avril 1847 jusqu'au jour de la suspension du Bank Act les cours du change furent en faveur de l'Angleterre. »

La sortie de l'or qui provoqua en avril 1847 une panique ne fut donc, comme toujours, qu'un phénomène précurseur de la crise et ce mouvement s'était déjà renversé avant que la crise éclatât. En 1839, il y eut une forte dépression des affaires et en même temps une énorme exportation d'or pour payer des importations de céréales, etc. ; maïs il n'y eut ni crise, ni panique.

Septimo. - Dès qu'une crise générale prend fin, l'or et l'argent - abstraction faite de l'afflux de métal précieux arrivant fraîchement des pays producteurs - se répartissent, entre les différents pays, dans les mêmes proportions qu'ils y existaient comme réserve métallique avant la rupture de l'équilibre ; eu effet, les circonstances restant les mêmes, la grandeur relative de cette réserve est en rapport dans chaque pays avec l'importance de son rôle sur le marché mondial. Le métal précieux sort donc des pays qui en ont des quantités plus grandes que leurs parts normales, pour se diriger sur les autres, jusqu'à ce que la répartition primitive soit rétablie, ce retour à la répartition normale est déterminé par l'action de facteurs qui seront signalés lorsque nous nous occuperons du cours du change. La répartition normale rétablie, on voit croître la réserve pendant un certain temps, puis la sortie du métal précieux recommence. [Cette dernière constatation ne s'applique évidemment qu'à l'Angleterre, le centre du marché financier du monde. - F. E.]

Octavo. - Les exportations de métal précieux sont le plus souvent des symptômes d'une modification de la situation du commerce extérieur, qui annoncent qu'une crise est imminente [2].

Nono. - La balance des paiements peut être en faveur de l'Asie contre l'Europe et l'Amérique [3].

L'importation de métal précieux a lieu principalement à deux moments : d'une part, dans la phase qui suit immédiatement la crise, pendant laquelle le taux de l'intérêt est bas et la production restreinte ; d'autre part, dans la phase où le taux de l'intérêt monte, tout en restant au-dessous de son niveau moyen, c'est-à-dire la phase pendant laquelle les rentrées d'argent se font régulièrement, le crédit commercial est grand et la demande de capital empruntable nullement en proportion avec l'extension de la production. Dans ces deux périodes, qui sont caractérisées par une abondance relative de capital empruntable, l'importation excessive de capital, sous forme d'or et d'argent, influence sensiblement le taux de l'intérêt et l'allure générale des affaires.

Une exportation forte et continue de métal précieux se manifeste dès que les rentrées d'argent ne sont plus régulières, que les marchés s'encombrent et que l'on ne parvient plus que par le crédit à donner une apparence de prospérité aux affaires, par conséquent, dès que la demande de capital empruntable devient intense et que l'intérêt a déjà atteint un niveau moyennement élevé. Dans ces conditions l'influence de la rareté du capital sous forme d'argent empruntable se fait directement sentir sur le taux de l'intérêt; mais au lieu que la hausse de l'intérêt ait pour conséquence la restriction des affaires à crédit, elle en provoque l'extension au point de les amener à une tension excessive. Aussi cette période précède immédiatement le krach.

Déposition de Newmarch (C. B. 1857) :

« 15120. Le montant des effets en circulation augmenta donc parallèlement à la hausse du taux de l'escompte ? - Il parait.
1522. En temps ordinaire, le grand livre est le véritable instrument des échanges ; mais lorsque des difficultés surgissent, lorsque, par exemple, des circonstances comme celles que j'ai signalées font hausser le taux de l'escompte... les affaires se ramènent d'elles-mêmes à l’émission de traites. Ces traites ne servent pas tant à liquider des transactions ; elles sont tirées plutôt pour permettre de nouveaux achats et sont donc avant tout des moyens de crédit pour emprunter du capital »

Au surplus, cette situation va en s'accentuant dès que des circonstances quelque peu menaçantes décident la Banque à élever le taux de l'escompte, ce qui fait prévoir qu'elle limitera également le temps de circulation des traites qu'elle consentira à escompter. Chacun - et en tout premier lieu les chevaliers du crédit - cherche alors à assurer l'avenir et à avoir à sa disposition, pour en tirer parti au moment opportun, le plus de moyens de crédit possible ; ce qui démontre que les quantités de métal importées ou exportées agissent en premier lieu par le caractère spécifique que possède le métal précieux d'être à la fois monnaie et capital et interviennent ensuite comme la plume qui fait pencher la balance d'un côté ou de l'autre. Si l'on ne tenait pas compte de ces considérations, il serait impossible d'expliquer comment une sortie de 5 à 8 millions de £ d'or, - et jusqu'à présent cette limite n'a pas été franchie - insignifiante en présence des 70 millions de £ d'or qui circulent en Angleterre, peut avoir une influence sensible [4]. C'est précisément le développement du crédit et des banques qui communique à tout l'organisme cette sensibilité excessive en mettant, d'une part, tout le capital-argent à la disposition de la production et, d'autre part, en réduisant à certains moments la réserve métallique à un minimum qui ne lui permet plus d'accomplir la fonction qui lui est assignée. En effet, une augmentation ou une diminution du trésor métallique par rapport à sa situation moyenne n'a guère d'influence lorsque la production est peu développée, de même qu'une sortie considérable d'or est relativement sans action lorsqu'elle se produit en dehors de la période critique du cycle industrie].

Cette explication ne tient pas compte de l'exportation de métal précieux qui accompagne une récolte mauvaise ; il est inutile, en effet, d'analyser d'une manière détaillée les conséquences d'une pareille rupture brusque de l'équilibre de la production et nous pouvons nous borner à dire que ces conséquences sont d'autant plus graves que l'intensité de la production est plus grande au moment où elles se font sentir.

Nous avons fait abstraction également de la fonction de la réserve métallique servant de garantie à la convertibilité des billets et formant la pierre angulaire de tout l'édifice du crédit [5]. Ainsi que nous l'avons établi en étudiant l'instrument de paiement (vol. I, chap. III) le système du crédit doit pouvoir être transformé en un système monétaire. Tooke est d'accord avec Loyd-Overstone pour reconnaitre que dans les moments critiques il n'est pas de sacrifice qu'il ne faille s'imposer pour maintenir la base métallique ; ils sont en discussion simplement sur une question de plus ou de moins, sur la manière plus ou moins rationnelle suivant laquelle il faut sacrifier à l'inévitable [6].

Ce principe qu'une quantité déterminée de métal - insignifiante lorsqu'on la rapporte à l'ensemble de la production - doit former la base du système, est le point de départ de l'un des plus beaux dualismes que l'on rencontre dans la théorie. Tant qu'elle parle ex professo du « capital », l'Économie officielle affecte le plus profond dédain pour l'or et l'argent, pour ces formes sans importance et sans utilité que le capital peut revêtir. Mais s'agit-il de l'organisation des banques, immédiatement elle fait volte face ; l'or et l'argent sont alors le capital par excellence, à la conservation duquel toute autre forme du capital et du travail doit être sacrifiée. Cependant, comment l'or et l'argent se différencient-ils des autres formes de la richesse ? Nullement au point de vue de la valeur, car celle-ci est déterminée par la quantité de travail qui leur est incorporée ; uniquement comme incarnation, comme expression du caractère social de la richesse. La richesse de la société est constituée par les richesses appartenant aux individus. Elle n'a un caractère social que parce que les individus échangent les valeurs d'usage qu'ils possèdent, dans le but de satisfaire leurs besoins. Or, dans la société capitaliste cet échange n'est possible que par l'intermédiaire de la monnaie ; c'est celle-ci qui permet à la richesse individuelle d'agir comme richesse sociale et c'est par conséquent en elle que se trouve le caractère social de la richesse. - F. E.] L'or et l'argent existent donc socialement comme une chose, une marchandise en dehors des éléments effectifs de la richesse sociale. Tant que le procès de production se déroule sans encombre, cet aspect est perdu de vire ; le crédit -une autre forme sociale de la richesse - usurpe la place de la monnaie et la foi au caractère social de la production fait que l'argent apparaît comme une forme fugace et idéale du produit. Mais dès que l'édifice du crédit est ébranlé - et cette phase est inévitable dans le cycle de l'industrie moderne - l'or et l'argent deviennent soudain la seule forme que doive prendre la vraie richesse. Et pour cette métamorphose brusque et considérable se présentent les quelques millions d'or et d'argent en réserve dans les caves de la Banque [7]. Rien ne montre mieux que la pro­duction est dénuée de tout caractère social et échappe à tout contrôle organisé par la société, que ce fait que les exportations de métal précieux ont pour conséquence de donner à ce qui est la forme sociale de la richesse l'aspect d'une chose existant en dehors d'elle. Ce caractère est com­mun au système capitaliste et aux modes de production basés sur le commerce et l'échange privé qui l'ont pré­cédé, mais il se présente beaucoup plus dans le système capitaliste comme un non-sens et une contradiction absurde :

  1. parce que le procès de production, qui n'y est qu'un enchevêtrement de production et de circulation, y a beaucoup moins pour but l'obtention de valeurs d'usage destinées directement aux producteurs ;
  2. parce qu'en développant le crédit, le système capitaliste s'efforce continuellement - mais sans y réussir - d'abattre la barrière métallique, à la fois réelle et fantastique, qui s'oppose à l'épanouissement et au mouvement de la richesse.

Lorsqu'une crise surgit, traites, valeurs, marchandises, tout ce qui circule demande à être converti en monnaie de banque, et toute la monnaie de banque voudrait être convertie en or.

2. Le cours du change.

On sait que le cours du change est le baromètre du mouvement international du métal précieux. L'Angleterre a-t-elle plus de paiements à faire à l'Allemagne que l'Allemagne à l'Angleterre, le prix du mark exprimé en sterling hausse à Londres et le prix de la livre sterling exprimé en marks baisse à Hambourg et à Berlin ; si la balance des paiements reste défavorable à l'Angleterre, le prix en sterlings des traites en marks sur l'Allemagne haussera jusqu'au point où il sera plus avantageux d'envoyer en paiement d'Angleterre en Allemagne de l'or en espèces ou en ligots que des traites. Il y aura alors en Angleterre une exportation de métal précieux -, si cette exportation acquiert une certaine importance et se poursuit pendant une durée assez longue, le marché monétaire anglais en sera affecté et en tout premier lieu la Banque d'Angleterre, qui devra prendre des mesures pour se défendre. Ainsi que nous l'avons vu, elle se protégera en haussant le taux de l'intérêt. Lorsque l'exportation d'or est considérable, le marché financier s'en ressent : la demande de capital empruntable en espèces dépasse notablement l'offre, et la hausse du taux de l'intérêt en résulte naturellement ; le taux de l'escompte établi par la Banque d'Angleterre correspond alors à la situation et devient le taux du marché. Il se présente cependant des cas où l'exportation de métal précieux a d'autres causes que les combinaisons ordinaires des affaires (par exemple, lorsque le pays alimente un emprunt dans un autre pays ou engage des capitaux à l'étranger) et où, par conséquent, la situation du marché financier de Londres ne justifie nullement la hausse du taux de l'intérêt. Dans des circonstances pareilles, la Banque d'Angleterre doit commencer par « rendre l'argent rare » en faisant de gros emprunts à « marché ouvert », afin de créer artificiellement une situation qui justifie et rende nécessaire la hausse de l'intérêt. Pareille manœuvre devient plus difficile d'année en année. - .F. E. ]

Les dépositions suivantes faites devant la Commission nommée en 1857 par la Chambre des Communes pour étudier les effets de la législation en matière de banques (nous l'avons désignée jusqu'à présent par C. A. 1857) établissent quelle est l'influence de la hausse du taux de l'intérêt sur le cours du change.

John Stuart Mill :

« 2176. Lorsque les affaires deviennent difficiles ... le prix des papiers-valeurs diminue notablement... Des étrangers font acheter en Angleterre des actions de chemins de fer ou des Anglais font vendre à l'étranger les actions de chemins de fer étrangers qu'ils possèdent... de cette manière les transferts d'or sont évités.
2182. Une classe nombreuse et riche de banquiers et de financiers, qui règle habituellement le taux de l'intérêt et la pression du baromètre commercial entre les différents pays... est toujours aux aguets pour acheter des valeurs dont la hausse est probable. Le pays le plus favorable pour leurs achats est celui qui exporte de l'or.
2183. Ces placements de capitaux se firent en 1847 en quantité suffisante pour diminuer le drainage de l'or. »

J. G. Hubbard, ex-gouverneur et directeur depuis 1838 de la Banque d'Angleterre :

« 2515. Il y a une grande quantité de valeurs européennes... qui circulent sur les différents marchés de l'Europe et qui, dès que leur prix tombe de 1 à 2 %, sont achetées immédiatement pour être envoyées aux marchés où leur prix se maintient.
2565. N'y a-t-il pas des pays étrangers qui doivent des sommes considérables au commerce anglais ? - ... Oui, des sommes très considérables.
2566. La liquidation de ces créances aurait donc été suffisante à elle seule pour justifier une forte accumulation de capital en Angleterre ? – En 1847, notre situation finit par redevenir normale, après que nous eûmes passé l'éponge sur quantité de millions que l'Amérique et la Russie devaient à l'Angleterre. »

[L'Angleterre devait aussi à ces pays « quantité de mil­lions » pour des céréales qu'elle leur avait achetées et elle aussi ne manqua pas de « passer l'éponge » de la fail­lite sur une bonne partie de ce qu'elle devait. Voir plus haut, chap. XXX, p. 37, le rapport sur le Bank Act de 1857.]

« 2572. En 1817, le cours entre l'Angleterre et Saint-Pétersbourg était très élevé. Lorsque parut la lettre du gouvernement permettant à la Banque d'émettre des billets sans tenir compte de la limite de 14 millions, il avait été convenu que le taux de l'escompte serait maintenu à 8 %,.C'était donc une bonne opération d'envoyer de l'or de Saint-Pétersbourg à Londres et de le prêter à 8 % jusqu'à l'échéance à trois mois des traites tirées pour liquider ces achats d'or.
 2573. Beaucoup de points sont à considérer dans toutes les opérations sur l'or ; il faut tenir compte du cours du change et des taux de l'intérêt auquel on peut prêter l'or jusqu'à l'échéance des traites tirées pour en assurer le paiement. »

Le cours du change avec l'Asie

Les faits que nous allons exposer sont importants, d'abord parce qu'ils montrent comment l'Angleterre, lorsque le cours du change avec l'Asie lui est défavorable, se refait par d'autres pays qui importent d'Asie par son intermédiaire ; ensuite, parce que nous nous trouvons de nouveau devant une tentative puérile de M. Wilson de confondre, en ce qui concerne le cours du change, l'action d'une exportation de métal précieux avec l'action d'une exportation de Capital en général, l'exportation se rapportant dans l'un et l'autre cas, non à des moyens de paiement et d'achat, mais à des placements de capitaux. Il va de soi que l'envoi aux Indes d'un nombre donné de millions à consacrer à la construction de chemins de fer, qu'il se fasse en métal précieux ou en rails, n'est que le transfert d'un capital déterminé d'un pays à un autre. Pareil envoi ne joue aucun rôle dans les comptes auxquels donnent lieu les transactions commerciales ordinaires, et le pays qui l'effectue ne petit entrevoir d'autres rentrées d'argent que le revenu annuel résultant des recettes des chemins de fer. Si ces millions sont envoyés en métal précieux, ils agiront comme capital empruntable directement sur le marché financier et sur le taux de l'intérêt dans le pays qui les exporte, non pas dans toutes les circonstances, mais dans celles que nous avons signalées précédemment. Ils agiront également sur le cours du change, car on ne fait de pareils envois de métal précieux que pour autant que les traites sur les Indes offertes sur le marché de Londres ne suffisent pas pour ces remises extraordinaires, par conséquent, sans que la demande de traites ne dépasse l'offre et que le cours ne devienne momentanément défavorable à l'Angleterre (non parce qu'elle doit aux Indes, mais parce qu'elle se trouve dans le cas d'y envoyer des sommes très élevées). A la longue, de pareils envois de métal précieux doivent déterminer un accroissement de la demande indienne de marchandises anglaises, étant donné qu'ils donnent plus d'extension à la puissance de consommation des Indes. Si, au contraire, les millions sont expédiés sous forme de rails, il n'en résulte aucune influence ni sur le cours du change, puisque l'Inde n'aura aucun paiement à faire de ce chef à l'Angleterre, ni sur le marché financier. Wilson soutient cependant qu'il n'en est pas ainsi et il dit que le taux de l'intérêt doit être nécessairement influencé, puisque des avances aussi extraordinaires doivent entraîner une demande extraordinaire d'argent. Il peut en être ainsi, mais c'est une erreur profonde de soutenir qu'il doit en être ainsi dans toutes les circonstances. Que ces rails soient mis en œuvre aux Indes ou en Angleterre, ils ne représentent qu'une extension déterminée de la production anglaise dans une sphère déterminée, et il est évidemment absurde de dire qu'un accroissement, même considérable, de la production ne peut pas se produire sans être accompagné d'une hausse du taux de l'intérêt. La somme des opérations assises sur le crédit peut augmenter, mais ce fait peut se produire sans que le taux de l'intérêt monte ; il en fut ainsi lorsque de 1840 à 1850 l'Angleterre fut saisie de la folie des chemins de fer. Que les marchandises soient destinées à la consommation étrangère ou à la consommation intérieure, l'influence sur le marché financier reste la même; elle ne pourrait se faire sentir d'une manière spéciale que si les placements de capitaux anglais à l'étranger avaient pour conséquence de restreindre l'exportation commerciale de l'Angleterre - l'exportation qui donne lieu à des paiements, à des rentrées d'argent - ou s'ils étaient les symptômes d'une tension excessive du crédit et d'un commencement d'opérations frauduleuses.

Voici un interrogatoire que Wilson fait subir à Newmarch :

« 1786. En ce qui concerne les demandes d'argent pour l'Asie orientale, vous avez dit que d'après vous le cours du change avec les Indes reste favorable à l'Angleterre bien que des sommes énormes d'argent soient exportées de notre pays. Avez-vous des raisons pour soutenir cette thèse ? - En effet, je trouve qu'en 1851 la valeur des exportations du Royaume-Uni aux Indes s'éleva en réalité à 7.420.000 £, somme à laquelle il convient d'ajou­ter l'import des traites de l'India House, c'est-à-dire les fonds que la Compagnie des Indes orientales tire de l'Inde pour faire face à ses dépenses. Le montant de ces traites fut de 3.200.000 £, de sorte qu'il faut évaluer à 10.690.000 £ la valeur totale de nos importations aux Indes. En 1855 la valeur des exportations proprement dites fut de 10.350.000 £ et les traites de l'India House s'élevèrent à 3.700.000 £, de sorte que le montant de l'expor­tation fut de 14.050.000 £. Il ne nous est pas possible, je pense, de déterminer pour l'année 1851 la valeur réelle des importations que nous fîmes des Indes en Angleterre. Il n'en est pas de même pour les années 1854 et 1855 : en 1855 cette valeur fut de 12.670.000 £, ce qui donne, si nous la rapportons au chiffre (14.050.000 £) de nos expor­tations, une balance du commerce direct entre les deux pays se soldant par 1.380.000 £ en faveur de l'Angleterre. »

Là-dessus, Wilson fait remarquer que le cours du change est influencé également par le commerce indirect. C'est ainsi, par exemple, que les exportations des Indes en Australie et dans l’Amérique du Nord sont couvertes par des traites sur Londres, d'où une action sur le cours du change comme si les marchandises étaient importées directement des Indes en Angleterre. En outre, si l'on considère l'ensemble des transactions avec l'Inde et la Chine, la balance devient défavorable à l'Angleterre, étant donné que d'une part, la Chine a continuellement de fortes sommes a payer à l'Inde pour ses importations d'opium et que d'autre part, l'Angleterre a des paiements à faire en Chine, ce qui fait que ces derniers prennent réellement le chemin de l'Inde (1787, 88.)

1789. Wilson ayant demandé si l'influence sur le cours du change serait la même si le « capital était exporté soit sous forme de rails ou de locomotives, soit sous forme de monnaie métallique », Newmarch répond avec raison : les 12 millions de £ qui ont été envoyés dans ces dernières années aux Indes pour la construction de chemins de fer ont servi à l'acquisition d'une rente annuelle, que l'Inde doit payer périodiquement à l'Angleterre.

« Une pareille avance de 12 millions de £ ne peut avoir une action immédiate sur le marché du métal précieux que pour autant qu'elle donne lieu à une exportation de métal pour des placements qui se font effectivement en monnaie. »

1797. (Question de Weguelin) :

« Si cette exportation de rails ne donne lieu à aucune rentrée d'argent, comment peut-elle influencer le cours du change ?
- Je ne pense pas que la partie de l'avance faite en marchandises exportées puisse affecter le cours du change, celui-ci, d'après la théorie rationnelle, étant uniquement influencé par la différence entre la quantité de traites ou d'engagements que l'on offre dans un pays et la quantité que l'on offre dans l'autre. En ce qui concerne l'envoi de 12 millions, ceux-ci ont été d'abord souscrits ici. Si les affaires s'étaient engagées dans des conditions telles que ces 12 millions dussent être acquittés en monnaie métallique à Calcutta, Bombay et Madras, cette demande brusque aurait agi violemment sur le prix de l'argent et le cours du change, qui auraient été affectés absolument comme si la Compa­gnie des Indes orientales annonçait demain qu'elle porte de 3 à 12 millions l'import de ses traites. Mais la moitié de ces 12 millions est avancée... en marchandises achetées en Angleterre... sous forme de rails, de bois et d'autres matières... de sorte qu'elle se ramène à une avance de capital anglais en Angleterre pour des marchandises à envoyer aux Indes.
- 1798 (Weguelin) Mais la production de ces marchandises en fer et en bois destinées aux chemins de fer donne lieu à une forte consommation de produits achetés à l'étranger ; celle-ci ne peut-elle pas influencer le cours du change ?
- Certainement. »

Wilson, qui est d'avis que le fer représente pour la plus grande partie du travail, dont le salaire est représenté pour la plus grande partie par des marchandises importées (1799), pose alors la question suivante :

« 1801. Lorsque les produits obtenus par la consommation de ces marchandises importées sont exportés dans des conditions telles que nous n'obtenons rien en retour, ni en marchandises, ni d'aucune autre manière, ne peut-on pas dire que l'opération a pour effet de nous rendre le cours défavorable ?
 - Les faits dont vous parlez se sont passés en Angleterre à l'époque où des capitaux furent engagés en masse dans la construction des chemins de fer (1845). Pendant trois, quatre ou cinq années consécutives 30 millions de £ furent avancés pour ces entreprises et dépensés en grande partie en salaires, pendant trois ans la population ouvrière occupée à la construction de voies ferrées, de locomotives, de wagons et de stations fut plus considérable que celle de toutes nos fabriques réunies.
Ces gens... dépensèrent leurs salaires en thé, café, spiritueux et autres produits importés ; or, les faits démontrent que pendant que se firent ces grandes dépenses, le cours du change entre l’Angleterre et les autres pays ne fut guère troublé ; au lieu d'une exportation nous eûmes une importation de métal précieux. »

1802. Wilson soutient que la balance du commerce étant en équilibre et le cours au pair entre l'Inde et l'Angleterre, des envois exceptionnels de fer et de locomotives « doivent influencer le cours du change ». Newmarch répond que cette conclusion est inadmissible tant que cette exportation de rails se ramène à un engagement de capital et que l'Inde ne doit la payer ni soirs une forme, ni sous une autre.

« Je pose en principe, dit-il, qu'à la longue le cours du change n'est jamais défavorable à un pays, si l'on considère l'ensemble des pays avec lesquels il fait du commerce ; un cours défavorable avec un pays entraîne nécessairement un cours favorable avec un autre. »

Ce qui lui vaut l'objection triviale de Wilson :

« 1803. Une transmission de capital n'est-elle pas toujours une transmission de capital, que le capital soit envoyé sous telle forme ou sous telle autre ?
 - Oui, si l’on se place au point de vue de la dette.
1804. Donc, que vous exportiez du métal précieux ou des marchandises, la construction de chemins de fer aux Indes aura le même effet sur le marché du capital, et la valeur de celui-ci augmentera comme si l'exportation était faite en métal précieux. »

Le fait que le prix du fer n'augmenta pas démontra en tout cas que la « valeur » du « Capital » existant dans les rails n'était pas devenue plus considérable. Mais il s'agit du taux de l'intérêt, de la valeur du capital-argent qui ne peut pas être identifié avec le capital en général comme Wilson veut le faire. Les choses se ramènent à ce que l'Angleterre a souscrit 12 millions pour des chemins de fer dans l'Inde. C'est là un fait qui directement n'a rien à voir avec le cours du change. Quant au marché financier, s'il est dans une situation favorable, il reste également indifférent à cette souscription, ainsi que le montrent les souscriptions de 1844 et de 1845 pour les chemins de fer anglais; s'il est dans une situation quelque peu difficile, il se peut que le taux de l'intérêt soit affecté, mais dans le sens de la hausse, ce qui, d'après la théorie de Wilson, doit tendre à rendre le cours du change favorable à l'Angleterre et empêcher l'exportation de métal précieux, si ce n'est pour l'Inde au moins pour un autre pays. M. Wilson confond tout. D'après sa question 1802, c'est le cours du change qui serait affecté; d'après sa question 1804, c'est la « valeur du capital ». S'il est vrai que le taux de l'intérêt peut agir sur le cours du change et que celui-ci peut à son tour influencer le taux de l’intérêt, il est également vrai que le taux de l'intérêt peut rester constant pendant que varie le cours du change, de même que le cours du change peut rester invariable pendant que hausse ou baisse le taux de l'intérêt. Le cerveau de Wilson se refuse à comprendre que dans une exportation de capital la forme que revêt ce dernier - surtout s'il est exporté à l'état de monnaie - est de la plus haute importance. Il est vrai que Newmarch ne lui a pas répondu avec toute l'ampleur voulue, et qu'il ne lui a pas fait remarquer que sans raison il a sauté directement du cours du change sur le taux de l'intérêt. La réponse de Newmarch à la question 1804 a été également faible et peu catégorique :

« Sans doute, lorsqu'il s'agit de 12 millions, il est sans importance, au point de vue du taux général de l'intérêt, que ces 12 millions soient exportés en métal précieux ou en matériaux. Je pense cependant (quelle belle transition, pour dire le contraire !) que cela n'est pas tout à fait sans importance »

(Cela est sans importance, cependant cela n'est pas tout à fait sans importance !)

« étant donné que d'un côté 6 millions de £ nous reviendront immédiatement, tandis que de l'autre, il faudra un certain temps avant que cette rentrée se fasse. C'est pourquoi il y aura quelque (quelle précision !) différence, suivant que ces 6 millions seront dépensés dans le pays ou qu'ils seront simplement exportés. »

Qu'entend-il dire par ces 6 millions qui reviendront immédiatement ? Si ces 6 millions sont dépensés en Angleterre, ils seront transformés en rails, locomotives, etc., qui seront envoyés dans l'Inde, d'où ils ne reviendront plus, mais d'où leur valeur rentrera à la longue, par l'amortissement; si, au contraire, ils sont envoyés en métal précieux, ils reviendront probablement très vite et en nature. La partie de ces 6 millions qui sera dépensée en salaires sera mangée, il est vrai; mais l'argent qui aura servi à payer ceux-ci circulera dans le pays après comme avant, à moins qu'il ne soit accumulé comme réserve ; et il en sera de même des profits des fabricants de rails et de la partie des 6 millions qui reconstitue le capital constant. Newmarch n'a donc recours à une phrase ambiguë que parce qu'il ne veut pas dire directement : l'argent reste dans le pays et s'il y fonctionne comme capital empruntable, il n'y a d'autre différence (à part la petite quantité engloutie par la circulation) que ce fait qu'il est avancé maintenant pour le compte de A au lieu de l'être pour le compte de B. Des avances qui ont pour but l'exportation d'un capital en marchandises et non en métal précieux ne peuvent influencer les cours du change (et non le cours avec le pays dans lequel on importe) que pour autant que la production des marchandises à exporter impose une importation extraordinaire d'autres marchandises; dans ce cas, la production n'est pas appelée à, liquider cette importation extraordinaire. La même situation se présente pour toute exportation sur crédit, qu'il s'agisse d'un placement de capital ou d'une opération commerciale ordinaire. L'importation extraordinaire peut d'ailleurs avoir pour contre-coup une demande extraordinaire de marchandises anglaises, par exemple, de la part des colonies ou des États-Unis.


Newmarch ayant dit, ainsi que nous l'avons rapporté plus haut, que si l'on tient compte des traites de la Compagnie des Indes orientales, l'Angleterre exporte plus aux Indes qu'elle n'en importe, Sir Charles Wood le prend vivement à partie sur ce point. La différence est due en réalité à ce que l'Angleterre importe quelque chose des Indes dont elle ne paie pas l'équivalent : le tribut prélevé par les traites de la Compagnie (actuellement le gouvernement) des Indes orientales. C'est ainsi qu'en 1855, les importations en Angleterre s'élevèrent à 12.670.000 £ alors que les exportations anglaises furent de 10.350.000 £, ce qui donna une balance favorable à l'Inde de 2 millions 250.000 £.

« La situation aurait donc dû se résoudre par l'envoi à l'Inde de 2.250.000 £ sous une forme quelconque. Mais alors intervint l'india House, qui annonça qu'elle était en situation de mettre en circulation pour 3.250.000 £ de traites sur les différents districts de l'Inde. (Cette somme était prélevée pour couvrir les frais de la Compagnie orientale à Londres et payer les dividendes des actionnaires.) Il en résulta, non seulement la liquidation de la balance (22.250-000 £) du commerce, mais un excédent de 1.000.000 £. » (1917.)
1922 (Wood) : « Alors l'effet de ces traites de l'India House n'est pas d'augmenter nos exportations vers l'Inde, mais de les diminuer ? »

(Il entend dire diminuer la nécessité de faire des exportations aux Indes pour contrebalancer les importations.) Newmarch répond qu'en échange des 3.700.000 £, l'Angleterre importe aux Indes un « bon gouvernement » (1925), ce qui lui vaut une répartie ironique de Wood, qui, en sa qualité de ministre des Indes, connaissait bien le « bon gouvernement » importé par les Anglais :

1926. « L'exportation qui, suivant votre expression, est provoquée par les traites de l'India House est donc une exportation de bon gouvernement et non de marchandises. »

L'Angleterre exporte « de cette manière « beaucoup de bon gouvernement » et place beaucoup de capitaux à l'étranger, et en échange de ces exportations de « bon gouvernement » et de capitaux elle fait des importations absolument indépendantes des affaires ordinaires, véritables tributs levés sur les colonies, pour lesquels elle ne paie aucun équivalent. On comprend dès lors facilement que des importations de ce genre ne puissent pas affecter le cours du change, soit que l'Angleterre les consomme simplement chez elle, soit qu'elle les convertisse en placements productifs ou improductifs à l'étranger (comme les munitions qu'elle envoie en Crimée). D'ailleurs, l'Angleterre est toujours libre de consommer ou de placer comme capital les importations qui constituent une partie de son revenu, soit qu'elles lui parviennent sous forme de tribut, soient qu'elles lui arrivent par la voie ordinaire du commerce, et il ne peut en résulter aucune influence sur le cours du change, ce que le sage Wilson ne remarque pas. La consommation productive ou improductive du revenu, que celui-ci soit constitué par des produits indigènes ou qu'il soit formé pas des produits exotiques (obtenus par l'échange contre des produits nationaux), agit sur l'échelle de la production, mais n'a aucune action sur le cours du change.

1934. Wood ayant demandé dans quelle mesure le cours du change sera affecté par l'envoi de munitions de guerre en Crimée, Newmarch répond :

« Je ne vois pas comment cet envoi pourra agir sur le cours du change, mais celui-ci serait certainement affecté par un envoi d'argent ».

Il fait donc une distinction entre le capital-argent et le capital sous une autre forme. Sa réponse lui vaut la question suivante de Wilson :

1935. Lorsque vous exportez en grand un article pour lequel il n'y a pas d'importation correspondante, vous ne payez pas la dette que vous avez à l'étranger pour vos importations, et, par conséquent, votre transaction doit affecter le cours du change, puisque ce fait que l'article que vous exportez ne donne pas lieu à une importation correspondante, n'éteint pas votre dette à l'étranger. - Cela est vrai en général.

(En énoncant sa question, M. Wilson oublie que l'Angleterre fait beaucoup d'importations sans exportations correspondantes, sauf quand celles-ci ont la forme de « bon gouvernement » ou de placements de capitaux. Ces importations peuvent donner lieu, par exemple, à des échanges avec l'Amérique, et les produits américains peuvent être exportés sans importation correspondante; l'intervention des produits américains n'empêchera pas que la valeur de ces importations ne soit consommée sans qu'il y ait une exportation correspondante et, par conséquent, sans que la balance du commerce s'en ressente. De même quand il parle de la dette que le pays contracte à l'étranger par suite de ses importations, il perd de vue que lorsque ces importations ont. été précédées, par exemple, d'avances faites à l'étranger, la dette n'existe pas ; dans ce cas, la question n'intéresse pas la balance internationale et elle se ramène à une dépense productive ou improductive quelle que soit l'origine indigène ou exotique des produits.)

La thèse de Wilson revient à dire que toute exportation sans importation correspondante est en même temps une importation sans exportation correspondante, puisqu'il faut des matières importées pour produire les marchandises exportées. Il suppose donc que pareille exportation repose sur une importation non payée, c'est-à-dire sur une dette à l'étranger. Ce point de départ est faux, même si l'on fait abstraction : 1° de ce que l'Angleterre a des importations gratuites, une partie de ses importations indiennes, par exemple, pour lesquelles elle ne paie aucun équivalent, qu'elle peut échanger contre des produits américains qu'elle exportera ensuite sans importation correspondante, le tout se ramenant à, l'exportation d'une valeur qui ne lui a rien coûté ; 2° de ce qu'ayant payé, par exemple, des importations américaines qui constituent un capital supplémentaire pour elle, l'Angleterre peut les consommer improductive ment, en munitions de guerre, par ex., sans qu'il en résulte pour elle une dette a l'égard de l'Amérique et sans que le cours du change en soit affecté. Les réponses de Newmarch aux questions 1934 et 1935 sont en contradiction et Wood le lui signale en lui posant la question 1938 :

« Lorsque dans la production des objets que nous exportons sans importation correspondante (des dépenses de guerre) il n'entre aucune matière provenant du pays dans lequel nous exportons, que se passe-t-il en ce qui concerne le cours du change avec ce pays ? Ainsi, je suppose qu'en temps ordinaire la balance de notre commerce avec la Turquie soit en équilibre -, comment l'exportation de munitions de guerre en Crimée affectera-t-elle le cours du change entre l'Angleterre et la Turquie ?

Newmarch perd patience; il oublie que sa réponse à la question 1934 répond à cette question et il dit :

« Nous avons, me semble-t-il, épuisé la question au point de vue pratique et nous nous engageons maintenant dans une région très élevée de la métaphysique. »

[Wilson a encore une théorie pour défendre sa thèse que le cours du change est affecté par toute transmission de capital d'un pays à un autre, que le transfert ait lieu sous forme de métal précieux ou de marchandises. Il sait naturellement que le cours du change est influencé par le taux de l'intérêt et surtout par la différence entre les taux de l'intérêt dans les deux pays dont les cours du change sont en cause. Si, donc, il parvient à démontrer qu'un excédent de capital en marchandises quelconques, le métal précieux compris, exerce une influence déterminante sur le taux de l'intérêt, il se rapproche du point qu'il veut établir. La transmission d'un capital considérable d'un pays à un autre doit donc modifier en sens opposé le taux de l'intérêt dans les deux pays, et il doit en résulter une modification correspondante du cours du change. - F. E.] Voici comment il développe cette théorie dans l'Economist (p. 175), qu'il rédigeait à cette époque (1847) :

« Il est clair qu'un pareil excédent de capital, mis en évidence par de grands stocks de toute nature, métal précieux compris, doit nécessairement donner lieu, non seulement à une dépréciation des marchandises, mais à une baisse du taux de l'intérêt (1). Lorsque nous disposons d'un stock de marchandises suffisant pour approvisionner le pays pour deux ans, tout titre sur ces marchandises rapportera en un temps donné moins d'intérêt que si le stock était suffisant pour deux mois à peine (2). Les prêts d'argent sous n'importe quelle forme se ramenant à des transmissions d'un individu à un autre de titres sur des- marchandises, il en résulte que le taux de l'intérêt doit être bas lorsque les marchandises sont abondantes et élevé lorsqu'elles sont rares (3). Lorsque les marchandises affluent en grandes masses, le nombre des vendeurs augmente relativement à celui des acheteurs, et plus la quantité dépasse ce qui est nécessaire pour la consommation, plus le stock à tenir en magasin pour une consommation ultérieure devient considérable. Lorsque pareille situation existe, ceux qui ont des marchandises les vendent à crédit à des conditions plus modérées que s'ils étaient certains de pouvoir les écouler en totalité en quelques semaines. » (4).

En ce qui concerne la proposition 1, il convient de remarquer qu'un afflux considérable de métal précieux peut correspondre à une restriction de la production, ainsi que cela se passe toujours dans la période qui suit immédiatement une crise. Dans la période suivante, le métal précieux peut affluer de pays où il représente une partie importante de la production, alors que l'importation et l'exportation des autres marchandises se balancent habituellement. Pendant ces deux périodes le taux de l'intérêt est bas et n'a qu'une faible tendance à monter, et cette situation peut être expliquée partout sans l'intervention de « grands stocks de toute nature ». D'ailleurs, comment cette intervention se produirait-elle ? Lorsque le coton est à bas prix, le profit du filateur peut être élevé ; pourquoi l'intérêt est-il alors à un taux réduit ? Évidemment pas parce que le profit qu'il est possible de faire avec des capitaux empruntés est élevé ; mais uniquement parce que dans ces circonstances la demande de capital empruntable n'a pas augmenté proportionnellement au profit et que, par conséquent, le mouvement du capital empruntable est différent de celui du capital industriel. Or, l’Economist veut démontrer le contraire ; il désire établir que les mouvements des deux capitaux sont les mêmes.

La supposition de la proposition 2 - un stock suffisant pour alimenter le pays pendant deux ans - est absurde, et si nous voulons la rendre sensée, nous devons supposer simplement un encombrement du marché des marchandises, entraînant une baisse des prix. Une balle de coton coûtera donc moins cher; mais il n'en résultera nullement qu'il sera possible de se procurer à meilleur compte l'argent pour l'acheter. Cette dernière conséquence dépendra de la situation du marché financier, et s'il est possible d'emprunter à un prix moins élevé, c'est que le crédit commercial est dans une situation telle qu'il peut se passer plus facilement du crédit de banque qu'en temps ordinaire. Les marchandises qui encombrent le marché sont des objets de consommation ou des moyens de production. Leur dépréciation augmente le profit du capitaliste industriel. Pourquoi réduirait-elle le taux de l'intérêt, si ce n'est par l'opposition (et non l'identité) entre l'abondance de capital industriel et la demande d'argent ? Les circonstances sont telles que le commerçant et l'industriel ont plus de facilité de se faire crédit mutuellement; l'un et l'autre sont moins obligés d'avoir recours au crédit de banque; il en résulte que le taux de l'intérêt est réduit. Ce bas prix de l'intérêt n'a rien à voir avec l'afflux de métal précieux, bien que les deux phénomènes puissent se produire en même temps et avoir les mêmes causes. Si le marché d'importation était réellement encombré, il faudrait l'attribuer à ce que la demande de marchandises importées aurait diminué, ce qui, étant donnés les bas prix, ne pourrait être expliqué que par une restriction de la production nationale; mais alors celle-ci serait inexplicable en présence de l’importation exagérée à des prix réduits. On invoque donc un tissu d'absurdités pour démontrer que la baisse des prix est égale à la baisse de l'intérêt. Les deux faits peuvent coexister, mais comme expression de l'opposition et non de l'identité des mouvements du capital industriel et du capital empruntable.

La proposition 3, qui dit que le taux de l'intérêt est bas lorsque les marchandises existent en abondance, ne se vérifie pas plus que les précédentes. Les marchandises étant à bas prix, il me faut, pour en acheter une quantité déterminée, 1.000 £ alors qu'il m'en fallait 2.000 précédemment. Mais très probablement je continuerai à avancer 2.000 £, ce qui me permettra d'acheter deux fois plus de marchandises et de donner deux fois plus d'importance à mes affaires. Ma demande sur le marché financier restera donc la même, mais ma demande sur le marché des marchandises augmentera à mesure que les prix diminueront. Si, cependant, la production n'augmentait pas parallèlement à la baisse des prix - ce qui contredirait à toutes les lois de I'Economist - la demande de capital-argent empruntable diminuerait, malgré la hausse du profit, mais celle-ci provoquerait une demande de capital empruntable. Trois causes peuvent déterminer la dépréciation des marchandises. D'abord l'absence de demande; l'intérêt est alors à un taux réduit, parce que la production est paralysée et non parce que les marchandises sont à bas prix, la dépréciation des produits n'étant que l'expression du ralentissement de la production. Ensuite, l'excès de l'offre par rapport à la demande, ce qui peut être déterminé soit par un encombrement du marché précédant un crise, pendant laquelle l'intérêt peut être à un taux élevé, soit par une baisse de la valeur des marchandises. Pourquoi le taux de l'intérêt doit-il baisser dans ce dernier cas ? Est-ce parce que le profit augmente ? S'il baisse parce que moins de capital-argent est nécessaire pour obtenir le même capital productif ou le même capital-marchandise, c'est que le profit et l'intérêt sont en raison inverse l'un de l'autre. Dans tous les cas, la phrase générale de l'Economist est erronée. Le bas prix en argent des marchandises n'est pas nécessairement corrélatif du taux réduit de l’intérêt. Si cette corrélation était inévitable, le taux de l'intérêt devrait être le plus bas dans les pays les plus pauvres, puisque les prix en argent des marchandises y sont les plus bas et il devrait être le plus élevé dans les pays les plus riches où les prix en argent des produits de l'agriculture sont les plus élevés. L'Economist admet d'une manière générale qu'une diminution de la valeur de l'argent n'a aucune répercussion sur le taux de l'intérêt. 100 £ deviennent en une année 105 £; si la valeur des 100 £ diminue, il en de même des 5 £ d'intérêt. Le rapport n'est donc pas affecté par une augmentation ou une diminution de valeur de la somme primitive. La valeur d'une quantité déterminée de marchandise est exprimée par une somme donnée d'argent, laquelle augmente ou diminue suivant que la valeur de la marchandise augmente ou diminue. Si cette valeur est de 2.000, le taux de 5 % donnera 100 ; si elle est de 1.000, le même taux donnera 50. Par conséquent, que le produit soit 100 ou 50, le taux reste 5 %. Il faut évidemment un roulement d'argent plus considérable lorsqu'il faut 2.000 £ au lieu de 1.000 pour acheter la même quantité de marchandise ; mais ce fait montre uniquement que le mouvement du profit est en sens inverse de celui de l'intérêt. En effet, le profit augmente et l'intérêt diminue à mesure que le bas prix des éléments du capital constant et du capital variable s'accentue, bien que l'inverse puisse également se constater et se présente même souvent. C'est ainsi que le coton peut être à bon marché parce que la demande de fil et de tissus est nulle ; il peut être relativement cher parce qu'il est très demandé en présence de profits considérables réalisés dans l'industrie du coton. D'autre part, le profit des filateurs et des tisseurs peut être élevé parce que le prix du coton est bas. Les chiffres de Hubbard démontrent que le mouvement du taux de l'intérêt est absolument indépendant de celui des prix, alors qu'il est absolument adéquat à celui de l'encaisse métallique et du cours du change.

« Donc, dit l'Economist, lorsqu'il y a surabondance de marchandises, le taux de l'intérêt doit être bas. »

C'est absolument le contraire qui se produit dans les crises. Les marchandises sont alors abondantes ; il est impossible de les convertir en argent et le taux de l'intérêt monte. Mais dans une autre phase du cycle la demande de marchandises est considérable et les rentrées d'argent sont faciles ; les prix ont une marche ascendante et le taux de l'intérêt baisse.

« Les marchandises sont-elles rares, le taux de l'intérêt doit être élevé. »

Encore une fois l'inverse se produit dans la période de dépression qui suit une crise. Les marchandises sont rares d'une manière absolue et non relativement à la demande ; le taux de l'intérêt est réduit.

Enfin, la proposition 4, qui dit que lorsque le marché est encombré les marchandises - pour autant qu'on puisse les vendre - sont vendues à meilleur marché que lorsqu'on prévoit pouvoir les écouler rapidement, est assez claire ; ce qui est moins clair, c'est qu'il doive en résulter une baisse du taux de l'intérêt. Lorsque le marché est surchargé de marchandises importées, il se peut très bien que l'intérêt hausse, parce que ceux qui détiennent les marchandises évitent de les vendre et demandent du capital empruntable. L'intérêt baissera si le crédit commercial continue à être accordé assez facilement, pour que le crédit de banque reste relativement moins indispensable.


L'Economist signale qu'en 1847 la hausse du taux de l'intérêt et d'autres troubles du marché financier se répercutèrent rapidement sur le cours du change. Il convient de ne pas perdre de vue que malgré le revirement du cours le drainage de l'or continua jusqu'à fin avril et que les choses ne changèrent d'aspect qu'au commencement de mai.

Le l° janvier 1847, le trésor métallique de la Banque était de 15.066.691 £, l'intérêt était à 3 1/2 %, et les cours du change étaient de 25,75 sur Paris, 13,10 sur Hambourg et 12,3 1/2 sur Amsterdam. Le 5 mars, l'encaisse métallique n'était plus que de 11.595.535 £, le taux de l'escompte atteignait 4 % et les cours du change étaient tombés à 25,67 1/2 sur Paris, 13,9 1/2 sur Hambourg et 12,2 1/2 sur Amsterdam. Le drainage de l'or continuait.

1847 Trésor métallique de la banque d’Angleterre Marché monétaire Cours maxima des 3 mois
      Paris Hambourg Amsterdam
20 mars 11.231.630 £ Escompte bancaire 4 % 25,671 1/2 19,9 3/4 12,2 1/2
3 avril 10.246.410 £ Escompte bancaire 5 % 25,80 13,10 12,3 1/2
10 avril 9.867.053 £ Argent très rare 25,90 13,10 1/2 12,4 1/2
17 avril 9.329.941 £ Escompte bancaire 5 1/2 % 26,02 1/2 13,10 3/4 12,5 1/2
24 avril 9.213.890 £ Lourd 26,05 13,12 12,6
I° mai 9.337.716 £ Plus lourd 26,15 13,12 3/4 12,6 1/2
8 mai 9.588.759 £ Excessivement lourd 26,27 1/2 13,15 1/2 12,7 3/4

En 1847, l'Angleterre exporta 8.602.597 £ de métal précieux, soit 3.226.411 £ aux États-Unis, 2.479.892 en France, 958.781 £ aux villes hanséatiques et 247.743 en Hollande. Bien qu'il y eut un revirement du change dans les derniers jours de mars, le drainage de l'or - probablement par les États-Unis - continua encore un mois.

« Nous voyons ici, dit l'Economist (1847, p. 981) avec quelle rapidité et quelle énergie l’influence de la hausse de l'intérêt et de la crise financière qui en fut la conséquence se fit sentir sur le cours du change et le drainage de l'or, en rendant le premier favorable et en provoquant le reflux du métal précieux vers l'Angleterre. Cette influence fut absolument indépendante de la balance des paiements. La hausse de l'intérêt déprécia les valeurs tant anglaises qu'étrangères qui furent achetées en grande quantité pour compte de l'étranger. Il en résulta une augmentation des traites tirées par l'Angleterre, mais en même temps une diminution de la demande de ces traites, par suite de la difficulté de se procurer de l'argent en présence de la hausse de l'intérêt. La même cause eut pour effet de faire annuler des commandes de marchandises passées à l'étranger et de faire rentrer en Angleterre des capitaux engages dans des entreprises en dehors du pays. C'est ainsi que nous lisons dans le Rio de Janeiro Prices Current du 10 mai : « Le cours du change (sur l'Angleterre) a subi un nouveau recul, dû en grande partie à ce que le marché a été influencé par la vente pour compte de l'Angleterre de fonds de l'État brésilien. »

Du capital anglais qui avait servi à acheter différentes valeurs lorsque le taux de l’intérêt était ici très bas rentra dans le pays lorsque ce taux haussa.

La balance du commerce anglais

A elle seule l'Inde doit payer un tribut de 5 millions pour le « bon gouvernement », les intérêts et les dividendes des capitaux anglais, sans compter les sommes provenant des économies des fonctionnaires et des profits des commerçants qu'elle envoie et place annuellement en Angleterre. De même, chaque colonie anglaise doit faire continuellement de fortes remises à la mère-patrie. La plupart des banques de l'Australie, des Indes occidentales, du Canada fonctionnent avec des capitaux anglais et ont des dividendes à payer en Angleterre. Celle-ci possède en outre des fonds d'État de presque tous les pays de l'Europe et de l'Amérique, dont elle doit toucher les intérêts, et des actions de chemins de fer, de canaux, de mines de ces mêmes pays, qui lui rapportent des dividendes. Les remises pour tous ces postes ajoutées à celles correspondant à l'exportation anglaise se font presqu'exclusivement en produits et elles dépassent de loin ce que l'Angleterre doit remettre à l'étranger pour payer des intérêts ou des dividendes à ceux qui possèdent des valeurs anglaises et solder les dépenses des anglais hors de leur pays.

La question de la balance du commerce et du cours du change est

« à chaque instant une question de temps. Ordinairement... l'Angleterre accorde du crédit à long terme pour ses exportations et paie ses importations au comptant. A certains moments cette différence dans l'usance [8] a une influence marquée sur le cours du change. Aux époques, comme en 1850, où nos exportations aug­mentent dans une mesure considérable, il faut une exten­sion ininterrompue des placements de capitaux anglais... alors il est possible de faire en 1850 des remises pour des marchandises exportées en 1849. Mais si les exportations de 1850 dépassent de 5 millions celles de 1849, cette situa­tion doit avoir comme conséquence pratique que pendant cette année le pays envoie à l'étranger 6 millions d'argent de plus qu'il n'en reçoit ; d'où une influence sur les cours du change et le taux de l'intérêt. Au contraire, dès qu'une crise vient déprimer nos affaires et réduire notre exporta­tion, les remises pour les exportations plus considérables des années précédentes dépassent de loin la valeur de nos importations ; les cours se modifient alors en notre faveur, le capital s’accumule dans le pays et le taux de l'intérêt baisse. » (Economist, 11 janvier 1851.)

Le cours du change étranger peut être modifié :

par la balance des paiements, quelle que soit la cause qui la détermine, que celle-ci ait une origine purement commerciale, qu'elle soit dûe à des placements de capitaux à l'étranger ou qu'elle résulte de dépenses de l'Etat nécessitant, en cas de guerre par exemple, des paiements en espèces à l'étranger ;

par la dépréciation de la monnaie - de métal ou de papier - dans un pays, ce qui conduit à une modification purement nominale : si une £ ne représente aujourd'hui que la moitié de l'argent qu'elle représentait antérieurement, elle sera comptée à 12,50 francs au lieu de 25 ;

3°par la variation du rapport entre la valeur de l'or et celle de l'argent, quand il s'agit du cours entre deux pays dont l'un a l'étalon d'or et l'autre l'étalon d'argent.

C'est ainsi qu'en 1850, la valeur de l'argent ayant momentanément augmenté par rapport à celle de l'or, les cours furent défavorables à l'Angleterre, bien qu'il y eut une augmentation énorme de son exportation ; malgré cette situation l'or anglais ne fut pas exporté. (Voir I'Economist du 30 novembre 1857.)

Le cours du change est au pair quand 1 £ vaut fr. 25,20 à Paris, 11 florins 97 cents à Amsterdam et que 10 1/2 sh. valent 13 marks en argent à Hambourg. A mesure que le cours du change sur Paris s'élève au-dessus de fr. 25,20, il devient plus favorable aux anglais qui doivent de l'argent en France et aux acheteurs de marchandises françaises ; moins de livres sterling sont nécessaires pour acquitter la dette. Dans les pays éloignés où il n'est pas facile de se procurer du métal précieux, la rareté ou l'insuffisance des traites pour les remises à faire en Angleterre a pour effet de pousser à la hausse des prix des marchandises qui sont habituellement exportées dans le Royaume-Uni; ces marchandises - tel est le cas dans l'Inde - tiennent alors lieu de traites.

Un cours défavorable du change et même un drainage de l'or peuvent se produire lorsque le métal précieux est surabondant en Angleterre, le taux de l'intérêt réduit et le prix des papiers-valeurs élevé.

Pendant l'année 1848, l'Inde envoya de grandes quantités d'argent en Angleterre, parce que les bonnes traites étaient rares et que les traites à moitié bonnes étaient reçues avec difficulté, à cause de la crise de 1847 et du peu de confiance dans les affaires indiennes. A peine arrivé, cet argent prit le chemin du continent où la révolution provoquait la thésaurisation dans tous les coins. En 1850, il fut en grande partie réexpédié vers l'Inde, le cours du change rendant cette opération lucrative.

Le système de la monnaie est essentiellement catholique, celui du crédit essentiellement protestant. «The Scotch hate gold. » La marchandise, lorsqu'elle est représentée par la monnaie de papier, a une existence purement sociale. C'est la foi qui sauve : la foi en la valeur monétaire considérée comme l'âme de la marchandise, la foi dans le système de production et son ordonnance prédestinée, la foi dans les agents de la production personnifiant le capital ayant le pouvoir d'augmenter par lui-même sa valeur. Mais, de même que le protestantisme ne s'émancipe guère des fondements du catholicisme, de même le système du crédit ne s'élève pas au-dessus de la base du système de la monnaie.


Notes

[1] La déposition de W. Newmarch indique quelle fut l'influence de cette arrivée de l'or sur le marché financier :

« 1509. Vers la fin de 1853 le public fut vivement impressionné. En septembre, la Banque d'Angleterre haussa trois fois de suite le taux de l'escompte et dans les premiers jours d'octobre, le public se montra très inquiet et alarmé.

Cette inquiétude disparut en grande partie à la fin de novembre et s'effaça complètement après que 5 millions de métal précieux furent arrivés d'Australie. Le même fait se renouvela pendant l'automne de l'année 1854, lorsqu'environ 6 millions furent importés en octobre et en novembre, et il en fut encore ainsi en automne 1855, qui fut, ainsi qu'on le sait, une période d'émotion et d'incertitude qui revint au calme après que les mois de septembre, d'octobre et de novembre eurent vu affluer environ 8 millions de métal précieux. Enfin, le même événement fut constaté à la fin de 1856. L'expérience de chacun des membres de la Commission le conduira, je n'en doute pas, à dire avec moi que nous sommes maintenant habitués à attendre, dans toute crise financière, le salut naturel et complet de l'arrivée d'un navire chargé d'or. »

[2] D'après Newmarch, trois causes peuvent déterminer une exportation d'or. Celle-ci peut se produire : 1° lorsque les importations ont dépassé les exportations, ce qui fut le cas de 1836 à 1844 et encore en 1847, lorsqu'il y eut de fortes importations de céréales; 2° lorsque des capitaux anglais sont engagés dans des entreprises à l'étranger, comme en 1857, lors de la construction de chemins de fer aux Indes ; 3° lorsque des dépenses doivent être faites définitivement à l'étranger, comme en 1853 et 1854, lorsqu'il fallut faire face aux dépenses de la guerre en Orient.

[3] 1918. Newmarch. Lorsque vous considérez l'Inde et la Chine d'une part et que vons envisagez ensuite les transactions entre l'Inde et l'Australie et celles plus importantes encore la Chine et les États-Unis, le schéma des affaires forme un triangle dans lequel l'Angleterre est le point où la liquidation des paiements doit se faire et vous verrez que la balance du commerce devait être défavorable, non seulement à l'Angleterre, mais aussi à la France et aux États-Unis. (C. B. 1857.)

[4] Que l'on considère, par exemple, la réponse ridicule de Weguelin, lorsque, signalant la sortie de 5 millions d'or comme la disparition d'autant de capital, il a la prétention d'expliquer des phénomènes qui ne se produisent pas lorsque le véritable capital industriel est soumis à des fluctuations infiniment plus considérables; réponse qui n'est pas moins ridicule lorsqu'elle essaie de faire de ces phénomènes les symptômes d'une expansion on d'une contraction des éléments matériels du capital.

[5] Newmarch (C. B. 4857) : « 1364. La réserve métallique de la Banque d'Angleterre est en réalité la réserve centrale ou le trésor métallique central servant de base à toutes les affaires du pays; elle est pour ainsi dire le pivot sur lequel tourne tout le commerce de la nation. Toutes les autres banques du pays considèrent la Banque d'Angleterre comme le réservoir qui doit les alimenter de monnaie métallique, et c'est sur ce réservoir que se rejette toute l'action des variations des cours avec l'étranger. »

[6] « Tooke et Loyd sont d'accord pour dire qu'en pratique il faut combattre une demande exagérée d'or en réduisant préventivement le crédit par la hausse du taux de l'intérêt et la diminution des avances de capital. Seulement l'illusion de Loyd peut donner lieu à des dispositions (légales) vexatoires et même dangereuses. » (Economist, 1847, p. 1417.)

[7] « Vous êtes absolument d'avis que la hausse du taux de l'intérêt est le seul moyen d'agir sur la demande d'or ? - Chapman (associé de la firme des billbrokers Overend Gurney et Co) : Tel est mon avis. Lorsque la diminution de notre or atteint un certain niveau, le mieux que nous ayons à faire c'est de sonner la cloche d'alarme et de dire : Nous sommes en décadence ; que celui qui désire envoyer de l'or à l'étranger, le fasse à ses risques et périls. » - C. B. 1857, Evid. n° 5057.

[8] Dans les coutumes. (NdT)


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