1978
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"Le titre du livre synthétise ma position :
à la place de la démocratie socialiste et de la dictature du
prolétariat du SU, je suis revenu aux sources, ai tenté de faire
revivre la vieille formule marxiste, tant de fois reprise par
Trotsky, de dictature révolutionnaire. Dit d'une autre manière, une
dictature pour développer la révolution, et non pour produire de la
"démocratie socialiste" immédiatement."
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Nahuel Moreno
La dictature révolutionnaire du prolétariat
I. Un programme de "liberté
politique illimité" pour le Shah ou
un programme pour l'écraser sans pitié ?
2. Une guerre civile soumise à un code pénal rigoureux et
ultra-libéral
La majorité du SU n'est pas moins démocratique et
libérale avec la contre-révolution lorsque cette dernière se soulève en armes
contre la dictature du prolétariat. Indubitablement, cette étape est celle
pour laquelle le document souligne qu'il est nécessaire de faire certaines
entorses aux "libertés politiques illimitées" dont doivent bénéficier les
contre-révolutionnaires. Mais ces entorses seront prudentes, juridiques, et
d'un libéralisme surprenant : "Il est donc nécessaire
d'insister sur le fait que l'emploi de moyens d'autodéfense répressifs de la
part du prolétariat et de son Etat contre des tentatives de renverser le
pouvoir des travailleurs par la violence, doit être strictement circonscrit à
des crimes et actes prouvés, soit strictement séparé du domaine des activités
idéologiques, politiques et culturelles. Cela signifie en outre que la
IV° Internationale se prononce pour la défense et l'extension des conquêtes
les plus progressistes des révolutions démocratiques bourgeoises dans le
domaine du code pénal et de la justice, et lutte pour leur incorporation dans
la constitution et le code pénal socialistes. Cela concerne des droits
comme : a) La nécessité de la loi écrite et le non-recours
au concept de délinquance rétroactive. L'accusation doit apporter la
preuve du délit ; l'accusé est censé être innocent jusqu'à ce
que cette preuve soit apportée. b) Les droits pleins et entiers de tous les
individus pour déterminer leur propre défense. Immunité pleine et entière des
avocats pour toute déclaration ou type de défense suivie au cours d'un
procès. c) Le rejet de tout concept de responsabilité collective de
groupes sociaux, de familles, etc. (...). e) L'extension et
la généralisation des procès publics devant jurys. f) L'élection démocratique
de tous les juges, avec droit de révocation de tous les élus au gré des
électeurs." ( SU, 1977) [4].
Il est nécessaire de rappeler que la majorité du SU ne se réfère pas ici
au code soviétique idéal, à celui de l'époque où la dictature du prolétariat
commence à cesser d'être nécessaire, mais à celui du moment culminant de la
dictature révolutionnaire, quand une guerre mortelle est en cours avec la
contre-révolution. Et c'est pour ce moment crucial qu'elle exige que ces
normes pénales ultra-libérales soient strictement appliquées.
Comment se manifeste sur ce point l'artifice révisionniste du SU ?
Le document fait une analogie historique, non seulement équivoque,
mais aussi inédite.
Jusqu'à présent les marxistes ont toujours comparé la dictature du
prolétariat, principalement quand il y a guerre civile, avec les dictatures
de Cromwell et Robespierre, et jamais avec l'étape d'élaboration des codes
pénaux bourgeois les plus progressistes, quand les têtes étaient déjà
tombées. La majorité du SU oublie de dire que ces codes pénaux ont été
rédigés bien après que la bourgeoisie ait réussi à imposer sa dictature,
et non pendant la guerre civile contre l'absolutisme et le féodalisme.
Trotsky disait il y a de nombreuses années :
"S'il faut comparer Lénine à quelqu'un, ce n'est pas à Bonaparte,
c'est d'autant moins à Mussolini, c'est à Cromwell et à Robespierre. On est
assez en droit de voir en Lénine le Cromwell prolétarien du XX° siècle. Cette
définition sera l'apologie la plus haute du Cromwell petit-bourgeois du XVII°
siècle." (Trotsky, 1926) [5].
"Cromwell fut en son temps un grand révolutionnaire
et sut défendre, sans s'arrêter devant rien, les intérêts de la
nouvelle société bourgeoise contre l'ancienne société aristocratique." (Idem)
[6].
"Les analogies historiques exigent la plus grande
prudence, surtout quand il s'agit du XVII et du XX° siècles ; on
ne peut pourtant pas n'être pas étonné de certains traits de ressemblance
frappante entre les moeurs et le caractère de l'armée de Cromwell et de
l'Armée Rouge." (Idem) [7]. Se référant aux
futurs organes représentatifs de la révolution ouvrière anglaise, il
assurait : "Elle aura d'autant plus de succès qu'elle aura mieux
assimilé les leçons de l'époque de Cromwell".
Et résumant le rôle du droit pénal et constitutionnel
sous les dictatures révolutionnaires, il disait que le prolétariat
anglais : "... se convaincra par l'expérience de la
Révolution anglaise, du rôle subalterne, auxiliaire et conventionnel du droit
dans la mécanique des luttes sociales, surtout aux époques révolutionnaires,
lorsque les intérêts fondamentaux des classes fondamentales de la société
sont en jeu." (Idem) [8]. Et Trotsky comparait
expressément les premières années de la dictature de Lénine avec celle de
Robespierre : "Les mesures de terreur appliquées pendant la
période initiale, et ainsi dénommée "jacobine", de la révolution, furent
imposées par les nécessités de fer de l'autodéfense" (Trotsky, 1935) [9].