1978
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"Le titre du livre synthétise ma position :
à la place de la démocratie socialiste et de la dictature du
prolétariat du SU, je suis revenu aux sources, ai tenté de faire
revivre la vieille formule marxiste, tant de fois reprise par
Trotsky, de dictature révolutionnaire. Dit d'une autre manière, une
dictature pour développer la révolution, et non pour produire de la
"démocratie socialiste" immédiatement."
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Nahuel Moreno
La dictature révolutionnaire du prolétariat
III. Démocratie bourgeoise ou
démocratie ouvrière ?
4. Trotsky sur les syndicats anglais.
Trotsky s'exprime très clairement là-dessus, dans un texte pratiquement
oublié par le SU. Ce fut à propos d'une loi de 1913, qui autorisait les
syndicats anglais à établir des cotisations politiques pour leurs adhérents,
en faveur du parti Travailliste. Cette loi reconnaissait le droit de refuser
de les payer, interdisant à la direction du syndicat d'exclure ou de
sanctionner ceux qui les faisaient. Dans Où va l'Angleterre
?, Trotsky cite un article du Times du 6 mars 1925, selon
lequel dix pour cent des ouvriers syndiqués faisaient utilisation de ce
droit. Les syndicats parvinrent à faire voter en assemblée l'obligation de
verser cette cotisation politique, ce qui provoqua une grande discussion au
parlement et dans la vie politique anglaise. Les syndicats défendirent le
droit d'imposer des cotisations politiques obligatoires, la Chambre des Lords
en vota l'interdiction, et la Chambre des Communes arbitra, autorisant les
syndicats à fixer des cotisations politiques, et les ouvriers qui ne
désiraient pas cotiser au parti Travailliste à ne pas la faire.
Trotsky accusa durement la direction Travailliste, pour s'être soumise à
la décision de la Chambre des Communes, et signala que ces positions étaient
un exemple surprenant de comment "apprécier les tâches fondamentales du
mouvement ouvrier et fixer ses limites depuis le point de vue formel et au
fond purement juridique de la démocratie", exigeant quant à lui que les
syndicats et le parti Travailliste poussent à l'extrême les mesures
coercitives et dictatoriales contre ces dix pour cent du prolétariat
britannique qui se refusaient à cotiser au parti ouvrier.
Il présenta cette position comme le meilleur exemple de la manière dont
agirait la dictature du prolétariat. Trotsky disait dans son
argumentation :
"Les frais d'élection d'un député au Parlement représentent pour la
trade-union une dépense tout aussi légitime, nécessaire et obligatoire que
les frais d'entretien d'un secrétaire. Sans doute, le membre libéral ou
conservateur d'une trade-union peut-il dire : "Je paye avec
régularité ma cotisation habituelle de syndiqué, mais je me refuse à payer
celle du Labour Party, mes convictions politiques m'obligeant à voter pour un
libéral (ou un conservateur)."A quoi le représentant de la trade-union
pourrait répondre : "Quand nous luttons pour l'amélioration de
nos conditions de travail - et c'est le but de notre
organisation - nous avons besoin de l'appui d'un parti ouvrier,
de sa presse, de ses députés ; or, le parti pour lequel tu votes
(libéral ou conservateur) s'en prend toujours à nous, en pareil cas,
s'efforce de nous compromettre, s'efforce de semer parmi nous la discorde, ou
d'organiser contre nous des briseurs de grève. Nous n'avons pas besoin de
membres qui soutiennent les briseurs de grève."
De sorte que ce qui est, du point de vue de la démocratie
capitaliste, liberté individuelle, révèle du point de vue de la démocratie
prolétarienne, liberté politique de briser les grèves. Le rabais de 10%
obtenu par la bourgeoisie n'est pas une chose innocente. Il signifie que,
dans l'effectif des trade-unions, un homme sur dix est un ennemi politique,
c'est-à-dire un ennemi de classe. Certes, on réussira peut-être à conquérir
une partie de cette minorité. Mais le reste peut, en cas de lutte vive,
constituer, entre les mains de la bourgeoisie, une arme précieuse contre les
ouvriers. La lutte contre la brèche ouverte par l'acte parlementaire de 1913
dans la muraille des trade-unions est donc à l'avenir tout à fait
inévitable.
"De façon générale, nous sommes, marxistes, de l'avis que
tout ouvrier honnête, non taré, peut être syndiqué, quelque soient ses
opinions politiques, religieuses et autres. Nous considérons les syndicats
d'une part, comme des organisations économiques de combat, et de l'autre,
comme des écoles d'éducation politique. Préconisant, en règle générale,
l'admission au syndicat des ouvriers arriérés et inconscients, nous ne nous
inspirons pas du principe abstrait de la liberté d'opinion ou de la
liberté de conscience, mais de considérations de finalité
révolutionnaire. Elles nous disent d'ailleurs aussi qu'en Angleterre,
où 90% des ouvriers syndiqués payent des cotisations politiques, les uns
consciemment, les autres par esprit de solidarité, et où seulement 10% des
syndiqués osent défier au grand jour le Labour Party, il faut
entreprendre contre ces dix pour cent là une action systématique. Il faut les
amener à se rendre compte qu'ils sont des apostats ;
il faut assurer aux trade-unions le droit de les exclure
au même titre que les briseurs de grève. Si, pour finir, un citoyen
abstrait a le droit de voter pour n'importe quel parti, les
organisations ouvrières ont aussi le droit de ne pas admettre en leur sein
des citoyens dont la conduite politique est hostile aux intérêts de la classe
ouvrière. La lutte des syndicats, tendant à fermer les portes des fabriques
aux non-syndiqués, est depuis longtemps connue comme une manifestation du
terrorisme ouvrier ou, comme on dit aujourd'hui, du bolchevisme. En
Angleterre, justement, on peut et on doit appliquer ces méthodes d'action au
Labour Party, qui a grandi comme la continuation directe des trade-unions".
(Trotsky, 1926) [6]. Et décrivant les
différences entre les secteurs ouvriers petit-bourgeois, dans les petites
industries arriérées, et les secteurs dotés d'une véritable conscience de
classe, qui se trouvent dans "les nouvelles industries, plus modernes", il
disait que dans ceux-là "la solidarité de classe règne, et la discipline
prolétarienne, qui semblent aux capitalistes et à leurs serviteurs, rejetons
de la classe ouvrière, une sorte de terreur." (Idem) [7], et c'est précisément là, il n'est pas
nécessaire d'expliquer pourquoi, où l'on imposait que tous les ouvrier
cotisent au parti Travailliste.
Et Trotsky acceptait la dénonciation d'un réactionnaire,
qui mettait un trait d'égalité entre cette dictature syndicale et la
dictature bolchévique. Il disait que "Cobden déclara jadis qu'il eût préféré
vivre sous le pouvoir du dey d'Alger que sous celui des trade-unions. Cobden
exprimait ainsi sot indignation libérale contre la tyrannie "bolchévique"
dont les germes se trouvent dans la nature même des trade-unions. Cobden
avait raison, - à sa façon -". (Trotsky, 1924) [8].
Dans Où va l'Angleterre
?, Trotsky cite longuement Lafargue, le définissant comme un
des auteurs marxistes ayant le mieux compris, à l'époque de Marx, le
caractère de la dictature du prolétariat depuis la Commune de Paris. Une
citation de Lafargue, approuvés par Trotsky, se rapporte à la politique de la
dictature du prolétariat par rapport aux partis réactionnaires. Elle est
suffisamment explicite : "Quand seront établies les institutions
révolutionnaires locales, elles devront organiser, par voie de délégation, un
pouvoir central auquel incombera le devoir de prendre les mesures générales
commandées par l'intérêt de la Révolution et de s'opposer à la
formation d'un parti réactionnaire." Trotsky termine son commentaire
sur Lafargue et disant qu'il "ne fut pas le seul partisan de la
dictature de classe opposée à la démocratie." (idem.) [9]. Dire que la majorité du SU se dit
trotskyste, et avance pour la dictature du prolétariat la liberté la plus
absolue pour les réactionnaires et leurs partis !
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