1978

"Le titre du livre synthétise ma position : à la place de la démocratie socialiste et de la dictature du prolétariat du SU, je suis revenu aux sources, ai tenté de faire revivre la vieille formule marxiste, tant de fois reprise par Trotsky, de dictature révolutionnaire. Dit d'une autre manière, une dictature pour développer la révolution, et non pour produire de la "démocratie socialiste" immédiatement."


Nahuel Moreno

La dictature révolutionnaire du prolétariat


IX. Construction socialiste dans un seul pays ou
révolution socialiste internationale ?


6. L'analyse de Trotsky pour l'URSS.

Prenant comme point de référence l'existence de l'impérialisme et le développement des forces productives, Trotsky applique son analyse à l'URSS.

"Le prolétariat d'Union Soviétique est la classe dirigeante dans un pays arriéré où les besoins vitaux ne sont pas encore satisfaits. Le prolétariat d'Union Soviétique ne gouverne que la douzième partie de l'humanité. L'impérialisme gouverne les onze parties restantes. Le gouvernement du prolétariat, déjà affaibli par la pauvreté et l'arriération du pays, est deux et trois fois plus déformé par la pression de l'impérialisme. L'organe du gouvernement du prolétariat - l'état - se transforme en organisme de pression de l'impérialisme (la diplomatie, l'armée, le commerce extérieur, les idées et les coutumes)." (1937) [13].

Et plus encore : "La progression des forces productives, c'est-à-dire la véritable progression socialiste, n'interviendra chez nous qu'après la victoire du prolétariat dans les pays avancés d'Europe...". Avec ces paroles de Boukharine, que Trotsky reprenait à son compte, était synthétisée une partie importante de la pensée marxiste déjà enrichie par les enseignements de la Révolution Russe. Comme Trotsky lui-même le signalait, c'était "précisément la phrase qui est à la base de tous les actes d'accusation lancés contre le "trotskysme" (entre autres lors du VII° plénum du Comité exécutif de l'Internationale Communiste)", de la part du stalinisme. (1928) [14].

Et c'est précisément cette infériorité économique qui est la cause fondamentale de l'apparition de la bureaucratie, qui caractérise tous les états ouvriers actuels.

"Le régime soviétique a incontestablement eu dans sa première période un caractère beaucoup plus égalitaire et moins bureaucratique qu'aujourd'hui. Mais son égalité était celle de la misère commune." "L'autorité bureaucratique a pour base la pauvreté en articles de consommation et la lutte contre tout qui en résulte. Quand il y a assez de marchandises au magasin, les chalands peuvent venir à tout moment. Quand il y a peu de marchandises, les acheteurs sont obligés de faire la queue à la porte. Sitôt que la queue devient très longue, la présence d'un agent de police s'impose pour le maintien de l'ordre. Tel est le point de départ de la bureaucratie soviétique. Elle "sait" à qui donner et qui doit patienter." (Trotsky, 1936) [15].

Et, bien qu'à première vue, il semblerait que l'amélioration de la situation matérielle et culturelle dans le cadre de ses propres frontières dusse amener la disparition progressive de cette bureaucratie, il se produit le contraire : "L'accroissement des forces productives s'est accompagné jusqu'ici d'un développement extrême de toutes les formes de l'inégalité et des privilèges, et aussi de la bureaucratie". En effet malgré les progrès réalisés "l'état actuel de la production est encore très loin d'assurer à tous le nécessaire", "mais il permet déjà d'accorder des avantages importants à la minorité et de faire de l'inégalité un aiguillon pour la majorité". (Idem) [16].

La bureaucratie "surgit tout au début comme l'organe bourgeois de la classe ouvrière", comme produit des besoins de la société enfermée et encerclée par l'impérialisme. Mais "en dépassant de beaucoup sa fonction sociale nécessaire", elle "devient un facteur autonome et en même temps la source de grands dangers pour tout l'organisme social". "La pauvreté et l'inculture des masses se concrétisent (...) sous les formes menaçantes d'un chef orné d'un puissant gourdin". Dans l'étroitesse des frontières de ses états nationaux, la bureaucratie, "de servante de la société, (est) devenue maîtresse". (Idem) [17].

Mais si au lieu de Staline, avec son programme de socialisme dans un seul pays, c'est l'opposition trotskyste, avec sa politique de développement de la révolution permanente, qui avait triomphé, même dans ces conditions le renforcement de la dictature du prolétariat se serait pleinement justifié, jusqu'à la déroute de l'impérialisme et la suppression des frontières nationales, permettant l'expansion des forces productives au niveau mondial. "En termes objectifs : la société soviétique actuelle ne peut pas se passer de l'Etat et même - dans une certaine mesure - de la bureaucratie." Parce que "ce ne sont pas les misérables restes du passé mais les puissantes tendances du présent qui créent cette situation. La justification de l'Etat soviétique, considéré comme un mécanisme de contrainte, c'est que la période transitoire actuelle est encore pleine de contradictions sociales qui, dans le domaine de la consommation (souligné dans l'original) - le plus familier et le plus sensible à tout le monde - revêtent un caractère extrêmement grave, menaçant à tout moment de se faire jour dans le domaine de la production. La victoire du socialisme ne peut dès lors être dite ni définitive ni assurée." (Idem) [18].


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