1973 |
"L'erreur de la stratégie de l'entrisme « sui generis » a eu des conséquences tragiques en Bolivie en 52-55 et en Argentine en 55 ; la stratégie pour dix ans du contrôle ouvrier manifeste ses terribles dangers potentiels dans l'interprétation faite par le camarade Mandel de la grève générale de mai 68 et dans l'orientation que, selon lui, il aurait fallu appliquer." |
Un document scandaleux
VII. Des éléments révisionnistes dans les conceptions du camarade Germain
3. Germain remet en cause la révolution permanente dans les pays avancés.
La théorie-programme de la révolution permanente est l'axe du Programme de transition. Elle est liée à la mobilisation du mouvement des masses et à nos objectifs marxistes révolutionnaires par rapport à elle. Nous pouvons formuler cette théorie-programme d'une manière très simple : mobiliser les masses d'une manière permanente au moins jusqu'à l'instauration d'une société socialiste internationale et la destruction définitive de tout vestige de la société de classe dans tous les domaines de la vie sociale. C'est la plus grande expression de notre politique, car notre objectif suprême est la mobilisation permanente du mouvement des masses.
Cette définition si simple a un « défaut » pour le camarade Germain: elle prend comme point de référence la lutte de classes et le rôle de nos partis ; elle exprime comment doivent intervenir nos partis dans la lutte de classes pour diriger la mobilisation ininterrompue des masses vers le triomphe définitif de la révolution socialiste. Le camarade Germain a une définition plus « scientifique », « professorale ». D'abord, il change son nom, au. lieu de théorie, thèse ou programme - comme nous la nommons traditionnellement dans le mouvement trotskyste - il dit « formule ». Ensuite, il pense que la révolution permanente s'applique aux pays arriérés mais pas aux pays avancés.
« la notion totale d'application de la formule de la révolution permanente aux pays impérialistes est extrêmement douteuse et ce dans le meilleur des cas. Elle ne peut être faite qu'avec la plus complète circonspection et d'une manière analogique. » (Germain, document cité, p.84).
La raison donnée par le camarade Germain pour expliquer une telle affirmation est très simple. Dans tous les pays du monde existent des tâches démocratiques et transitoires, mais combinées de différentes manières. Là où le poids des tâches démocratiques est plus grand que celui des tâches transitoires, c'est-à-dire dans les pays arriérés, la révolution permanente s'applique. Là où le plus grand poids est celui des tâches transitoires, c'est-à-dire dans les pays impérialistes, elle ne s'applique pas.
Le camarade Germain a élaboré une véritable table de Mendeléiev pour les différents types de formule à appliquer dans les différents pays, mais cette table est incomplète : un plus grand poids des tâches démocratiques = révolution permanente ; un plus grand poids des tâches transitoires = ? (nous savons une seule chose : « il est extrêmement douteux que la révolution permanente s 'y applique »).
Donc, si la révolution dans les pays avancés n'est pas régie par la formule de la révolution permanente, par quelle formule l'est-elle ? Quelle est celle qu'applique Germain ? La formule de la révolution socialiste peut-être ? Mais cette formule de la révolution socialiste internationale c'est précisément la formule de la révolution permanente. Ou bien y en a-t-il une autre que le camarade Germain a découverte et dont il est trop modeste pour nous faire part ? La combinaison des tâches démocratiques et transitoires dans la mobilisation des masses des pays impérialistes correspond à quelle formule, camarade Germain ? Peut-il nous donner son nom ? Ou, s'il s'agit d'une découverte récente, encore sans nom, le camarade Germain aurait-il la bonté d'expliquer à tous les camarades de l'Internationale en quoi elle consiste ?
Le camarade Germain explique sa conception d'une manière un tant soit peu curieuse :
« Mais ce serait du sophisme de tirer la conclusion qu'il n'existe pas de différences qualitatives entre les tâches combinées posées à la révolution dans les pays impérialistes et celles posées dans les pays coloniaux et semi-coloniaux, simplement du fait incontestable que certaines tâches de la révolution démocratique bourgeoise restent sans solution dans la majeure partie des nations impérialistes avancées, ou s'y posent de nouveau, tandis que les tâches fondamentales de la révolution restent sans solution (ou seulement résolues misérablement et incomplètement) dans les pays coloniaux et semi-coloniaux. Trotsky souligne dans le Programme de transition que : « Le poids relatif des revendications individuelles et démocratiques dans la lutte prolétarienne, leurs relations réciproques et leur ordre de présentation, tout cela est déterminé par les conditions particulières et spécifiques de chaque pays arriéré et, dans une considérable mesure, par le degré de leur arriération » ». (idem, p.84).
Personne ne nie qu'il y ait des « différences qualitatives » dans les rapports réciproques et l'ordre de présentation - c'est-à-dire la combinaison concrète - des mots d'ordre démocratiques et transitoires entre les différents pays. Et nous pouvons même dire que les tâches démocratiques ont plus de poids dans un pays arriéré et que les tâches transitoires ont généralement plus de poids dans un pays avancé. Nous pouvons même définir cette différence qualitative en disant que, dans un pays arriéré est posée essentiellement une révolution démocratique-bourgeoise qui devient socialiste, et que dans un pays avancé c'est la révolution socialiste qui mènera jusqu'au bout les tâches démocratiques importantes et fondamentales Mais dire cela est déjà dangereux car, en vérité, ce qui est posé dans les pays avancés comme arriérés, c'est, de par sa dynamique de classe (c’est-à-dire, de par la classe que la mènera à bien en prenant le pouvoir), une révolution socialiste, qui achèvera d'importantes tâches démocratiques bourgeoises.
Nous pouvons le dire ainsi, et c'est ce que fait le camarade Germain. Mais ce que nous ne pouvons pas faire, c'est en tirer la conclusion, comme le fait le camarade Germain, que cela démontre que dans les pays avancés la formule de la révolution permanente ne s'applique pas. Nous ne pouvons pas le faire, car cette formule ne concerne pas le poids relatif des tâches démocratiques dans le processus révolutionnaire d'un pays déterminé, mais quelque chose de beaucoup plus simple : elle concerne le caractère que doit avoir la mobilisation des masses à cette étape de transition au socialisme. Ceux qui défendent la révolution permanente soutiennent qu'elle est internationale et permanente, ceux qui ne la défendent pas soutiennent qu'elle est nationale ou régionale ou par étapes.
De la différence qualitative qui apparaît entre les combinaisons de mots d'ordre selon les pays, le camarade Germain tire la conclusion que cette différence qualitative est l'essence de la révolution permanente. En réalité, il met en pièces la loi de la révolution permanente, la débitant en parties nationales, régionales, car non seulement il existe des différences qualitatives dans la combinaison des tâches posées en Uruguay et celles des colonies portugaises (deux pays arriérés) mais il y en a également entre l'Allemagne et les Etats-unis (deux pays avancés).
En définitive, Germain considère la révolution permanente comme le programme de la révolution nationale et démocratique dans les pays arriérés. Il ne la considère pas comme ce qu'elle est: la loi et le programme de la révolution mondiale jusqu'à l'instauration du socialisme dans le monde, dont le niveau national n’est qu’une partie subordonnée.
Ce n'est pas un hasard s'il croit qu'il y a des pays où elle ne s'applique pas, tandis que Trotsky soutient le contraire :
« La théorie de la révolution permanente exige aujourd'hui la plus grande attention de la part de tout marxiste, car le cours de la lutte de classes et de la lutte idéologique a enfin mis totalement à l'ordre du jour cette question... et l'a transformée en la question du caractère des relations internes et des méthodes de la révolution internationale en général. » « La révolution socialiste commence dans l'arène nationale, se développe dans l'arène internationale et s'achève dans l'arène mondiale. Par conséquent, la révolution socialiste devient une révolution permanente dans le sens le plus nouveau et le plus ample du terme: elle ne s'achèvera qu'avec la victoire finale de la nouvelle société dans toute la planète. » (Trotsky : "The Permanent Revolution", Pathfinder 1972, p.276 et 279).
Comme la confusion sur la théorie de la révolution permanente n'a pas commencée et ne se terminera pas avec Germain, Trotsky s'est chargé lui-même de la préciser :
« Pour dissiper le chaos qui s'est effectué autour de la théorie de la révolution permanente, il faut distinguer trois lignes de pensée qui sont unies dans cette théorie :
« Premièrement, elle englobe le problème de la transition de la révolution démocratique à la révolution socialiste, et c'est l'essence de l'origine historique de la théorie. La théorie de la révolution permanente, qui a pris naissance en 1905, a déclaré la guerre aux idées et aux méthodes du marxisme vulgaire qui considérait la démocratie et le socialisme comme deux étapes historiques distinctes. Elle a montré que les tâches démocratiques dans les nations bourgeoises arriérées conduisent directement, à notre époque, à la dictature du prolétariat, et que la dictature du prolétariat met les tâches socialistes à l'ordre du jour. C'est là la ligne centrale de la théorie. Alors que la vision traditionnelle était que la voie vers la dictature du prolétariat passait par une longue période de démocratie, la théorie de la révolution permanente a établi le fait que pour les pays arriérés la voie de la démocratie passait par la dictature du prolétariat. Ainsi, la démocratie n'est pas un régime qui reste auto-suffisant pendant des décennies, mais le prélude direct de
la révolution socialiste. L'une et l'autre sont unies par une chaîne sans rupture. C'est ainsi que s'établit un déroulement permanent de développement révolutionnaire entre la révolution démocratique et la reconstruction socialiste de la société.
« Le second aspect de la théorie de la « permanence » est lié à la révolution socialiste en tant que telle. Tous les rapports sociaux subissent des transformations pour un temps long et indéfini et dans une lutte interne constante. La société change sans cesse de peau. Chaque étape de la transformation s'enchaîne directement avec la précédente. Ce processus a nécessairement un caractère politique, ce qui signifie qu'il se développe à travers des conflits entre les différents groupes de la société qui se transforme. L'éclatement de la guerre civile et celui des guerres étrangères alternent avec des périodes de réformes « pacifiques ». Les révolutions dans l'économie, la technique. la science, la morale et la vie quotidienne se développent dans une totale inter-action et ne permettent pas à la société d'atteindre son équilibre. C'est de là que découle le caractère permanent de la révolution socialiste en tant que telle.
« Le caractère international de la révolution socialiste, qui constitue le troisième aspect de la théorie de la révolution permanente, découle de l'état actuel de l'économie et de la structure sociale de l'humanité. L'internationalisme n'est pas un principe abstrait. mais un reflet théorique et politique du caractère de l'économie mondiale, du développement mondial des forces productives et de l'échelle mondiale de la lutte de classes. »
« La lutte des épigones est dirigée, bien que pas toujours avec la même clarté, contre ces trois aspects de la révolution permanente. Et comment pourrait-il en être autrement quand il s'agit de trois parties inséparablement liées en un tout ? les épigones séparent mécaniquement la dictature démocratique et socialiste. Ils séparent la révolution socialiste nationale de l'internationale. » (idem, p.131-133).
C'est suffisamment clair, pour Trotsky, la révolution permanente régit tous les pays, des pays arriérés à ceux qui sont en train de construire le socialisme. Pour Germain, elle ne régit que les pays arriérés. Mais écoutons encore Trotsky :
« la IVème lnternationale ne fait pas de distinction entre les pays avancés et les pays arriérés, entre la révolution démocratique et la révolution socialiste. Elle les combine et les subordonne à la lutte mondiale des opprimés contre les oppresseurs. De la même façon que la seule force véritablement révolutionnaire de notre ère est le prolétariat international, le seul programme pour liquider l'oppression sociale et nationale est le programme de la révolution permanente. » (Trotsky : "Documents of the Fourth International" 1933-40, Pathfinder Press, 1973, p.331).
Trotsky précise que sa théorie comporte trois aspects inséparablement liés en un tout, il ne fait « aucune distinction entre pays arriérés et avancés », il soutient que le seul programme est « celui de la révolution permanente ». Germain sépare une partie de la théorie (celle qui se réfère aux pays arriérés), il fait des différences entre les pays avancés et arriérés, et soutient que le programme de la révolution permanente s'applique seulement aux seconds et pas aux premiers. Cela sent le révisionnisme à plein nez.
Mais poursuivons l'argument de Germain. Selon lui, la formule de révolution permanente s'applique en fonction des différentes combinaisons de tâches démocratiques et transitoires. Mais pour continuer, il doit avoir recours à l'artillerie lourde : les revendications démocratiques sont révolutionnaires, transitoires, de par leur poids, dans les pays arriérés et ne le sont pas (et sont donc réformistes, minima) dans les pays avancés, car dans ces pays l'impérialisme n'a pas de raisons fondamentales de classe qui l'empêchent de les octroyer. Voyons les paroles-mêmes de Germain :
« Dans les pays coloniaux et semi-coloniaux, les revendications démocratiques ont généralement le poids des revendications transitoires. Il est impossible de les réaliser sous le capitalisme, tout au moins dans leur essence collective. Dans les pays impérialistes, cela n'est pas vrai. Les revendications démocratiques ne seront pas normalement garanties par la bourgeoisie impérialiste décadente, mais du point de vue organique, économique ou social, c'est-à-dire en terme de rapports de classes fondamentaux, rien n'empêche la bourgeoisie de les garantir comme « moindre mal », afin d'éviter qu'un mouvement de masses ne se transforme en révolution socialiste victorieuse. Organiquement, la « bourgeoisie nationale » d'un pays colonial ne peut résoudre la question agraire sans s'exproprier, en grande mesure elle-même. Il n'y a pas d'obstacle fondamental de la même nature qui empêche l’application de l’avortement gratuit à la demande, ou de la liberté de la presse ou encore d'une loi électorale démocratique dans un pays impérialiste. Dans le cas d'un soulèvement de masse potentiellement révolutionnaire, la bourgeoisie impérialiste peut accorder des concessions pour éviter, précisément, l'expropriation.
« « Normalement » , l'impérialisme n'était pas disposé à accorder l’indépendance nationale à la Pologne, il n'est pas prêt non plus à le faire aujourd'hui avec l'Irlande ou le Québec. Mais dans le cas d'une situation pré-révolutionnaire, d'une ascension puissante des luttes ouvrières, d'un danger réel de constitution d'une république ouvrière dans une de ces nationalités, il n'y a aucun intérêt fondamental de classe qui empêche l'impérialisme de transformer une de ces nationalités en un Etat fantoche indépendant.
« C'est pour ces raisons que le danger qu'un mouvement de masses dans un pays impérialiste, basé seulement sur des revendications d'auto-détermination nationale, soit absorbé par la bourgeoisie, est très réel. » (idem, p.85).
Ces paragraphes du camarade Germain sont bourrés de confusions inadmissibles. En premier lieu, il attaque un ennemi inexistant : un prétendu parti révolutionnaire qui se limiterait à poser la seule auto-détermination nationale dans un pays impérialiste. Personne ne propose une telle ineptie dans notre Internationale ; mais si c'est le cas, que le camarade Germain nous dise qui ? Ce qui se discute ici est de savoir si les mots d'ordre démocratiques, dans leur combinaison avec les transitoires, ont ou non un grand poids dans les pays impérialistes. Le camarade Germain dit non et nous disons que si.
La seconde confusion est entre les changements formels et les changements profonds. Le camarade Germain nous dit que s'il y a de grandes mobilisations de masses, le pays impérialiste peut concéder au pays arriéré l'indépendance formelle. C'est totalement certain, mais ce dont il s'agit c'est justement d'obtenir une véritable libération nationale, profonde, non formelle, c'est-à-dire l'indépendance en tant qu'Etat souverain, économiquement et politiquement, et non de transformer une colonie en Etat fantoche indépendant. La question est de savoir comment l'obtenir. Nous ne voyons aucune autre possibilité que l'instauration de la dictature du prolétariat dans le pays arriéré, à travers la révolution ouvrière soutenue par la classe ouvrière du pays impérialiste. Est-ce ainsi, camarade Germain ?
Mais il y a une troisième confusion, la plus grave. Pour le camarade Germain, l'impérialisme peut satisfaire une revendication démocratique car il n'y a pas de raisons « organiques » dans la structure du pays impérialiste qui l'empêchent de faire des concessions minima de type démocratique (avortement, liberté de la presse, etc.). Par contre, dans les pays arriérés, la bourgeoisie nationale ne peut pas faire ce type de concessions « dans leur essence collective », par exemple, elle ne peut pas admettre la révolution agraire. Cela est vrai, mais le camarade Germain oublie que les bourgeoisies nationales peuvent également faire des concessions minima au mouvement des masses (avortement, liberté de la presse, etc.), car il n'y a aucune raison organique qui l'en empêche. Et il oublie également (et c'est cela qui est réellement grave) que l'impérialisme ne peut pas faire, « dans son essence collective », la concession démocratique de libérer économiquement toutes ses colonies. Si la bourgeoisie nationale ne peut pas faire la révolution agraire, car ce serait « s'exproprier elle-même en grande mesure », l'impérialisme non plus ne peut pas concéder l'indépendance nationale, profonde, pas formelle, à tous les pays dépendants, car ce serait également « s'exproprier lui-même » et là ce n'est plus « en grande mesure », mais totalement. Cela signifierait qu'il cesserait d'être impérialisme.
De ce monumental « oubli » théorique de Germain découle un non moins monumental et dangereux « oubli » politique. Le camarade Germain soutient la revendication d'auto-détermination nationale dans n'importe quel pays colonial, mais il « oublie » cette revendication pour tout l'empire. Et de là, il déduit qu'un mouvement de masses dans un pays impérialiste, basé sur la lutte pour l'auto-détermination nationale, court le danger d'être « absorbé par la bourgeoisie impérialiste ». Camarade Germain, est-il possible qu'un mouvement de masses qui exige la libération de tous les pays exploités par l'impérialisme soit « absorbé » par la bourgeoisie impérialiste ?
La revendication d'auto-détermination nationale dans tout l'empire touche directement la structure du régime impérialiste, ce n'est pas une revendication partielle, ni formelle, mais structurelle. Aucun pays impérialiste ne peut octroyer le droit à l'auto-détermination nationale économique et politique, à tous les pays de l'empire, sans cesser d'être impérialiste. Il y a une différence qualitative entre cette revendication démocratique et les autres que cite Germain. Cette revendication démocratique essentielle est aussi importante que la nationalisation du commerce extérieur, de la terre et de l'industrie du pays impérialiste lui-même. Ce sont des revendications qui ne peuvent pas être absorbées par le régime capitaliste, comme ne peut pas l'être non plus celle de l'auto-détermination nationale de tout l'empire par le régime impérialiste.
Ce simple problème n'est même pas posé par le camarade Germain. Il minimise et parcellise la revendication pour l'auto-détermination nationale du pays qui lutte pour elle, et ne la généralise pas en tant que tâche démocratique structurelle et fondamentale pour le prolétariat du pays impérialiste. Germain reconnaît que les ouvriers du pays métropolitain doivent soutenir la lutte pour l'auto-détermination nationale, mais il ne dit pas qu'ils ne doivent pas seulement soutenir, mais poser cette tâche pour tout l'empire; et il ne dit pas que, précisément, les seuls qui puissent la généraliser d'une manière totale, ce sont les travailleurs des pays impérialistes.
Pourtant Lénine a écrit des volumes entiers expliquant qu'une des tâches démocratiques principales du prolétariat russe était de libérer les nationalités qui subissaient le joug impérialiste du tsar. Et c'est cette tâche qu'il posait à l'Internationale Communiste en disant :
« Tout les partis de l'Internationale Communiste doivent expliquer constamment aux masses travailleuses l'extrême importance de la lutte contre la domination impérialiste dans les pays arriérés. Les Partis communistes qui interviennent dans les pays métropolitains doivent former auprès de-leurs comités directeurs des commissions coloniales permanentes qui travailleront sur les objectifs indiqués plus haut... Les Partis communistes des métropoles doivent profiter de toutes les occasions qui se présentent pour dévoiler le banditisme de la politique coloniale de leurs gouvernements impérialistes, ainsi que de leurs partis bourgeois et réformistes. » ("Les quatre premiers Congrès de l'IC" : Maspéro, p.178).
Et Trotsky est non seulement d'accord avec cette orientation, mais a ébauché une ligne d'action pour le futur :
« Une Europe socialiste proclamera la pleine indépendance des colonies, établira des relations économiques amicales avec elles, et, pas à pas, sans la moindre violence, au moyen de l'exemple et de la collaboration, les introduira dans la fédération socialiste mondiale. » ("Writings", 1939-40, p.25).
Le camarade Germain est sans aucun doute d'accord avec la politique bolchevique en direction des nationalités opprimées. Mais sa conception de l'impérialisme ne va pas plus loin que l'impérialisme territorial, frontalier. Il suffit qu'il y ait une mer, un océan, entre le pays impérialiste et la colonie ou semi-colonie, pour que Germain pense que la tâche démocratique de libération nationale reste presqu'exclusivement aux mains du pays dépendant. (Il faut reconnaître qu'il parle tout de même de solidarité) .Même le fait que la plus grande mobilisation de masses de ces derniers temps aux Etats-unis ait été la conséquence objective de la défense de l'indépendance nationale du Vietnam, ne le fait pas changer de position.
Germain ne se rend pas compte que, si dans les pays arriérés la revendication démocratique devient socialiste, dans les empires capitalistes la révolution socialiste devient, en un certain sens, démocratique, car elle libère non seulement les ouvriers métropolitains mais aussi les peuples et les nations colonisés par cet impérialisme, ce qui est une tâche démocratique de première importance.
Ce problème n'a pas été posé à fond par rapport aux pays impérialistes et, par conséquent, nous ne l'avons pas développé programmatiquement, bien que, comme nous l'avons vu, nous ayons de claires indications pour le résoudre. La solution viendra en répondant à ces questions: Comment appliquer concrètement dans un pays impérialiste le mot d'ordre démocratique d'auto-détermination nationale pour toutes les colonies, semi-colonies et pays dépendants de l'impérialisme ? Comment réaliser cette tâche avant la prise du pouvoir et après ? Concrètement, que faisons nous aux Etats-unis en faveur des semi-colonies latino-américaines, et en France en faveur de ses colonies et semi-colonies, avant et après la prise du pouvoir ? (La rupture de tous les pactes coloniaux, comme l'OEA pour les Etats-unis, le Commonwealth pour l'Angleterre, l' OCAM et Yaoundé l et II pour la France et le Marché commun européen ; ainsi que l'octroi de l'indépendance totale, sont un exemple de ces revendications).
Que faisons-nous des investissements et des prêts impérialistes ? Nous devons être pour l'expropriation en faveur du pays colonial et semi-colonial, mais comment ? Nous ne pouvons pas les donner aux bourgeoisies nationales et aux propriétaires terriens pour qu'ils continuent à exploiter les travailleurs. Cela exige un programme démocratique dans le pays impérialiste qui doit avoir des conséquences transitoires. Car pour éviter que l'indépendance nationale ne se transforme en de nouvelles chaînes pour les exploités des colonies, il faut combiner cette revendication avec celle de fédération des Etats socialistes de l'ex-empire, en proposant que les entreprises de propriété impérialiste dans les colonies, expropriées par le prolétariat métropolitain, soient administrées par la classe ouvrière coloniale. Nous devons imposer le contrôle ouvrier comme condition fondamentale pour qu'elles ne soient pas le véhicule d'une nouvelle exploitation. Et si ce n'est pas cette revendication, cela devra être une variante transitoire de celle-ci.
Mais ce n'est pas cela qui nous intéresse ici, mais le révisionnisme de Germain qui ne pose même pas cette revendication démocratique fondamentale d'auto-détermination nationale des colonies et semi-colonies et des pays dépendants, pour tout l'impérialisme, y compris et en premier lieu au prolétariat du pays impérialiste. Et il ne le pose pas car il ne voit cette revendication que du point de vue d’un seul pays, de la lutte isolée du prolétariat de ce pays. Mais la grande tâche démocratique destruction de l’empire, de libération de tous les pays opprimés, le camarade Germain croit-il qu'elle peut être octroyée normalement par l'impérialisme ? ou croit-il qu'elle ne sera obtenue qu'avec la révolution ouvrière et pas autrement ? Et s'il est d'accord avec cette dernière position, ne pense-t-il pas que les tâches démocratiques de la révolution socialiste dans les pays impérialistes sont gigantesques et impossibles à remplir si le prolétariat ne prend pas le pouvoir ?
Continuons maintenant sur la révolution permanente du point de vue « intérieur », si l'on peut dire, des pays avancés. Trotsky a beaucoup insisté sur l'importance des revendications démocratiques dans les pays avancés. En se référant à l'Italie fasciste et à l'Espagne, de même qu'à l'Allemagne, il souligne non seulement l'importance de ces revendications, mais il dit même qu'il peut y avoir une étape démocratique dans le processus révolutionnaire de ces pays (il le donne pour certain en Espagne) :
« Mais au cours du réveil révolutionnaire des masses, les revendications démocratiques constitueront inévitablement le premier chapitre. Même si des progrès postérieurs de la lutte ne permettront pas en général, et en un seul jour, la renaissance du stade démocratique - ce qui est le plus probable -, la lutte en elle-même ne peut pas se développer en sautant les revendications démocratiques. Un parti révolutionnaire qui tenterait d'échapper à cette étape se romprait le cou. » ("Writings" 1932-33, p.298).
Trotsky tire cette conclusion de l'analyse que nous faisons également : l'existence de l'impérialisme fait reculer l'humanité.
« En Allemagne il n'y a pas eu et il n'y a pas de dictature du prolétariat mais la dictature du fascisme ; l'Allemagne a été repoussée en deçà de la démocratie bourgeoise. Dans ces conditions, renoncer à l'avance à l'utilisation des revendications démocratiques et du parlement bourgeois signifie laisser la place à la formation d'une nouvelle social-démocratie. » (idem p.301).
Cette position de Trotsky ne concerne pas seulement les pays fascistes. Il soutient une position très semblable pour les Etats-unis, en les comparant à l'Italie fasciste et à l'étape démocratique de la révolution russe :
« L'Amérique doit-elle passer par une étape de réformisme social ? Cette question sera abordée dans le projet et le sens de la réponse est que rien ne peut être décidé définitivement, mais que cela dépend en grande mesure du Parti communiste. C'est tout à fait correct mais insuffisant. Nous devons revenir une fois de plus aux lois du développement inégal et combiné. En Russie, le fait que le prolétariat ne fût pas encore passé par l'école démocratique, qui aurait dû finalement condure à la prise du pouvoir, a été utilisé pour réfuter la révolution permanente et la prise du pouvoir par le prolétariat. Mais le prolétariat russe a traversé l'étape démocratique en huit mois, si nous comptons à partir de l'époque de la Douma, cela fait une période de onze à douze ans. En Angleterre cela a pris des siècles et en Amérique cette sale affaire dure longtemps. L'inégalité se manifeste également par le fait que différents stades ne sont pas sautés mais expérimentés à un rythme très rapide, comme le stade démocratique en Russie.
« Nous pouvons supposer que quand le fascisme expirera en Italie, la première vague qui viendra sera démocratique. Mais cette condition ne pourra durer que quelques mois, elle ne se maintiendra pas pendant des années. » « Etant donné que le prolétariat américain n'a pas réalisé en tant que tel de grandes luttes démocratiques, puisqu'il n'a pas conquis ni lutté pour la législation sociale, et dans la mesure où il continue à subir une pression économique et politique croissante, nous devons supposer que l'étape démocratique de la lutte prendra un certain temps. Mais ce ne sera pas comme en Espagne une période de dizaines d'années, ce sera peut-être seulement quelques années, ou si c'est à travers des développements fiévreux, quelques mois seulement. La question du rythme doit être précisée, et nous devons admettre également que le stade démocratique n'est pas inévitable. Nous ne pouvons pas prédire que le nouveau stade de la classe ouvrière commencera l'année prochaine ou dans trois à cinq ans. Mais nous pouvons dire avec certitude, que dès le moment où le prolétariat se constituera en tant que parti indépendant, même si au début il le fait sous la bannière démocratique, il traversera rapidement cette étape. » (idem, p.118).
Tout cela, Trotsky en fait un résumé dans le point 7 de la déclaration de l'Opposition de Gauche internationale (en décembre 32) , où était codifiée l'essence du marxisme contemporain :
« 7) La reconnaissance de la nécessité de mobiliser les masses par des mots d'ordre transitoires qui répondent à la situation concrète de chaque pays, et particulièrement par des mots d'ordre démocratiques dans la mesure où c'est une question de lutte contre les rapports féodaux, l'oppression nationale ou les différentes variantes de la dictature ouvertement impérialiste (bonapartisme, fascisme, etc.). » (Writings, 1932, p.53).
Cela signifie que pour Trotsky les mots d'ordre démocratiques mettent un signe d'égalité entre presque tous les pays impérialistes (ceux qui ont des « dictatures ouvertement impérialistes ») et les pays arriérés (ceux qui ont des « rapports féodaux » ou subissent l'« oppression nationale »). Les camarades de la majorité pensent que l'on va vers des régimes forts, bonapartistes ou semi-bonapartistes, ou que l'on y est déjà. Selon Trotstky, cela signifie qu'il faut donc lutter « particulièrement pour des revendications démocratiques ». Mais le camarade Germain, en divisant les pays comme il le fait, élimine l'importance fondamentale de ce type de revendications pour les pays avancés.
Il existe également une combinaison d'étapes et de tâches en URSS, les revendications démocratiques et minima y ont également une grande importance. La lutte pour l'auto-détermination ode l'Ukraine, avec le mot d'ordre « Pour une Ukraine indépendante et soviétique », que nous pouvons étendre avec des modulations tactiques à tous les pays de l'Europe de l'Est, pose le problème du rapport entre cette tâche, ces mots d'ordre démocratiques et la révolution politique. Et même si nous étions dans un Etat ouvrier « normal », ces combinaisons de tâches resteraient posées comme un des aspects fondamentaux de la révolution permanente. Mais, ce qui est le plus important, la formule de révolution permanente s'appliquerait alors dans toute sa puissance, puisque nous serions bien près de réaliser l'objectif central de notre programme : la mobilisation permanente des travailleurs.
Cette discussion théorique contre le révisionnisme germainiste a de profondes conséquences pratiques, décisives pour la vie de toutes nos sections. Ce n'est pas un hasard si le document européen de la majorité ne pose pas comme une de nos tâches fondamentales la tâche démocratique bourgeoise de l'unité de l'Allemagne. L'unité allemande n'est-elle pas une tâche démocratique fondamentale, décisive, peut-être la plus importante à envisager pour notre section allemande, pour nos sections européennes et pour le prolétariat européen dans son ensemble ?
Cette tâche nous est posée par la décadence impérialiste, car la bourgeoisie allemande avait déjà conquis l'unité, même sans l'Autriche. L'impérialisme et la bureaucratie ont fait reculer l'Allemagne de plus d'un siècle en arrière dans cette gigantesque tâche historique. Mais le camarade Germain ne la pose pas. Il doit certainement penser que, comme c'est une tâche démocratique, l'impérialisme pourra la résoudre sans aucun empêchement « organique, économique ou social ». Mais si pour cela il est nécessaire que l'Allemagne soit au bord de sa transformation en « république ouvrière », grâce à une « mobilisation de masses » sur la revendication démocratique de réunification de l'Allemagne, et que nous n'ayons pas avancé ce mot d'ordre, nous maudirons amèrement les résultats catastrophiques du révisionnisme germainiste. Car cette tâche se combine avec la révolution politique à l'Est et la révolution socialiste à l'Ouest.
l'Allemagne illustre, d'une manière ou d'une autre, la justesse de plus en plus forte de la formule de révolution permanente dans tous les pays du monde, même dans les pays impérialistes. Mais la réunification de l'Allemagne n'est pas la seule tâche démocratique posée en Europe. Sans trop faire d'efforts de réflexion, nous pouvons en énumérer d'autres, fondamentales pour nos sections. Les luttes pour les libertés démocratiques en Espagne, au Portugal et en Grèce, pour l'indépendance nationale en Irlande du Nord sont des tâches démocratiques à l'ordre du jour. La justesse de cette partie de la théorie de la révolution permanente en Europe s'exprime même autour de questions secondaires. Devons-nous ou non lutter pour liquider les privilèges de la monarchie et de la noblesse en Angleterre, Hollande, Suède et Belgique ?
Il est évident, et le camarade Germain ne le nie pas, qu'il y a des tâches et des revendications démocratiques dans l'ensemble de l'Europe et pour chacun de ses pays. Et nous sommes tous d'accord sur le fait qu'il y a également des tâches et des revendications transitoires. Sans entrer pour le moment dans la discussion pour savoir quelles sont les plus importantes et quelles sont les secondaires, il faut noter qu'il est vrai que les deux types de tâches et de revendications y sont posées. Qu'en faisons-nous ?
Trotsky est catégorique sur ce sujet quand il dit (comme nous l'avons cité) que « s'effacent les frontières entre le programme minimum et maximum ». Nous affirmons, comme Trotsky, que les revendications minima et démocratiques (l'ancien programme minimum) et les revendications transitoires (l'ancien programme maximum) doivent être combinées selon la formule de la révolution permanente. Le camarade Germain dit que, en ce qui concerne l'application de la formule de révolution permanente dans les pays impérialistes « c'est, dans le meilleur des cas, extrêmement douteux ». Doutes extrêmes mis à part, Germain ne dit pas que nous ne devons pas l'appliquer. Nous affirmons qu'il faut l'appliquer. C'est là la différence entre le trotskysme et le révisionnisme.
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