1973 |
"L'erreur de la stratégie de l'entrisme « sui generis » a eu des conséquences tragiques en Bolivie en 52-55 et en Argentine en 55 ; la stratégie pour dix ans du contrôle ouvrier manifeste ses terribles dangers potentiels dans l'interprétation faite par le camarade Mandel de la grève générale de mai 68 et dans l'orientation que, selon lui, il aurait fallu appliquer." |
Un document scandaleux
VII. Des éléments révisionnistes dans les conceptions du camarade Germain
4. Germain révise la théorie de la révolution permanente pour les pays coloniaux et semi-coloniaux.
Comme nous l'avons vu plusieurs fois, le camarade Germain pense que l'impérialisme ne provoque pas la misère croissante de masses du monde entier. Cette opinion a des conséquences très graves quand il la transpose à la partie de la théorie de la révolution permanente la plus élaborée par le trotskysme, c'est-à-dire à celle qui concerne les pays coloniaux et semi-coloniaux.
Le camarade Germain jette par-dessus bord, sans en mesurer les conséquences pratiques, toute la conception trotskyste sur le rôle des bourgeoisies nationales de ces pays arriérés, en leur attribuant des potentialités révolutionnaires dans la lutte anti-impérialiste. Selon lui, l'impérialisme est capable de laisser les pays arriérés se libérer de lui sans beaucoup de problèmes :
« Est-il vrai -demande Germain- que, parce que la bourgeoisie est dépendante de l'impérialisme, elle est incapable de rompre tous ses liens avec l'impérialisme et que, par conséquent, elle ne peut pas mener à bonne fin la lutte contre l'oppression étrangère ? » Et il répond lui même « Cela est complètement faux » (document cité, p.73).
Le camarade Germain nous habitue à cacher sa pensée au moyen de questions négatives et de réponses négatives. Mais cela se retourne contre lui, car cela a pour résultat de renforcer une affirmation. Pour savoir exactement ce qu'il dit et éviter ses arguments d'avocat et de bon polémiste, nous mettrons cette phrase dans sons sens positif : « Il est vrai que la bourgeoisie nationale, bien qu'elle soit dépendante de l'impérialisme, est capable de rompre tous ses liens avec l'impérialisme et, par conséquent, de mener à bonne fin la lutte contre l'oppression étrangère ».
Cette affirmation de Germain est la négation absolue de toute la conception trotskyste de la révolution dans les pays arriérés. Pour nous, trotskystes, la thèse de la révolution permanente a cette signification : dans les pays où se pose une révolution démocratique bourgeoise, la bourgeoisie nationale est absolument incapable de rompre ses liens avec l'impérialisme et, par conséquent, de diriger une lutte victorieuse contre l'oppression étrangère.
« En ce qui concerne les pays au développement bourgeois arriéré, et en particulier les colonies et semi-colonies, la théorie de la révolution permanente signifie que la résolution totale et effective de leurs objectifs démocratiques et de leur émancipation nationale ne peut se concevoir qu'au moyen de la dictature du prolétariat, le prolétariat s'emparant du pouvoir comme dirigeant de la nation opprimée et avant tout de ses masses paysannes. » ("The Permanent Revolution", p.276).
Trotsky est extrêmement clair sur le rôle des bourgeoisies nationales dans les pays arriérés. Son opinion sur une des plus fortes et plus puissantes, la bourgeoisie latino-américaine, est instructive :
« Dans de nombreux pays latino-américains, la bourgeoisie nationale montante, cherchant à obtenir une meilleure part du butin et s'efforçant même d'augmenter la mesure de son indépendance - c'est-à-dire à conquérir la position dominante dans l'exploitation de son propre pays - tente certainement d'utiliser à cette fin les rivalités et les conflits entre les impérialismes étrangers. Mais sa faiblesse générale et le retard de son apparition l'empêchent d'atteindre un plus haut niveau de développement que celui de valet d'un maître impérialiste ou d'un autre. Elle ne peut pas lancer une lutte sérieuse contre toute domination impérialiste et pour une authentique indépendance nationale, par peur de déchaîner un mouvement de masse des travailleurs du pays qui, à son tour, menacerait sa propre existence sociale. » ("Escritos latino-americanos", Edition COE, 1970, p.15).
Le camarade Germain peut nous répondre que c'est la position de Trotsky sur les bourgeoisies latino-américaines et non sur celles des autres pays arriérés du monde. Nous répondrions que ces positions sont l'application à l'Amérique latine de la loi générale de la révolution permanente. Et Trotsky, dans le manifeste de 1940 disait au sujet de tous les pays arriérés du monde :
« Encerclés par le capitalisme décadent et pris dans le piège des contradictions impérialistes, l'indépendance des pays arriérés sera inévitablement semi-factice » et il précise que cela se traduit par « le régime du "parti du peuple" en Turquie, le Kuomintang en Chine et sera demain le régime de Gandhi en Inde ». ("Documents of the Fourth International", p.330).
« Dans les pays arriérés, pas une seule des tâches de la révolution "bourgeoise" ne peut se résoudre sous la direction de la bourgeoisie "nationale", car cette dernière, dès le début, naît avec l'appui étranger en tant que classe éloignée ou hostile au peuple. Chaque étape de son développement ne fait que l'attacher étroitement au capitalisme financier étranger dont elle est essentiellement l'agent. » (Trotsky , "The Chinese Revolution" 1938, Pathfinder Press, p.4).
« Dans les conditions de l'époque impérialiste, la révolution nationale démocratique ne peut être menée à sa fin victorieuse que lorsque les rapports sociaux et politiques du pays sont mûrs pour mettre le prolétariat au pouvoir en tant que leader des masses populaires. Et si ce n'est pas le cas ? Alors la lutte pour la libération nationale ne donnera que des résultats très partiels, des résultats dirigés totalement contre les masses travailleuses. » (The Permanent Revolution, p.256).
Tout cela ne veut pas dire que la bourgeoisie nationale n'a pas de profonds conflits avec l'impérialisme à certains moments, mais que ces conflits ne sont jamais assez sérieux pour l'amener à « rompre tous ses liens avec lui » ou à diriger « une lutte victorieuse » contre lui.
Nous avons vu que la conception trotskyste ne concorde pas avec celle du camarade Germain, le moment est venu de confronter sa conception avec la réalité. Où est donc cette bourgeoisie nationale « capable de rompre tous ses liens avec l'impérialisme » ou de « diriger une lutte victorieuse contre l'oppression étrangère » ? Peut-être en Bolivie et au Chili ? Ou encore au Pakistan ou en Inde ? Ou bien dans les pays arabes ? Cette bourgeoisie, camarade Germain, n'existe nulle part, sauf dans les positions staliniennes et... germainistes.
Comme nous l'avons dit au début de ce sous-chapitre, à cette fausse caractérisation des bourgeoisies nationales correspond une autre erreur, symétrique, dans laquelle tombe également le camarade Germain : sa conception que l'impérialisme ne s'oppose pas d'une manière brutale, l'absolue", à l'indépendance nationale des pays arriérés. Voilà ce qu'en dit Germain :
« La lutte contre l'oppression nationale n'est pas une lutte anti-capitaliste. C'est une lutte pour une revendication démocratique bourgeoise. L'existence du système capitaliste mondial n'est pas un obstacle absolu pour la liquidation de l'oppression nationale dans les conditions de l'impérialisme. » (Germain, document cité, p.73).
En réalité, il y a là deux affirmations, aussi incorrectes l'une que l'autre. La première: la lutte pour la libération nationale n'est pas anti-capitaliste; la seconde : l'impérialisme ne s'oppose pas d'une manière, « absolue » à la liquidation de l'oppression nationale. Commençons par la première.
Le camarade Germain tire du caractère démocratique-bourgeois de la tâche de libération nationale la conclusion que ce n'est pas une lutte anticapitaliste. Il a oublié que (si un jour il l'a su) l'essence du Programme de transition et de la théorie de la révolution permanente est précisément de définir la tâche d'indépendance nationale des pays arriérés comme à la fois démocratique-bourgeoise et socialiste. C'est la combinaison en un seul mot d'ordre de deux tâches : la tâche historiquement démocratique-bourgeoise de conquête de l'indépendance nationale qui, de nos jours, est socialiste.
« C'est ce qui détermine la politique du prolétariat des pays arriérés: il est obligé de combiner la lutte pour les tâches les plus élémentaires de l'indépendance nationale et de la démocratie bourgeoise, avec la lutte socialiste contre l'impérialisme mondial. » (Trotsky, "Le Programme de transition", p. 35).
Dit d'une manière plus accessible au niveau trotskyste du camarade Germain : la lutte pour l'indépendance nationale totale des pays arriérés est une tâche démocratique-bourgeoise car elle correspond à l'époque historique de montée du capitalisme et de formation des nationalités ; et c'est une tâche socialiste actuellement, car l'ennemi principal est l'impérialisme, c'est-à-dire l'expression supérieure du régime capitaliste.
De plus, le système capitaliste mondial est unique, "c'est une totalité formée par des parties nationales. Ces parties nationales sont déterminées (et cela ne devrait pas être une nouveauté pour quelqu'un qui se targue de savoir manier la dialectique) par le tout, le système capitaliste mondial. Les pays arriérés ne sont pas une exception, par leurs rapports de production intérieurs et leurs étroites liaisons avec le capitalisme mondial, ce sont des pays capitalistes. C'est pour cela que toute lutte à fond pour l'indépendance nationale ne s'affronte pas seulement à un facteur extérieur - l'impérialisme - mais aussi à la structure capitaliste intérieure, dépendante du système mondial. Cela explique que seuls les pays qui ont liquidé l'exploitation capitaliste à l'intérieur de leurs frontières ont été capables de se libérer totalement de l'impérialisme. C'est la réfraction intérieure du fait que la lutte contre l'impérialisme est la lutte contre le système capitaliste du pays qui se libère.
Pour terminer sur ce point, signalons qu'ici se répète la conception phénoménologique, non liée au développement concret du mouvement des masses, qu'a Germain de nos mots d'ordre et de nos tâches. Pour lui, il y a une séquence logique : indépendance nationale - tâche démocratique - mots d'ordre démocratiques - conséquences démocratiques (non anti-capitalistes). Pour nous, qui avons vu que les mots d'ordre se définissent par leur caractère historique mais que leurs résultats dépendent de la situation concrète de la lutte de classes, la séquence est différente : indépendance nationale - tâche démocratique - mots d'ordre démocratiques (repris par le prolétariat car la bourgeoisie est incapable de la réaliser) - conséquences transitoires (dictature du prolétariat qui détruit le système capitaliste dans le pays et touche l'impérialisme, c'est-à-dire le système capitaliste mondial). Trotsky l'a dit clairement : « Dans les conditions de l'impérialisme, la "révolution nationale-démocratique ne peut être menée jusqu'à la victoire que dans le cas où les rapports sociaux et politiques du pays dont il s'agit ont mûri dans le sens de la mise au pouvoir du prolétariat en tant que dirigeant des masses populaires. » (The Permanent Revolution, p.256).
S'il n'en est pas ainsi, camarade Germain, où actuellement un pays arriéré dirigé par la bourgeoisie nationale a-t-il réussi à « rompre tous ses liens avec l'impérialisme », après une « lutte victorieuse contre l'oppression étrangère » ? Nulle part dans le monde.
Voyons maintenant la seconde affirmation du camarade Germain : le système capitaliste mondial impérialiste « n'est pas un obstacle absolu pour la liquidation de l'oppression nationale ». Nous ne savons pas ce que veut dire obstacle « absolu ». Si cela se réfère au fait que l'indépendance totale d'un pays, par sa rupture avec l'impérialisme mondial, n'entraîne pas la destruction ni la défaite définitive de celui-ci, cela se réduit à une évidence, puisque c'est la même chose quand la classe ouvrière prend le pouvoir dans un pays impérialiste, comme cela s'est passé en Russie ou peut se passer demain en Italie ou en France. Cela signifie que nous n'avons pas besoin de détruire le système capitaliste mondial pour faire la révolution ouvrière dans un pays déterminé. Malgré cela l'impérialisme continue à exister.
En réalité, le camarade Germain veut nous impressionner avec le terme « absolu », mais il ne comprend pas son rapport dialectique avec son opposé : « relatif », il ne comprend pas comment l'un se transforme en l'autre. A un certain moment de la lutte de classes, ce qui est absolu dans un pays est relatif à l'échelle mondiale. Mais à l'échelle historique (pour toute l'étape et non à un moment particulier de la lutte) la relativité mondiale se transforme en absolu. Voyons ce problème d'un peu plus près. Nous pouvons dire que, dans un pays avancé, l'existence du système capitaliste à l'intérieur de ses frontières est un « obstacle absolu » au triomphe de la révolution ouvrière dans ce pays. Si la bourgeoisie continue à dominer l'économie, il n'y a pas victoire de la révolution; et pour faire la révolution, il faut détruire d'une manière « absolue » cet obstacle. Mais l'existence du système capitaliste mondial est un obstacle « relatif », non absolu, pour la victoire de la révolution ouvrière. Même si nous ne détruisons pas le système capitaliste mondial, nous pouvons faire la révolution dans un pays, et malgré celle-ci, le système capitaliste mondial peut continuer à fonctionner.
Nous pouvons dire la même chose pour un pays arriéré, en ce qui concerne la lutte contre l'oppression nationale et les propriétaires terriens. Si l'impérialisme, la bourgeoisie et les propriétaires terriens continuent à dominer l'économie, il n'y a pas de victoire de la révolution démocratique. Pour obtenir la libération nationale et la révolution agraire, il faut détruire cet « obstacle absolu » en expropriant le régime capitaliste et les propriétaires terriens, ainsi que les monopoles impérialistes, c'est-à-dire détruire le système capitaliste dominé par l'impérialisme qui existe dans ce pays. Si nous ne le faisons pas, nous ne pouvons remplir ni une tâche ni l'autre. Mais l'existence du capitalisme mondial est un « obstacle relatif », pas absolu, pour la victoire de la révolution agraire et nationale. Même si nous ne le détruisons pas, nous pouvons faire cette révolution et, malgré celle-ci, le système capitaliste mondial continue à exister.
A l'échelle mondiale, la révolution ouvrière dans un pays avancé comme dans un pays arriéré ne liquide pas le système capitaliste mondial ; ce n'est qu'une victoire relative contre lui. Et cela parce que le système capitaliste mondial n'a qu'une limite « absolue » : sa propre existence en tant que régime mondial. Toutes les victoires de la révolution ouvrière dans les pays avancés comme dans les pays arriérés sont des victoires relatives, tant que le régime capitaliste mondial survit. Mais nous ne pouvons pas pour autant minimiser la victoire ouvrière dans un pays, ni la libération nationale du joug impérialiste, car ce sont les victoires les plus importantes que puisse obtenir actuellement le mouvement ouvrier mondial. Au contraire, ces victoires relatives sont ce qui nous rapproche de la limite absolue : la liquidation du régime capitaliste mondial.
La relativité de toutes les victoires et défaites du mouvement ouvrier à l'échelle nationale s'inscrit dans le contexte de la lutte mondiale entre les exploités et l'impérialisme pour toute une époque historique. Et c'est justement parce que cette lutte est mondiale et historique, que les victoires et les défaites nationales et momentanées de l'un des deux camps sont relatives. Mais à l'échelle mondiale et historique, la lutte est totale, absolue, à mort ; elle n'a rien de relatif, elle se termine par le socialisme ou la barbarie.
De ces considérations découle la loi de l'impérialisme à l'échelle mondiale et historique : le capitalisme en décomposition est un « obstacle absolu » à l'indépendance des pays arriérés et à la révolution sociale des pays avancés. Tant que l'impérialisme subsiste, toutes les victoires sont relatives, car celui-ci, tôt ou tard (tant qu'il subsistera) remettra les travailleurs du monde entier en esclavage, un esclavage pire qu'auparavant.
Là où les peuples arriérés et la classe ouvrière obtiendront une victoire, ils devront savoir - et c'est notre devoir de le leur dire - que tant que subsiste l'impérialisme, cette victoire est relative et momentanée, tactique, qu'elle sera remise en cause et menacée. Ils devront savoir que l'impérialisme ne pourra survivre que s'il les remet en esclavage, car l'impérialisme est le capitalisme en décomposition, dont la loi absolue (c'est-à-dire historique) est d'apporter une misère croissante à tous les exploités de tous les pays du monde. Et au lieu de dire cela, le camarade Germain dit aux masses des pays arriérés de ne pas se poser de problèmes car l'impérialisme n'est pas un « obstacle absolu » pour la liquidation de l'oppression nationale !
Cette liquidation de la théorie de la révolution permanente dans les pays arriérés est également la liquidation de la nécessité de la dictature du prolétariat dans ces pays. Mais le camarade Germain se refuse à en tirer cette conclusion, il tente de concilier son révisionnisme théorique avec une politique trotskyste, et dit que le prolétaires des pays arriérés doivent prendre le pouvoir pour résoudre le problème de la révolution démocratique bourgeoise. Cette tentative produit un hybride non moins révisionniste. S'il n'est pas nécessaire d'instaurer la dictature du prolétariat pour liquider l'oppression nationale (puisque la bourgeoisie nationale serait capable de diriger cette lutte victorieuse et que l'impérialisme n'est pas un obstacle absolu pour cela), pourquoi le prolétariat devrait-il prendre le pouvoir ? Le camarade Germain nous répond par trois arguments : 1- car « l'oppression nationale » n'a rien à voir avec l'exploitation économique de la nation (la première est liquidée mais la seconde subsiste) ; 2- car la révolution agraire reste posée (il insinue que celle-ci est la tâche fondamentale démocratique bourgeoise) ; 3- car, en tant que marxistes, nous nous refusons (!) à reporter les soulèvements paysans et ouvriers à une autre étape. Voyons ces trois arguments dans l'ordre.
Germain nous présente le premier argument
« (...) il n'est pas nécessaire » de « rompre tous les liens avec l'impérialisme » pour éliminer l'oppression nationale étrangère. « Là où est éliminée l'oppression nationale étrangère, l'exploitation économique étrangère se poursuit et s'accentue » (Germain, document cité, p.73).
Mais camarade Germain ! En tant que marxistes, nous faisons la distinction entre les aspects formels de toute exploitation et ses aspects réels. Sous l'impérialisme capitaliste, l'essence de l'exploitation coloniale n'est pas politique mais économique. Cette différence entre oppression nationale et exploitation économique est un jeu de mots. L'oppression nationale n'est que l'expression de l'exploitation économique, et cette exploitation économique prend différentes formes politiques (colonie, semi-colonie et pays dépendant). Pour le camarade Germain, oppression nationale est synonyme de colonie. Pour nous non, car une semi-colonie ou un pays dépendant reste une nation opprimée par l'impérialisme, même si elle a une indépendance politique formelle. Il n'y a pas d'exploitation économique sans oppression nationale et inversement. Sous n'importe quelle forme, l'exploitation d'un pays par un autre reste une oppression nationale et une exploitation économique en même temps.
Deuxième argument de Germain
« C'est parce que la question agraire n'est résolue aujourd'hui dans aucun des pays coloniaux qui ont conquis leur indépendance nationale après la seconde guerre mondiale que, malgré la situation minoritaire du prolétariat, l'instauration de la dictature du prolétariat allié à la paysannerie pauvre reste une perspective réaliste. » (idem, p.76).
Mais camarade Germain ! Si vous nous dites que la dictature du prolétariat est possible dans les pays semi-coloniaux parce que ceux-ci n'ont pas encore résolu la révolution agraire et qu'ils restent des semi-colonies, cela n'a-t-il rien à voir avec la révolution ouvrière ? Si semi-coloniaux signifie que ces pays n'ont pas encore réussi à se libérer de l'impérialisme, à obtenir une libération nationale effective, n'est-ce pas également une perspective réaliste pour la dictature du prolétariat ? Pourquoi ne pas donner d'importance (du point de vue de la révolution ouvrière) au fait que ces pays restent des semi-colonies ? La tâche de libération nationale n'est-elle pas aussi réaliste que la révolution agraire pour le prolétariat des pays arriérés ?
Nous pensons que, dans les pays arriérés, les deux tâches les plus importantes à affronter par les masses sont celle de libération nationale et de révolution agraire, intimement liées et combinées (le camarade Germain le reconnaît dans son document). Ces deux tâches se combinent étroitement pour des raisons objectives, la pénétration impérialiste se combine avec la grande propriété terrienne dans la structure économique du pays arriéré. Dans sa pénétration, l'impérialisme construit des rapports de production capitaliste dominés par le capital étranger dans le pays arriéré. Et la propriété terrienne reste subordonnée à ces rapports et à cette domination du capital impérialiste. Par ailleurs, au travers du marché mondial également contrôlé par l'impérialisme, s'établit un lien étroit entre la classe des propriétaires terriens et l'impérialisme acheteur.
Tous ces rapports économiques font que les deux tâches historiques posées dans les pays arriérés, la libération nationale et la révolution agraire, sont intimement liées. Et, n'en déplaise au camarade Germain, la plus difficile de ces deux tâches (si l'on peut les séparer) est celle de la lutte contre l'impérialisme, car celui-ci est beaucoup plus fort que la classe terrienne.
Troisième argument, ou ultime tranchée et véritable conception de Germain
« Les marxistes révolutionnaires repoussent cette théorie, non seulement parce qu'ils insistent sur l'incapacité de la bourgeoisie nationale à conquérir réellement l'indépendance nationale contre l'impérialisme, sans prendre en considération les circonstances concrètes. Ils la rejettent car ils se refusent à reporter à une étape supérieure les soulèvements des ouvriers et des paysans pour leurs propres intérêts de classe, de ceux qui inévitablement se lèveront spontanément aux côtés de la lutte nationale à mesure que celle-ci se déroulera et pour se combiner rapidement en un programme commun inséparable de la conscience des masses. » (Germain, idem, p.75).
Avant tout, nous devons préciser que la « théorie menchevik » fut une théorie élaborée par rapport à l'oppression absolutiste féodale, c'est-à-dire par rapport à la révolution bourgeoise classique, anti-féodale et anti-absolutiste ; et pas, comme cela semblerait découler de cette affirmation de Germain, en tant que réponse à l'oppression nationale impérialiste (ce sont les staliniens qui ont transposé cette conception menchevik aux pays dominés par l'impérialisme). Pour les mencheviks, la révolution démocratique et paysanne anti-féodale pouvait être menée à bien sous la direction de la bourgeoisie nationale. Pour Lénine et Trotsky, non. Pour les staliniens, la révolution nationale et anti-impérialiste peut être menée à bien sous la direction de la bourgeoisie nationale. Pour Trotsky non. Pour les mencheviks et les staliniens, il n'y a pas de contradiction « absolue » entre la bourgeoisie nationale, la révolution démocratique bourgeoise et la révolution agraire, pour nous, trotskystes, si. Et ce n'est que pour les mencheviks et les staliniens qu'il y a une bourgeoisie nationale capable de remplir ces tâches historiques et, par conséquent, de se concilier avec les soulèvements ouvriers et paysans. Pour les trotskystes, les bourgeoisies nationales se rangent dans le camp de l'impérialisme et des propriétaires terriens contre les soulèvements ouvriers et paysans.
Mais dans cette citation il y a une affirmation aussi grave, sinon plus, que dans la précédente: en tant que trotskystes, nous ne rejetons pas principalement la théorie de la révolution par étapes dans les pays arriérés, car nous pensons que la bourgeoisie nationale est incapable de réaliser la révolution démocratique, mais nous la rejetons parce que « nous nous refusons à reporter à une autre étape les soulèvements ouvriers et paysans ». C'est-à-dire: nous repoussons la théorie de la révolution par étapes, car nous avons envie de faire la révolution socialiste tout de suite...
En premier lieu (et nous regrettons de faire descendre Germain de son piédestal), ceux qui décident du report ou non des soulèvements ouvriers et paysans, sont les ouvriers et paysans eux-mêmes. Nous pouvons tout au plus décider de l'orientation que nous donnons à ces soulèvements, vers la prise du pouvoir ou non. Mais concrètement, c'est sans demander l'autorisation du camarade Germain que les soulèvements ouvriers et paysans se produisent dans les pays arriérés.
En second lieu, nous sommes donc tous d'accord, Germain et nous, pour orienter ces soulèvements vers la prise du pouvoir, mais pour des motifs distincts. Pour le camarade Germain c'est parce que, en tant que trotskyste, nous avons envie de faire la révolution socialiste tout de suite et refusons de la reporter. Notre motif est totalement opposé. Nous pensons que le caractère socialiste de la révolution dans les pays arriérés découle de la structure même de la société. Et cette structure impose le fait que la seule classe qui puisse mener à bien la révolution démocratique est la classe ouvrière. Cela découle également du fait que, dans le régime capitaliste (arriéré ou non), toutes les arriérations font partie intégrante de la structure de ce régime, de sa structure à l'échelle nationale comme internationale. Combattre l'arriération paysanne ou nationale, c'est-à-dire lutter contre l'oppression nationale ou paysanne, signifie s'attaquer au capitalisme national et international pour des raisons structurelles, objectives. Cela signifie s'attaquer à l'impérialisme, la base de toutes les exploitations existantes, car toutes les exploitations sont combinées et subordonnées à l'exploitation impérialiste.
Il ne s'agit pas ici d'une divergence académique, car dans les pays arriérés les trotskystes ne seront pas les seuls à vouloir diriger les soulèvements ouvriers et paysans et la révolution démocratique. Ils se heurteront à la bourgeoisie et la petite bourgeoisie nationales ainsi qu'à leurs agents staliniens dans le mouvement ouvrier, tentant de prendre la direction pour ensuite trahir les masses, comme cela s'est passé et terminé tragiquement en Bolivie, au Chili et en Indonésie, pour ne citer que quelques exemples. Et dans les pays arriérés, la classe ouvrière ne conduira la révolution que si elle dispute la direction de la révolution démocratique bourgeoise à la bourgeoisie et la petite bourgeoisie nationales. C'est parce que le prolétariat peut se battre pour la direction et la gagnera que le devoir des marxistes révolutionnaires est de dénoncer la trahison inévitable de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie nationales contre la révolution démocratique bourgeoise, même si à un certain moment elles participent à une phase du processus révolutionnaire. Notre devoir est d'expliquer inlassablement aux travailleurs que le seul moyen de mener jusqu'au bout la révolution démocratique bourgeoise est qu'ils prennent sa direction entre leurs mains et imposent leur dictature.
Si au lieu de cela, nous allons expliquer aux travailleurs que l'impérialisme n'est pas un obstacle absolu à la libération nationale, que la bourgeoisie nationale peut rompre tous ses liens avec l'impérialisme et diriger une lutte victorieuse contre l'oppression étrangère; si nous leur disons qu'ils doivent prendre le pouvoir pour la seule raison que les trotskystes se refusent à reporter la révolution socialiste, la direction de la révolution démocratique bourgeoise restera sans aucun doute aux mains de la bourgeoisie et la défaite sera inévitable. La responsabilité politique de la défaite sera celle du camarade Germain et la responsabilité politique reviendra à son révisionnisme de la théorie de la révolution permanente. Toute tentative de baser la dictature du prolétariat dans les pays arriérés sur les tâches de la révolution socialiste sans s'appuyer sur la révolution démocratique bourgeoise détruira toute possibilité de victoire de la classe ouvrière.
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