"Manuel Grossi, mineur âgé de 30 ans, dirigeant de l’insurrection asturienne, auteur des pages qui suivent, se trouve actuellement en prison, attendant l’heure de passer devant le Conseil de Guerre qui prononcera certainement la peine de mort." |
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Qui est Manuel Grossi, demanderont certainement la plupart des lecteurs.
En effet, le nom de Grossi n’est pas connu dans la république des lettres. Ce n’est ni un romancier, ni un essayiste, ni un journaliste. Grossi n’est pas un écrivain.
C’est un mineur, un révolutionnaire. C’est un des insurgés des Asturies. Il a été l’un des principaux dirigeants de cette héroïque épopée. Grossi, inconnu des milieux intellectuels, ne l’est cependant pas des travailleurs asturiens. Son nom est étroitement lié à ceux de Bonifacio Martin, José Maria Martinez et Gonzalez Peña.
Au cours du printemps 1934, se constitua dans les Asturies l’Alliance ouvrière. Le Parti socialiste, l’Union générale des Travailleurs avec sa section décisive dans les Asturies : le Syndicat mineur asturien, la Confédération régionale du Travail des Asturies, Léon et Palencia, la Gauche communiste, le Bloc ouvrier et paysan, en faisaient partie.
Le camarade Manuel Grossi fut nommé délégué du Bloc ouvrier et paysan au sein du Comité régional de l’Alliance ouvrière.
L’Alliance ouvrière, durant les premiers temps de son existence, s’adonna à un travail de propagande. Les mineurs des bassins miniers de Mieres et Langreo se sentirent encouragés de voir que le Front unique était un fait réel, indiscutable.
Le 1er mai fut déjà une annonce des journées épiques d’octobre. A Mieres et à Sama, les deux grands centres du bassin minier, eurent lieu des meetings qui furent une démonstration éclatante de la marche vers le front unique. Les mineurs, comprenant intuitivement la gravité de la situation politique, imposaient un embrassement cordial de toutes les fractions ouvrières : plus de séparation, plus de fractionnement. Unité des efforts !
Celui qui écrit cette Préface participa en tant qu’orateur à ces deux meetings, et put constater personnellement la force immense de tous ces travailleurs de la mine qui, se sentant unis, formaient un bloc compact.
L’été fut dans les Asturies, plus que dans le reste de l’Espagne, temps de grande préparation. Les travailleurs des Asturies ne sont pas des dilettantes. Ils agissent toujours sérieusement. Le prolétariat asturien est indiscutablement la poutre solide du mouvement ouvrier espagnol. Quand il élabore un plan, il le réalise. Rien ni personne ne peut détruire ce qu’il a dans la tête. Il marche vers le but d’un pas sûr, décidé. Il a conscience de sa force.
En septembre, les forces réactionnaires tentèrent de se concentrer à Covadonga. Elles voulaient, symboliquement, donner l’impression qu’elles partaient de ces rocs légendaires à la conquête de l’Espagne comme l’avaient fait, il y a des siècles, les Goths et les Chrétiens. Mais les mineurs étaient là, et les projets réactionnaires avortèrent. La concentration de Covadonga fut un vrai fiasco. Les travailleurs asturiens gagnèrent une importante bataille. Ils étaient invincibles.
Vint octobre. Et les Asturies s’insurgèrent. Durant quinze jours, les mineurs, les armes à la main combattirent sans désemparer.
Quelle importance aura l’insurrection asturienne dans le déroulement futur des événements politiques dans notre pays ?
Il est difficile de faire des pronostics. Nous avons trois expériences antérieures dans notre propre pays qui, si elles ne sont pas absolument comparables, peuvent nous servir d’enseignement. Il est certain que l’histoire ne se répète pas exactement, mais les lois des mouvements révolutionnaires, de leurs causes et conséquences sont indiscutables et doivent être examinées en tant que règles générales possibles.
En 1909, la Catalogne s’insurgea, et plus particulièrement Barcelone. La révolte fut chaotique, sans égaler de loin ce que fut le soulèvement asturien. Le Barcelone ouvrier se dressa contre la politique réactionnaire que représentait le gouvernement Maura-Lacierva (les Lerroux-Gil Robles d’il y a vingt-six ans). Maura et Lacierva triomphèrent ; l’insurrection fut étouffée et les choses reprirent leur cours. Mais la politique qu’incarnaient Mauta et Lacierva fut vaincue. Une période libérale, démocratique commença alors. Période qui vit le mouvement ouvrier dégager sa propre personnalité et se différencier progressivement du vieux républicanisme.
La semaine rouge de juillet 1909 représenta un pas formidable en avant dans la marche de la révolution espagnole et de la classe ouvrière.
En 1917, le mouvement ouvrier et la petite bourgeoisie de notre pays tentèrent une action contre la monarchie : la dite Assemblée des parlementaires et la grève révolutionnaire d’août. Ce fut l’échec. Le gouvernement de Dato-Sanchez Guerra triompha. Cependant, quelques mois plus tard, les vainqueurs étaient mis en déroute.
Le grand développement de l’organisation du prolétariat naît précisément du mouvement de 1917 ? C’est à partir de là que le Parti socialiste prend une véritable importance et que la Confédération nationale du Travail acquiert du prestige.
Deux ans après l’échec de 1917, la classe ouvrière espagnole se trouva en situation de pouvoir vaincre totalement la bourgeoisie. Sa force n’avait point de limite. Mais le manque d’unité révolutionnaire et d’une doctrine révolutionnaire juste incarnée par un parti ouvrier, gâcha des circonstances aussi propices.
En 1930, l’Espagne se trouve de nouveau comme en 1909 et 1917 en période révolutionnaire. A la fin de l’année éclate l’une des plus formidables grèves générales qui se soient jamais produites. Le gouvernement du général Berenguer paraît inamovible. Le mouvement révolutionnaire est jugulé.
Pourtant, quatre mois plus tard, l’ouragan faisait s’écrouler le gouvernement et avec lui la monarchie.
L’écrasement momentané de ces mouvements qui ont un sens progressif, qui possèdent une signification historique, est plus apparent que réel. La défaite constitue très souvent un échelon nécessaire dans l’ascension vers de futurs triomphes. Sans la Révolution russe de 1905 vaincue, il n’y aurait pas eu la victoire de 1917.
Les événements d’octobre 1934 dont le point culminant fut la Commune asturienne ont été le prologue lumineux de la seconde révolution qui immanquablement verra le jour en Espagne.
La situation actuelle : Lerroux, Gil Robles, le « cédisme », l’apothéose réactionnaire, tout cela est purement transitoire, éphémère. Cela passera, balayé par les tempêtes des grandes commotions, sans laisser de traces.
L’Espagne se trouve actuellement – et octobre fut l’expression de cette situation – entre le fascisme et le socialisme. Toute possibilité de stabilisation démocratique bourgeoise a été détruite. La bourgeoisie ne se maintiendra au pouvoir qu’en appliquant implacablement le fer et le feu, c’est-à-dire en évoluant à marches forcées vers le fascisme dont le gouvernement Gil Robles-Lerroux n’est qu’un avant-poste d’observation.
Mais, la classe ouvrière, connaissant maintenant les « délices » du fascisme triomphant en Italie, en Pologne, en Allemagne et en Autriche, consentira-t-elle à sa victoire ? Octobre fut un effort grandiose pour lui barrer le chemin. Nous ne tarderons pas à voir ce qui peut arriver ensuite. Il y a un fait, cependant, qu’il y a lieu de mettre en relief. Le mouvement ouvrier, bâillonné, mis hors-la-loi, persécuté avec fureur comme il ne le fut jamais sous la monarchie, ne se sent pas vaincu. Obligé de se contenir, de rester à l’ombre, il se sent fort, optimiste, refait ses cadres et se prépare à entrer à nouveau dans la bataille.
L’alternative historique : fascisme ou socialisme se résoudra, finalement, dans de rudes combats, dont octobre n’a été que le premier et sûrement pas le plus important.
C’est donc dans ce sens que ce qui est arrivé dans les Asturies durant les quinze jours de l’insurrection a une importance historique capitale.
Grossi nous apporte un document d’une valeur exceptionnelle. Il ne s’agit pas d’un reportage fait d’une plume brillante. Pendant le soulèvement Grossi ne maniait pas la plume, mais le fusil, la bombe et la mitrailleuse. Il n’avait pas le temps de prendre des notes, sinon pour décider, dans les réunions des Comités, de l’action à accomplir et de son exécution en tant que dirigeant responsable.
C’est dans la Maison du peuple de Mieres, convertie en prison, qu’après octobre Grossi a eu le temps de faire un résumé de l’action de ces quelques jours. Ces pages, sèches, mais fortement émouvantes parfois, sont un reflet très intéressant de ces journées chargées d’électricité et illuminées par les explosions de la dynamite. On n’écrira difficilement sur ce qui est arrivé dans les Asturies rien qui, étant une relation vécue, soit comparable au récit de Grossi. Et non pour son caractère littéraire, mais justement parce qu’il n’en a point, étant une traduction fidèle de l’action.
Le camarade Gonzalez Peña, dans la lettre adressée à Grossi qui précède ces pages, dit clairement qu’entre lui et Grossi, en tant que dirigeants tous les deux du mouvement révolutionnaire, il y eut une complète identité avant et durant le mouvement. La même qui sûrement a existé entre Peña et Grossi d’un côté, et Bonifacio Martin, José Maria Martinez et autres dirigeants, de l’autre.
Le document de Grossi puise là sa valeur. Bien qu’écrit par lui, il n’est, en fin de compte, qu’un rapport de guerre des Comités révolutionnaires, résumant la bataille livrée et énonçant les raisons qui ont obligé à démobiliser et à conclure un armistice temporaire.
Manuel Grossi, mineur âgé de 30 ans, dirigeant de l’insurrection asturienne, auteur des pages qui suivent, se trouve actuellement en prison, attendant l’heure de passer devant le Conseil de Guerre qui prononcera certainement la peine de mort.
L’intérêt dramatique s’en trouve encore accru.