Brochure qui aurait dû paraître comme n°19 des Cahiers Spartacus en juin 1939 mais la Gestapo détruisit les matricules. Après guerre, Wilebaldo Solano remit copie d'un jeu d'épreuves (déposé à la Bibliothèque nationale de Paris) à René Lefeuvre qui l'édita dans la compilation Espagne: les fossoyeurs de la révolution sociale (Spartacus, série B, n°65, décembre 1975). |
L'assassinat d'A. Nin : ses causes, ses auteurs
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Les Journées de Mai
Suivant le plan tactique qu’ils avaient établi, les staliniens voulaient à tout prix en finir d’abord avec les positions révolutionnaires qu’avaient en catalogne le P.O.U.M., la C.N.T. et la F.A.I. Moscou les aiguillonnait quotidiennement. Aussi, menaient-ils une campagne publique de mensonges et de dénigrement contre ces organisations. On voulait déchaîner contre elles, et principalement contre le P.O.U.M., la colère des ouvriers en les rendant responsables des défauts d’organisation de l’arrière. Les choses allèrent jusqu’au point où les staliniens qui dirigeaient les services d’approvisionnement organisèrent délibérément le sabotage pour exciter l’hostilité populaire contre les éléments révolutionnaires, qu’ils accusaient précisément d’être les saboteurs. Nombre d’agents staliniens étrangers affluèrent en Catalogne, qui étaient des spécialistes de ce genre de manœuvres. Ces agents se consacrèrent à préparer les esprits, à convaincre les psuquistes [1] catalans eux-mêmes de la nécessité d’une attaque de fond contre le P.O.U.M., car certains y étaient hostiles parce qu’ils connaissaient bien l’ambiance ouvrière de Barcelone et les périls que comportait une telle action.
Selon les plans, on attaquerait d’abord le P.O.U.M. Pour y parvenir, il était particulièrement intéressant de neutraliser la C.N.T. et la F.A.I., afin que ces organisations ne puissent protester ou se solidariser avec les persécutés au moment où commencerait la répression contre notre parti. On flattait publiquement les anarcho-syndicalistes et on les invitait à l’union. C’était l’application de la célèbre « politique d’unité » à l’hameçon de laquelle mordirent ingénument les farouches défenseurs de l’intransigeance dans la C.N.T. et la F.A.I.
Cependant, dans le même temps, on discréditait peu à peu, par les mêmes moyens, les organisations libertaires.
La haine se concentrait essentiellement contre le P.O.U.M. qui était incarné à leurs yeux par Andrès Nin. La presse communiste commença à redoubler ses coups, à nourrir ses colonnes de communiqués de l’Ambassade soviétique à barcelone. L’organe de la 27° division, division stalinienne, publia une caricature où l’on voyait Nin au bras de Franco. Le journal du P.S.U.C. de Lérida en vint à écrire : « Il faut anéantir Nin et son petit groupe d’amis ». C’était le titre d’un article signé par le député stalinien Valdes, qui fut ensuite expulsé du parti pour trahison. On créait ainsi une ambiance favorable pour un pogrome.
Une offensive ouverte restait cependant difficile. Le P.O.U.M., ses militants, ses chefs Joaquin Maurin et Andrès Nin étaient trop connus du prolétariat catalan pour qu’on pût les faire passer pour suspects à la cause de la révolution. Il fallait une provocation qui déchaînât la violence des travailleurs et c’est ainsi qu’on procéda. Ce fut la lutte de la « Téléphonique » : ce furent les glorieuses « Journées de Mai ». Il n’est pas nécessaire que nous expliquions ici le sens de ces « Journées », ce que fut l’action du prolétariat et comment agirent les forces contre-révolutionnaires. Mais il est nécessaire que nous disions que cette provocation fut consciente et minutieusement préparée. «Quand à la provocation monstrueuse des événements de mai, il y a encore beaucoup à dire là-dessus», dit Fédérica Montseny dans sa réponse au Procureur général au cours du procès qui eut lieu à Barcelone contre le Comité exécutif du P.O.U.M. Et nous pouvons ajouter que, pour ce qui est des Journées de Mai, il est suffisamment prouvé qu’elles furent provoquées par le P.S.U.C. et ses agents étrangers, afin de justifier la répression contre l’avant-garde révolutionnaire. Lorsque se termina la lutte dans les rues, par suite de la trahison des chefs de la C.N.T., les forces contre-révolutionnaires crurent à leur toute-puissance. C’est alors que commença contre tous les révolutionnaires une persécution acharnée. Ne se croyant pas encore assez forts pour écraser à la fois les anarchistes et nous-mêmes, ils concentrèrent toute leur férocité sur le P.O.U.M., « seul responsable des événements ». La campagne qui avait été menée avant les événements de mai dans la presse psuquiste atteignit alors son plus grand degré d’infamie. On ne demandait rien de moins que l’extermination physique de nos militants, la suppression de nos organes d’expression, un arrêt total de l’activité politique du P.O.U.M.
Même ainsi, la situation n’était pas assez mûre pour qu’on pût appliquer radicalement de telles mesures. Et l’on ne pouvait même pas se fonder sur l’argument politique de l’intervention du P.O.U.M. au cours de ces mémorables journées. Tout le prolétariat catalan les avait vécues, toute la classe ouvrière de Barcelone avait été du côté des combattants de barricade ; tout le monde savait à quoi s’en tenir sur la réalité des événements. Immédiatement après les journées de mai, la contre-révolution ne se sentit pas assez forte, en Catalogne, pour supprimer politiquement et organiquement un secteur ouvrier sur la simple accusation qu’il était intervenu dans ces événements. Il fallait craindre en effet un soulèvement indigné du prolétariat.
On recourut alors au gouvernement de Valence, que présidait encore Largo Caballero. On voulut arracher à celui-ci un décret par lequel le P.O.U.M. eût été déclaré « illégal ». Au cours du procès qui eut lieu à Barcelone contre notre parti, Largo Caballero déclara :
« On me demanda avec insistance la dissolution du P.O.U.M. Je m’y suis toujours refusé. Je n’ai pas pendant cinquante ans combattu pour les droits démocratiques des ouvriers pour commettre un attentat contre ces droits ». Cette nouvelle manœuvre échoua donc.
Peu après se constitua le Gouvernement Negrin, sans la participation de la gauche socialiste, ni de la C.N.T., ni de la F.A.I. L’occasion était plus propice. Il fallait entreprendre une offensive à fond. Le plan en fut tracé, on chercha des complices, on choisit le lieu des opérations. Et c’est alors que fut exécutée la monstrueuse manœuvre tactique contre Andrès Nin et contre son parti.
Le plan d’attaque n’avait plus pour base les Journées de Mai, prétexte glissant et dangereux et qui pouvait à la longue servir de plate-forme politique au P.O.U.M. lui-même. Il fallait lui donner un caractère plus criminel : présenter Andrès Nin, chef le plus en vue du P.O.U.M., et son parti comme étant en relations avec leurs mortels ennemis les fascistes. Il existait une pratique politique et une technique spécifique pour l’invention de sombres forfaits : celles qu’avait mise constamment la Guépéou lorsqu’il s’était agi d’arrêter les oppositionnels russes et de monter les célèbres « procès » de Moscou. En s’inspirant de ses méthodes, les agents staliniens espagnols et étrangers commencèrent à agir.
Notes
[1] Membres du Parti Socialiste Unifié de Catalogne (P.S.U.C.), le PC stalinien en Catalogne (Note MIA)
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