1918 |
Chapitres 18, 19, 20 et 21 de l'ouvrage «L'avènement du bolchevisme», |
Œuvres – février 1918
L'avènement du bolchevisme
A côté de ce travail d'organisation il y avait une violente campagne d'agitation. Ce fut une période de meetings continuels dans les usines, au Cirque Moderne et au Cirque Ciniselli, dans les clubs et dans les casernes. L'atmosphère de tous ces meetings était saturée d'électricité. Toute allusion à la Révolution prochaine était accueillie par un tonnerre d'applaudissements et de cris d'enthousiasme.
La presse bourgeoise contribua beaucoup à accentuer l'impression d'inquiétude générale. L'ordre signé par moi donné à la fabrique de munitions de Sestrorjetzk de remettre à la garde rouge 5.000 fusils déchaîna dans les milieux bourgeois une panique indescriptible. Partout, dans les paroles et dans les écrits, il n'était question que d'un massacre général qui se préparait. Cela n'empêcha naturellement pas la fabrique d'armes de Sestrorjetzk de livrer des armes aux gardes rouges. Plus la presse bourgeoise aboyait contre nous et nous calomniait, et plus ardente était la réponse faite par les masses à notre appel.
On se rendait de plus en plus compte dans les deux camps que la crise devait fatalement se dénouer dans le courant des jours qui allaient suivre. La presse socialiste-révolutionnaire et menschewiste jetait le cri d'alarme : "La Révolution est dans le plus grand péril ! " - " Il se prépare une répétition des Journées de juillet, - mais sur une base plus large et, par suite aussi, avec des conséquences beaucoup plus dangereuses ! "
Gorki prophétisait chaque jour dans sa " Nowaja Schisn " la ruine imminente de toute la civilisation. La couleur socialiste s'effaçait avec une rapidité inconcevable de dans les esprits de la bourgeoisie intellectuelle, au fur et à mesure que s'approchait le régime sévère de la dictature des travailleurs.
En revanche les soldats des régiments même les plus arriérés saluaient avec enthousiasme les commissaires du Comité militaire révolutionnaire. Jusqu'aux contingents cosaques et jusqu'à la minorité socialiste des élèves-officiers qui nous envoyaient des délégués. Dans le cas d'une lutte à main armée ils nous faisaient espérer pour le moins la neutralité de leurs contingents. Le gouvernement de Kérensky ne tenait plus que par un fil.
L'état-major de l'arrondissement militaire entra en pourparlers avec nous, nous proposant un compromis. Pour mesurer la force de résistance de l'ennemi, nous acceptâmes les négociations. Mais l'état-major était nerveux : tantôt il calait doux et tantôt il menaçait et prétendait même ne pas reconnaître nos commissaires, ce qui, du reste, n'avait pas la moindre influence sur leur manière d'agir.
D'accord avec l'état-major le Comité central exécutif nomma haut-commissaire pour la circonscription militaire de Pétrograd le capitaine d'état-major Malewski et déclara magnanimement qu'il était, disposé à reconnaître nos commissaires, - à la condition qu'ils se soumettraient à ce haut-commissaire. Nous repoussâmes cette proposition et les pourparlers furent, rompus.
Des Menschewiki et des socialistes-révolutionnaires notables vinrent à nous en médiateurs, cherchant à nous apaiser ou nous couvrant de menaces, et nous prédisant notre ruine et la ruine finale de la Révolution.
L'Institut Smolni se trouvait déjà à cette époque dans les mains du soviet de Pétrograd et de notre parti. Les Menschewiki et les socialistes-révolutionnaires de droite transportèrent le centre de leur activité politique au Palais Marie, où le Pré-Parlement à peine né était déjà à l'agonie.
Kérensky prononça au Pré-Parlement un grand discours dans lequel il cherchait à cacher son impuissance sous les vifs applaudissements des partis bourgeois et derrière un braillement de menaces.
L'état-major fit encore une suprême tentative de résistance. Il envoya à tous les éléments de la garnison une invitation à nommer deux délégués par corps de troupes, afin d'examiner la question de l'éloignement des soldats de la capitale. La délibération était fixée au 22 octobre, à une heure de l'après-midi.
Les régiments nous avertirent aussitôt de cette invitation. Nous convoquâmes par téléphone le conseil de la garnison pour 11 heures du matin. Toutefois une partie des délégués se rendirent à l'état-major, mais à seule fin de déclarer qu'ils ne feraient rien sans les instructions du soviet de Pétrograd.
Le conseil de la garnison manifesta presque unanimement sa fidélité au Comité militaire révolutionnaire. Des objections ne furent faites que par les représentants officiels des partis de l'ancien soviet, mais elles ne trouvèrent chez les délégués des régiments aucun écho. Les efforts de l'état-major n'avaient servi qu'à nous montrer d'autant plus clairement que nous marchions sur un terrain solide. Parmi nos plus chauds partisans était le régiment de Wolynie, celui-là même qui, dans la nuit du 4 juillet, avait, musique en tète, quitté le Palais de Tauride pour aller garrotter les Bolschewiki.
Nous avons déjà dit que le Comité central exécutif détenait la caisse et les publications du soviet de Pétrograd. Sa tentative de se rendre maître ne fût-ce que d'une seule de ces publications n'avait conduit à rien. Depuis la fin de septembre nous avions entrepris une série de démarches pour procurer au soviet de Pétrograd un journal indépendant. Mais toutes les imprimeries étaient occupées, et leurs propriétaires, soutenus par le Comité central exécutif, nous boycottaient.
Aussi décidâmes-nous d'organiser la "Journée du Soviet de Pétrograd ", afin de déployer une agitation grandiose et de recueillir les fonds nécessaires pour créer un journal. Cette journée avait été fixée deux semaines plus tôt au 22 octobre ; elle coïncida ainsi avec la date même de la lutte ouverte.
La presse adverse affirmait avec certitude que le 22 oc tobre aurait lieu dans les rues de Pétrograd une entreprise des Bolschewiki à main armée. Que cette entreprise ait lieu, nul n'en doutait. On ne s'efforçait plus que d'en deviner la date, et l'on se répandait en conjectures et en prophéties, essayant par ce moyen de nous arracher un démenti ou une confirmation.
Mais le soviet procédait avec calme et sang-froid, sans prêter l'oreille aux vociférations de " l'opinion publique" et de la grande bourgeoisie. Le 22 octobre fut le jour de parade de l'armée prolétarienne. Tout s'y passa excellemment. Malgré tous les avertissements venus de droite et prétendant que le sang coulerait à flot dans les rues, les masses populaires accoururent en foule aux meetings du soviet de Pétrograd.
Toutes les forces oratoires avaient été mises en action. Tous les établissements publics étaient bondés. Les réunions durèrent plusieurs heures sans une interruption. Comme orateurs il y avait des membres de notre parti, des délégués du Congrès des Soviets, des représentants du front, des socialistes-révolutionnaires de gauche et des anarchistes Tous les édifices publics étaient inondés par les vagues d'ouvriers, de soldats et de matelots. Des réunions pareil-les, même pendant la Révolution, avaient rarement eu lieu à Pétrograd.
Une partie importante de la petite bourgeoisie se mit elle aussi en mouvement, excitée plutôt qu'effrayée par les cris, les avertissements et les aboiements de la presse bourgeoise. Des dizaines de milliers d'hommes envahissaient l'édifice de la maison du peuple, tourbillonnaient dans les couloirs et s'entassaient dans les salles archicombles. Autour des piliers de fer s'accrochaient, comme d'énormes pampres, des guirlandes de têtes humaines, de mains et de pieds. L'atmosphère était remplie de cette tension électrique qui distingue tous les moments critiques de la Révolution :
- "A bas le gouvernement de Kérensky !"
- " A bas la guerre ! "
- " Tout le pouvoir pour les Soviets ! "
Devant ces immenses multitudes, nul, parmi les partis de l'ancien soviet, n'osait hasarder une seule parole de contradiction. Le soviet de Pétrograd dominait absolument tout. A vrai dire, l'action révolutionnaire était déjà déclenchée. Il ne restait plus qu'à donner à ce fantôme de gouvernement, par la main de l'armée, le coup de grâce.
Les plus prudents d'entre nous-mêmes se dirent qu'il y avait encore des corps de troupe qui n'étaient pas pour nous, tels les cosaques, le régiment de cavalerie, le régiment de Semenow, les automobilistes. Nous dépêchâmes vers ces troupes des commissaires et des agitateurs. Leurs comptes rendus étaient tout à fait satisfaisants : l'atmosphère chauffée au, rouge communiquait sa température à tous et à chacun, et même les éléments les plus conservateurs de l'armée n'avaient plus le moyen de résister à la tendance générale de la garnison de Pétrograd.
J'assistai à une réunion en plein air du régiment de Semenow, qui passait pour le meilleur appui du gouvernement de Kérensky. Il y avait là les orateurs les plus en vue de la droite. Ils se cramponnaient à ce régiment de la Garde, à ce régiment conservateur, comme à la dernière bouée de sauvetage du Gouvernement de coalition. Effort inutile. Avec une majorité écrasante, le régiment se prononça pour nous et coupa franchement la parole à ces anciens ministres.
Les groupes qui luttaient encore contre les mots d'ordre du soviet consistaient surtout, en officiers, engagés volontaires, intellectuels et semi-intellectuels de la bourgeoisie. Les masses ouvrières et paysannes étaient entièrement nôtres. La démarcation entre les deux camps était établie d'après une ligne de condition sociale nettement déterminée.
La base militaire centrale de Pétrograd est la forteresse Pierre et, Paul. Nous avions mis là comme commandant un jeune sous-lieutenant. Il se trouva qu'il fut à là hauteur de sa tâche et qu'au bout de quelques heures, il domina la situation. Les chefs officiels de la forteresse s'écartèrent et attendirent. Nous considérions maintenant comme élément sûr le bataillon des automobilistes qui, en juillet, avait mis à sac l'organisation militaire de notre parti se trouvant dans le palais de la Kschessinskaja et qui avait occupé cet édifice.
Le 23 octobre, vers 2 heures de l'après-midi, je me rendis à la forteresse. Les orateurs de la droite se montrèrent extrêmement prudents et réservés ; ils éludèrent obstinément toute question relative à la personne de Kérensky, tandis que le nom de Kérensky provoquait, même parmi les soldats, d'inévitables cris de protestation et d'indignation. C'est nous qu'on écouta et, qu'on suivit.
'Vers 4 heures, les automobilistes tinrent, dans le voisinage, au Cirque Moderne, une réunion de leur bataillon. Comme orateur, il y eut notamment le quartier-maître général Paradjelow. Il parla avec une extrême prudence. Le temps était loin où les orateurs officiels et officieux ne parlaient du parti ouvrier que comme d'une bande de traîtres et de vendus au Kaiser allemand.
Le chef intérimaire de l'état-major de l'armée vînt à moi et me dit : " Allons, je vous en prie, il faut que nous trouvions un moyen d'entente... " Mais il était déjà trop tard. Après la discussion, le bataillon se déclara, à l'unanimité moins 30 voix, pour la remise du pouvoir aux soviets.
Le gouvernement de Kérensky ne savait plus où donner de la tête. Du front on appela deux nouveaux bataillons d'automobilistes et la batterie contre avions ; on essaya aussi de faire venir les corps de cavalerie... Chemin faisant, les automobilistes envoyèrent au soviet de Pétrograd un télégramme ainsi conçu : " On nous dirige sur Pétrograd, nous ne savons pas pourquoi, prière de nous renseigner. "
Nous leur répondîmes de s'arrêter et d'envoyer une délégation à Pétrograd. Les délégués arrivèrent et nous déclarèrent dans les séances du soviet que le bataillon était tout entier pour nous. Cela déchaîna un ouragan d'enthousiasme. Le bataillon fut invité à venir aussitôt dans la capitale.
Le nombre des délégués du front augmentait chaque jour. Ils venaient nous voir, nous demandaient des renseignements sur la situation, se faisaient donner par nous des documents de propagande et retournaient au front, pour y répandre la nouvelle que le soviet de Pétrograd luttait pour un gouvernement constitué par les ouvriers, les soldats et les paysans.
" Les tranchées vous soutiendront ", nous disaient-ils.
Les vieux Comités des armées, qui pendant les quatre ou cinq derniers mois n'avaient subi aucune réélection, nous envoyaient des dépêches pleines de menaces mais qui n'effrayaient personne : nous savions que ces Comités étaient pour le moins aussi étrangers aux masses des soldats que le Comité central exécutif l'était, aux soviets locaux.
Le Comité Militaire Révolutionnaire plaça des commissaires dans toutes les gares. Ceux-ci surveillaient avec soin l'arrivée et le départ des trains et, en particulier, les mouvements de troupes. Des communications permanentes, par téléphone et par automobile, furent établies avec les villes voisines et avec leurs garnisons. Tous les soviets des environs de Pétrograd furent invités à tenir strictement la main à ce que n'entre dans la capitale aucune troupe contre-révolutionnaire, ou, pour être plus exact, aucune troupe trompée par le gouvernement.
Le personnel subalterne des gares et les ouvriers reconnurent aussitôt nos commissaires. Au Central téléphonique il se produisit le 24 octobre des difficultés : nous n'obtenions plus la communication. Le Central avait été occupé par des élèves-officiers, sous la protection de qui les dames téléphonistes faisaient de l'opposition au soviet. C'était le premier indice du commencement du sabotage. Le Comité militaire révolutionnaire envoya à la station téléphonique un détachement de soldats et plaça à l'entrée deux petits canons. Ainsi commença la prise de possession des organes gouvernementaux. Les matelots et les gardes rouges occupèrent, avec de petits contingents, le télégraphe, la poste et d'autres services publics. Des mesures furent prises pour s'emparer de la Banque d'Etat.
Le centre du gouvernement, l'Institut Smolni, fut transformé en forteresse. Dans les combles de l'édifice il y avait encore, héritage de l'ancien Comité central exécutif, quelques douzaines de mitrailleuses ; mais elles étaient en mauvais état et il n'y avait pas, pour s'en servir, de personnel exercé. Nous dépêchâmes en renfort à l'Institut Smolni un détachement de mitrailleuses. Au petit jour, les soldats faisaient rouler déjà, avec un grondement de tonnerre, leurs mitrailleuses sur les dalles de pierre des longs couloirs à demi-obscurs de l'Institut Smolni. Aux portes regardaient, d'un visage surpris ou effrayé, les quelques socialistes-révolutionnaires ou Menschewiki restés encore à l'Institut.
Le soviet se réunissait tous les jours à l'Institut Smolni, tout comme la Conférence de la garnison.
Au troisième étage de l'Institut, dans une petite pièce d'angle, siégeait en permanence le Comité militaire révolutionnaire. C'est là que convergeaient toutes les nouvelles, sur le déplacement des troupes, sur la mentalité actuelle des soldats et des ouvriers, sur l'agitation dans les casernes, sur les excès des fauteurs de pogroms, sur les agissements des politiciens bourgeois, les menées du Palais d'Hiver et les projets des anciens partis soviétistes. De tous côtés affluaient les informateurs. C'étaient des ouvriers, des officiers, des concierges, des élèves-officiers à tendances socialistes, des servantes et des dames. Beaucoup d'entre eux ne disaient que des sottises, mais d'autres apportaient de sérieuses et précieuses informations. Le moment décisif approchait. Il était évident qu'il n'y avait plus à reculer.
Le 24 octobre au soir, Kérensky vint au Pré-Parlement, et demanda l'autorisation de prendre des mesures répressives contre les Bolschewiki. Mais le Pré-Parlement se trouvait dans un état de lamentable incohérence et de désagrégation complète. Les Cadets persuadèrent aux socialistes-révolutionnaires de droite de voter une motion de confiance ; les socialistes-révolutionnaires de droite exercèrent une pression sur le Centre; le Centre était indécis ; l'aile " gauche " faisait une politique d'opposition parlementaire. Après de nombreuses délibérations et discussions et après beaucoup d'oscillations, la résolution de l'aile gauche fut adoptée, condamnant le mouvement séditieux du soviet ; mais la responsabilité de ce mouvement fut rejetée sur la politique anti-démocratique du gouvernement.
Le courrier nous apportait des douzaines de lettres nous parlant d'arrêts de mort prononcés contre nous, de machines infernales, d'un attentat à la dynamite menaçant l'Institut Smolni, etc. La presse bourgeoise vomissait furieusement des imprécations de rage et de terreur. Gorki, qui semblait avoir complètement oublié son " Chant du Faucon ", continuait dans la " Nowaja Schisn " à prophétiser l'imminente fin du monde.
Les membres du Comité militaire révolutionnaire n'avaient pas quitté l'Institut Smolni durant toute la semaine dernière ; ils dormaient sur les divans et ne prenaient qu'un peu de sommeil, réveillés sans cesse par les courriers, les porteurs de nouvelles, les cyclistes, les télégraphistes et les appels téléphoniques.
La nuit la plus agitée de toutes fut celle du 24 au 25. On nous avisa téléphoniquement de Pawlowsk que le gouvernement faisait appel à l'artillerie qui se trouvait là ; de même à Péterhof, pour l'école des sous-officiers. Au Palais d'Hiver se réunissaient, autour de Kérensky, des élèves-officiers, des officiers, et les troupes de choc du " régiment des femmes ". Nous donnâmes par téléphone l'ordre de placer sur toutes les routes conduisant à Pétrograd des postes militaires sûrs et d'envoyer des agitateurs au-devant des troupes appelées pal le gouvernement. Si les paroles seules ne suffisaient pas, on devait se servir des armes. Toutes les communications étaient faites téléphoniquement, en langage clair, et elles étaient donc parfaitement susceptibles d'être saisies par les agents du gouvernement.
Les commissaires nous informèrent téléphoniquement que sur toutes les voies d'accès à Pétrograd nos amis veillaient. Cependant, une partie des élèves-officiers d'Oranienbaum réussit à passer, et nous suivîmes au téléphone leurs mouvements ultérieurs. La garde extérieure de l'Institut Smolni fut renforcée par l'envoi d'une compagnie de plus.
La liaison avec toutes les parties de la garnison était permanente. Les compagnies de garde de tous les régiments restaient sur pied. Nuit et jour, les délégués étaient à la disposition du Comité militaire révolutionnaire. L'ordre fut donné de réprimer énergiquement l'agitation des " Cent Noirs " et, à la première tentative de désordre dans la rue, de faire usage de ses armes et d'être sans pitié.
Au cours de cette nuit décisive tous les points principaux de la ville tombèrent entre nos mains, - presque sans résistance, sans combat, sans verser de sang. La Banque d'État était gardée par les troupes gouverne-mentales et par une auto blindée. Nos troupes cernèrent l'immeuble de toutes parts et s'emparèrent de l'auto blindée, de sorte que la Banque d'Etat tomba sans coup férir entre les mains du Comité militaire révolutionnaire.
Il y avait sur la Néva, près de la Fabrique Franco-Russe, le croiseur Aurore, qui se trouvait en réparation. Son équipage se composait exclusivement de matelots absolument dévoués à la Révolution. Lorsque Kornilow, à la fin du mois d'août, menaçait Pétrograd, les matelots de l'Aurore furent appelés par le gouvernement pour défendre le Palais d'Hiver. Et, bien que déjà à cette époque, ils fussent tout à fait hostiles au gouvernement de Kérensky, ils comprirent que leur devoir était de faire face à l'assaut contre-révolutionnaire, et ils allèrent, sans faire d'objection, occuper leur poste de combat. Le danger passé, ils furent tenus à l'écart.
Maintenant, au moment de la levée révolutionnaire d'Octobre, ils étaient trop dangereux. C'est pourquoi le ministère de la marine donna nu croiseur Aurore l'ordre d'appareiller et de sortir des eaux de Pétrograd. L'équipage nous en avisa aussitôt. Nous annulâmes cet ordre, et le croiseur resta où il était, prêt, à chaque instant à mettre toutes ses forces au service du gouvernement des Soviets.