1928 |
L'Opposition de Gauche face au centrisme bureaucratique. |
L'Internationale Communiste après Lenine
CRITIQUE DU PROGRAMME DE L'INTERNATIONALE COMMUNISTE
Dans la citation donnée plus haut, le projet de programme use de l'expression " victoire du socialisme dans un seul pays " avec l'intention manifeste de marquer une identité avec l'article de Lénine de 1915 : identité, en fait, purement superficielle et verbale. On a abusé ainsi de Lénine d'une façon cruelle, pour ne pas dire criminelle, au cours des discussions qui portent sur l'édification de la société socialiste dans un seul pays. Le projet use du même procédé, dans un autre cas, quand " il fait allusion " aux paroles de Lénine pour consolider sa propre position. Telle est sa " méthodologie " scientifique.
De toute la riche littérature marxiste, du trésor des travaux de Lénine, passant outre à tout ce que Lénine a écrit, dit et fait, passant outre aux programmes du parti et des Jeunesses communistes, ignorant le point de vue de tous les dirigeants du parti sans exception à l'époque de la Révolution d'Octobre lorsque la question se posa – et combien nettement – , négligeant ce que les auteurs du projet – Staline et Boukharine – avaient dit eux-mêmes jusqu'en 1924, on ne retient, en définitive, pour défendre la théorie du socialisme national qui naquit à la fin de 1924 ou au début de 1925 des nécessités de la lutte contre le prétendu " trotskysme ", que deux citations de Lénine : l'une extraite d'un article sur les Etats-Unis d'Europe écrit en 1915, l'autre tirée de son ouvrage posthume et inachevé sur la coopération. Tout ce qui contredit ces deux citations de quelques lignes, tout le marxisme, tout le léninisme, est simplement mis de côté. Quant aux deux citations arbitrairement isolées de leur contexte et interprétées par les épigones avec des erreurs grossières, elles servent de base à une nouvelle théorie purement révisionniste dont on ne peut encore entrevoir toutes les conséquences politiques. Ainsi, sous nos yeux, par des méthodes scolastiques et sophistiques, on tente de greffer sur le tronc marxiste une branche d'une autre espèce ; si cette greffe réussit, elle infectera et étouffera l'arbre entier.
Au VIIe plénum, Staline déclara (et ce n'était pas la première fois) :
" La question de la construction de l'économie socialiste dans un seul pays fut, pour la première fois, posée dans le parti par Lénine en 1915 " [Compte rendu sténographique, p. 14 (souligné par nous)].
Ainsi, on admet, ici, qu'avant 1915, il ne fut pas question du socialisme dans un seul pays. Cela signifie que Staline et Boukharine ne se réclament pas de toute la tradition précédente du marxisme et du parti sur le problème du caractère international de la révolution prolétarienne. Notons cela.
Qu'a donc déclaré Lénine, " pour la première fois ", en 1915, contredisant ce que Marx, Engels et Lénine lui-même avaient dit jusqu'à cette date ?
En 1915, Lénine écrivait :
" L'inégalité du développement économique et politique est une loi absolue du capitalisme. Il s'ensuit que la victoire du socialisme est possible au début dans un petit nombre de pays capitalistes ou même dans un seul pays capitaliste isolé. Le prolétariat victorieux de ce pays, après avoir exproprié les capitalistes et organisé chez lui la production socialiste, se dresserait contre le reste du monde capitaliste en attirant à lui les classes opprimées des autres pays capitalistes, en les poussant à s'insurger contre les capitalistes, en employant même, en cas de nécessité, la force militaire contre les classes exploiteuses et leurs Etats " [LÉNINE, Œuvres, vol. XXI, p. 354 de l'édition française. Social-Démocrate, n° 44 du 23 août 1915 (souligné par nous)].
Qu'est-ce que Lénine voulait dire en écrivant cela ? Tout simplement que la victoire du socialisme, dans le sens de l'établissement de la dictature du prolétariat, est possible d'abord dans un seul pays, qui se trouvera ainsi en opposition avec le monde capitaliste. Pour repousser les assauts et passer lui-même à l'offensive révolutionnaire, l'Etat prolétarien devra, au préalable, " organiser chez lui la production socialiste ", c'est-à-dire diriger lui-même le travail dans les usines soustraites aux capitalistes. C'est tout. On sait qu'une telle " victoire du socialisme " fut, pour la première fois, acquise en Russie ; pour repousser l'intervention mondiale, le premier Etat ouvrier dut, tout d'abord, " organiser chez lui la production socialiste " ou des trusts " de type socialiste conséquent ". Ce que Lénine entendait par " victoire du socialisme dans un seul pays", ce n'est pas une société socialiste fantasmagorique, vivant pour elle-même - surtout dans un pays retardataire - mais quelque chose de bien plus réaliste : précisément ce que la Révolution d'Octobre a réalisé chez nous dès la première période de son existence.
Peut-être faut-il encore apporter des preuves à la démonstration ? Il y en a tant que seul le choix est difficile.
Dans ses thèses sur la guerre et la paix (7 janvier 1918), Lénine évoquait " la nécessité, pour la victoire du socialisme en Russie, d'un certain laps de temps, pas moins de quelques mois ".
Au début de la même année 1918, dans un article dirigé contre Boukharine et intitulé De l'enfantillage gauchiste et de la petite bourgeoisie, Lénine écrivait :
" Si, dans six mois par exemple, nous avions instauré chez nous le capitalisme d'Etat, ce serait un immense succès et la plus sûre garantie qu'un an plus tard, dans notre pays, le socialisme serait définitivement assis et deviendrait invincible " (LÉNINE, Œuvres, vol. XXVII, p. 349 de l'édition française).
Comment Lénine pouvait-il fixer un délai aussi court pour la " consolidation définitive du socialisme "? Quelle signification matérielle et sociale, concernant la production, donnait-il à ces paroles?
Cette question apparaît soudain sous un autre éclairage si l'on se rappelle que le 29 avril de la même année 1918, dans son rapport au Comité exécutif central panrusse des soviets, Lénine déclarait :
" Il est douteux que même la génération suivante, qui sera plus développée, puisse réaliser entièrement le passage au socialisme " (LÉNINE, Œuvres, vol. XXVII, p. 312 de l'édition française).
Le 3 décembre 1919, au Congrès des exploitations collectives et des artels agricoles, Lénine s'exprima ;avec plus de vigueur encore :
" Nous savons que nous ne pouvons instituer immédiatement l'ordre socialiste ; Dieu veuille que nos enfants, et peut-être même nos petits-enfants, le voient s'établir chez nous " (LÉNINE, Œuvres, vol. XXX, p. 205 de l'édition française).
Dans lequel de ces deux cas Lénine avait-il raison : quand il fixait douze mois de délai pour la " consolidation définitive du socialisme " ou bien quand il chargeait non pas nos enfants mais nos petits-enfants de l'édification de " l'ordre socialiste " ?
Lénine avait raison dans les deux cas, car il avait en vue deux étapes différentes et sans commune mesure de la construction du socialisme.
Dans le premier cas, par " consolidation définitive du socialisme", Lénine entendait, non pas l'édification de la société socialiste dans le délai d'un an ou même de " quelques mois " (c'est-à-dire la suppression des classes, le dépassement de l'opposition entre la ville et la campagne), mais la remise en marche des fabriques et des usines aux mains de l'État prolétarien, qui rendrait possible l'échange des produits entre la ville et la campagne. La brièveté même du délai donne ici la clé qui permet de saisir sans erreur toute la perspective.
Il est certain que même pour cette tâche très élémentaire, le délai prévu au début de 1918 était trop court. C'est à propos de cette " bévue ", purement pratique, que Lénine ironisait au VIe Congrès de l'Internationale communiste : " Nous étions plus stupides que maintenant. " Mais " nous " avions vu juste sur la perspective générale, sans croire le moins du monde qu'on puisse, en douze mois, fonder intégralement " l'ordre socialiste " (et qui plus est dans un pays arriéré). Pour atteindre le but essentiel et dernier – la réalisation de la société socialiste – Lénine comptait sur trois générations : sur nous-mêmes, sur nos enfants et sur nos petits-enfants.
N'est-il pas clair que dans son article de 1915 Lénine entendait, par " organisation de la production socialiste ", non pas la création d'une société socialiste, mais une tâche relativement plus simple, celle que nous avons déjà accomplie en U.R.S.S. ? Sinon, il faudrait en venir à la conclusion absurde que selon Lénine, le parti prolétarien après avoir conquis le pouvoir doit ajourner la guerre révolutionnaire jusqu'à la troisième génération.
Ainsi, piteusement, du point d'appui fondamental de la nouvelle théorie, il ne reste que la citation de 1915. Mais ce qui est plus piteux encore, c'est que cette citation de Lénine ne concernait nullement la Russie. Son discours parlait de l'Europe par opposition à la Russie. Cela ressort non seulement du contenu de l'article cité, consacré aux Etats-Unis d'Europe, mais de toutes les positions de Lénine à ce moment-là. Quelques mois après, le 20 novembre 1915, Lénine écrivait spécialement à propos de la Russie :
" De cette situation de fait découle de toute évidence la tâche du prolétariat. Mener avec une audace indomptable la lutte révolutionnaire contre la monarchie (mots d'ordre de la Conférence de janvier 1912, les " trois piliers [1] "), lutte qui entraîne toutes les masses démocratiques, c'est-à-dire principalement les paysans. En même temps, lutter impitoyablement contre le chauvinisme, lutter pour la révolution socialiste en Europe en alliance avec le prolétariat européen... La crise née de la guerre a renforcé les facteurs économiques et politiques qui poussent la petite bourgeoisie – y compris la paysannerie – vers la gauche. Telles sont les conditions objectives d'une victoire de la révolution démocratique en Russie. Nous n'avons pas besoin de démontrer ici que les conditions objectives en Europe occidentale sont mûres pour la révolution socialiste ; ce fait était reconnu avant la guerre par les socialistes influents de tous les pays avancés " (LÉNINE, Œuvres, vol. XXI, p. 434 de l'édition française).
Ainsi, en 1915, Lénine parlait nettement de la révolution démocratique en Russie et de la révolution socialiste en Europe occidentale ; il signalait comme quelque chose qui va de soi qu'à la différence de la Russie, qu'en opposition avec la Russie, en Europe occidentale, les conditions de la révolution socialiste étaient " complètement mûres ". Mais les auteurs de la nouvelle théorie, qui sont aussi ceux du programme, négligent cette remarque (une parmi d'autres) qui se rapporte directement à la Russie ; ils agissent de même pour des centaines d'autres et pour les œuvres complètes de Lénine. En revanche, comme nous l'avons vu, ils prennent une autre citation qui a rapport à l'Europe occidentale et lui attribuent un sens qu'elle ne peut et ne veut avoir ; ils rattachent ce sens arbitraire à la Russie que la citation ne concerne pas, et sur cette " base " ils érigent leur théorie nouvelle.
Comment Lénine considérait-il cette question dans la période précédant immédiatement Octobre ? En quittant la Suisse, après la Révolution de février 1917, Lénine adressa aux ouvriers suisses une lettre dans laquelle il expliquait :
" La Russie est un pays paysan, l'un des plus arriérés de l'Europe. Le socialisme ne peut y vaincre tout de suite et spontanément. Mais le caractère paysan du pays peut, sur la base de l'expérience de 1905 et étant donné l'énorme superficie des terres restées aux mains de l'aristocratie foncière, donner une formidable ampleur à la révolution démocratique bourgeoise en Russie et faire de notre révolution le prologue de la révolution socialiste mondiale, une étape vers celle-ci... Le prolétariat russe ne peut pas, avec ses seules forces, achever victorieusement la révolution socialiste. Mais il peut donner à la révolution russe une ampleur qui créera les conditions les meilleures pour la révolution socialiste et la commencera, en un certain sens. Il peut faciliter l'intervention, dans les batailles décisives, de son allié principal, le plus fidèle, le plus sûr, le prolétariat socialiste européen et américain " (LÉNINE, Œuvres, vol. XXIII, p. 400 de l'édition française [2] ).
Ces lignes renferment tous les éléments de la question. Si, comme on tente de nous l'assurer, Lénine estimait en 1915 – en période de guerre et de réaction – que le prolétariat de Russie pouvait, à lui seul, construire le socialisme puis ensuite déclarer la guerre aux Etats bourgeois, comment alors Lénine au début de 1917 – après la Révolution de février – pouvait-il, si catégoriquement, affirmer l'impossibilité pour la Russie paysanne d'édifier le socialisme par ses propres forces ? Il faut être pour le moins logique, et – disons-le franchement – respecter quelque peu Lénine.
Il est inutile de multiplier les citations. Un exposé correct des vues de Lénine sur le caractère économique et politique de la révolution socialiste exigerait une étude spéciale qui comporterait bien des thèmes, sauf celui de la construction dans un seul pays d'une société socialiste ayant son but en elle-même : Lénine ne connaissait pas ce thème-là.
Nous devons, pourtant, nous arrêter encore sur un autre article de Lénine ; en effet, le projet de programme nous semble citer l'article posthume de Lénine : De la coopération en utilisant une expression isolée du contexte et sans rapport avec le propos de l'article. Nous avons en vue le chapitre V du projet de programme affirmant que les ouvriers des Républiques soviétiques " possèdent, dans le pays, les conditions préalables matérielles, nécessaires et suffisantes..., pour construire le socialisme intégral " (souligné par nous).
Si cet article, dicté par Lénine pendant sa maladie et publié seulement après sa mort, disait effectivement que l'Etat soviétique possède les conditions matérielles nécessaires et suffisantes (c'est-à-dire tout d'abord en ce qui concerne la production) pour construire à lui seul le socialisme intégral, on ne pourrait que supposer un lapsus au cours de la dictée ou bien une erreur de déchiffrage du texte sténographié. L'une et l'autre des deux hypothèses serait plus probable qu'un renoncement de Lénine, en deux lignes quelconques, au marxisme et à tout ce qu'il a enseigné lui-même durant sa vie. Par bonheur, il est inutile de recourir à cette explication. L'article remarquable – bien qu'inachevé – intitulé De la coopération est lié par une unité de pensée avec d'autres textes, non moins remarquables, parus dans la dernière période de la vie de Lénine, formant les chapitres d'un livre qui ne put être terminé et qui traitait de la place de la Révolution d'Octobre dans l'enchaînement des révolutions d'Occident et d'Orient. L'article De la coopération ne dit pas du tout ce que, avec légèreté, lui font dire les révisionnistes de l'enseignement de Lénine.
Dans cet article, Lénine explique que la coopération " mercantile " peut et doit absolument changer son rôle social dans l'Etat ouvrier : grâce à une politique juste, elle peut coordonner dans la voie socialiste l'intérêt particulier du paysan et l'intérêt général de l'Etat. Lénine expose cette pensée indiscutable dans les lignes suivantes :
" En effet, le pouvoir de l'Etat sur les principaux moyens de production, le pouvoir de l'Etat aux mains du prolétariat, l'alliance de ce prolétariat avec les millions de petits et tout petits paysans, la direction de la paysannerie assurée à ce prolétariat, etc., n'est-ce pas tout ce qu'il faut pour construire à partir de la coopération, de la coopération à elle seule, que nous traitions auparavant de mercantile, et qu'à certains égards nous avons le droit de traiter aujourd'hui, sous la N.E.P., de la même façon, n'est-ce pas tout ce qui est nécessaire pour édifier une société socialiste intégrale ? Ce n'est pas encore la construction de la société socialiste, mais c'est tout ce qui est nécessaire et suffisant à cet effet " (LÉNINE, Œuvres, vol. XXXIII, p. 481 de l'édition française).
Le texte seul de la citation renfermant la phrase inachevée (" de la coopération à elle seule ") prouve indiscutablement que nous avons là un essai qui n'a pas été corrigé, et qui de plus a été dicté et non pas écrit de la main de l'auteur. Aussi, n'en est-il que plus impardonnable de se saisir de paroles isolées du texte au lieu de méditer le sens général de l'article. Par bonheur, pourtant, la lettre même, et non pas seulement l'esprit de cette citation, ne donne nullement le droit de commettre le détestable abus pratiqué par les auteurs du projet. En parlant des conditions " nécessaires et suffisantes ", Lénine fixe strictement les limites de son thème dans cet article. Il y examine par quelles méthodes et quels procédés nous arriverons au socialisme en partant de l'émiettement et de l'éparpillement des exploitations paysannes, sans nouvelles secousses de classes, en raison des conditions apportées par le régime soviétique. L'article est totalement consacré aux formes sociales de l'organisation de la transition entre la petite économie privée et l'économie collective, et nullement aux conditions matérielles de production durant cette période. Si, aujourd'hui, le prolétariat européen triomphait et nous apportait l'aide de sa technique, la question de la coopération posée par Lénine – comme méthode sociale d'organisation combinant l'intérêt privé et l'intérêt général – garderait, néanmoins, toute son importance. La coopération montre la voie suivant laquelle la technique en progressant (en particulier l'électrification) peut réorganiser et unir des millions d'exploitations paysannes, dans le cadre du régime soviétique ; mais la coopération ne remplace pas la nouvelle technique et ne crée pas celle-ci d'elle-même. Comme nous l'avons vu, Lénine parle simplement et en général des conditions préalables " nécessaires et suffisantes " et les énumère avec précision. Ce sont :
1° " Le pouvoir de l'Etat s'appliquant à tous les moyens de production" (la phrase n'est pas corrigée) ;
2° " Le pouvoir de l'Etat entre les mains du prolétariat ";
3° " L'alliance du prolétariat et de nombreux millions de paysans ";
4° " La garantie de la suprématie du prolétariat par rapport à la paysannerie. "
Et c'est seulement après avoir énuméré ces conditions strictement politiques – il n'est pas question des conditions matérielles – que Lénine avance sa conclusion : " C'est là [toutes les conditions énumérées] tout ce qui est nécessaire et suffisant pour construire la société socialiste. " Tout ce qui est nécessaire et suffisant, sur le plan politique, et rien de plus. Et Lénine ajoute aussitôt que " ce n'est pas encore la, construction de la société socialiste ". Pourquoi ? Parce que les conditions politiques seules, bien qu'elles soient indispensables, ne règlent pas tout. Il reste encore la question de la culture. " A elle seule ", dit Lénine; il souligne les mots " à elle seule ", qu'il enferme entre guillemets pour marquer l'énorme importance de ce qui manque. Que la culture soit liée à la technique, Lénine le savait aussi bien que nous : " Pour pouvoir devenir des hommes cultivés – dit-il en faisant redescendre les révisionnistes sur terre – il faut posséder une certaine base matérielle " (Ibid., p. 488 de l'édition française ). Il suffit de se référer au problème de l'électrification que Lénine rattachait, soit dit en passant, à la révolution socialiste internationale. La lutte pour la culture, dans le cadre des conditions " nécessaires et suffisantes " politiques (mais non pas matérielles) accaparerait tout notre travail, s'il n'y avait pas la question de la lutte – permanente et implacable – qui se déroule sur le plan économique, politique, militaire, culturel entre la société socialiste en construction sur une base arriérée, et le capitalisme mondial déclinant mais encore puissant par sa technique.
" Je dirais bien – souligne Lénine à la fin de cet article – que pour nous, le centre de gravité se déplace vers l'action éducative, n'étaient les relations internationales, le devoir que nous avons de défendre notre position à l'échelle internationale " (Ibid., p. 486).
Telle est la pensée de Lénine, même si l'on considère l'article sur la coopération en l'isolant de toutes ses autres œuvres. Après cela, comment appeler – si ce n'est falsification – la méthode des auteurs du projet de programme, qui empruntent délibérément à Lénine ses termes à propos des conditions préalables " nécessaires et suffisantes " mais y ajoutent de leur propre chef la condition fondamentale, c'est-à-dire la condition matérielle ? et cela alors que Lénine soulignait précisément que cette dernière manquait chez nous et ne pouvait être réalisée qu'à travers la lutte " pour nos positions sur le plan international ", c'est-à-dire la révolution prolétarienne internationale. Voilà ce qui reste du second et dernier fondement de la théorie.
C'est volontairement que nous ne reprenons pas ici les innombrables articles et discours dans lesquels – de 1905 jusqu'à 1923 – Lénine affirme et répète, de la façon la plus catégorique, que sans la révolution mondiale victorieuse nous sommes menacés de périr, qu'on ne peut vaincre économiquement la bourgeoisie dans un seul pays (surtout dans un pays arriéré), que la tâche de construire la société socialiste est essentiellement internationale. De cela, Lénine tire des conclusions peut-être " pessimistes " aux yeux des créateurs de la théorie nationale-réactionnaire mais suffisamment optimistes du point de vue de l'internationalisme révolutionnaire. Nous ne nous arrêtons qu'aux citations que les auteurs mêmes du projet ont choisies pour créer les conditions " nécessaires et suffisantes " de leur utopie. Et nous voyons que toute leur construction s'effondre dès qu'on la touche du doigt.
Cependant, nous considérons qu'il est normal de citer ici ne serait-ce qu'un des témoignages directs de Lénine sur cette question litigieuse, témoignage qui n'a pas besoin d'être expliqué et qui ne peut être mal interprété :
" Nous avons souligné dans toute une série d'ouvrages, dans toutes nos interventions, dans toute la presse qu'il n'en va pas en Russie comme dans les pays capitalistes ; nous avons une minorité d'ouvriers occupés dans l'industrie et une majorité énorme de petits cultivateurs. Dans un tel pays, la révolution sociale ne peut définitivement triompher qu'à deux conditions : premièrement qu'elle soit soutenue en temps voulu par la révolution sociale d'un ou de plusieurs pays avancés... L'autre condition est l'accord entre le prolétariat exerçant sa dictature ou ayant entre les mains le pouvoir d'Etat et la majorité de la population paysanne...
" Nous savons que c'est seulement avec l'accord de la paysannerie que l'on peut sauver la révolution socialiste en Russie, tant que la révolution ne se produira pas en d'autres pays " (LÉNINE, Œuvres, vol. XXXII de l'édition française).
Cette citation, nous l'espérons, est suffisamment édifiante : premièrement, Lénine lui-même y souligne que les idées qu'il expose ont été développées par lui " dans toute une série d'ouvrages, dans toutes [ses] interventions, dans toute la presse "; deuxièmement, ce n'est pas en 1915 (deux ans avant Octobre) mais en 1921 (quatre ans après Octobre), qu'il définit cette perspective.
En ce qui concerne Lénine, nous osons croire que la question est suffisamment claire. Il reste à se demander comment les auteurs du projet de programme l'envisageaient autrefois.
A ce sujet, en novembre 1926, Staline disait :
" Le parti a toujours admis comme principe que la victoire du socialisme dans un seul pays est la possibilité de construire le socialisme dans ce pays et que cette tâche peut être accomplie par les forces d'un seul pays " (Pravda, 12 novembre 1926).
Nous savons déjà que le parti n'a jamais admis ce principe. Au contraire, " dans toute une série d'ouvrages, dans toutes nos interventions, dans toute la presse ", comme dit Lénine, le parti adopta la position contraire, dont on trouve l'expression fondamentale dans le programme du Parti communiste de l'U.R.S.S. ; tout au moins faut-il espérer que Staline, lui, est toujours parti de la fausse idée que " le socialisme peut être construit par les forces d'un seul pays ". Voyons cela.
Nous ignorons absolument comment Staline envisageait cette question en 1905 ou en 1915, car nous manquons de tout document à ce sujet. Mais, en 1924, Staline exposa en ces termes le point de vue de Lénine sur la construction du socialisme :
" ... Renverser le pouvoir de la bourgeoisie et instaurer le pouvoir du prolétariat dans un seul pays, ce n'est pas encore assurer la pleine victoire du socialisme. La principale tâche du socialisme – l'organisation de la production socialiste – reste encore à accomplir. Peut-on résoudre ce problème, peut-on obtenir la victoire définitive du socialisme dans un seul pays sans les efforts conjugués des prolétaires de plusieurs pays avancés ? Non, c'est impossible. Pour renverser la bourgeoisie, il suffit des efforts d'un seul pays, l'histoire de notre révolution en témoigne. Pour la victoire définitive du socialisme, pour l'organisation de la production socialiste, les efforts d'un seul pays, surtout d'un pays paysan comme la Russie, ne suffisent plus ; il faut les efforts des prolétaires de plusieurs pays avancés...
Tels sont en général les traits caractéristiques de la théorie léniniste de la révolution prolétarienne " (J. Staline, De Lénine et du léninisme, Editions d’Etat, section de Moscou, 1924. Cf. p. 52 de l’édition française publiée chez Maspéro sous le titre : Les questions du léninisme.).
On ne peut pas ne pas le reconnaître : " les traits caractéristiques de la théorie léniniste " sont exposés ici avec assez d'exactitude. Cependant, dans les éditions ultérieures du livre de Staline, ce passage a été remanié dans un sens directement opposé et " les traits caractéristiques de la théorie léniniste " furent dénoncés, un an après comme étant du... trotskysme. Le VIIe plénum du Comité exécutif de l'Internationale communiste adopta sa résolution non pas d'après l'édition de 1924 mais d'après celle de 1926.
Telle est l'affaire avec Staline. Elle ne saurait être plus lamentable. Il est vrai qu'on pourrait s'en consoler si elle n'était tout aussi lamentable pour le VIIe Plénum du Comité exécutif de l'Internationale.
Il reste un dernier espoir : c'est qu'au moins Boukharine, le véritable auteur du projet de programme, ait toujours admis la possibilité de l'édification du socialisme dans un seul pays. Vérifions. Voici ce qu'écrivait Boukharine à ce sujet en 1917 :
" Les révolutions sont les locomotives de l'histoire. Même dans la Russie arriérée, le prolétariat seul peut être le machiniste irremplaçable de cette locomotive. Mais le prolétariat ne peut déjà plus rester dans les limites des rapports de propriété de la société bourgeoise. Il marche vers le pouvoir et le socialisme. Cependant, cette tâche qui est " mise à l'ordre du jour " en Russie aussi ne peut être réalisée " à l'intérieur des frontières nationales ". Ici, la classe ouvrière se heurte à un mur infranchissable [3] où on ne peut ouvrir une brèche que par le bélier de la révolution ouvrière internationale " (BOUKHARINE, La lutte des classes et la révolution en Russie, 1917, p. 3 et 4 de l'édition russe).
On ne peut s'exprimer plus clairement. Voilà qu'elle était l'opinion de Boukharine en 1917, deux ans après le prétendu " revirement" de Lénine en 1915. Cependant, la Révolution d'Octobre a peut-être appris quelque chose à Boukharine. Vérifions.
En 1919, Boukharine, écrivant sur " la dictature du prolétariat en Russie et la révolution mondiale " dans l'organe théorique de l'Internationale communiste, disait :
" Etant donné l'existence de l'économie mondiale et les relations entre ses diverses parties, étant donné l'interdépendance des divers groupes bourgeois organisés en Etats, il va de soi [4] que la lutte dans un pays isolé ne peut s'achever sans qu'une victoire décisive ait été remportée par l'un ou l'autre camp dans plusieurs pays civilisés. "
A cette date, cela " allait même de soi ". Plus loin :
" La littérature marxiste ou quasi marxiste d'avant-guerre a posé plusieurs fois la question de savoir si la victoire du socialisme était possible dans un seul pays. Les écrivains, dans leur majorité, ont répondu négativement [5] ; il n'est pas possible d'en conclure qu'il soit impossible ou inadmissible de commencer la révolution et de s'emparer du pouvoir dans un pays isolé. "
Précisément ! Et dans ce même article encore :
" La période de progression des forces productives ne peut venir qu'avec la victoire du prolétariat dans plusieurs pays importants... D'où l'on conclut : il est nécessaire de développer, par tous les moyens, la révolution mondiale et de former un bloc économique solide entre les pays industriels et la Russie soviétique " (N. BOUKHARINE, La dictature du prolétariat en Russie et la révolution mondiale, dans L'Internationale communiste, n° 5 de septembre 1919, p. 614 de l'édition russe).
L'affirmation de Boukharine selon laquelle la progression des forces productives, c'est-à-dire la véritable progression socialiste, n'interviendra chez nous qu'après la victoire du prolétariat dans les pays avancés d'Europe, constitue précisément la phrase qui est à la base de tous les actes d'accusation lancés contre le " trotskysme " (entre autres lors du VIIe plénum du Comité exécutif de l'Internationale communiste). Mais ce qui est curieux, c'est que Boukharine – qui doit son salut à sa courte mémoire – intervienne comme accusateur. A côté de cet aspect comique, il en est un autre qui est tragique : c'est Lénine qui est mis en question, car il a exprimé cette même pensée élémentaire des dizaines de fois.
Enfin, en 1921, six ans après le prétendu revirement de Lénine en 1915, quatre ans après Octobre, le Comité central, avec Lénine à sa tête, approuva le programme des Jeunesses communistes élaboré par une Commission placée sous la direction de Boukharine. Le § 4 de ce programme déclare :
" En U.R.S.S., le pouvoir d'Etat se trouve déjà entre les mains de la classe ouvrière. A travers trois années de luttes héroïques contre le capital mondial, le pouvoir soviétique s'est maintenu et développé. Bien que la Russie possède d'immenses richesses naturelles, elle est néanmoins, sur le plan industriel, un pays arriéré où prédomine une population petite-bourgeoise. Elle ne peut arriver au socialisme que par la révolution prolétarienne mondiale : nous sommes entrés dans l'époque de ce développement. "
A lui seul, ce paragraphe du programme des Jeunesses communistes (un programme et non pas un article occasionnel !) souligne ce qu'a de ridicule et d'indigne la tentative des auteurs du projet visant à démontrer que le parti a " toujours considéré comme possible la construction du socialisme dans un seul pays", et plus précisément en Russie. S'il en fut " toujours " ainsi, pourquoi Boukharine formula-t-il de cette façon ce paragraphe du programme des Jeunesses communistes ? Où Staline avait-il alors les yeux ? Comment Lénine et tout le Comité central ont-ils pu approuver une telle hérésie ? Comment se fait-il que personne dans le parti n'ait remarqué " ce détail " et n'ait soulevé de question à ce sujet ? Tout ceci ne ressemble-t-il pas trop à une mauvaise plaisanterie où sont moqués le Parti, son histoire et l'Internationale communiste ? N'est-il pas temps d'y mettre fin ? N'est-il pas temps de dire aux révisionnistes : vous ne pouvez plus vous permettre de vous camoufler derrière Lénine et la tradition théorique du parti !
Lors du VIIe plénum du Comité exécutif de l'Internationale communiste, dans la discussion de la résolution condamnant le " trotskysme ", Boukharine – dont le salut tient à sa mémoire courte – déclarait :
" La théorie de la révolution permanente du camarade Trotsky (et le camarade Trotsky professe encore maintenant cette théorie) dit aussi qu'étant donné notre situation économique arriérée, nous périrons inévitablement sans la révolution mondiale " (Compte rendu sténographique, p. 115, édition russe).
Au VIIe plénum, j'avais parlé des lacunes de la théorie de la révolution permanente, telle que je l'ai formulée en 1905-1906. Mais il est évident que je n'avais absolument pas songé à renoncer à ce qu'il y avait de fondamental dans cette théorie, à ce qui me rapprochait et me rapprocha de Lénine, à ce qui, à présent, ne me permet pas d'admettre la révision du léninisme.
Il y avait deux idées fondamentales dans la théorie de la révolution permanente.
Premièrement : en dépit du retard historique de la Russie, la révolution peut remettre le pouvoir au prolétariat russe avant de le donner au prolétariat des pays avancés. Deuxièmement : pour surmonter les contradictions auxquelles se heurtera la dictature du prolétariat dans un pays arriéré, encerclé par le monde capitaliste ennemi, on devra passer dans l'arène de la révolution mondiale. La première de ces idées se fonde sur une conception juste de la loi du développement inégal. La seconde découle d'une compréhension exacte de la réalité des liens économiques et politiques qui lient les pays capitalistes. Boukharine a raison quand il dit que je persiste à professer ces deux idées fondamentales de la théorie de la révolution permanente. Et maintenant plus que jamais, je considère leur justesse comme pleinement vérifiée et prouvée : sur le plan théorique, par les œuvres complètes de Marx et de Lénine ; sur le plan pratique, par l'expérience de la Révolution d'Octobre.
Les citations données suffisent largement à caractériser la position théorique de Staline et de Boukharine, hier et aujourd'hui. Mais, pour caractériser leurs procédés politiques, on doit se souvenir qu'après avoir glané dans les écrits de l'Opposition des déclarations absolument analogues à celles qu'ils ont eux-mêmes faites jusqu'en 1925 (à ce moment-là en plein accord avec Lénine), Staline et Boukharine, prenant appui sur ces déclarations, ont forgé la théorie de notre " déviation social-démocrate ". Voici que, sur la question capitale des rapports entre la Révolution d'Octobre et la révolution internationale, l'Opposition penserait comme... Otto Bauer, qui nie la possibilité de construire le socialisme en Russie. On pourrait croire que l'imprimerie ne fut inventée qu'en 1924 et que tout ce qui précède est voué à l'oubli. C'est compter sur une mémoire courte.
Pourtant, au sujet du caractère de la Révolution d'Octobre, le IVe Congrès de l'Internationale communiste a réglé le compte d'Otto Bauer et des philistins de la IIe Internationale. Le rapport – que j'ai présenté au nom du Comité central – sur la nouvelle politique économique et les perspectives de la révolution mondiale, portait sur les idées d'Otto Bauer un jugement qui exprimait les vues de notre Comité central d'alors ; il ne rencontra aucune objection au Congrès et je considère qu'il a conservé, jusqu'à aujourd'hui, toute sa force. Quant à Boukharine, il renonça, après mon rapport, à revenir sur l'aspect politique du problème, vu que " beaucoup de camarades, parmi lesquels Lénine et Trotsky, en avaient déjà parlé "; en d'autres termes, Boukharine se solidarisa, alors, avec mon rapport. Voici ce que j'ai dit au IVe Congrès, à propos d'Otto Bauer :
" Les théoriciens sociaux-démocrates, d'un côté reconnaissent dans leurs articles du dimanche que le capitalisme (particulièrement en Europe) se survit à lui-même et est un frein à l'évolution historique, mais d'un autre côté, ils expriment la certitude que l'évolution de la Russie soviétique la mène inévitablement au triomphe de la démocratie bourgeoise ; ainsi, ces confusionnistes étroits et bavards tombent dans une banale contradiction bien digne d'eux. La nouvelle politique économique est à considérer dans des conditions d'espace et de temps déterminées : c'est une manœuvre de l'Etat ouvrier qui vit encore dans l'entourage capitaliste et qui compte fermement sur le développement révolutionnaire en Europe...
" On ne peut négliger, dans les calculs politiques, un facteur comme le temps. Si l'on suppose, en effet, que le capitalisme durera encore en Europe un siècle ou un demi-siècle, et que la Russie soviétique devra s'adapter à lui dans sa politique économique, alors la question se règle d'elle-même, car dans cette hypothèse, nous supposons a priori que la révolution prolétarienne en Europe échouera et qu'une nouvelle époque de renaissance capitaliste commencera. Sur quoi nous appuierions-nous pour admettre cette hypothèse ? Si Otto Bauer, dans la vie actuelle de l'Autriche, a découvert des signes miraculeux de la résurrection capitaliste, alors on peut dire que le sort de la Russie soviétique est fixé d'avance. Mais pour le moment nous ne voyons pas de miracles, et nous n'y croyons pas. Nous pensons que si la bourgeoisie européenne s'assurait le pouvoir pour plusieurs dizaines d'années – dans les conditions actuelles du monde – cela aboutirait non pas à un nouvel épanouissement du capitalisme, mais au pourrissement économique et culturel de l'Europe. Qu'un tel processus puisse entraîner la Russie soviétique, on ne peut le nier, si on parle sur le plan général. Passerait-elle par le stade de la " démocratie " ou bien la décomposition prendrait-elle d'autres formes ? Cela n'est déjà plus qu'une question secondaire. Mais nous ne voyons aucune raison pour adhérer à la philosophie de Spengler. Nous comptons fermement sur le développement révolutionnaire en Europe. La nouvelle politique économique n'est qu'un accommodement au rythme de ce développement " (L. TROTSKY, Cinq années de l'Internationale communiste, De la critique social-démocrate, p. 491-492).
Cette façon de poser le problème nous ramène au point d'où nous avons commencé à juger le projet de programme : à l'époque de l'impérialisme, on ne peut considérer le sort d'un pays isolé qu'en partant des tendances du développement mondial, envisagé comme un tout dans lequel ce pays est inclus avec toutes ses particularités nationales, et dont il dépend. Les théoriciens de la IIe Internationale détachent l'U.R.S.S. de l'ensemble du monde et de l'époque impérialiste; ils appliquent à l'U.R.S.S., en l'isolant, le critère aride de la " maturité " économique ; ils établissent que l'U.R.S.S. n'est pas apte à construire le socialisme avec ses seules forces, et de là ils concluent à l'inéluctable dégénérescence capitaliste de l'Etat ouvrier.
Les auteurs du projet de programme se placent sur le même plan théorique et acceptent entièrement la méthodologie métaphysique des théoriciens sociaux-démocrates : tout comme eux, ils oublient l'ensemble du monde et de l'époque impérialiste ; ils prennent comme point de départ la fiction du développement isolé ; ils appliquent à l'étape nationale de la révolution mondiale l'aride critère économique ; mais, en revanche, leur " sentence " est, inversée. Le " gauchisme " des auteurs du projet consiste en ce qu'ils reproduisent à rebours le jugement social-démocrate. Cependant, quelle qu'en soit la présentation, la position des théoriciens de la IIe Internationale ne vaut rien. Il faut suivre Lénine, qui élimine simplement le jugement et le pronostic de Bauer comme étant les exercices d'un élève de classe préparatoire.
Voilà ce qu'il en est de " la déviation social-démocrate ". Ce n'est pas nous, mais ce sont les auteurs du projet qu'on doit classer parmi les parents de Bauer.
NOTES
[1] Les "trois piliers" ou les "trois baleines" des bolcheviks : expression employée pour désigner les trois principaux mots d'ordre défendus par les bolcheviks entre les Révolutions de 1905 et de 1917, à savoir : la République démocratique, la journée de travail de huit heures, la confiscation de la terre au profit des paysans. Pour les bolcheviks, ces mots d'ordre n'étaient réalisables qu'avec le renversement du tsarisme. Ils les opposaient à ceux des " liquidateurs " qui revendiquaient, dans le cadre du tsarisme, les libertés démocratiques (droit d'organisation, de presse, etc.). L'expression avait son origine dans une légende selon laquelle le monde reposait sur trois baleines.
[2] C'est le premier texte, précédant de peu les "thèses d'avril", dans lequel Lénine se place intégralement sur le plan de la révolution permanente, telle que l'a formulée Trotsky.
[3] Remarquez-le bien : "un mur infranchissable". L.T.
[4] Souligné par nous.
[5] Et Lénine, donc, en 1915 ? L.T