1935 |
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Œuvres – 1935
Journal d'exil
13 février
Les " chefs " du prolétariat continuent de démontrer à l'envi leur lâcheté devant la réaction, leur pourriture, leur aptitude véritablement canine à lécher la main qui leur a donné le fouet. La palme revient bien entendu à Blum. Quelle magnifique tenue a été le 10 celle du peuple de Paris ! Quel calme ! quelle discipline ! Le gouvernement devrait comprendre de quel côté était la volonté populaire ! Flandin a été insulté à Notre-Dame, tandis que nous, nous n'avons pas offensé Régnier d'un mot. Etc. En bref : " De notre part, rien ne vous menace : pouvez-vous nous refuser le désarmement des fascistes ? " Mais a-t-on jamais vu la bourgeoisie faire des concessions à ceux de la part de qui rien ne la menace ?
Engels est sans aucun doute l'une des plus belles, des plus achevées et des plus nobles natures dans la galerie des grands hommes. Recréer son image serait un travail passionnant, et en même temps un devoir devant l'histoire. A Prinkipo, j'ai travaillé à un livre sur Marx et Engels – mais la documentation préparée a brûlé. Il n'y a guère de chances que l'occasion se présente d'y revenir. Il serait bon de terminer mon livre sur Lénine – pour passer à un travail plus actuel – sur le capitalisme de la période de décomposition.
Le christianisme a créé la figure du Christ pour humaniser l'inaccessible Sabaoth et le rapprocher des mortels. A côté de Marx l'Olympien, Engels est plus " humain ", plus proche. Comme ils se complètent l'un l'autre ; ou plutôt comme, délibérément, Engels fait de soi-même le complément de Marx, se prodigue lui-même pour compléter Marx, toute sa vie, y voit sa destination, y trouve sa satisfaction – sans ombre de sacrifice, toujours de son plein gré, toujours heureux de la vie, toujours au-dessus de son milieu et de son époque, avec une curiosité intellectuelle illimitée, avec une authentique flamme de génie et une ardeur de pensée jamais éteinte ! – Sur le plan de la vie quotidienne, Engels gagne extraordinairement à côté de Marx (sans que Marx y perde rien). Je me souviens, après une lecture de la correspondance Marx-Engels dans mon train militaire, avoir dit à Lénine mon enthousiasme pour la figure d'Engels, et justement dans ce sens que, considéré dans ses rapports avec le titan Marx, le fidèle Fred ne perd rien, mais gagne bien au contraire. Lénine approuva cette idée avec vivacité, je dirais même avec délectation. Il aimait chaudement Engels, justement pour ce qu'il y a en lui d'organique et d'universellement humain. Je me souviens que nous examinâmes, non sans émotion, un portrait de jeunesse d'Engels, y recherchant les traits qui devaient prendre un tel développement au cours de sa vie postérieure.
Quand on en a assez de la prose des Blum, des Paul Faure, des Cachin, des Thorez, quand on a avalé son saoul de leurs microbes de mesquinerie et d'impudence, de servilité et d'ignorance, rien de meilleur, pour se rafraîchir les poumons, que de relire la correspondance de Marx et Engels, entre eux et avec des tiers. Sous une forme épigrammatique d'allusions et de notations personnelles, mais toujours profondément pensées et touchant juste, que d'aperçus instructifs, que de fraîcheur d'esprit et d'air des sommets ! Ils ont toujours vécu sur les hauteurs.