1934-38 |
Ce texte est constitué d'articles écrits entre 1934 et 1938 sur la situation politique en France. Ces articles ont étés publiés en Français dans "Le mouvement communiste en France". |
Où va la France ?
Encore une fois, où va la france?
(fin mars 1935)
Dans sa lettre au Conseil national du Parti socialiste, le Comité central du Parti communiste a proposé, comme base pour l'unification, "le programme de l'Internationale communiste, qui a conduit à la victoire du socialisme en U.R.S.S. alors que le programme de la II° Internationale n'a pas résisté à l'épreuve tragique de la guerre et a abouti au douloureux bilan de l'Allemagne et de l'Autriche". Que la II° Internationale ait fait faillite, les marxistes révolutionnaires l'ont proclamé dès août 1914. Tous les événements ultérieurs n'ont fait que confirmer cette appréciation. Mais en montrant la banqueroute incontestable de la social-démocratie en Allemagne et en Autriche, les staliniens oublient de répondre à une question : que sont donc devenues les sections allemande et autrichienne de l'Internationale communiste ? Le Parti communiste allemand s'est écroulé devant l'épreuve historique aussi ignominieusement que la social-démocratie allemande. Pourquoi? Les ouvriers allemands voulaient lutter et croyaient que "Moscou" les mènerait au combat ; ils tendaient sans cesse à gauche. .Le Parti communiste allemand grossissait rapidement; à Berlin, il dépassait numériquement la social-démocratie. Mais il se trouva intérieurement ravagé avant que vînt l'heure de l'épreuve. L'étouffement de la vie intérieure, la volonté de commander au lieu de convaincre, la politique de zigzags, la nomination des chefs par en haut, le système de mensonge et de tromperie des masses-tout cela démoralisa le parti jusqu'à la moelle. Quand on approcha du danger, le parti se trouva être un cadavre Il est impossible d'effacer ce fait de l'histoire.
Après la capitulation honteuse de l'Internationale communiste en Allemagne, les bolcheviks-léninistes, sans hésiter une minute, proclamèrent: la Troisième Internationale ,est morte! Il n'est pas besoin de rappeler les injures que lancèrent contre nous les staliniens de tous les pays. L'Humanité, déjà après l'avènement définitif de Hitler, affirmait de numéro en numéro: "Il n'y a pas de défaite en Allemagne", "Seuls des renégats peuvent parler de défaite", "Le Parti communiste allemand croît d'heure en heure", "Le Parti de Thaelmann se prépare à la prise du pouvoir." Rien d'étonnant si ces fanfaronnades criminelles après la plus grande catastrophe historique ont démoralisé encore plus les autres sections de l'Internationale communiste : une organisation qui a perdu la capacité d'apprendre de sa propre défaite est irrémédiablement condamnée.
La preuve ne tarda pas. Le plébiscite de la Sarre fut pour ainsi dire monté pour montrer quels restes de confiance le prolétariat allemand gardait dans la Deuxième et la Troisième Internationales. Les résultats sont là: mises devant la nécessité de choisir entre la violence triomphante de Hitler et l'impuissance pourrie des partis ouvriers banqueroutiers, les masses donnèrent à Hitler 90 % des voix et au front commun de la Deuxième et de la Troisième Internationales (si on excepte la bourgeoisie juive, les affairistes intéressés, les pacifistes, etc.), probablement pas plus de 7 %. Tel est le bilan commun du réformisme et du stalinisme. Malheur à celui qui n'a pas compris cette leçon !
Les masses travailleuses ont voté pour Hitler parce qu'elles ne voyaient pas d'autre voie. Les partis qui pendant des dizaines d'années les avaient éveillées et rassemblées au nom du socialisme les ont trompées et trahies. Voilà la conclusion commune qu'ont faite les travailleurs! Si en France le drapeau de la révolution socialiste s'était élevé bien haut, le prolétariat de la Sarre aurait tourné ses regards vers l'Ouest et aurait placé la solidarité de classe au-dessus de la solidarité nationale. Mais, hélas, le coq gaulois n'annonçait pas au peuple sarrois une aurore révolutionnaire. Bien que sous le couvert du front unique, en France se mène la même politique de faiblesse, d'indécision, de piétinement sur place, de manque de confiance dans ses forces, qui a perdu la cause du prolétariat allemand. C'est pourquoi le plébiscite sarrois est non seulement la preuve des résultats de la catastrophe allemande, mais aussi un avertissement redoutable pour le prolétariat français. Malheur aux partis qui glissent à la surface des événements, se bercent de paroles, espèrent en des miracles et permettent à l'ennemi mortel de s'organiser impunément, de s'armer, d'occuper des positions avantageuses et de choisir le moment le plus favorable pour porter le coup décisif !
Voilà ce que nous dit la leçon sarroise.
De nombreux réformistes et centristes (c'est-à-dire ceux qui hésitent entre le réformisme et la révolution), se tournant à gauche, essaient maintenant de graviter vers l'Internationale communiste: certains d'entre eux, surtout ouvriers, espèrent sincèrement trouver dans le programme de Moscou le reflet de la Révolution d'Octobre; d'autres, surtout fonctionnaires, s'efforcent simplement de lier amitié avec la puissante bureaucratie soviétique. Laissons les carriéristes à eux-mêmes. Mais aux socialistes qui espèrent sincèrement trouver dans l'Internationale communiste une direction révolutionnaire, nous disons: vous vous trompez cruellement! Vous ne connaissez pas bien l'histoire de l'Internationale communiste, qui dans les dix dernières années fut l'histoire des erreurs, des catastrophes, des capitulations et de la dégénérescence bureaucratique.
Le programme actuel de l'Internationale communiste fut adopté au VI° congrès, en 1928, après l'écrasement de la direction léniniste [1] . Entre le programme actuel et celui avec lequel le bolchevisme remporta la victoire de 1917, il y a un abîme. Le programme du bolchevisme partait du point de vue que le sort de la Révolution d'Octobre est inséparable du sort de la révolution internationale. Le programme de 1928, malgré toutes ses phrases "internationalistes", part de la perspective de la construction indépendante du socialisme en U.R.S.S. Le programme de Lénine disait : "Sans révolution en Occident et en Orient nous sommes vaincus." Ce programme, par son essence même, excluait la possibilité de sacrifier les intérêts du mouvement ouvrier mondial aux intérêts de l'U.R.S.S. Le programme de l'Internationale communiste signifie en pratique: aux intérêts de l'U.R.S.S. (en fait aux intérêts des combinaisons diplomatiques de la bureaucratie soviétique), on peut et on doit sacrifier les intérêts de la révolution prolétarienne en France. Le programme de Lénine enseignait: le bureaucratisme soviétique est le pire ennemi du socialisme; reflétant la pression des forces et des tendances bourgeoises sur le prolétariat, le bureaucratisme peut conduire à la renaissance de la bourgeoisie; le succès de la lutte contre le fléau du bureaucratisme ne peut être assuré que par la victoire du prolétariat européen et mondial. Contrairement à cela le programme actuel de l'Internationale communiste dit: le socialisme peut être construit indépendamment des succès et des défaites du prolétariat mondial, sous la direction de la bureaucratie soviétique infaillible et toute-puissante; tout ce qui est dirigé contre son infaillibilité est contre-révolutionnaire et mérite d'être exterminé.
Dans le programme actuel de l'Internationale communiste, il y a, bien entendu, beaucoup d'expressions, de formules, de phrases empruntées au programme de Lénine (la bureaucratie conservatrice de Thermidor et du Consulat utilisa aussi en France la terminologie des Jacobins); mais au fond ces deux programmes s'excluent l'un l'autre. Pratiquement, en effet, la bureaucratie stalinienne a remplacé depuis longtemps le programme de la révolution prolétarienne internationale par un programme de réformes soviétiques nationales. Désagrégeant et affaiblissant le prolétariat mondial par sa politique, qui représente une mixture d'opportunisme et d'aventurisme, l'Internationale communiste mine par cela même les intérêts fondamentaux de l'U.R.S.S. Nous sommes pour l'U.R.S.S. mais contre la bureaucratie usurpatrice et son instrument aveugle, l'Internationale communiste.
Manouilsky, hier chef de l'Internationale communiste, s'est noyé sans laisser de traces dans la "troisième période" (où il n'y avait, hélas! que de la mousse). Manouilsky fut remplacé, sans que les sujets y prennent la moindre part, par Bela Kun. Sur ce nouveau souverain de l'Internationale communiste il est nécessaire de dire quelques mots. En tant que prisonnier de guerre hongrois en Russie, Bela Kun, comme beaucoup d'autres prisonniers, devint communiste, et à son retour en Hongrie chef d'un petit parti. La prostration du gouvernement du comte Karoly devant l'Entente se termina par la transmission consentie et pacifique du pouvoir aux partis ouvriers, sans aucune révolution. Les communistes du parti de Bela Kun s'empressèrent de s'unir aux social-démocrates. Inspirateur de la Hongrie soviétique, Bela Kun fit preuve d'une complète carence, surtout dans la question paysanne, ce qui aboutit rapidement à l'effondrement des soviets. Rentré comme émigrant en U.R.S.S., Bela Kun eut toujours des rôles de troisième plan, car il ne jouissait pas du tout de la confiance politique de Lénine. On connaît le discours extrêmement violent de Lénine au Plénum du Comité exécutif de l'Internationale communiste, à la veille du III° Congrès: presque chaque phrase rappelait les "bêtises de Bela Kun". Dans ma brochure sur la direction de l'Internationale communiste, j'ai raconté comment Lénine m'expliqua son attaque violente contre Bela Kun: "il faut apprendre aux gens à ne pas avoir confiance en lui." Depuis ce temps, non seulement Bela Kun n'a rien appris, mais il a même oublié le peu qu'il s'était assimilé à l'école de Lénine. On peut voir combien cet homme est fait pour le rôle de chef de l'Internationale communiste et, en particulier, du prolétariat français.
Admettons que le Parti communiste maintenant même croisse. Non pas grâce à sa politique, mais malgré sa politique. Les événements poussent les ouvriers à gauche, et le Parti communiste, malgré son tournant opportuniste, reste pour les masses l'"extrême-gauche". La croissance numérique du Parti communiste ne renferme pourtant pas en soi la moindre garantie pour l'avenir : le Parti communiste allemand, comme nous l'avons dit, grossit jusqu'au moment même de la capitulation, et beaucoup plus rapidement.
En tout cas, le fait de l'existence de deux partis ouvriers, qui rend absolument nécessaire, en face du danger commun, une politique de front unique, suffit à expliquer en même temps les aspirations des ouvriers à l'unité organique. S'il y avait en France un parti révolutionnaire conséquent, nous serions les adversaires résolus de la fusion avec le parti opportuniste. Dans les conditions de l'exacerbation de la crise sociale, le parti révolutionnaire, en lutte contre le réformisme, rassemblerait infailliblement sous son drapeau la majorité écrasante des ouvriers. Le problème historique n'est pas d'unir mécaniquement toutes les organisations qui subsistent des différentes étapes de la lutte des classes, mais de rassembler la prolétariat dans la lutte et pour la lutte. Ce sont deux problèmes absolument différents, parfois même contradictoires.
Mais c'est un fait qu'en France il n'y a pas de parti révolutionnaire. La légèreté avec laquelle le Parti communiste-sans la moindre discussion-est passé de la théorie et de la pratique du "social-fascisme", au bloc avec les radicaux et au refus des taches révolutionnaires au nom des "revendications immédiates" témoigne que l'appareil du parti est complètement rongé par le cynisme et la base désorientée et déshabituée de penser. C'est un parti malade.
Nous avons critiqué assez ouvertement la position de la S.F.I.O. pour ne pas répéter ce que nous avons dit plus d'une fois. Mais il est incontestable malgré tout que l'aile gauche, révolutionnaire, de la S.F.I.O. devient peu à peu le laboratoire où se forment les mots d'ordre et les méthodes de la lutte prolétarienne. Si cette aile se fortifie et se trempe, elle pourra devenir le facteur décisif pour agir sur les ouvriers communistes. C'est dans cette seule voie que le salut est possible. Au contraire, la situation se trouverait définitivement perdue, si l'aile révolutionnaire du Parti socialiste tombait dans le système d'engrenages qui a pour nom appareil de l'Internationale communiste et qui sert à hacher les colonnes vertébrales et les caractères, à faire perdre l'habitude de penser et à apprendre à obéir aveuglément; ce système est franchement funeste pour former des révolutionnaires.
-Seriez-vous contre l'unité organique ? nous demanderont, non sans indignation, quelques camarades.
Non, nous ne sommes pas contre l'unité. Mais nous sommes contre le fétichisme, la superstition et l'aveuglement. L'unité en soi ne résout encore rien. La social-démocratie autrichienne rassembla presque tout le prolétariat, mais seulement pour le mener à la perte. Le Parti ouvrier belge a le droit de se dire le seul parti du prolétariat, mais cela ne l'empêche pas d'aller de capitulation en capitulation. Seuls des gens d'une naïveté sans espoir peuvent espérer que le Labour Party, qui domine complètement dans le prolétariat britannique, est capable d'assurer la victoire de celui-ci. Ce qui décide, ce n'est pas l'unité en soi, mais son contenu politique réel.
Si la S.F.I.O. s'unissait aujourd'hui même au Parti communiste, cela n'assurerait pas encore plus la victoire que le Front unique ne l'assure: seule une juste politique révolutionnaire peut donner la victoire. Mais nous sommes prêts à reconnaître que l'unification faciliterait, dans les conditions présentes, le regroupement et le rassemblement des éléments véritablement révolutionnaires, dispersés dans les deux partis. C'est dans ce sens-et dans ce sens seulement-que l'unification pourrait être un pas en avant.
Mais l'unification - disons-le ici même - serait un pas en arrière, pis encore, un pas vers l'abîme, si la lutte contre l'opportunisme dans le parti unifié se dirigeait suivant le lit de l'Internationale communiste. L'appareil stalinien est capable d'exploiter une révolution victorieuse, mais il est organiquement incapable d'assurer la victoire d'une nouvelle révolution. Il est conservateur jusqu'à la moelle. Répétons-le encore une fois : la bureaucratie soviétique a autant à voir avec l'ancien parti bolchevik que la bureaucratie du Directoire et du Consulat avec le jacobinisme.
L'unification des deux partis ne nous conduirait en avant que si elle était affranchie d'illusions, d'aveuglement et de pure tromperie. Pour ne pas tomber victime de la maladie de l'Internationale communiste, il faut aux socialistes de gauche une sérieuse inoculation de léninisme. C'est précisément pourquoi, entre autres, nous suivons avec un esprit si attentif et si critique l'évolution des groupements de gauche. D'aucuns se sentent offensés par nous. Mais nous pensons que dans le domaine révolutionnaire les règles de responsabilité sont incomparablement plus importantes que les règles de courtoisie. La critique dirigée contre nous, nous l'apprécions aussi d'un point de vue révolutionnaire et non sentimental.
Zyromski a essayé, dans une série d'articles, d'indiquer les principes fondamentaux du futur parti unifié. C'est une chose beaucoup plus sérieuse que de répéter des phrases générales sur l'unité, à la manière de Lebas. Par malheur, Zyromski fait dans ses articles un pas du centrisme réformiste non vers le léninisme, mais vers le centrisme bureaucratique (stalinisme). Cela apparaît de la façon la plus claire, comme nous allons le montrer, dans la question de la dictature du prolétariat.
Zyromski, pour quelque raison, répète avec une insistance particulière dans une série d'articles l'idée-en invoquant d'ailleurs Staline comme source première!-que "la dictature du prolétariat ne peut jamais être considérée comme un but". Comme s'il existait quelque part au monde des théoriciens insensés qui pensent que la dictature du prolétariat est un " but en soi"! Mais dans ces étranges répétitions, il y a une idée: Zyromski s'excuse pour ainsi dire par avance devant les droitiers de vouloir la dictature. Par malheur, il est difficile d'établir la dictature, si on commence par s'excuser.
Bien pire, pourtant, est l'idée suivante : "Cette dictature du prolétariat... doit se desserrer et se transformer progressivement en démocratie prolétarienne au fur et à mesure que se développe l'édification socialiste." Dans ces quelques lignes il y a deux profondes erreurs principielles. La dictature du prolétariat y est opposée à la démocratie prolétarienne. Pourtant, la dictature du prolétariat par son essence même peut et doit être l'épanouissement suprême de la démocratie prolétarienne. Pour accomplir une grandiose révolution sociale, il faut au prolétariat la manifestation suprême de toutes ses forces et de toutes ses capacités: il s'organise démocratiquement précisément pour venir à bout de ses ennemis. La dictature doit, selon Lénine, "apprendre à chaque cuisinière à diriger l'Etat". Le glaive de la dictature est dirigé contre les ennemis de classe ; la base de la dictature est constituée par la démocratie prolétarienne.
Chez Zyromski la démocratie prolétarienne vient remplacer la dictature "au fur et à mesure que se développe l'édification socialiste". C'est une perspective absolument fausse. Au fur et à mesure que la société bourgeoise se transforme en société socialiste, la démocratie prolétarienne dépérit avec la dictature, car l'Etat lui-même dépérit. Dans la société socialiste il n'y aura pas de place pour la "démocratie prolétarienne", premièrement, par l'absence de prolétariat, deuxièmement, par l'absence de la nécessité de violence étatique. C'est pourquoi le développement de la société socialiste doit signifier non pas la transformation de la dictature en démocratie, mais leur dissolution commune dans l'organisation économique et culturelle de la société socialiste.
Nous ne nous serions pas arrêtés à cette erreur, si elle avait eu un caractère purement théorique. En fait se cache derrière elle tout un dessein politique. La théorie de la dictature du prolétariat, que, selon son propre aveu, il a empruntée à Dan, Zyromski tente de l'adapter au régime actuel de la bureaucratie soviétique. Il ferme d'ailleurs consciemment les yeux sur cette question-ci: pourquoi, malgré les énormes succès économiques de l'U.R.S.S., la dictature prolétarienne évolue-t-elle non pas vers la démocratie, mais vers un bureaucratisme monstrueux, qui prend définitivement le caractère d'un régime personnel? Pourquoi, "au fur et à mesure que se développe l'édification socialiste", étouffe-t-on le parti, étouffe-t-on les soviets, étouffe-t-on les syndicats? Il est impossible de répondre à cette question sans une critique décisive du stalinisme. Mais c'est précisément ce que Zyromski veut éviter à tout prix.
Cependant, le fait qu'une bureaucratie indépendante et incontrôlée ait usurpé la défense des conquêtes sociales de la révolution prolétarienne, témoigne que nous avons devant nous une dictature malade, en dégénérescence, qui, si on la laisse à elle-même, aboutira non pas à la "démocratie prolétarienne", mais à l'effondrement complet du régime soviétique.
eule la révolution en Occident peut sauver de la perte la Révolution d'Octobre. La théorie du "socialisme en un seul pays" est fausse dans toutes ses bases. Le programme de l'Internationale communiste ne vaut pas plus qu'elle. Adopter ce programme, ce serait lancer le train de la révolution internationale dans le ravin. La première condition de succès pour le prolétariat français est l'indépendance complète de son avant-garde à l'égard de la bureaucratie soviétique, nationale et conservatrice. Bien entendu, le Parti communiste a le droit de proposer de prendre comme base de l'unification le programme de l'Internationale communiste: il ne peut rien offrir d'autre. Mais les marxistes révolutionnaires qui sont conscients de leurs responsabilités pour le sort du prolétariat, doivent soumettre le programme de Boukharine-Staline à une critique impitoyable. L'unité est une chose magnifique, mais pas sur une base pourrie. La tache progressive consiste à rassembler les ouvriers socialistes et communistes sur la base du programme international de Marx et de Lénine. Les intérêts du prolétariat mondial comme les intérêts de l'U.R.S.S. (ils ne sont pas différents) exigent la même lutte contre le réformisme que contre le stalinisme.
Les deux Internationales, non seulement la Deuxième, mais aussi la Troisième, sont atteintes jusqu'à la moelle. Il y a des preuves historiques qui ne trompent pas. Les grands événements (Chine, Angleterre, Allemagne, Autriche, Espagne) ont rendu leur verdict. De ce verdict, confirmé en Sarre, aucun appel n'est plus possible. La préparation d'une nouvelle Internationale, s'appuyant sur l'expérience tragique des dix dernières années, est mise à l'ordre du jour. Cette tâche grandiose est étroitement liée, bien entendu, à toute la marche de la lutte de classe du prolétariat, avant tout, à la lutte contre le fascisme en France. Pour vaincre l'ennemi, l'avant-garde du prolétariat doit s'assimiler les méthodes marxistes révolutionnaires, incompatibles et avec l'opportunisme et avec le stalinisme. Réussira-t-elle à remplir cette tâche? Engels écrivit jadis: " Les Français s'améliorent toujours à l'approche des combats." Espérons qu'ils justifieront pleinement cette fois-ci l'appréciation de notre grand maître. Mais la victoire du prolétariat français n'est concevable que si du feu de la lutte il fait sortir un parti véritablement révolutionnaire, qui deviendra la pierre angulaire de la nouvelle Internationale. Telle serait la voie la plus courte, la plus avantageuse, la plus favorable pour la révolution internationale.
Ce serait une stupidité d'affirmer qu'elle est assurée. Si la victoire est possible, la défaite, non plus, malheureusement, n'est pas exclue. La politique actuelle du front unique, comme des deux organisations syndicales, ne facilite pas, mais entrave la victoire. Il est absolument évident qu'en cas d'écrasement du prolétariat français, ses deux partis disparaîtraient définitivement de la scène. La nécessité d'une nouvelle Internationale, sur de nouvelles bases, deviendrait alors évidente pour tout ouvrier. Mais il est absolument évident par avance que l'édification de la IV° Internationale, en cas de triomphe du fascisme en France, rencontrerait mille obstacles, irait avec une extrême lenteur, et le centre de tout le travail révolutionnaire se trouverait, selon toute vraisemblance, transporté en Amérique.
Ainsi, les deux variantes historiques-la victoire et la défaite du prolétariat français-conduisent également, quoique à des rythmes différents, sur la voie de la IV° Internationale. C'est précisément cette tendance historique qu'expriment les bolcheviks-léninistes. L'aventurisme sous toutes ses formes nous est étranger. Il s'agit non pas de "proclamer" d'une façon artificielle la IV° Internationale, mais de la préparer systématiquement. Il faut, par l'expérience des événements, montrer et démontrer aux ouvriers avancés que les programmes et les méthodes des deux Internationales sa trouvent en contradiction insurmontable avec les exigences de la révolution prolétarienne et que ces contradictions ne s'amoindrissent pas, mais au contraire croissent sans cesse. De cette analyse découle la seule ligne générale possible: il faut préparer théoriquement et pratiquement la IV° Internationale.
En février s'est tenue une conférence internationale de plusieurs organisations n'appartenant ni à la II° ni à la III° Internationale (deux partis hollandais, le S.A.P. allemand, l'I.L.P. britannique, etc.). Sauf les Hollandais, qui sont sur la position du marxisme révolutionnaire, tous les autres participants représentent différentes variétés, en majorité très conservatrices, de centrisme. J. Doriot, qui participa a cette conférence, écrit dans son compte rendu : "Au moment où la crise du capitalisme apporte la vérification éclatante des thèses du marxisme... les partis créés à cet effet, soit par la II°, soit par la III° Internationale, ont tous failli à leur mission". Nous ne nous arrêterons pas sur le fait que Doriot lui-même, au cours d'une lutte de dix ans contre l'Opposition de gauche, aida a décomposer l'Internationale communiste. Nous ne rappellerons pas, en particulier, le triste rôle de Doriot à l'égard de la Révolution chinoise. Prenons simplement acte qu'en février 1935, Doriot a compris et reconnu la faillite de la II° et de la III° Internationale. Conclut-il de là à la nécessité de préparer la nouvelle Internationale? Faire une telle supposition, ce serait bien mal connaître ce qu'est le centrisme. Sur l'idée de la nouvelle Internationale, Doriot écrit: "Cette idée du trotskysme a été formellement condamnée par la Conférence." Doriot se laisse entraîner, quand il parle de "condamnation formelle", mais il est vrai que la Conférence, contre les deux délégués hollandais, a repoussé l'idée de la IV° Internationale? Quel est en ce cas le programme réel de la Conférence? Il est de n'avoir aucun programme. Dans leur travail quotidien, les participants de la Conférence se tiennent à l'écart des tâches Internationales de la révolution prolétarienne, et y pensent bien peu. Mais tous les ans et demi, ils tiennent congrès pour soulager leur coeur et déclarer: "La II° et la III° Internationales ont fait faillite." Après avoir hoché tristement la tête, ils se séparent il faudrait plutôt appeler cette "organisation": Bureau pour la célébration d'un service funèbre annuel pour la II° et la III° Internationales.
Ces vénérables personnes se figurent être des "réalistes", des "tacticiens", voire des "marxistes". Elles ne font que répandre des aphorismes: "Il ne faut pas anticiper", "Les masses n'ont pas encore compris", etc. Mais pourquoi anticipez-vous donc vous-mêmes, en constatant la banqueroute des deux Internationales: les "masses" ne l'ont pas encore compris? Et les masses qui l'ont compris sans votre aide, elles... votent pour Hitler (Sarre). Vous subordonnez la préparation de la IV° Internationale à un "processus historique". Mais n'êtes-vous pas vous-mêmes une partie de ce processus? Les marxistes se sont toujours efforcés d'être à la tête du processus historique. Quelle partie représentez-vous exactement ?
"Les masses n'ont pas encore compris." Mais les masses ne sont pas homogènes. Les idées nouvelles sont assimilées d'abord par les éléments avancés et, par leur intermédiaire, pénètrent dans les masses. Si vous-mêmes, sages altiers, avez compris la nécessité et l'inéluctabilité de la IV° Internationale, comment pouvez-vous donc cacher cette conclusion aux masses? Pis encore: après avoir reconnu la faillite des Internationales existantes, Doriot "condamne"(!) l'idée de la nouvelle Internationale. Quelle perspective pratique donne-t-il donc à l'avant-garde révolutionnaire? Aucune! Mais cela signifie semer la confusion, le trouble et la démoralisation.
Telle est la nature du centrisme. Il faut comprendre cette nature jusqu'au bout. Sous la pression des circonstances, tel centriste peut aller très loin dans l'analyse, les appréciations, la critique: dans ce domaine, les chefs du S.A.P., qui dirigèrent la conférence dont nous venons de parler, répètent fort scrupuleusement beaucoup de ce que les bolcheviks-léninistes ont dit il y a deux, trois ou dix ans. Mais le centriste s'arrête toujours craintivement devant les conclusions révolutionnaires. Célébrer en famille un service funèbre pour l'Internationale communiste? Pourquoi pas! Mais se mettre à la préparation de la nouvelle Internationale ? Non, plutôt... "condamner" le trotskysme.
Doriot n'a aucune position. Et il n'en veut pas. Après la rupture avec la bureaucratie de l'Internationale communiste, il aurait pu jouer un rôle progressif et sérieux. Mais jusqu'à maintenant il ne s'en est même pas rapproché. Il se dérobe aux tâches révolutionnaires. Il s'est choisi pour maîtres les chefs du S.A.P. Veut-il s'inscrire définitivement dans la corporation des centristes ? Qu'il sache: un centriste, c'est un couteau sans lame !
[1] Le programme de l’Internationale communiste fût écrit par Boukharine, qui bientôt après fut officiellement déclaré "libéral bourgeois". Dans son "Testament ", Lénine jugea nécessaire de prévenir que Boukharine ne possédait pas le marxisme car sa pensée était pénétrée de scolastique. J'ai donné une critique du programme éclectique de l'’Internationale communiste dans mon livre: L’Internationale communiste après Lénine. Cette critique est restée jusqu’à maintenant sans réponse. (note de l’auteur).