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Œuvres – novembre 1929
Lettre à Rosmer
Prinkipo, le 20 novembre 1929
Cher ami,
Je m'adresse cette fois à vous pour une demande tout à fait extraordinaire.
Le camarade R[anc] est témoin que j'ai pris hier un poisson qui pesait environ 10 kilos. Mais cette pêche, qui est la plus intéressante, ressemble à une loterie parce que les ficelles italiennes - les seules qu'il soit possible de trouver à Constantinople - se coupent facilement et les plus grosses pièces se libèrent... au grand désespoir du pêcheur. Il me faut en somme non une ficelle fasciste, mais une ficelle honnête, démocratique, c'est-à-dire britannique. Le plus simple serait de la commander en Angleterre, mais vous connaissez suffisamment les règles des douanes turques (histoire du Larousse). Or il ne me reste qu'à vous demander d'acheter vous-même ou par l'intermédiaire d'un pêcheur savant et rapide 200 ou 300 mètres de ficelle anglaise.
Ses caractéristiques : ficelle de lin très fine et extrêmement solide qu'on emploie en tronçons qui sont, d'une part, attachés directement à l'hameçon et, à l'autre bout, à une ficelle plus grosse. Il s'agit donc non de la ligne (corde blanche) mais de la ficelle de lin fine qui relie l'hameçon. Ficelle anglaise.
Comment me l'envoyer ? Tout simplement par lettres recommandées, coupée en tronçons de 10 mètres. Naturellement s'il y a une occasion (Péra)...
Excusez-moi pour cette commission, mais elle est pour moi d'une importance décisive. D'ailleurs M[arguerite] en appréciera les résultats et pourra vous en faire part.
J'ai nommé plus haut Péra [1] Il a tout à fait changé depuis sa première visite. Par le thermomètre de son état d'esprit je puis bien mesurer la situation à la Ligue et à la Révolution prolétarienne. La première fois : " Mais nous sommes aussi communistes, il n'y a pas longtemps que l'on m'a exclu, et puis notre but est tout à fait limité : c'est l'unité syndicale. " Cette fois-ci : " Mais naturellement il faut que quelqu'un dirige les syndicats, mais nous croyons que nous sommes plus capables de le faire que le parti ; c'est à peine si nous pourrons continuer maintenant à nous appeler Syndicalistes Communistes, plutôt Anarchistes. " Les résultats du dernier congrès de la C.G.T.U. et la création d'un hebdomadaire syndical (Le Cri du peuple) ont dû leur monter à la tête.
Notes
[1] J. Péra était le pseudonyme d'un jeune médecin des Messageries Maritimes, Louis Bercher, qui bourlinguait dans le monde entier et avait déjà rendu visite à Trotsky. Ancien du P.C., son cofondateur en Algérie, membre du groupe de la R. P. il y contribua par d'intéressants articles sur les Indes, l'Australie, etc.