1931 |
Brochure rééditée dans les "Ecrits" de Trotsky, tome III, Supplément à la revue "4ème Internationale", 1959 |
Contre le national-communisme
(les leçons du plébiscite "rouge")
Guerre révolutionnaire et pacifisme
Les Scheringer et les Stenbock-Fermor considèrent généreusement la cause du Parti communiste comme la continuation directe de la guerre des Hohenzollern. Les victimes de la tuerie impérialiste la plus lâche restent pour eux des héros tombés pour la liberté du peuple allemand. Ils veulent bien appeler guerre " révolutionnaire " la nouvelle guerre pour l'Alsace et la Lorraine et pour la Russie orientale. Ils sont prêts à accepter – en attendant, en paroles – "la révolution populaire ", si elle peut servir de moyen de mobilisation des ouvriers pour leur guerre " révolutionnaire ". Tout leur programme se trouve dans l'idée de la revanche ; s'ils s'aperçoivent demain qu'on peut atteindre ce but par d'autres moyens, ils n'hésiteront pas à tirer dans le dos des prolétaires révolutionnaires. Il faut dénoncer tout cela et non pas le cacher. Il faut éveiller la vigilance des ouvriers et non pas l'endormir. Or, comment agit le Parti ?
Dans la Fanfare communiste du 1er août, en pleine agitation pour le référendum rouge, on publie, à côté du portrait de Scheringer, un de ses messages apostoliques. Voici ce qui y est dit textuellement : " Quiconque s'oppose aujourd'hui à la révolution populaire, à la guerre révolutionnaire libératrice, trahit la cause des morts de la guerre mondiale qui ont donné leur vie pour une Allemagne libre". On ne croit pas ses yeux en lisant ces révélations dans la presse qui se dit communiste. Et tout cela est couvert du nom de Liebknecht et de Lénine Quel long fouet aurait pris Lénine pour fouetter dans une polémique tin tel communisme ! Et il ne se contenterait pas d'articles polémiques. Il demanderait la convocation d'un Congrès extraordinaire international pour épurer impitoyablement les rangs de l'avant-garde prolétarienne de la gangrène du chauvinisme...
"Nous ne sommes pas des pacifistes ", répliquent fièrement nos Thaelmann, Remmele et autres. " Nous sommes par principe pour la guerre révolutionnaire. " Pour le démontrer, ils sont prêts à nous faire quelques citations de Marx et de Lénine que des "professeurs rouges" ignorants ont choisies, à Moscou, à leur intention. On peut croire vraiment que Marx et Lénine ont été des promoteurs de la guerre nationale et non de la révolution prolétarienne ! Comme si la notion de la guerre révolutionnaire chez Marx et Lénine avait quelque chose de commun avec l'idéologie nationaliste des officiers fascistes et des sous-officiers centristes. Avec une phrase à bon marché sur la guerre révolutionnaire, la bureaucratie stalinienne attire une dizaine d'aventuriers, mais elle repousse des centaines de milliers et des millions d'ouvriers sociaux-démocrates, chrétiens et sans-parti.
"Vous nous recommandez alors d'imiter le pacifisme social-démocrate ?", nous objectera un théoricien particulièrement profond du cours le plus récent. Non, nous ne sommes pas du tout disposés à imiter même les sentiments de la classe ouvrière, mais à en tenir compte – voilà ce qui est indispensable. Ce n'est qu'en appréciant justement les sentiments des larges masses prolétariennes qu'on peut les amener à la révolution. Mais la bureaucratie qui imite la phraséologie du nationalisme petit bourgeois ignore les véritables sentiments des ouvriers qui ne veulent pas la guerre, qui ne peuvent pas la vouloir et qui sont repoussés par la fanfaronnade guerrière de la nouvelle firme : Thaelmann, Scheringer, le comte Stenbock-Fermor, Heinz Neumann et Cie.
Le marxisme peut, bien entendu, envisager la possibilité d'une guerre révolutionnaire en cas de prise du pouvoir par le prolétariat. Mais de là à transformer une possibilité historique, qui peut nous être imposée par la marche des événements après la prise du pouvoir, en un mot d'ordre politique de combat avant la conquête du pouvoir, il y a une marge. La guerre révolutionnaire comme conséquence, imposée dans certaines conditions, de la victoire prolétarienne est une chose. La révolution " populaire " comme moyen de la guerre révolutionnaire, c'est une tout autre chose, c'est même une chose diamétralement opposée.
Bien que le gouvernement soviétique de Russie ait reconnu en principe la guerre révolutionnaire, il a signé, comme on le sait, le traité très dur de Brest-Litovsk. Pourquoi ? Parce que les paysans et les ouvriers, sauf une petite couche d'ouvriers avancés, ne voulaient pas la guerre. Les mêmes paysans et ouvriers défendirent ensuite héroïquement la révolution soviétique contre ses ennemis innombrables. Mais, quand nous avons essayé de transformer la guerre défensive, qui nous avait été imposée par Pilsudski, en une guerre offensive, nous avons subi une défaite, et cette erreur, née d'une mauvaise appréciation des forces, frappa très durement le développement de la révolution mondiale.
L'Armée rouge existe déjà depuis 14 ans. "Nous ne sommes pas des pacifistes." Mais pourquoi alors le gouvernement soviétique proclame-t-il à chaque occasion sa politique de paix ? Pourquoi propose-t-il le désarmement et conclut-il des pactes de non agression ? Pourquoi ne se sert-il pas de l'Armée Rouge comme d'un moyen de la révolution prolétarienne mondiale ? Il faut croire qu'il ne suffit pas d'être en principe pour la guerre révolutionnaire. Il faut encore, de plus, avoir la tête sur ses épaules. Il faut tenir compte des circonstances, du rapport des forces et des sentiments des masses.
Si cela est obligatoire pour un gouvernement ouvrier qui possède entre ses mains un puissant appareil de coercition, un parti révolutionnaire doit d'autant plus tenir compte attentivement des sentiments des ouvriers et des masses travailleuses en général, parce qu'il ne peut agir autrement que par la persuasion. La révolution n'est pas pour nous un moyen auxiliaire pour la guerre contre l'Occident, mais, au contraire, c'est un moyen pour éviter toutes les guerres, pour les rendre impossibles à jamais. Nous luttons contre la social-démocratie, non pas en raillant la volonté de paix qui est propre à tout travail-leur, mais en démasquant son faux pacifisme, parce que la société capitaliste, que la social-démocratie essaie chaque jour de sauver, n'est pas concevable sans guerre. " La libération nationale " de l'Allemagne ne réside pas pour nous dans la guerre contre l'Occident, mais dans la révolution prolétarienne qui embrasserait et l'Europe centrale et l'Europe occidentale, et la lierait avec l'Europe orientale sous la forme d'Etats-Unis Soviétiques. Seule, une telle façon de poser la question peut grouper la classe ouvrière et en faire le centre d'attraction pour les masses petites bourgeoises désespérées. Pour que le prolétariat puisse dicter sa volonté à la société contemporaine, son Parti ne doit pas avoir honte d'être un parti prolétarien et de parler dans sa langue à lui : non pas dans la langue de la revanche, mais dans la langue de la révolution prolétarienne.