1932 |
Allemagne, 1932 : la situation du prolétariat, trahi par ses dirigeants est quasi-désespérée. Trotsky analyse la situation et en déduit les tâches de l'avant garde dans une étude magistrale. |
Œuvres - janvier 1932
La révolution allemande et la bureaucratie stalinienne
Lorsque les journaux du nouveau Parti socialiste ouvrier (SAP) dénoncent "l'égoïsme de parti" de la social-démocratie et du Parti communiste; lorsque Seydewitz affirme que pour lui "les intérêts de classe sont au-dessus des intérêts de parti" - ils tombent dans le sentimentalisme politique ou, ce qui est pire, dissimulent sous des phrases sentimentales les intérêts de leur propre parti. C'est une voie qui ne mène à rien. Lorsque la réaction exige que les intérêts de la nation soient placés au-dessus des intérêts des classes, nous, marxistes, expliquons que sous le couvert des intérêts du "tout", la réaction défend les intérêts de la classe exploiteuse. On ne peut pas formuler les intérêts d'une nation autrement que du point de vue de la classe dominante ou de la classe qui prétend occuper la place dominante. On ne peut pas formuler les intérêts d'une classe autrement que sous la forme d'un programme; on ne peut pas défendre un programme autrement qu'en fondant un parti.
Une classe, prise en elle-même, n'est qu'un matériau pour l'exploitation. Le prolétariat commence à jouer un rôle indépendant à partir du moment où d'une classe sociale en soi il devient une classe politique pour soi. Cela ne peut se produire que par l'intermédiaire du parti; le parti est l'organe historique au moyen duquel le prolétariat accède à la conscience de classe. Dire : "La classe est au-dessus du parti" - revient à affirmer : la classe dans son état brut est supérieure à la classe accédant à la prise de conscience. C'est non seulement incorrect, mais aussi réactionnaire. Pour fonder la nécessité du front unique, on n'a nullement besoin de cette théorie petite bourgeoise.
La progression de la classe vers la prise de conscience, c'est-à-dire le résultat du travail du parti révolutionnaire qui entraîne à sa suite le prolétariat, est un processus complexe et contradictoire. La classe n'est pas homogène. Ses différentes parties accéderont à la prise de conscience par des chemins différents et à des rythmes différents. La bourgeoisie prend une part active dans ce processus. Elle crée ses organes dans la classe ouvrière ou utilise ceux qui existent déjà, pour opposer certaines couches d'ouvriers à d'autres. Différents partis agissent simultanément dans le prolétariat. C'est pourquoi, il reste politiquement divisé durant une grande partie de son chemin historique. Cela explique qu'apparaisse à certaines périodes particulièrement graves, le problème du front unique.
Lorsqu'il suit une politique juste, le Parti communiste exprime les intérêts historiques du prolétariat. Sa tâche consiste à gagner la majorité du prolétariat : c'est seulement ainsi qu'est possible la révolution socialiste. Le Parti communiste ne peut remplir sa mission qu'en conservant une complète et totale indépendance politique et organisationnelle à l'égard des autres partis et organisations, qu'ils agissent au sein de la classe ouvrière ou à l'extérieur. Ne pas respecter cette exigence fondamentale de la politique marxiste est le plus grave de tous les crimes contre les intérêts du prolétariat en tant que classe. La révolution chinoise de 1925-1927 a été perdue précisément parce que l'Internationale communiste dirigée par Staline et Boukharine obligea le Parti communiste chinois à entrer dans le Kuomintang, parti de la bourgeoisie chinoise, et à se soumettre à sa discipline. L'expérience de la politique stalinienne en ce qui concerne le Kuomintang entrera pour toujours dans l'histoire comme l'exemple du sabotage catastrophique d'une révolution par ses dirigeants. La théorie stalinienne "des partis à deux composantes, ouvrière et paysanne" appliquée à l'Orient est la généralisation et la légitimation de la pratique à l'égard du Kuomintang ; l'application de cette théorie au Japon, en Inde, en Indonésie, en Corée a sapé l'autorité du communisme et a retardé le développement révolutionnaire du prolétariat pour de longues années. La même politique perfide a été menée, bien que moins cyniquement, aux Etats-Unis, en Angleterre et dans tous les pays d'Europe jusqu'en 1928.
La lutte de l'opposition de gauche pour l'indépendance complète et inconditionnelle du Parti communiste et de sa politique, dans toutes les conditions historiques et à toutes les étapes du développement du prolétariat, provoqua une tension extrême des rapports entre l'opposition et la fraction de Staline au moment où il fit bloc avec Tchang Kaï-chek, Wan Tin-wei, Purcell, Raditch, Lafollette, etc. Il est inutile de rappeler qu'aussi bien Thaelmann et Remmele que Brandler et Thalheimer, furent tous dans cette lutte entièrement du côté de Staline contre les bolcheviks-léninistes. C'est pourquoi, nous n'avons pas à recevoir de leçons de Staline et de Thaelmann en ce qui concerne l'indépendance de la politique du Parti communiste !
Mais le prolétariat accède à la prise de conscience révolutionnaire non par une démarche scolaire, mais à travers la lutte de classe, qui ne souffre pas d'interruptions. Pour lutter, le prolétariat a besoin de l'unité de ses rangs. Cela est vrai aussi bien pour les conflits économiques partiels, dans les murs d'une entreprise, que pour les combats politiques "nationaux", tel que la lutte contre le fascisme. Par conséquent, la tactique de front unique n'est pas quelque chose d'occasionnel et d'artificiel, ni une manœuvre habile, - non, elle découle complètement et entièrement des conditions objectives du développement du prolétariat. Le passage du Manifeste du Parti communiste, où il est dit que les communistes ne s'opposeront pas au prolétariat, qu'ils n'ont pas d'autres objectifs et d'autres tâches que celles du prolétariat, exprime l'idée que la lutte du parti pour gagner la majorité de la classe ne doit, en aucun cas, entrer en contradiction avec le besoin que ressentent les ouvriers d'unir leurs rangs dans le combat.
Le Rote Fahne condamne avec raison l'affirmation selon laquelle "les intérêts de classe sont au-dessus des intérêts du parti". En fait, il y a coïncidence entre les intérêts bien compris de la classe et les tâches correctement formulées du parti. Tant que l'affaire se limite à cette affirmation historico-philosophique, la position du Rote Fahne est inattaquable. Mais les conclusions politiques qu'il en tire, bafouent directement le marxisme.
L'identité de principe des intérêts du prolétariat et des tâches du Parti communiste ne signifie pas que le prolétariat dans son ensemble est dès aujourd'hui conscient de ses intérêts, ni que le parti les formule correctement dans n'importe quelles conditions. La nécessité même du parti découle précisément du fait que le prolétariat ne naît pas avec une compréhension toute faite de ses intérêts historiques. La tâche du parti consiste à apprendre, à démontrer au prolétariat son droit à la direction sur la base de l'expérience des luttes. Cependant, la bureaucratie stalinienne considère qu'on peut exiger tout simplement du prolétariat qu'il se soumette à la seule vue du passeport du parti, portant le cachet de l'Internationale communiste.
Tout front unique, qui n'est pas placé d'avance sous la direction du Parti communiste, répète le Rote Fahne, est dirigé contre les intérêts du prolétariat. Celui qui ne reconnaît pas la direction du Parti communiste, est par-là même un "contre-révolutionnaire". L'ouvrier est obligé de croire l'organisation communiste sur parole et à l'avance. Partant de l'identité de principe des tâches du parti et de la classe, le fonctionnaire s'arroge le droit de donner des ordres à la classe. La tâche historique, que le Parti communiste doit encore remplir : l'unification sous son drapeau de la majorité écrasante des ouvriers, le bureaucrate la transforme en ultimatum, en revolver appuyé contre la tempe de la classe ouvrière. La pensée dialectique est remplacée par une pensée formaliste, administrative et bureaucratique.
La tâche historique qu'il faut accomplir, est considérée comme déjà accomplie. La confiance qu'il faut gagner, est considérée comme déjà gagnée. Il est évident que c'est une solution de facilité. Mais, cela ne fait pas beaucoup avancer l'affaire. En politique, il faut partir de ce qui existe et non de ce qu'on souhaite qu'il y ait, ni de ce qui sera. Si on la pousse jusqu'au bout, la position de la bureaucratie stalinienne est, au fond, la négation du parti. En effet, à quoi se réduit tout son travail historique, si le prolétariat doit reconnaître à l'avance la direction de Thaelmann et Remmele ?
De l'ouvrier qui veut rejoindre les rangs des communistes le parti a le droit d'exiger : tu dois accepter notre programme, nos statuts et la direction de nos organismes élus. Mais il est absurde et criminel de poser à priori la même exigence, ou même une partie de cette exigence, aux masses ouvrières ou aux organisations ouvrières, alors qu'il s'agit d'actions communes pour des tâches militantes bien déterminées. Cela signifie saper les fondements mêmes du parti, qui ne peut remplir sa fonction que dans le cadre de rapports corrects avec la classe. Au lieu de lancer un ultimatum unilatéral qui irrite et offense ~ les ouvriers, il faut proposer un programme précis d'actions communes : c'est la voie la plus sûre pour conquérir la direction effective.
L'ultimatisme est une tentative pour violer la classe ouvrière, quand on n'arrive pas à la convaincre : si vous, les ouvriers, ne reconnaissez pas la direction de Thaelmann-Remmele-Neumann, nous ne vous permettrons pas de faire le front unique. Un ennemi perfide n'aurait pas pu imaginer de situation plus désavantageuse que celle dans laquelle se placent les chefs du Parti communiste. Sur cette voie ils courent à leur perte.
La direction du Parti communiste allemand ne fait que souligner plus clairement son ultimatisme, lorsque dans ses appels elle fait machine arrière de façon purement casuistique : "Nous ne vous demandons pas d'accepter à l'avance nos conceptions communistes." Cela sonne comme une excuse pour une politique qui n'a aucune excuse. Quand le parti déclare qu'il se refuse à engager quelques négociations que ce soit avec les autres organisations, mais qu'il permet aux ouvriers sociaux-démocrates de rompre avec leur organisation et de se placer sous la direction du Parti communiste, sans se dire communistes, cela relève du plus pur ultimatisme. Le recul en ce qui concerne "les conceptions communistes" est tout à fait ridicule : le fait de se dire communiste n'arrête pas l'ouvrier qui est prêt à rompre dès aujourd'hui avec son parti, pour prendre part à la lutte sous la direction communiste. L'ouvrier est étranger aux subterfuges diplomatiques et au jeu des étiquettes. Il juge la politique et l'organisation sur le fond. Il reste à la social-démocratie tant qu'il ne fait pas confiance à la direction communiste. On peut dire sans risque de se tromper que la majorité des ouvriers sociaux-démocrates restent encore aujourd'hui dans leur parti, non pas parce qu'ils font confiance à la direction réformiste, mais uniquement parce qu'ils n'ont pas encore confiance dans la direction communiste. Mais, dès aujourd'hui, ils veulent se battre contre le fascisme. Si on leur indique la prochaine étape de la lutte commune, ils exigeront de leur organisation qu'elle s'engage sur cette voie. S'ils sentent une résistance de la part de leur organisation, ils peuvent aller jusqu'à rompre avec elle.
Au lieu d'aider les ouvriers sociaux-démocrates à trouver leur voie par l'expérience, le Comité central du Parti communiste aide les chefs de la social-démocratie contre les ouvriers. Leur répugnance à se battre, leur peur de la lutte, leur incapacité à se battre, les Wels et les Hilferding les dissimulent aujourd'hui avec succès, en se référant à la volonté du Parti communiste de ne pas participer à une lutte commune. Le refus obstiné, stupide, absurde de la politique de front unique de la part du Parti communiste est devenu dans les conditions actuelles, la ressource politique primordiale de la social-démocratie. C'est précisément pourquoi, la social-démocratie, avec le parasitisme qui la caractérise, s'accroche ainsi à notre critique de la politique ultimatiste de Staline-Thaelmann.
Les dirigeants officiels de l'Internationale communiste pérorent aujourd'hui d'un air pénétré sur l'élévation du niveau théorique du parti et sur l'étude de "l'histoire du bolchevisme". En fait, "le niveau" ne fait que baisser, les leçons du bolchevisme sont oubliées, déformées, foulées aux pieds. Toutefois, il est très facile de trouver dans l'histoire du parti russe le précurseur de la politique actuelle du Comité central du parti allemand : c'est le défunt Bogdanov, fondateur de l'ultimatisme (ou otzovisme). Dès 1905, il pensait qu'il était impossible aux bolcheviks de participer au Soviet de Pétersbourg, si le Soviet ne reconnaissait pas au préalable la direction sociale-démocrate. Sous l'influence de Bogdanov, le bureau de Pétersbourg du Comité central des bolcheviks adopta en octobre 1905 la résolution suivante : présenter au Soviet de Pétersbourg une motion exigeant qu'il reconnaisse la direction du parti ; sinon, quitter le Soviet. Le jeune avocat Krassikov, membre en ce temps-là du Comité central des bolcheviks, présenta cet ultimatum à la séance plénière du Soviet. Les députés ouvriers, parmi lesquels se trouvaient aussi des bolcheviks, se regardèrent avec étonnement, puis passèrent à l'ordre du jour. Personne ne quitta le Soviet. Bientôt, Lénine arriva de l'étranger et passa un vigoureux savon aux ultimatistes : on ne peut pas, dit-il, obliger par des ultimatums la masse à sauter les étapes nécessaires de son propre développement politique.
Bogdanov, cependant, ne renonça pas à sa méthodologie et créa par la suite une fraction "ultimatiste" ou "otzoviste" : nom qui leur avait été attribué, car ils avaient tendance à faire quitter aux bolcheviks toutes les organisations qui refusaient d'accepter l'ultimatum qu'ils leur présentaient d'en haut : "reconnais par avance notre direction". Leur politique, les ultimatistes ont essayé de l'appliquer non seulement au Soviet, mais aussi dans le domaine du parlementarisme, dans les organisations professionnelles, et, en général dans toutes les organisations légales ou semi-légales de la classe ouvrière.
La lutte de Lénine contre l'ultimatisme était une lutte pour l'établissement de rapports corrects entre le parti et la classe. Dans l'ancien parti bolchevique, les ultimatistes n'ont jamais réussi à jouer un rôle tant soit peu important : sinon, la victoire du bolchevisme aurait été impossible. Le bolchevisme tirait sa force de son attitude attentive et pleine de finesse à l'égard de la classe. Quand il fut au pouvoir, Lénine poursuivit la lutte contre l'ultimatisme, en particulier et surtout, en ce qui concerne les syndicats. "Si aujourd'hui en Russie, écrivait-il, après deux ans et demi de victoires extraordinaires sur la bourgeoisie de la Russie et de l'Entente, nous posions comme condition d'adhésion aux syndicats "la reconnaissance de la dictature", nous ferions une bêtise, nous entamerions notre influence sur les masses, nous aiderions les mencheviks. En effet, toute la tâche des communistes consiste à savoir convaincre les retardataires, à savoir travailler parmi eux, et non à s'en couper avec des mots d'ordre "de gauche" puérils".(La maladie infantile du communisme, le gauchisme.) Cela est d'autant plus impératif pour les partis communistes de l'Ouest, qui ne représentent qu'une minorité de la classe ouvrière.
Cependant, la situation a radicalement changé en URSS pendant la dernière période. Le Parti communiste, armé du pouvoir, développe déjà un autre type de rapport entre l'avant-garde et la classe : dans ce rapport entre un élément de contrainte. La lutte de Lénine contre le bureaucratisme du parti et des Soviets impliquait fondamentalement une lutte non pas contre la mauvaise organisation des bureaux, les lenteurs administratives, la négligence, etc., mais contre l'assujettissement de la classe à l'appareil, contre la transformation de la bureaucratie du parti en une nouvelle couche "dirigeante". Le conseil de Lénine avant sa mort : créer une commission de contrôle prolétarienne, indépendante du Comité central, et écarter Staline et sa fraction de l'appareil du parti, était dirigé contre la dégénérescence bureaucratique du parti. Pour une série de raisons, dans lesquelles nous ne pouvons pas entrer ici, le parti a négligé ce conseil. La dégénérescence bureaucratique du parti a été poussée à l'extrême ces dernières années. L'appareil stalinien ne fait que commander. Le langage du commandement est le langage de l'ultimatisme. Tout ouvrier doit reconnaître par avance que toutes les décisions du Comité central passées, présentes et futures, sont infaillibles. Les prétentions à l'infaillibilité ont d'autant plus crû que la politique devenait plus erronée.
Ayant pris en main l'appareil de l'Internationale communiste, la fraction stalinienne exporta naturellement ses méthodes dans les sections étrangères, c'est-à-dire dans les partis communistes des pays capitalistes. La politique de la direction allemande est le reflet de la politique de la direction moscovite.
Thaelmann voit comment la bureaucratie stalinienne commande en proclamant contre-révolutionnaires tous ceux qui ne reconnaissent pas son infaillibilité. En quoi Thaelmann est-il pire que Staline? Si la classe ouvrière ne se place pas humblement sous sa direction, c'est parce que la classe ouvrière est contre-révolutionnaire. Ceux qui signalent à Thaelmann le caractère désastreux de l'ultimatisme sont doublement contre-révolutionnaires. Les œuvres complètes de Lénine sont parmi les œuvres les plus contre-révolutionnaires. Ce n'est pas en vain que Staline les a censurées sans pitié, particulièrement en ce qui concerne les éditions en langues étrangères.
Si l'ultimatisme est néfaste dans n'importe quelles conditions ; si, en URSS, il signifie le gaspillage du capital moral du parti, il est doublement injustifié dans les partis occidentaux, qui en sont seulement à accumuler leur capital moral. En Union soviétique, la révolution victorieuse a au moins créé les conditions matérielles pour l'ultimatisme bureaucratique sous la forme de l'appareil de répression. Dans les pays capitalistes, y compris en Allemagne, l'ultimatisme se transforme en une caricature impuissante qui est un obstacle à la marche du Parti communiste vers le pouvoir. L'ultimatisme de Thaelmann-Remmele est avant tout ridicule. Et le ridicule tue, particulièrement quand il s'agit du parti de la révolution.
Transportons pour une minute le problème dans l'arène politique de l'Angleterre, où le Parti communiste (par suite des erreurs funestes de la bureaucratie stalinienne) continue à ne représenter encore qu'une infime partie du prolétariat. Si on admet que toute forme de front unique, sauf s'il est communiste, est "contre-révolutionnaire", il devient évident que le prolétariat britannique doit remettre la lutte jusqu'à ce que le Parti communiste soit à sa tête. Mais le Parti communiste ne peut prendre la tête de la classe autrement que sur la base de l'expérience révolutionnaire de cette dernière. Or, l'expérience ne peut prendre un caractère révolutionnaire que si le parti entraîne dans la lutte des millions d'ouvriers. Et, il n'est possible d'entraîner dans la lutte des masses non communistes et, à plus forte raison, organisées, que sur la base de la politique de front unique. Nous tombons dans un cercle vicieux dont l'ultimatisme bureaucratique ne permet pas de trouver la sortie. Mais la dialectique révolutionnaire a depuis longtemps indiqué la sortie, en se fondant sur une multitude d'exemples dans les domaines les plus divers : combinaison de la lutte pour le pouvoir et de la lutte pour des réformes ; indépendance complète du parti mais unité des syndicats ; lutte contre le régime bourgeois, tout en utilisant ses institutions; critique implacable du parlementarisme du haut de la tribune parlementaire ; lutte sans pitié contre le réformisme, tout en concluant avec les réformistes des accords pratiques pour des tâches partielles.
En Angleterre, l'inconsistance de l'ultimatisme saute aux yeux, vue la faiblesse extraordinaire du Parti communiste. En Allemagne, le caractère désastreux de l'ultimatisme est quelque peu masqué par les effectifs importants du parti et par leur croissance. Mais le parti allemand croît sous la pression des circonstances et non grâce à la politique de la direction ; non pas grâce à l'ultimatisme, mais malgré lui. De plus, la croissance numérique n'est pas décisive : c'est les rapports politiques entre le parti et la classe qui sont décisifs. Sur cette ligne fondamentale, la situation ne s'améliore pas, car le parti allemand a élevé entre lui et la classe les barbelés de l'ultimatisme.