1936

Lettre à P. J. Schmidt. Traduite de l'allemand.


Œuvres – mars 1936

Léon Trotsky

4 mars 1936

Lettre à P. J. Schmidt


Cher Camarade Schmidt [1],

1) Sur la question anglaise, je ne puis actuellement pas dire grand chose, du moins tant que la préparation de la prochaine conférence n'est pas achevée. Je crains que, sous l'effet de la désagrégation de l'ILP, notre groupe ne piétine et ne se décompose aussi sans s'en rendre compte [2]. Le champ d'activité principal est tout de même le Labour Party et les Trade Unions, le parti Co op et la Labor League of Youth [3]. Mais, je le répète, il faut attendre de voir ce que va apporter la prochaine conférence de I'I.L.P. [4].  De toute façon, je n'en attends pas grand chose.

2) Bien plus brûlant est le problème de la section française. J'ignore si vous en êtes suffisamment informé et vous adresse ci joint une copie de ma lettre au membre allemand du secrétariat international, le camarade Otto Fischer [5] Du point de vue statutaire, nous avons désormais en France deux organisations qui se réclament de la IVº Internationale. L'une est la section officielle des bolcheviks léninistes, la seconde est le groupe de La Commune, qui se fonde sur la " Lettre ouverte pour la IVº Internationale " et qui commence maintenant à éditer, outre l'hebdomadaire La Commune, une revue théorique, La Quatrième Internationale. L'affaire doit être réglée d'une manière ou d'une autre. De nombreux camarades voulaient que l'on " désavoue " purement et simplement La Commune. Mais les choses ne sont pas si simples. Les dirigeants de La Commune sont exclus, et même un désaveu d'Amsterdam n'aura pas beaucoup d'effet. D'un autre côté, La Commune est désormais dirigée dans un esprit d'allégeance plus que dévouée à la IVº Internationale et à son programme. On ne peut faire comme si tout cela n'existait pas. Il faut régler cette question, et aussi vite que possible, car, en avril, on devra déjà prendre position clairement sur les élections de mai.

Le seul moyen d'arranger les choses me paraît être le suivant : le secrétariat d'Amsterdam pour la IVº Internationale adresse au " comité pour la IVº Internationale " de Paris une courte lettre officielle conçue à peu près en ces termes :

" Chers Camarades,

Nous apprenons par votre journal que vous avez formé en France, où existe une section de notre regroupement pour la IVº Internationale, un comité concurrent pour la IVº Internationale. Vous comprendrez que la IVº Internationale   bien qu'elle n'en soit qu'à ses débuts   ne se contente pas d'avoir un programme commun, mais qu'elle a aussi des liaisons organisationnelles précises, et que l'extension de ses rangs ne peut se faire que sous le contrôle des organisations qui lui sont déjà affiliées. Le secrétariat d'Amsterdam est justement chargé de cette mission de contrôle.

Nous nous adressons donc à vous pour vous poser les questions suivantes :

1)Quelles divergences de principe vous ont poussés à scissionner de notre organisation française ?

2)Avez vous l'intention de créer une IVº Internationale concurrente de la nôtre ou envisageriez vous de vous insérer dans notre organisation internationale ?

Dans le second cas, de quelle manière pensez-vous le faire ? "

Le mieux serait que ce soit vous qui signiez cette lettre, car vous n'avez pas été mêlé à la bataille qui a précédé.

Je crois que la réponse de La Commune sera de vouloir s'intégrer à l'organisation existante. Dans ce cas, notre secrétariat international proposera la création d'une commission préparatoire composée de Crux, Braun [6] , Held [7].

La commission convoquera des représentants de La Commune et soumettra ensuite ses propositions au secrétariat d'Amsterdam et au secrétariat international (sans évidemment s'engager en aucune manière vis à vis de La Commune).

Cette méthode me paraît la seule possible dans la situation actuelle. Le pire serait en tout cas de s'obstiner sur la passivité bureaucratique, c'est à dire de ne rien entreprendre, de tourner le dos aux réalités et d'attendre la suite en maugréant.

J'attendrai votre réponse avec beaucoup d'impatience.


Notes

[1] Schmidt venait de faire à Trotsky le compte rendu de son séjour en Angleterre. il était opposé à la sortie éventuelle des trotskystes de l'I.L.P.

[2] Le groupe " officiel " en Grande Bretagne appartenait à l'I.L.P. où il s'appelait " Marxist Group " : le Marxist Group était d'ailleurs plus un regroupement de militants proches de la L.C.I. qu'une fraction solide de militants disciplinés. La crise de l'I.L.P., notamment la chute de ses effectifs, atteignait des proportions catastrophiques.

[3] Trotsky a écrit " Labor " et non " Labour ". il y avait dans le Labour Party le groupe qui provenait de l'ancienne " majorité ", la Communist League, et dans les jeunesses, un petit groupe récemment constitué par des militants qui avaient rompu avec le Marxist Group pour militer dans le Labour Party.

[4] Cette conférence allait se tenir, comme traditionnellement, à Pâques.

[5] Ici une confusion, Otto Schüssler se faisait appeler Oscar Fischer.

[6] Erwin Wolf, dit Nicolle Braun (1902 1937), originaire de Reichenberg (Liberec), avait rejoint la section allemande alors qu'il était étudiant à Berlin. Emigré à Paris en 1933, il avait été coopté à la direction des LK.D. en exil, puis au S.I. Mais, depuis octobre 1935, il était secrétaire de Trotsky à Hønefoss.

[7] Heinz Epe, dit Walter Held (19101941) étudiant, avait été le représentant des communistes internationalistes au bureau international des jeunes. Emigré en 1933, il avait résidé en Tchécoslovaquie, puis en Hollande et s'était établi en 1934 en Norvège.


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