1919 |
Un ouvrage qui servira de manuel de base aux militants communistes durant les années de formation des sections de l'Internationale Communiste. |
L'ABC du communisme
La deuxième et la troisième Internationales
La trahison de la cause ouvrière et de la lutte commune de la classe ouvrière furent justifiées par les chefs des partis socialistes de la II° Internationale au nom de la « défense nationale ».
Nous avons déjà vu que, dans une guerre impérialiste, aucune des grandes puissances ne se défend, mais que toutes attaquent. Le mot dordre de défense de la patrie bourgeoise nétait donc quune duperie sous laquelle les chefs cherchaient à dissimuler leur trahison.
Mais il nous faut examiner de plus près cette question.
Quest-ce, au fond, que la patrie ? Quest-ce quon entend par ce mot ? Les hommes qui parlent la même langue ? La « Nation » ? Pas du tout. Prenons, par exemple, la Russie tsariste. Lorsque la bourgeoisie russe réclamait à grands cris la défense de la patrie, elle nentendait pas une patrie habitée par une seule nationalité, disons les Grands-Russiens; non, il sagissait dune patrie habitée par des peuples différents. De quoi sagissait-il, en réalité ? De rien dautre que du pouvoir dEtat de la bourgeoisie et des propriétaires fonciers. On appelait les ouvriers russes à le « défendre » (ou plutôt à élargir ses frontières jusqu'à Constantinople et Cracovie). Lorsque la bourgeoisie allemande clamait la nécessité de la défense du Vaterland, de quoi sagissait-il ? Encore une fois du pouvoir de la bourgeoisie allemande, de lélargissement des frontières de lEtat impérialiste des Hohenzollern.
Et cest ici quil faut nous rendre compte si, sous la domination capitaliste, la classe ouvrière possède bien une patrie. Marx, dans le Manifeste du Parti Communiste, a répondu : « Les prolétaires nont pas de patrie. » Pourquoi ? Mais tout simplement parce que, sous la domination capitaliste, ils nont aucun pouvoir, parce que, sous le capitalisme, toute la puissance se trouve entre les mains de la bourgeoisie; parce que, sous le capitalisme, lEtat nest quun instrument pour loppression et la répression de la classe ouvrière.
Le devoir du prolétariat est de détruire lEtat de la bourgeoisie, et nullement de le défendre. Le prolétariat naura de patrie que lorsquil aura conquis le pouvoir de lEtat et sera devenu le maître du pays. Alors, et alors seulement, il aura une patrie et sera tenu de la défendre. Car ce quil défendra, cest son propre pouvoir et sa propre cause et non le pouvoir de ses ennemis et non la politique de brigandage de ses oppresseurs.
La bourgeoisie comprend très bien cela. Par exemple, lorsque le prolétariat russe eut conquis le pouvoir, la bourgeoisie russe engagea la lutte contre la Russie par tous les moyens, en salliant avec nimporte qui : avec les Allemands, les Japonais, les Américains, les Anglais, — sil leût fallu, avec le diable et sa grand-mère. Pourquoi ? Parce quelle avait perdu en Russie le pouvoir, sa patrie de brigandage, de pillage, dexploitation bourgeoise. Elle est, à tout moment, prête à faire disparaître la Russie prolétarienne, cest-à-dire le pouvoir des Soviets. Il en fut de même en Hongrie. La bourgeoisie proclama la « défense » de la patrie hongroise tant que le pouvoir fut entre ses mains; mais quand elle leut perdu, elle fit bien vite alliance avec les Roumains, les Tchéco-Slovaques, les Autrichiens pour étouffer, avec leur aide, la Hongrie prolétarienne. Cela veut dire que la bourgeoisie comprend très bien de quoi il sagit. Elle oblige, sous la belle formule de la patrie, tous les citoyens à fortifier son propre pouvoir bourgeois et condamne pour haute trahison ceux qui ny consentent pas. Mais, en revanche, elle ne recule devant rien pour faire sauter la patrie prolétarienne.
Il faut que le prolétariat apprenne de la bourgeoisie à faire sauter la patrie bourgeoise, et non à la défendre ou à lélargir; mais sa patrie à lui, il faut quil la défende de toutes ses forces, jusqu'à la dernière goutte de son sang.
Nos adversaires peuvent objecter à tout cela : « Vous reconnaissez donc que la politique coloniale et limpérialisme ont aidé le développement industriel des grandes puissances et que, de la table des maîtres, ont pu tomber ainsi quelques miettes pour la classe ouvrière! Il faut donc tout de même défendre son patron et laider dans sa concurrence! »
Pas du tout. Supposons deux fabricants : Schultz et Petrov. Ils se chamaillent sur le marché. Schultz dit à ses ouvriers : « Amis, défendez-moi de toutes vos forces. Faites tout le mal que vous pourrez à la fabrique de Petrov, à lui-même, à ses ouvriers, etc. Alors, ma fabrique à moi marchera, jen finirai avec Petrov, les affaires seront prospères. Et je vous donnerai un demi-rouble de plus. » Petrov en dit autant à ses ouvriers. Supposons que Schultz soit vainqueur. Dans les premiers temps, peut-être donnera-t-il un demi-rouble de plus, mais par la suite il le reprendra. Et si les ouvriers de Schultz, voulant faire grève, demandent laide des anciens ouvriers de Petrov, ces derniers répliqueront : « Comment! Après ce que vous nous avez fait, maintenant vous venez à nous ? Allez-vous-en! » Impossible, la grève commune. Quand les ouvriers sont divisés, le capitaliste est fort. Une fois quil a vaincu son concurrent, il se retourne contre les ouvriers divisés. Les ouvriers de Schultz avaient bien gagné pour un temps un demi-rouble de plus, mais par la suite ils lont perdu. LEtat bourgeois est une association de patrons. Quand cette association veut sengraisser aux dépens des autres, elle peut, à prix dargent, acheter lassentiment des ouvriers. La faillite de la II° Internationale et la trahison du socialisme par les chefs ouvriers furent possibles parce que les chefs acceptèrent de « défendre » les maîtres et daugmenter les miettes tombant de la table des maîtres. Mais au cours de la guerre, lorsque les ouvriers, trahis, se trouvèrent divisés, le capital, dans tous les pays, sabattit sur eux avec un poids formidable. Les ouvriers virent quils sétaient trompés, que les chefs socialistes les avaient vendus pour un denier. Alors commença la régénération du socialisme. Les protestations sortirent dabord des rangs des ouvriers mal payés, non qualifiés. Laristocratie ouvrière (par exemple, les imprimeurs dans tousles pays) et les anciens chefs continuèrent longtemps encore leur trahison.
En dehors du mot dordre de la défense de la patrie (bourgeoise), un bon moyen de tromper les masses ouvrières fut ce quon appelle le pacifisme. Quest-ce que cela ? Cest lopinion gratuite que, dans les limites mêmes du capitalisme, sans révolution, sans soulèvement du prolétariat, etc., une paix perpétuelle peut règner sur la terre. Il suffirait dorganiser larbitrage entre les différentes puissances, de supprimer la diplomatie secrète, de désarmer ou, pour commencer, de réduire les armements, etc., et tout irait bien.
Lerreur fondamentale du pacifisme est de croire que la bourgeoisie consentira à des réformes comme le désarmement. En dépit des vux du pacifisme, la bourgeoisie continuera toujours à sarmer, et si le prolétariat désarme ou ne sarme pas, il se fera écraser, tout simplement. Cest en quoi les belles phrases pacifistes dupent le prolétariat. Leur but est de détourner la classe ouvrière de la lutte armée pour le communisme.
Le meilleur exemple de la fausseté du pacifisme est offert par Wilson qui, avec ses quatorze points, sous le masque de nobles projets comme la Société des Nations, veut organiser le pillage mondial et la guerre contre le prolétariat. Jusqu'à quelle infamie peuvent atteindre les pacifistes, on le voit par les exemples suivants. Lancien président des Etats-Unis, Taft, est un des fondateurs de la Ligue américaine de la Paix, en même temps quun impérialiste forcené; le fabricant dautomobiles américain bien connu, Ford, a organisé des expéditions entières à travers lEurope pour y claironner son pacifisme; mais en même temps, il encaissait des centaines de millions de dollars de bénéfices, car toutes ses entreprises travaillaient pour la guerre. Un des pacifistes les plus autorisés, A. Fried, dans son Manuel du Pacifisme, voit la fraternité des peuples, entre autres choses, dans la campagne commune des impérialistes contre la Chine, en 1900. Il écrit à ce sujet : « Lentreprise chinoise a démontré linfluence des idées de paix sur les événements contemporains (!). Elle a démontré la possibilité dune association internationale des armées. Les armées alliées sont une force mondiale sous le commandement dun seul généralissime européen. Nous, amis de la paix, nous voyons dans ce généralissime mondial (cétait le comte Waldersee, nommé par Guillaume II) le précurseur de cet homme dEtat mondial qui réalisera notre idéal par des moyens pacifiques. »
Un brigandage collectif évident est considéré comme un exemple de « fraternité des peuples ». Il en est de même lorsquon sert une « Association de brigands capitalistes » à la sauce « Société des Nations ».