1979 |
« En fait, les idées de base du marxisme sont extrêmement simples. Elles permettent de comprendre, comme aucune autre théorie, la société dans laquelle nous vivons. Elles expliquent les crises économiques, pourquoi il y a tant de pauvreté au milieu de l’abondance, les coups d’États et les dictatures militaires, pourquoi les merveilleuses innovations technologiques envoient des millions de personnes au chômage, pourquoi les « démocraties » soutiennent les tortionnaires. » |
Accumulation de richesse à un pôle, c'est égale accumulation de pauvreté, de souffrance, d'ignorance, d'abrutissement, de dégradation morale, d'esclavage, au pôle opposé.
Voilà comment Marx résuma la tendance du capitalisme. Chaque capitaliste craint la compétition avec les autres, il fait donc travailler ses employés le plus durement possible, payant les salaires les bas possibles. Le résultat est une disproportion entre la croissance massive des moyens de productions d’une part, et la croissance limitée des salaires et du nombre de travailleurs employés d’autre part. Marx insista sur ce fait qui est la cause première des crises économiques.
Le meilleur moyen pour s’en apercevoir est de poser la question : qui achète la quantité de biens en expansion ? Les bas salaires des travailleurs signifient qu’ils ne peuvent se payer les biens produits par leur propre travail. Et les capitalistes ne peuvent augmenter les salaires, parce que cela détruirait les profits - la force motrice du système. Mais si les firmes ne peuvent vendre les biens qu’elles produisent, elles doivent fermer des usines et licencier des travailleurs. Le montant total des salaires chute d’autant, et plus de firmes n’arrivent plus à écouler leurs stocks. Une « crise de surproduction » apparaît avec des marchandises qui s’empilent et des gens qui ne peuvent se les payer.
C’est une caractéristique récurrente du capitalisme depuis les 160 dernières années. Mais n’importe quel esprit agile, en faveur du système, fera remarquer qu’il y aurait une solution simple à la crise. Il suffirait que les capitalistes investissent leurs profits dans de nouvelles machines et de nouvelles usines. Cela donnera du travail aux travailleurs qui en retour pourront acheter les marchandises invendues. Cela signifie que tant qu’il y a de nouveaux investissements, tous les biens produits pourront être vendus et le système permet le plein-emploi. Marx n’était pas stupide et remarqua ce fait. En effet, comme nous l’avons déjà signalé, il réalisa que la pression due à la compétition qui poussait les capitalistes à investir, était central pour le système. Mais, se demanda-t-il cela signifie-t-il que les capitalistes investiront tous leurs profits tout le temps ?
Le capitaliste n’investira que s’il pense que cela lui garantira un profit « raisonnable ». Et s’il ne le pense pas, il ne risquera pas son argent dans un investissement. Il le mettra à la banque, et le laissera là.
Avant d’investir le capitaliste évalue la situation économique. Quand celle-ci semble bonne, tous les capitalistes vont se ruer pour tous investir au même moment, se marchant dessus pour trouver des sites de constructions, acheter des machines, parcourir la terre pour trouver des matières premières, payant au-dessus de la moyenne des travailleurs qualifiés. C’est ce qu’on appelle une « phase d'expansion ».
Mais la compétition frénétique pour la terre, les matières premières et la force de travail qualifiée, pousse à la hausse leur prix. Et soudainement, les entreprises s’aperçoivent que le coût est monté si haut que tous leurs profits ont disparus. La hausse des investissements laisse place à une « baisse » des investissements. Plus personne ne veut des nouvelles usines, les travailleurs du bâtiment sont licenciés. Plus personne ne veut des nouvelles machines - l’industrie des machines-outils entre en crise. Plus personne ne veut de l’acier et du fer qui a été produit - l’industrie de l’acier fonctionne en « sous-capacité » et devient « non rentable ». Les fermetures d’usines se répandent d’une industrie à une autre industrie, créant du chômage - et avec lui, l’impossibilité pour les travailleurs d’acheter les produits d’autres industries. L’histoire du capitalisme est l’histoire de ce genre de crises périodiques, des travailleurs au chômage mourrant de faim devant des usines fermées, pendant que les stocks non-vendus pourrissent.
Le capitalisme crée ce genre de crise de surproduction périodiquement, parce qu’il n’y a pas de planification, il n’y a aucun moyen d’arrêter ces mouvements de ruée et de fuite des capitaux qui se déroulent en même temps.
Les gens pensent que l’État pourrait empêcher cela. En intervenant dans l’économie, en augmentant l’investissement public lorsque l’investissement privé est bas, puis le diminuant quand l’autre reprend, l’État permettrait de garder la production à un niveau égal. Mais de nos jours, l’investissement public suit les mêmes folles tendances.
Regardez British Steel. Il y a quelques années, quand elle était encore nationalisée, on a déclaré aux métallurgistes que leurs boulots étaient menacés pour permettre l’installation de vastes fourneaux automatiques conçus pour produire plus d’acier à meilleur marché. Maintenant, on leur dit que plus de travailleurs vont être licenciés, parce que l’Angleterre n’était pas le seul pays à se lancer dans ce genre d’investissement. La France, l’Allemagne, les États-Unis, le Brésil, les Pays de l’Est et même la Corée du Sud, firent tous la même chose. Maintenant, il y a un surplus mondial d’acier - une crise de surproduction. Les investissements publics se sont arrêtés.
Les métallurgistes en ont payé le prix par deux fois.
Voilà le prix que continue de payer l’humanité pour un système où la production de richesse massive est contrôlée par des petits groupes de privilégiés intéressés uniquement par le profit. Cela ne fait pas de différence que ces groupes possèdent les industries directement ou les contrôlent indirectement à travers l’État (comme pour British Steel). Pendant qu’ils utilisent ce contrôle pour se concurrencer les uns les autres pour la plus grande part du gâteau, nationalement ou internationalement, ce sont les travailleurs qui souffrent. La dernière absurdité du système est que « la crise de surproduction » n’est pas la surproduction du tout. Tout ce « surplus » d’acier par exemple, pourrait aider à résoudre le problème de la faim dans le monde. Les paysans dans beaucoup d’endroits du monde doivent récolter avec des outils en bois - des outils en acier augmenterait la production de nourriture. Mais les paysans n’ont pas d’argent de toutes façons, donc le système capitaliste n’est pas intéressé - il n’y a pas de profits à faire.
Les crises ne font pas qu’apparaître avec une régularité monotone. Marx a aussi expliqué qu’elles s’aggravaient avec le temps.
Même si l’investissement se faisait à un niveau égal, sans soubresauts, cela n’arrêterait pas la tendance générale vers la crise. Cela parce que la compétition entre les capitalistes (et entre les nations capitalistes) les oblige à investir dans des équipements qui demandent moins de main d’oeuvre.
En France, de nos jours, presque tous les nouveaux investissements servent à diminuer le nombre de travailleurs employés. Cela explique pourquoi il y a moins de travailleurs dans l’industrie en France qu’il y a dix ans même si le rendement a augmenté durant cette période.
Ce n’est qu’en ’rationalisant la production’, en ’augmentant la productivité’ et en diminuant la force de travail, qu’un capitaliste peut avoir une plus grosse part du gâteau que les autres. Mais la conséquence pour le système dans son ensemble est dévastatrice. Car cela signifie que le nombre de travailleurs n’augmente pas du tout à la même vitesse que les investissements.
Pourtant c’est le travail qui est la source des profits, le combustible qui entretient le système. Si vous faites des investissements de plus en plus gros, sans obtenir une augmentation correspondante de la source de profit, vous aller droit à la catastrophe - aussi sûrement que si vous essayiez de conduire une Jaguar avec l’essence nécessaire pour conduire une 2CV.
C’est pourquoi Marx déclara il y a 130 ans que les succès du capitalisme à investir lourdement dans de nouveaux équipements conduisaient à une « baisse tendancielle du taux de profit » ce qui signifie une continuelle aggravation des crises. Son argumentation s’applique très simplement au capitalisme aujourd’hui. A la place des « mauvaise périodes » faisant place aux « bonnes périodes » - des crises aux phases d'expansion - on a l’impression de vivre une crise continuelle. Chaque reprise, chaque baisse du taux de chômage est limitée et courte.
Ceux qui défendent le système déclarant que c’est parce que l’investissement n’est pas assez élevé. Sans nouvel investissement, il n’y a pas d’emploi créé, et sans nouveaux emplois pas d’argent pour acheter les marchandises. Jusque-là nous sommes d’accord - mais nous ne sommes pas d’accord sur pourquoi cela arrive. Ils condamnent les salaires. Les salaires sont trop élevés disent-ils ce qui racle les profits jusqu’à l’os. Les capitalistes ont peur d’investir car cela ne rapportera pas assez.
Mais la crise a continué pendant de longues années où les gouvernements ont diminué les salaires et poussé les profits à la hausse. Par exemple, en Angleterre, les années 1975-78 furent celles de la plus grosse perte de pouvoir d’achat des travailleurs de ce siècle, alors que les riches devinrent plus riches - les 10 % les plus riches passèrent de 57,8 % du gâteau en 1974 à 60 % en 1976.
Il n’y a toujours pas assez d’investissement pour stopper la crise - cela ne vaut pas seulement pour la Grande-Bretagne mais pour d’autres pays où les salaires ont été diminués, la France, le Japon, l’Allemagne.
Nous ferions mieux d’écouter ce que Marx disait il y a 130 ans que d’écouter les économistes d’aujourd’hui.
Marx prédit qu’avec le vieillissement du capitalisme, ses crises s’aggraveront parce que la source du profit, le travail n’augmente pas à la même vitesse que les investissements. Marx écrivait cela quand la valeur d’une usine ou d’une machine était peu élevée. Elle a explosé depuis. La compétition entre les capitalistes les oblige à utiliser des machines plus grosses et plus chères. On a atteint un point où dans la plupart des industries, on accepte le fait que de nouvelles machines signifient moins d’ouvriers.
L’agence économique internationale, l’OCDE, a prédit que le nombre d’emplois allait diminuer dans les plus fortes économies mondiales, même si, par miracle, des investissements surgissent.
Ce qui n’arrivera pas. Parce que les capitalistes s’inquiètent pour leurs profits, si leur investissement quadruple mais leur profit double seulement, ils s’angoisseront terriblement. Pourtant c’est ce qui va se passer si l’industrie augmente plus vite que la source de profit, le travail.
Comme Marx le soulignait, le taux de profit va tendre à diminuer. Il prédit qu’on atteindrait un point où chaque nouvel investissement deviendrait une périlleuse aventure. La taille des dépenses pour construire une usine ou installer de nouvelles machines deviendrait colossale, mais le taux de profit serait bas comme jamais. Une fois ce point atteint, chaque capitaliste (ou chaque État capitaliste) fantasmera sur d’importants nouveaux investissements - mais sera effrayé de les faire de peur de disparaître.
L’économie mondiale actuelle ressemble beaucoup à cela. Renault prévoit de nouvelles chaînes de production mais a peur de perdre de l’argent. British Steel rêve des grosses usines qu’elle avait prévues - mais doit les geler car elle n’arrive pas à écouler ses stocks. Les chantiers navals japonais ont abandonné l’idée de construire de nouveaux sites - et une partie des vieux sont en train de fermer. Les grandes capacités du capitalisme à construire des machines toujours plus vastes et toujours plus productives l’ont conduit à une apparente crise permanente.
Un point fut atteint dans les sociétés esclavagistes antiques et les sociétés féodales du Moyen âge où, soit une révolution transformait la société soit, elle entrait dans une crise permanente qui la ramènerait en arrière. Dans le cas de Rome, le manque de révolution conduisit exactement à l’anéantissement de la civilisation romaine. Dans le cas de certaines sociétés féodales - l’Angleterre et plus tard la France- la révolution détruisit l’ancien régime ce qui permit de nouvelles avancées sociales, sous le capitalisme.
Maintenant, le capitalisme lui-même, doit choisir entre les crises permanentes, qui plongeront sans aucun doute l’humanité dans la barbarie, ou alors une révolution socialiste.