1965 |
"(...) de toute l'histoire antérieure du mouvement ouvrier, des enseignements de toute cette première période des guerres et des révolutions, de 1914 à 1938, analysés scientifiquement, est né le programme de transition sur lequel fut fondée la IV° Internationale. (...) Il est impossible de reconstruire une Internationale révolutionnaire et ses sections sans adopter le programme de fondation de la IV° Internationale comme base programmatique, au sens que lui conférait Trotsky dans la critique du programme de l'I.C. : définissant la stratégie et la tactique de la révolution prolétarienne." |
Défense du trotskysme (1)
Économisme et lutte des classes
Pour considérer que l'alternative posée par Trotsky dans le programme de transition est dépassée, il faut être arrivé aux mêmes conclusions que Pablo :
« VI. - Face à l'économie capitaliste qui évolue de manière de plus en plus saccadée, de récession en récession, et qui manque de souffle, particulièrement dans les pays les plus industrialisés, l'économie des états ouvriers, l'U.R.S.S. en tête, se développe, sur la base d'un taux d'expansion continue, et très élevé, qui, d'ores et déjà, garantit l'inévitabilité du dépassement prochain de la production globale de lensemble des pays capitalistes avancés.
A elle seule, l'U.R.S.S. rattrapera dans les quelques années à venir la production totale des Etats-Unis, et bientôt après y compris le niveau par tête d'habitant.
Ces victoires économiques des Etats ouvriers, grandement facilitées par le processus de la déstalinisation en U.R.S.S., par la planification amorcée sur la quasi totalité des Etats ouvriers, planification quoique toujours bureaucratique et à l'avantage particulier de l'U.R.S.S., ainsi que par les échanges accrus avec le reste du marché mondial, sans qu'elles puissent par elles seules assurer la victoire sur le capitalisme, auront des répercussions de plus en plus sensibles sur le processus de déstalinisation dans les Etats ouvriers, sur l'aide économique à apporter aux pays s'engageant dans le développement socialiste, facilitant cet engagement, sur le mouvement ouvrier des pays capitalistes avancés, stimulant son réveil révolutionnaire et son engagement dans la lutte pour le socialisme. »
(Thèses minoritaires sur « La nouvelle situation internationale et les tâches de la IV° Internationale » présentées par Pablo au « Congrès mondial de réunification » de 1963.
« Quatrième Internationale » , n° 19 du 3° trimestre 1963, pp. 66-67.)
Pablo nous affirme que ce n'est plus qu'une question de quelques années pour que la production de l'U.R.S.S. dépasse globalement celle des Etats-Unis, bien plus, que le « niveau » (donc le rendement de travail) par tête d'habitant deviendra aussi dans les quelques années à venir supérieur en U.R.S.S. à ce qu'il est aux Etats-Unis. Il ne s'arrête pas en si bon chemin :
« IX. - Dix ans après la mort de Staline, le processus de déstalinisation, en U.R.S.S. en particulier, a pris une telle ampleur qu'il est devenu non seulement irréversible, mais qu'il a déjà jeté les bases de la rénovation révolutionnaire de l'ensemble du mouvement communiste international.
Ce sont les conditions économiques et culturelles nouvelles propres à l'U.R.S.S., en interaction avec les nouvelles conditions révolutionnaires dans le monde, qui agissent de plus en plus puissamment pour que les masses soviétiques et leur nouvelle avant-garde en formation rentrent dans la scène révolutionnaire mondiale comme un des principaux facteurs qui, dans les années à venir, contribueront à la rénovation radicale du mouvement communiste international.
L'U.R.S.S. ne s'achemine pas vers une ère plus "réformiste", se laissant distancer sur le plan du leadership révolutionnaire par n'importe quel autre Etat ouvrier, mais au contraire vers un rôle plus ferme, décidé et clair dans le soutien de la révolution mondiale.
Le "kroutchévisme" lui-même évoluant depuis son apparition continuellement - en moyenne - plus à gauche, est destiné à être dépassé davantage dans cette direction, sous la pression révolutionnaire montante en U.R.S.S. et dans le monde. »
(Idem, p. 68.)
Le révisionnisme pabliste aboutit ainsi à son terme.
Si les forces productives de l'U.R.S.S. sont en passe de dominer le marché mondial, si la « rénovation révolutionnaire de l'ensemble du mouvement communiste international » est en cours de façon irréversible, alors bien des conclusions doivent en être tirées.
Tout d'abord, la thèse de Trotsky sur les rapports entre l'économie de l'U.R.S.S. et le marché mondial doit être inversée. C'est l'U.R.S.S. qui, d'ici peu de temps, va dominer le marché mondial et, économiquement, l'impérialisme. Bien qu'au prix de terribles contradictions économiques et sociales, le développement des forces productives à partir des nouveaux rapports de production hérités de la révolution d'Octobre n'a pu se réaliser en U.R.S.S. que sous la protection de la lutte des classes internationale, et aussi, jusqu'à la fin de la deuxième guerre impérialiste, en raison des divisions internes de l'impérialisme. L'U.R.S.S. a tenu, malgré le bas niveau de ses forces productives : l'impérialisme constituait un menace mortelle pour les rapports de production existant en U.R.S.S., parce qu'il disposait des forces productives dominantes, en dépit de la lutte des classes qui, à maintes reprises, l'ébranlait profondément et entravait la réalisation de ses plans contre-révolutionnaires. La domination du marché mondial par l'U.R.S.S. désarticulerait complètement l'économie capitaliste en multipliant en son sein les forces centrifuges à un point inégalé jusqu'à ce jour. Tous les courants d'échange tendraient à être subordonnés à l'économie de l'U.R.S.S. L'intégration des économies des pays d'Europe orientale dans une unité supérieure, elle-même intégrée à l'économie de l'U.R.S.S., ne poserait plus aucun problème. L'industrialisation de la Chine elle-même se présenterait sous un angle différent, elle soulèverait infiniment moins de difficultés.
Il faudrait en conclure que, sur le fond, Staline avait raison. Le socialisme serait en voie de réalisation dans un seul pays. Car, si les forces productives de l'U.R.S.S. dominaient le marché mondial, la question capitale de la contradiction entre les normes de distribution et la propriété collective des moyens de production tendrait à se résoudre par le développement de normes socialistes de répartition : la base matérielle devenant suffisante pour le socialisme, l'existence de la bureaucratie ne serait plus qu'une bien faible et provisoire entrave.
Il en serait à bien plus forte raison ainsi si, comme nous le dit Pablo, la bureaucratie a commencé à disparaître d'elle-même « sous la pression révolutionnaire montante en U.R.S.S. et dans le monde ». Il ne s'agirait plus alors de révolution, mais d'évolution, de simple réformisme. Les contradictions économiques et sociales en U.R.S.S. commenceraient à disparaître. Nous devrions voir s'éteindre les contradictions au sein de l'industrie, comme entre l'industrie et l'agriculture. Le rôle du marché, de la loi de la valeur, des prix et des salaires devrait s'atténuer. La différenciation entre travail manuel et intellectuel, entre ville et campagne devrait commencer à dépérir.
Mais si tout cela était vrai, si, en plus, « l'U.R.S.S. (prise comme un tout, Kremlin en tête) s'achemine vers un rôle plus ferme, décidé et clair, dans le soutien de la révolution mondiale » (et il n'y aurait plus aucune raison pour qu'il n'en soit pas ainsi), alors les armes atomiques de l'impérialisme ne seraient plus qu'épouvantails à moineaux. La dislocation de l'économie capitaliste, l'exemple de l'U.R.S.S. s'acheminant vers le socialisme, la disparition ou le dépérissement des contradictions économiques et sociales, associés à la « rénovation radicale du mouvement communiste international », en auraient vite fait de l'impérialisme, y compris de l'impérialisme américain.
La réalité est bien différente. Kroutchev lui-même témoigne contre Pablo lorsqu'il réclame des crédits à long terme à l'impérialisme; lorsqu'il prône le renforcement des normes bourgeoises de répartition comme « excitant » économique, etc., etc. Souslov, dans le rapport déjà cité, déclare, sans donner d'autres chiffres : « Si, en 1950, la part des pays socialistes dans la production industrielle mondiale a été voisine d'un cinquième, aujourd'hui elle en représente plus d'un tiers. » Ce qui signifie que la part des pays capitalistes est de 67% contre 33% pour les « pays socialistes ». Cette estimation est certainement considérablement forcée; elle ne tient pas compte de la structure de la production industrielle; la prédominance totale de l'impérialisme s'exprime parfaitement par la seule comparaison de la production d'énergie électrique de l'U.R.S.S. et des Etats-Unis :
Production annuelle d'énergie électrique en milliards de kilowatts-heure |
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1953 |
1954 |
1955 |
1956 |
1957 |
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U.R.S.S. |
134 |
151 |
170 |
192 |
210 |
Etats-Unis |
514 |
545 |
629 |
684 |
716 |
Ces chiffres viennent à l'appui des indications données par Varga :
« Pour revenir à la modernisation de l'industrie, en 1961, deuxième année du plan, selon l'économiste américain Warren Nutter, la production industrielle globale n'atteignait que 30% environ de la production américaine, au lieu de 6o% comme l'affirment les économistes soviétiques. En même temps, cet auteur établit que, contrairement à ce qui se passe pour le taux de croissance, qui est supérieur en U.R.S.S., les Etats-Unis développent leur avance sur le terrain de la productivité. C'est ainsi qu'en 1913, la productivité du travail en Russie était les 24,4 % de celle des Etats-Unis : ce rapport n'est plus que 21 % en 1955. Même si nous n'accordons pas une valeur absolue à ces estimations, la vérité n'en est pas éloignée... »
(Idem, p. 52.)
Ce qui le prouve encore, c'est que Kroutchev recommandait à toute occasion de s'inspirer des méthodes américaines de travail, c'est, enfin, la remise en vigueur du livret de travail, pour tenter de fixer l'ouvrier à l'usine et lutter contre la fluidité de la main d'uvre. Mais peut-être Pablo n'a-t-il jamais mis les pieds dans une usine ? Il saurait sinon qu'il y a une loi qui relie directement les méthodes coercitives de travail et la productivité du travail, même à outillage et technique égaux, loi que l'on peut formuler ainsi : le rendement du travail est inversement proportionnel aux moyens de coercition utilisés pour enchaîner l'ouvrier à l'entreprise. Nous n'insisterons pas ici sur la thèse pabliste du dépérissement, sous la « pression révolutionnaire montante », de la bureaucratie du Kremlin, alors qu'elle revient, dans la tradition de Staline, aux pires méthodes coercitives contre les travailleurs, ni sur le « leadership révolutionnaire » de l'U.R.S.S. s'identifiant au « kroutchévisme », qui, « en moyenne, évolue continuellement plus à gauche », ni sur « la rénovation révolutionnaire de lensemble du mouvement communiste international ». Ce qui nous importe, ce sont les conclusions auxquelles Pablo veut aboutir.
C'est d'abord qu'il faut soutenir la bureaucratie du Kremlin dans sa tentative de faire capituler la bureaucratie chinoise devant l'impérialisme :
« IX. Quand à la tentative de présenter les positions de la bureaucratie chinoise, globalement prises comme les plus déterminantes pour influencer la rénovation révolutionnaire du mouvement communiste international, il faut fermement rejeter ces conclusions tirées à la légère, confusionnistes, et qui ne sauraient que discréditer la IV° Internationale.
L'attitude négative, hostile même, prise par la bureaucratie chinoise contre le processus déterminant de la déstalinisation en U.R.S.S., son alliance avec le régime albanais sanglant, ainsi qu'avec les staliniens endurcis de l'U.R.S.S. et d'ailleurs; les critiques et les calomnies, toutes staliniennes, qu'elle formule contre les conceptions yougoslaves enrichissantes du marxisme concernant l'auto-gestion, le dépérissement de l'Etat et la manière en général d'aborder là les problèmes de la construction du socialisme dans le cadre d'un pays, en particulier sous-développé, le maintien de sa position absurde et extrêmement dangereuse sur la guerre atomique générale... »
(« Quatrième Internationale », n° 19, troisième trimestre 1963, p. 68.)
Suit une longue diatribe dénonçant « l'opportunisme théorique et pratique » de la bureaucratie chinoise.
« L'opportunisme théorique et pratique » de la bureaucratie chinoise est une chose, son alliance avec le régime albanais également, mais la critique de Pablo poursuit une fin évidente : parant la bureaucratie du Kremlin de vertus révolutionnaires, elle dresse un acte d'accusation contre le P.C. chinois dont le but ne peut être que de l'exclure du « mouvement communiste » dont il empêche la « rénovation révolutionnaire ». Or, quels que soient les tares et même les crimes de la bureaucratie chinoise, le blocus économique de la Chine, les menaces proférées à son encontre par l'aile marchante de la « rénovation révolutionnaire du mouvement communiste », les « libéraux » du Kremlin, le feu vert donné par ceux-ci à l'impérialisme contre les conquêtes de la révolution chinoise pose, pour les marxistes, une question concrète. Pablo l'ignore. Par contre, il ne manque pas de reprendre à son compte les accusations du Kremlin, et de dénoncer la Chine comme fauteur de guerre.
Le personnage est ainsi définitivement classé : de révisionniste, il est devenu un instrument de la bureaucratie du Kremlin. Avec les moyens dont il dispose, il prend place dans la ronde contre-révolutionnaire. La « révolution sous toutes ses formes » a conduit Pablo directement dans les rangs de la contre-révolution.
La seconde conclusion qui se dégage des thèses pablistes à leur terme, c'est la liquidation du mouvement trotskyste. Bien plus, la IV° Internationale n'a été qu'une gigantesque erreur : l'U.R.S.S. est à la veille du socialisme, la bureaucratie du Kremlin dépérit, la révolution politique n'a pas de sens, le « mouvement communiste international se rénove radicalement ». Les trotskystes peuvent, tout au plus, devenir les valets de gouvernements du type de celui de Ben Bella, à l'instar de Pablo lui-même :
« X. - (... ) L'importance majeure à l'étape actuelle de la Révolution mondiale du secteur de la révolution coloniale se trouve ainsi confirmée, impliquant le devoir pour la IV° Internationale de s'implanter plus sérieusement que par le passé dans ces régions où résident incontestablement son développement et son avenir immédiat. (... )
XI. - (... ) Ce qui implique, entre autres, que le centre rénové de l'Internationale s'installe quelque part dans ces régions... »
(Idem, p. 69.)
Autrement dit, qu'il s'installe à Alger, sous le contrôle du fonctionnaire de Ben Bella, Pablo. Certes, les récents événements d'Algérie ont montré que le métier de laquais comportait des aléas mais quel métier n'en a pas ?
Quant à la « révolution » dans les pays capitalistes avancés, c'est une affaire dont se chargeraient les agents « rénovés » de la bureaucratie du Kremlin, les dirigeants des P.C. : en trente années d'expérience, ils ont en effet acquis un sérieux tour de main pour étrangler tout mouvement révolutionnaire.
Voilà les fruits du révisionnisme poussé à ses dernières conséquences.