"(...) le prolétariat mondial, le prolétariat de chaque pays, abordent une étape décisive de leur histoire : il leur faut reconstruire entièrement leur propre mouvement. La crise du stalinisme (...) s'ampliie au moment où le mode de production capitaliste pourrissant s'avance vers des convulsions mortelles, qui riquent d'entrainer l'humanité toute entière dans la barbarie. (...) De cette crise des appareils naissent les possibilités de reconstruire la IV° Internationale." |
Défense du trotskysme (2)
La voie froide coupée, révolution et contre-révolution à l'ordre du jour
Les Germain Mandel, les renégats à la IV° Internationale, ont à leur actif la découverte d'une théorie (une de plus) éminente : selon eux la démocratie bourgeoise, le parlementarisme, ou, à l'inverse le bonapartisme, éventuellement la dictature politique ouverte, résultent directement de la structure du capital :
« A la période libérale et concurrentielle du capitalisme a correspondu la démocratie bourgeoise parlementaire : la chambre, lieu de négociation et de discussion des différents représentants des diverses fractions de la bourgeoisie, a pu servir aussi à officialiser un certain rapport de forces entre la classe ouvrière et le capital, à monnayer, par l'adoption de décrets lois (? !) plus ou moins progressistes (? !), une situation nouvelle créée par les mouvements répétés des masses ouvrières.
La monopolisation croissante des entreprises capitalistes contrecarre ces deux fonctions.
il n'y a nul besoin de négociations inter bourgeoises pour partager le revenu national et exercer le pouvoir : seule la domination économique des monopoles a les moyens de sa politique. Elle correspond donc à la société bourgeoise de 1958 ». (Résolutions du 1° Congrès de la Ligue Communiste, Cahiers Rouge n° 10 11, pages 82 83).
N'est ce pas plus simple ainsi : libéralisme économique + mouvements répétés de la classe ouvrière = démocratie bourgeoise parlementaire; inversement : capitalisme de monopoles = bonapartisme ou dictature ouverte ? Hélas, cette belle simplicité ne correspond pas à la réalité. Les régimes politiques de Napoléon I et Napoléon III sont ceux du bonapartisme classique, celui de Louis Philippe était un régime censitaire. Le parlementarisme démocratique bourgeois, sous ces régimes, était soit une fiction, soit extrêmement limitée, bien qu'ils aient été des formes de la domination politique bourgeoise. L'Angleterre, terre élue du libéralisme économique classique, ne connut le suffrage universel qu'en 1911. La grève générale de 1900 fut nécessaire pour imposer le suffrage universel en Belgique. Les lois d'exception frappèrent la social démocratie allemande jusqu'en 1888. Les libertés de presse, d'organisation, sauf irruption révolutionnaire comme en 1848, ne furent vraiment acquises dans l'ensemble de l'Europe qu'après 1880, et encore dans les pays d'Europe les plus économiquement développés. Le cas des U.S.A. est particulier : la démocratie parlementaire bourgeoise a ses racines dans la guerre d'Indépendance; elle est née en même temps que se formait la nation américaine, elle est liée à la marche vers l'ouest, aux immenses ressources de l'Amérique du Nord et à leur mise en valeur par une population constamment en mouvement et continuellement renouvelée par l'immigration. Le libéralisme politique, la démocratie bourgeoise parlementaire, ne correspondent manifestement pas mécaniquement au libéralisme économique, qui ne fut d'ailleurs jamais plein et entier. D'autre part, le parlementarisme bourgeois n'a jamais engendré une sorte de gouvernement « collectif » de la bourgeoisie. La gestion de la société bourgeoise fut toujours assurée au profit d'une couche particulière de la bourgeoisie.
Bien plus, la démocratie parlementaire bourgeoise atteint son apogée au cours des décennies de formation, de croissance et de cristallisation du capital de monopoles, du capital financier, de pleine expansion de l'impérialisme, au moment du partage du monde entre les impérialismes et les plus puissants, tandis que la classe ouvrière des mêmes pays s'organisait comme classe au sein de ses syndicats et des partis social démocrates, entre 1880 et 1910. En réalité, à ce moment, le mode de production capitaliste parvient au sommet de sa courbe ascendante. La société bourgeoise dans les pays capitalistes dominant était à son apogée historique. Le capital courrait, dans un dernier élan, la terre entière par une nouvelle expansion des forces productives, en même temps qu'apparaissaient les signes de sa fossilisation et de sa décadence prochaine et brutale. Cette mise en valeur, extensive et intensive, du capital fut également son apothéose. Le capital financier qui se formait et se cristallisait avait les moyens de huiler les rouages de la société bourgeoise. Le parlement était le lieu propice, la forme institutionnelle où s'élaboraient les compromis au sein de la bourgeoisie, tout en assurant la domination du capital financier qui se formait et se cristallisait. Le Parti Radical en France, condensa le fonctionnement et les rapports de la démocratie parlementaire bourgeoise. Ses sommets étaient liés, dépendaient, du capital financier et défendaient ses intérêts. Par sa base, il assurait les assises et la domination du capital financier sur la petite bourgeoisie.
Les politiciens petits bourgeois du parti radical assuraient un mouvement indispensable à la démocratie parlementaire bourgeoise : ils faisaient valoir les intérêts de la petite bourgeoisie auprès du capital financier et soumettaient celle ci aux exigences fondamentales de celui ci. Parti par excellence du capital financier français, le parti radical fut non moins par excellence celui de la démocratie parlementaire bourgeoise. Encore faut il souligner que tout ne se passa pas comme dans le meilleur des mondes. De violents affrontements mettaient aux prises les différentes couches de la bourgeoisie. Et surtout, la classe ouvrière dut, par ses combats et la construction de ses organisations de classe, conquérir les positions qu'elle occupa au sein de la démocratie bourgeoise. Simplement, la démocratie parlementaire bourgeoise amortit les chocs au sein de la bourgeoisie et entre les classes. Le capital financier parvint à donner de l'élasticité aux rapports sociaux en corrompant les sommets du mouvement ouvrier, l'appareil des organisations ouvrières, qui s'installaient dans la société bourgeoise, et par des concessions économiques et politiques à la classe ouvrière. Mais encore fallait il qu'il en possède les moyens. La démocratie parlementaire bourgeoise est un rapport politique entre les différentes couches de la bourgeoisie, entre la bourgeoisie et le prolétariat, qui s'établit sur le fond de la domination du capital financier à sa phase ascendante. Ce genre de rapport politique est l'apanage des pays capitalistes dominants qui participent au club des grandes puissances impérialistes au moment où elles se partagent le monde. Elle peut se prolonger à l'époque de la décadence impérialiste, de la fossilisation du capital financier, en raison des traditions, de la force politique du prolétariat, de l'équilibre des forces de classes fondamentales. Elle peut même surgir, momentanément, lorsque la classe ouvrière entraînant les masses petites bourgeoises et paysannes, fait irruption sur la scène politique, sans qu'elle soit à même de conclure, et que la bourgeoisie puisse la refouler immédiatement, dans les pays économiquement arriérés. Elle est historiquement condamnée pour les mêmes raisons que la révolution prolétarienne est à l'ordre du jour lorsqu'éclate la crise de l'impérialisme, stade suprême du capitalisme : la faillite de la démocratie bourgeoise est l'expression politique de la putréfaction du mode de production capitaliste, comme la guerre impérialiste en est une autre expression. Le capitalisme est devenu incapable de développer les forces productives; le capital financier doit recourir à une autre forme de domination politique : le retour en arrière vers le bonapartisme ou vers la dictature ouverte, qui se différencient des bonapartismes ou des dictatures ouvertes de l'époque antérieure, comme le gâtisme se distingue de l'enfance.
Le capital monopoleur, le capital financier, l'impérialisme deviennent incompatibles avec la démocratie parlementaire en raison de leur incapacité à développer les forces productives.
La curieuse conception qui, de la structure du capitalisme, déduit mécaniquement la forme politique de domination de classe de la bourgeoisie doit bien avoir quelques raisons.
La « Ligue Communiste » nous éclaire :
« Avant la guerre, les périodes de fortes tensions sociales apparaissaient comme conséquences, plus ou moins directes, de la marche cyclique de l'économie. Suivant la radicalisation du mouvement ouvrier, la bourgeoisie n'avait d'autre choix que de l'écraser physiquement (fascisme) lorsque son pouvoir d'état était directement menacé, ou de composer avec lui par le biais de ses dirigeants réformistes (politique de Front Populaire). La politique de Front Populaire, sous couvert d'une participation ouvrière aux instruments légaux du pouvoir, permettait à la bourgeoisie de conserver de fait son pouvoir d'état en échange d'améliorations du sort de la classe ouvrière ».
Voilà une explication dans le plus pur style du centrisme. C'est malgré et en dépit du Front Populaire que la classe ouvrière arracha, en France, des concessions à la bourgeoisie. Derrière la façade des fronts populaires et de la participation des organisations ouvrières au pouvoir bourgeois, se préparent généralement les coups de force militaires comme en Espagne; ou la venue le plus légalement du monde au pouvoir, en Allemagne par exemple, des gouvernements bonapartistes qui précédèrent de peu l'accès au pouvoir non moins légale d'Hitler. Les fronts populaires, ou la participation au pouvoir bourgeois des partis ouvriers, contiennent le prolétariat. Ils sont l'antichambre des coups d'état militaires, et tout au moins d'un style de bonapartisme particulier, sinon du fascisme, justement parce que la démocratie bourgeoise se révèle de moins en moins capable d'assurer la domination politique du capital financier. En France, le 6 février 1934 portait au pouvoir des gouvernements bonapartistes bâtards du genre Doumergue, Flandin, Laval, Sarrault, qui gouvernaient par décrets lois, tout en laissant subsister un parlement et des formes de démocraties parlementaires bourgeoises dégénérées. La riposte des masses du 12 février 1934 prépara la grève générale de 1936. Le front populaire freina les travailleurs, donna les moyens au capital financier de faire rejouer en apparence les mécanismes parlementaires et de préparer, derrière cet écran, la contre offensive. A peine deux ans plus tard, Daladier, nouveau bonaparte de pacotille, enveloppé des guenilles parlementaires, obtenait les pleins pouvoirs; il gouvernait par décrets lois et portait de rudes coups à la classe ouvrière. « Finie la semaine des deux dimanches » ricanait cyniquement Paul Reynaud.
La « Ligue Communiste » poursuit :
« Après la guerre, au travers de la période de restructuration du capitalisme, et d'expansion sensiblement continue de l'économie, le problème s'est posé en termes différents : la bourgeoisie était capable de faire un certain nombre de concessions au mouvement ouvrier, notamment dans le domaine du pouvoir d'achat. Par contre, la nécessité de planifier de façon rigoureuse les investissements de plus en plus coûteux, le développement des capacités excédentaires de production faisant baisser la rentabilité du capital impose à la bourgeoisie des prévisions à long terme qui ne peuvent être remises en cause sans de graves perturbations, elles mêmes conditionnées tant par la recherche du profit maximum que par la nécessité politique face à la montée révolutionnaire mondiale.
Aussi l'objectif essentiel de la bourgeoisie est la stabilité, la « paix sociale ». En même temps qu'elle cherche à rendre le pouvoir central de moins en moins sensible aux à coups sociaux (tendance à l'état fort) elle est prête à céder quelques avantages à la classe ouvrière (augmentation des salaires, diminution du temps de travail), à condition qu'ils soient prévus, planifiés. Suivant les colorations, cela s'appelle politique des revenus, participation, juste répartition des fruits du travail, mais cela vise essentiellement une chose : éviter les chocs, les augmentations de salaires « trop importantes », les arrêts de travail « intempestifs », tout ce qui peut déséquilibrer les prévisions.
Tel est le sens de la politique d'intégration du mouvement syndical, tentée avec plus ou moins de succès par toutes les bourgeoisie européenne depuis vingt ans. Afin d'obtenir la paix sociale, elles cherchent à négocier avec les organisations syndicales reconnues par les travailleurs, elle accepte de leur céder un certain nombre d'avantages qu'elle prévoit, les syndicats s'engageant de leur côté à ne pas déclencher de mouvements « inconsidérés », pouvant paralyser la production, et rentrer en conflits avec les plans capitalistes ». (Idem page 108).
En d'autres termes : libéralisme économique égale anarchie de la production et, par suite, démocratie bourgeoise parlementaire ; capitalisme de monopoles égale planification de la production, planification des profits, de la croissance des salaires réels, de l'amélioration des conditions de travail et de vie de la classe ouvrière, mais (toute médaille a son revers) c'en est finie de la démocratie parlementaire bourgeoise. « L'objectif essentiel de la bourgeoisie est la stabilité, la « paix sociale ». Un tel système serait d'une solidité remarquable. Il signifierait que, loin d'avoir épuisé son rôle historiquement progressif, le mode de production capitaliste recèle et développe de nouvelles virtualités. L'action à entreprendre devrait être, dans le meilleur des cas, fondamentalement réformiste. La lutte des classes ne pourrait dépasser ces limites. En réalité, toute action révolutionnaire, se conclurait par des réformes. La méthode et les analyses des renégats de la IV° Internationale alimentent la pratique des bureaucraties ouvrières, notamment celles des centrales syndicales. Tout au plus pourraient ils être à leur « gauche », mais sur le même plan. A moins que leur pratique ne procède pas de leur analyse et qu'au contraire, leur analyse soit destinée à « justifier » leur pratique politique. Tel est bien le cas.
Les relations politiques entre les classes ont contraint les bourgeoisies européennes à subir, depuis la fin de la guerre, la démocratie parlementaire bourgeoise. Une modification radicale de la forme de domination politique bourgeoise comportait d'énormes risques. Elle supposait que, dans les principaux pays d'Europe la bourgeoisie dispose des moyens politiques capables de briser physiquement le prolétariat, de le broyer. Il lui fallait prendre le risque d'une guerre civile à l'issue incertaine, et qui, en tout état de cause, aurait été dévastatrice pour les bourgeoisies européennes déjà décadentes. Une semblable solution ravalait les bourgeoisies des vieilles puissances impérialistes européennes au rang des bourgeoisies grecque et espagnole : perspective peu réjouissante. Tant que l'impérialisme américain put les soutenir à bout de bras, tant que les bureaucraties staliniennes, réformistes, syndicales, parvenaient à contenir la classe ouvrière, vaille que vaille la démocratie parlementaire bourgeoise comportait encore moins de risque. Elle était le moindre mal. Elle se survivait. La classe ouvrière n'en devait pas moins combattre afin d'arracher un pouvoir d'achat et des conditions de vie comparables à ceux d'avant guerre. Il fallut plus de dix ans aux classes ouvrières française, allemande, belge, etc. pour y parvenir, et sans cesse l'inflation remettait en cause les résultats acquis. En quelque sorte, les principales bourgeoisies européennes, par suite de la chute brutale du pouvoir d'achat, de la détérioration des conditions de travail et de vie du prolétariat européen à la veille et au cours de la seconde guerre impérialiste, disposaient d'une importante marge de manœuvre utilisable en raison de la politique des bureaucraties d'origine ouvrière, qui contenait les revendications des travailleurs dans les limites « raisonnables ». La classe ouvrière allemande, et c'est « le secret » du « miracle économique » de la R.F.A., plus qu'une autre, est partie d'extrêmement bas en ce qui concerne son pouvoir d'achat, ses conditions de vie et de travail : du point zéro.
Une fois encore, les renégats de la IV° Internationale escamotent dans leur argumentation les rapports politiques entre les classes et au sein des classes, qui résultèrent de la seconde guerre impérialiste. La puissance du prolétariat européen et le rôle des bureaucraties ouvrières sont effacés. Dès lors, les bourgeoisies européennes, le système capitaliste dans son ensemble, apparaissent plein de vitalité, de dynamisme, capables de planifier leur « nouveau cours ». De même, ils passent sous silence les contradictions entre la puissance du prolétariat européen, redoutée par la bourgeoisie exsangue et en pleine décadence, qui craint l'affrontement, et les limites qu'imposent au prolétariat les appareils bureaucratiques qui le contrôlent. Finalement, cela leur permet de mettre un signe égal entre « l'intégration du mouvement syndical tentée avec plus ou moins de succès par toutes les bourgeoisies européennes depuis vingt ans » et la collaboration de classes classique que pratiquaient, dès avant la première guerre impérialiste, la social démocratie et les appareils syndicaux, à partir de l'essor de l'impérialisme. La seule différence serait que la collaboration de classe est « planifiée » et surtout qu'elle intéresse toute la classe ouvrière des pays capitalistes économiquement développés. Souvenons-nous que « la véritable aristocratie ouvrière » n'est plus (comme au temps de Lénine) constituée par certaines couches du prolétariat des pays impérialistes mais par les prolétariats de ces pays dans leur ensemble (dixit Mandel).
La politique d'intégration des syndicats à l'Etat a une toute autre fonction. Elle procède de la crise de l'impérialisme et de sa décadence. Elle vise à détruire l'indépendance des organisations syndicales que la simple collaboration de classes ne fait pas disparaître.
Elle veut transformer les organisations syndicales en rouages de l'Etat bourgeois. Loin de « planifier » la progression des salaires réels, elle s'efforce de remettre en cause les conquêtes économiques de la classe ouvrière, et de détruire son organisation en classe indépendante. La misérable existence et la culbute finale de la IV° République française illustrent la décadence de la démocratie parlementaire bourgeoise et manifestent la décomposition de la bourgeoisie française, son irrémédiable dégringolade. Incapable de définir une perspective politique, ses gouvernements pratiquèrent une politique au jour le jour. Ils furent incapables de discipliner les différentes couches de la bourgeoisie, tout comme ils furent incapables de soumettre la classe ouvrière aux exigences du capitalisme français en putréfaction, par une politique nettement définie. Sans cesse renaissaient de grandes luttes ouvrières que la bourgeoisie et le gouvernement ne parvenaient pas à vaincre, surtout au cours des dernières années 1953, 1955, 1957. Ces gouvernements dépendaient entièrement des possibilités des appareils bureaucratiques de dévoyer ces mouvements, d'en émousser la pointe, de conclure des compromis. Ils étaient incapables de réajuster les anciens rapports coloniaux, subissaient la guerre d'Indochine dont ils ne sortirent que pour faire face à la révolution algérienne. Ils dépendaient étroitement des subsides de l'impérialisme américain et redoutaient la renaissance du capitalisme allemand, de sa puissance économique et militaire. Ils négocièrent le traité instituant la Communauté européenne de défense qui visait à intégrer les armées d'Europe occidentale et se refusèrent à le ratifier ; par contre, ils signèrent les accords de Londres et de Paris qui donnèrent le feu vert à la reconstruction de l'armée allemande. Ils négocièrent le traité de Rome qui institua la C.E.E. et redoutèrent son application.
Lorsque le 13 mai 1958 éclata le putsch militaire d'Alger, la France bourgeoise était sur le point de se disloquer. D'un côté l'Etat bourgeois se fragmentait en ses différentes composantes ; les diverses couches de la bourgeoisie française s'affrontèrent : les unes étaient attachées à la colonisation directe, tandis que la plus importante partie du capital financier était à la recherche d'une solution qui respecte les intérêts fondamentaux de l'impérialisme français, dût elle sacrifier ceux directement liés au colonat. De l'autre côté, la classe ouvrière aux forces intactes, assimilait les leçons de la grève générale d'août 1953, des puissants mouvements de 1955 et 1957. La démocratie bourgeoise parlementaire était au bout de son rouleau. Une seule solution : un arbitre, un sauveur. Tous se tournèrent vers la figure historique : De Gaulle. Tous, y compris le P.C.F. qui immobilisa la classe ouvrière française. Il « mobilisa » les militants et les travailleurs dans les usines et les permanences « qu'il fallait garder afin de les préserver des attaques fascistes » et « des parachutistes qui ne vont pas manquer d'être parachutés ». Si le 28 mai, à l'appel des centrales syndicales et des partis ouvriers, 500 000 travailleurs manifestèrent de la Nation à la République et démontrèrent une fois encore la puissance de la classe ouvrière, la manifestation fut stoppée à la République : « surtout pas de provocations, camarades », « légalité et démocratie » sont les deux mamelles de l'ordre républicain. En coulisse, Guy Mollet engageait des pourparlers avec De Gaulle afin qu'il gravît les marches du pouvoir en respectant la « légalité de la démocratie » . Le P.C.F., dont les députés votaient le 20 mai l'ordre du jour qui confiait à Pflimlin, président du Conseil en exercice, la défense de la « légalité et de la démocratie », refusait par l'intermédiaire de l'appareil de la C.G.T., la proposition de la direction de la Fédération de l'Education Nationale de lancer l'ordre de grève générale pour le 30 mai. comme s'y refusait la direction de Force Ouvrière : seuls les enseignants firent grève.
Porté par le putsch d'Alger, le parlementarisme bourgeois prosterné devant « le sauveur de l'ordre républicain », la classe ouvrière assommée politiquement par la capitulation des directions des centrales syndicales et des partis ouvriers, De Gaulle s'installait au pouvoir. Nous sommes loin de l'analyse des renégats de la IV° Internationale qui décrivent une bourgeoisie « éclairée », éprise de « paix sociale », de « prévisions à long terme », « d'augmentation des salaires et de diminution du temps de travail », « à condition qu'elles soient prévues et planifiées ».