"(...) le prolétariat mondial, le prolétariat de chaque pays, abordent une étape décisive de leur histoire : il leur faut reconstruire entièrement leur propre mouvement. La crise du stalinisme (...) s'ampliie au moment où le mode de production capitaliste pourrissant s'avance vers des convulsions mortelles, qui riquent d'entrainer l'humanité toute entière dans la barbarie. (...) De cette crise des appareils naissent les possibilités de reconstruire la IV° Internationale." |
Défense du trotskysme (2)
La voie froide coupée, révolution et contre-révolution à l'ordre du jour
A côté des freluquets, politiciens de la IV° République, des bonapartes nommés et issus des fétides combinaisons parlementaires de la fin de la Ill° République qui gouvernaient à coups de décrets lois, De Gaulle semble un personnage de légende. Mais, quelques soient ses capacités personnelles, sa fermeté, il ne pouvait s'émanciper de la crise générale de l'impérialisme, de sa concentration en Europe, et de la décadence particulièrement avancée de l'impérialisme français. Construire l'état fort, liquider les survivances de démocratie parlementaire bourgeoise, réajuster les rapports de l'impérialisme français avec son ancien empire colonial, défendre les intérêts du capital financier français en Europe et dans le monde, restructurer le capitalisme français et le faire devenir, si possible, compétitif face à ses concurrents, briser la classe ouvrière et le mouvement ouvrier, devait nécessairement être son programme. Il disposait d'un atout majeur, qu'il utilisa aussi bien pour tenter de discipliner les différentes couches de la bourgeoisie française, que pour faire prévaloir les intérêts spécifiques de l'impérialisme français en Europe et dans le monde : défaite sans combat, la classe ouvrière française refluait. Après l'écrasement par les tanks de la bureaucratie du Kremlin de la révolution hongroise des conseils ouvriers en novembre 1956, la défaite et le reflux politique du prolétariat français première défaite importante d'un prolétariat d'un pays capitaliste avancé en Europe depuis la fin de la deuxième guerre impérialiste laissait espérer à l'impérialisme mondial que s'ouvrait enfin la phase de l'écrasement du prolétariat européen, sans qu'il lui soit nécessaire d'avoir recours à une guerre civile dévastatrice et incertaine. De Gaulle et son régime, facteurs « d'ordre » en France, étaient également des facteurs « d'ordre » en Europe et dans le monde.
L'échec du gaullisme est l'échec de cette entreprise. Dès le début de son mandat, De Gaulle fut obligé de pratiquer une politique d'équilibre instable et compliquée. Il ne put profiter de son avantage pour broyer ou tenter de broyer la classe ouvrière française, tout en portant profondément atteinte à son pouvoir d'achat, à ses conditions de travail et de vie. Le plan Rueff Pinay, la dévaluation de 1958 se traduisaient par : la hausse des prix des services publics de l'état (25 % sur les timbres et le téléphone, 20 30 % sur le tabac) ; la hausse de certains autres prix du fait de la diminution des subventions accordées par l'Etat (10 15 % dans les transports, le charbon, l'électricité, 20 % sur le matériel agricole) ; la suppression des indexations des salaires sur le coût de la vie, sur les prix des produits agricoles et alimentaires notamment.
Au total, ces dispositions devaient provoquer dans l'année une ponction d'environ 500 millions d'anciens francs sur la consommation. Le pouvoir d'achat familial se trouvait diminué, dans certains cas extrêmes, cumulant la hausse des prix avec une diminution des horaires de travail, de 20 à 30 % rappelait récemment « Le Monde ». Remarquable illustration du sérieux des thèses pablistes : « la bourgeoisie est prête à céder quelques avantages à la classe ouvrière... à la condition qu'ils soient prévus et planifiés ! ». Dès qu'elle ressaisit l'initiative dans la lutte des classes, la bourgeoisie, afin d'obtenir « la paix sociale », ampute le pouvoir d'achat des travailleurs de 25 % dans certains cas.
Mais les centrales syndicales et les partis ouvriers restèrent intacts. De Gaulle différait l'assaut contre eux. Il en avait besoin comme contre poids aux ultras d'Algérie, aux cadres de l'armée. La contradiction entre le programme, les tâches, du gaullisme et la politique qu'il fut contraint de pratiquer pour tenter de les réaliser, s'affirma dès les premières années du régime. Il devait construire l'Etat fort, mais il fut contraint de louvoyer et de manœuvrer avec la caste des généraux jusqu'au jour où il put les briser. Il lui fallait dégager le capital financier du piège de la guerre d'Algérie, procéder à une modification profonde des anciens rapports coloniaux, sacrifier la colonisation directe et il fut obliger d'affirmer qu'il défendait la « France de Dunkerque à Tamanrasset ». Il était urgent et indispensable de modifier radicalement la structure du capitalisme français, d'éliminer les secteurs arriérés et déficitaires, or il ménagea sa base de masse, la petite bourgeoisie des villes et des campagnes. En dépit de la figure historique de son chef et de son programme grandiose, le régime fut un bonapartisme de la décadence. Il lui fallut quatre ans pour régler en fonction des intérêts du capital financier, la guerre d'Algérie et les rapports coloniaux avec l'Afrique noire... Quatre années au cours desquelles, lui, dont l'une des tâches était la ré homogénéisation de l'Etat bourgeois, dut au contraire le disloquer, jusqu'à affronter les cadres de l'armée ; quatre années au cours desquelles il dut avoir recours à l'appui des partis et syndicats ouvriers contre la partie de la bourgeoisie et de l'Etat, liée au colonat, lui dont l'une des tâches essentielles était de briser, de broyer le prolétariat français et ses organisations.
Ce n'est qu'en 1962 qu'il passa à l'attaque politique frontale contre la classe ouvrière et ses organisations, après que les directions de celle ci lui aient rendu l'éminent service d'appeler à voter oui au référendum qui ratifiait les accords d'Evian. En octobre 1962, « il en appela au peuple contre les partis ». Il fit ratifier par un nouveau référendum l'élection du président de la République au suffrage universel. Le président de la République, élu du peuple, incarne la nation et l'Etat, les partis ne sont plus que des survivances, le parlement et les assemblées élues que des chambres d'enregistrement. D'ailleurs De Gaulle se proposait de désigner des assemblées représentant les « forces vives de la nation » à l'échelle régionale et nationale : le corporatisme, l'association capital travail, l'intégration des syndicats à l'Etat se dessinaient. Il restait qu'il lui fallait briser et broyer la classe ouvrière et ses organisations. Déjà, la manifestation de février 1962, où plus d'un million de travailleurs et de jeunes à l'appel des organisations syndicales et des partis ouvriers, accompagnèrent à leur dernière demeure les neuf morts de Charonne, indiquait, que, ses organisations intactes, le prolétariat français reconstituait sa puissance de lutte, qu'il surmontait le désarroi politique consécutif à la venue au pouvoir sans combat de De Gaulle.
De Gaulle cherchait à porter un coup décisif à la classe ouvrière et à ses organisations, Il crut en trouver l'occasion au moment où s'annonçait la grève des mineurs de mars avril 1963. Les palinodies des directions syndicales, et singulièrement celles de la C.G.T., qui se refusèrent à préparer la grève et s'efforcèrent d'engager les mineurs dans des grèves tournantes tout au cours des mois de janvier et février, lui laissèrent espérer que toutes les conditions étaient requises pour briser les travailleurs de cette corporation. La corporation minière était déjà très durement touchée par la « rationalisation », la liquidation de l'industrie charbonnière : les mineurs voulaient combattre pour tout simplement défendre leur droit au travail, leur doit à la vie. Au delà des revendications immédiates, tel fût le sens qu'ils donnèrent à leurs actions. Du même coup leur lutte était celle de la classe ouvrière toute entière, que De Gaulle se proposait de laminer, en vue de restructurer le capitalisme français, de l'intégrer plus profondément au marché mondial, de le rendre compétitif. L'occasion lui sembla donc remarquable : briser les mineurs, c'était briser la classe ouvrière toute entière, d'autant plus que le prolétariat minier, dans la tradition des luttes de la classe ouvrière, symbolise les combats acharnés et durs contre l'exploitation capitaliste. Le mercredi 27 février, le ministre de l'Industrie, Bokanovsky convoquait les représentants des organisations syndicales à 19 h 30. Il les reçut un quart d'heure, debout, et opposa un non provocateur aux revendications. La grève ne put plus être différée. De Gaulle signa la réquisition qui enjoignait aux mineurs de reprendre le travail le lundi 4 mars 1963. jusque dans le détail, l'opération était calculée. Le lundi, seuls travaillent les mineurs de Lorraine, tout le poids de la réquisition portait sur eux. S'ils cédaient, la grève s'effondrait. Considération importante, la population lorraine, donc en grande partie les mineurs, avait voté au mois d'octobre 1962 à 90 % pour De Gaulle. Mais les mineurs de Lorraine ne cédèrent pas. Ensemble, ils firent grève, disant non à la réquisition. Pendant cinq semaines, les mineurs firent grève. Les revendications qu'ils arrachèrent sont faibles en regard de la puissance de la grève et de l'acharnement des mineurs, des sacrifices consentis et surtout de la radicalisation qui se manifestait parmi la classe ouvrière toute entière. Ce fut néanmoins une victoire politique de la classe ouvrière. De Gaulle dut rempocher son ordre de réquisition devant la détermination des mineurs. Il dut renoncer, malgré les dizaines de milliers d'hommes composant les forces répressives massées aux environs des régions minières, à briser par la force la grève. Il craignait qu'explose la grève générale qui était dans l'air. Il manœuvra en retraite, protégé par les appareils syndicaux qui détournèrent la classe ouvrière de la solidarité par l'action, en lui substituant de simples collectes.