1976 |
La marche à la révolution et son développement seront faits d'alternances, de flux et de reflux, qui s'étendront vraisemblablement sur une longue période. Il y aura des situations confuses. des formes confuses. (...) C'est la conséquence de la contradiction entre la maturité des conditions objectives, et le retard accentué à la solution de la crise de l'humanité qui "se réduit à celle de la direction révolutionnaire". Résoudre cette contradiction est la tâche des organisations qui se réclament de la IV° Internationale, de ses origines, de son programme. |
A propos des « 25 thèses sur "La révolution mondiale" » d'E. Mandel
Stéphane Just
Baisse de la conscience de classe du prolétariat ou force contre-révolutionnaire de la bureaucratie du Kremlin ?
Le camarade Ernest Mandel dit quelques mots du rôle contre‑révolutionnaire des partis staliniens et de la bureaucratie du Kremlin :
« Subjectivement, les effets de la victoire du stalinisme en URSS et dans l'Internationale communiste deviennent un obstacle majeur pour la victoire de la révolution mondiale, obstacle qui se maintient longtemps après que la retraite de la révolution mondiale a pris fin. »
Vraiment longtemps après, puisqu'ils s'exercent encore aujourd'hui. Pourtant, il est difficile de se satisfaire des quelques phrases suivantes :
« Les partis staliniens étranglèrent et trahirent la révolution espagnole de 1936, ainsi que les développements révolutionnaires en Grèce, en Italie et en France entre 1943 et 1948. De plus, les aspects répugnants de la dictature stalinienne en Union soviétique et dans l'Europe de l'Est deviennent un obstacle subjectif important au développement de la conscience de classe révolutionnaire dans les deux secteurs les plus forts numériquement du prolétariat mondial, les prolétariats américain et soviétique. »
Ou encore :
« On ne peut interpréter correctement l'histoire mondiale depuis 1945 qu'en saisissant de façon adéquate la dialectique des facteurs objectifs et subjectifs. ( ... ) Ajouter que cette reconstruction (des capitalismes de l'Europe de l'Ouest) fut rendue possible par la trahison de la montée révolutionnaire de 1943 à 1948 en Europe de l'Ouest, par les partis staliniens et sociaux‑démocrates, ce qui empêcha une percée victorieuse de la révolution socialiste dans cette région. » (Thèse 6.)
Tout cela est juste, et paraît pourtant très insuffisant. Il faut dire concrètement comment la « dialectique des facteurs objectifs et subjectifs » a joué à la fin de la guerre et au début des années d'après‑guerre. Si étonnant que cela soit, le camarade Ernest Mandel a oublié de rappeler et d'analyser les accords de Yalta et de Potsdam qui scellaient la première Sainte‑Alliance contre‑révolutionnaire contre la révolution en Europe et dans le monde. Cela nuit à ses Thèses sur la « révolution mondiale ».
A la fin de la guerre, la conjonction de l'effondrement du système impérialiste en Europe, la ruine des États bourgeois, la décomposition économique et la faiblesse politique extrême des bourgeoisies européennes détruisaient l'ancien ordre mondial. L'impérialisme anglais était lui aussi très affaibli et son empire en voie de dislocation. La faiblesse politique de l'impérialisme américain s'est mesurée au fait que, dès la capitulation de l'Allemagne et du Japon, devant la pression des « boys » et des masses américaines, il a dû procéder à une rapide démobilisation. La bureaucratie du Kremlin a sauvé de la révolution en Europe le capitalisme, et par vole de conséquence le système impérialiste mondial, le régime capitaliste. Les masses se tournaient vers Moscou, vers les PC, elles croyaient qu'ils représentaient Octobre, et ils étaient la contre-révolution incarnée. A Yalta et à Potsdam, l'impérialisme américain et la bureaucratie du Kremlin ont partagé l'Allemagne et l'Europe en deux, en vue de briser la possibilité de la révolution en Allemagne et la vague révolutionnaire européenne. A Yalta et à Potsdam, la bureaucratie du Kremlin s'est engagée à participer de toutes ses forces à la reconstruction des États bourgeois.
Les rapports entre les classes, et à l'intérieur du prolétariat, ont, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, et au cours des années qui suivirent, créé l'illusion aux yeux des masses que la bureaucratie du Kremlin et son appareil international représentaient la révolution, ce qui joua en deux sens complémentaires : souder une partie du prolétariat autour des PC ; donner de la révolution une image repoussante, aux yeux d'une autre partie du prolétariat.
L'absence de « percée victorieuse de la révolution socialiste » en Europe doit être analysée et expliquée en termes de rapports politiques, de forces politiques, et non de « conscience du prolétariat ». Ce n'est pas une sorte de faiblesse maladive du prolétariat qui, pour se situer au niveau de la tête, n'en serait pas moins une incapacité foncière, qui a empêché la victoire de la révolution en Europe ; ce sont les forces sociales et politiques précises, l'alliance de l'impérialisme et de la bureaucratie du Kremlin, le Kremlin et son appareil international jouant le rôle politique déterminant. Admettre la « baisse qualitative de la conscience de classe du prolétariat » amène soit à abandonner la lutte pour la révolution socialiste, soit à chercher des substituts au prolétariat, à chercher d'autres forces motrices : les bureaucraties, qui cessent d'être contre‑révolutionnaires, et ne sont plus tellement parasitaires, ou d'autres forces...