1976 |
La marche à la révolution et son développement seront faits d'alternances, de flux et de reflux, qui s'étendront vraisemblablement sur une longue période. Il y aura des situations confuses. des formes confuses. (...) C'est la conséquence de la contradiction entre la maturité des conditions objectives, et le retard accentué à la solution de la crise de l'humanité qui "se réduit à celle de la direction révolutionnaire". Résoudre cette contradiction est la tâche des organisations qui se réclament de la IV° Internationale, de ses origines, de son programme. |
A propos des « 25 thèses sur "La révolution mondiale" » d'E. Mandel
Stéphane Just
Prise du pouvoir, centralisme ou "autogestion"
Le camarade Ernest Mandel ne fait nulle référence à cette politique. Alors de quoi parle‑t‑il, lorsqu'il écrit :
« que les travailleurs fassent eux‑mêmes l'expérience des formes supérieures de libertés démocratiques à grande échelle » ?
Ne s'agirait‑il pas des « expériences exemplaires » du genre Lip, chères, en France, à la CFDT et au PSU, de la gestion « exemplaire » de telles ou telles entreprises ; en quelque sorte de « contre‑sociétés » au sein de la société bourgeoise, chères aux gauchistes et aux utopistes ? Plus loin on lit :
« Ce que la démocratie des conseils ouvriers étend et « perfectionne » réellement, ce sont des « noyaux de démocratie prolétarienne au sein de la démocratie bourgeoise », au sein de laquelle la classe ouvrière oppose son activité et ses organisations propres aux organes d'État de la démocratie bourgeoise. » (Thèse 11.)
Voilà qui est très équivoque. Le « développement des forces productives », le haut niveau « culturel et de qualification » que le prolétariat aurait atteint, ouvriraient‑ils des voies toutes nouvelles à la révolution ? Ne s'agirait‑il pas de ces fameuses « revendications qualitatives » opposées aux « revendications quantitatives » d'où découleraient « un niveau de force et de conscience de classe du prolétariat quantitativement supérieurs que lors de la vague de 1917-1923 » ? La référence à « l'autogestion » le laisse supposer.
Ces sophismes, contribution de la CFDT, du PSU, de l'aile gauche de la hiérarchie catholique qui porte le Christ à gauche, à l'« émancipation du prolétariat », sont radicalement opposés à la méthode du programme de fondation de la IV° Internationale. A ce propos, le Programme de transition est d'une netteté remarquable :
« Dès le moment de l'apparition des comités d'usine, il s'établit en fait une dualité de pouvoir. Par son essence même, elle est quelque chose de transitoire car elle renferme en soi deux régimes inconciliables : le régime capitaliste et le régime prolétarien. »
Comme toutes les revendications du Programme, le contrôle ouvrier aboutit rapidement à une seule et même conclusion : la nécessite de prendre le pouvoir politique.
Que veulent dire en regard ces phrases extraites de la Thèse 15 :
« Toute tentative pour remplacer l'autogestion ouvrière de l'économie et de la société par le pouvoir central d'un parti unique conduit inéluctablement aux deux maux de la centralisation bureaucratique ou au « socialisme de marché » qui mènent à leur tour au gâchis maximum, à l'inefficacité, au désordre et à la survivance d'habitudes et de motivations qui ont leur origine dans la société bourgeoise. Seule l'autogestion planifiée, c'est‑à‑dire le pouvoir des soviets, peut assurer une croissance optimum et le projet léniniste de la dictature du prolétariat en tant qu'« État qui commence à dépérir dès son origine ». »
A nouveau quel étrange mélange. « Le pouvoir central d'un parti unique » cache le vrai problème : parti unique ou pas, faut‑il que le pouvoir du prolétariat soit centralisé ? « L'autogestion » de chaque usine, de chaque branche de l'économie signifie la dislocation de la planification. En outre, elle est obligatoirement anti-démocratique. Livrés à leur entreprise, à une branche de la production, les travailleurs sont le jeu des forces aveugles qu'ils ne peuvent maîtriser, qui les dominent et les écrasent. Seule la détention du pouvoir politique et son exercice central leur permettent de maîtriser la « gestion de la société et de l'économie ». Alors. mais alors seulement, les masses prolétariennes peuvent contrôler l'élaboration et l'application au niveau de leur entreprise, de leurs branches réciproques de production. Encore n'est‑ce pas d'une belle simplicité : les exigences générales de la société et de l'économie entrent bien souvent en contradiction avec les intérêts particuliers de tel ou tel groupe social, de tel ou tel secteur de la société, y compris des prolétaires ; la planification n'exclut pas le jeu des lois du marché, mais exige leur utilisation conjointement au plan : les normes bourgeoises de répartition resteront longtemps en vigueur avant de mourir de leur belle mort. « L'autogestion » libérerait toutes ces contradictions disloquantes. La défense des intérêts des travailleurs, de telles ou telles catégories, de tels ou tels secteurs, y compris contre l'État ouvrier, exige l'indépendance des syndicats. A l'inverse, la planification de l'ensemble de l'économie, la possibilité d'utiliser les lois qui se manifestent sur le marché, les normes de répartition bourgeoises exigent un pouvoir politique de décision centralisé. A ce propos, écrivant L'État et la révolution, Lénine attaque violemment Kautsky en ces termes :
« L'opportunisme a si bien désappris à penser révolutionnairement et à réfléchir à le révolution qu'il voit du « fédéralisme » chez Marx ainsi confondu avec le fondateur de l'anarchisme Proudhon. Et Kautsky et Plekhanov, qui se prétendent des marxistes orthodoxes et vouloir défendre !a doctrine marxiste, se taisent là‑dessus. On découvre ici cette extrême indigence de vue entre le marxisme et l'anarchisme, qui caractérise les kautskystes aussi bien que les opportunistes et dont nous aurons encore à parler. (...) Marx est en désaccord avec Proudhon et avec Bakounine précisément à propos du fédéralisme (sans parier de la dictature du prolétariat). Les principes du fédéralisme découlent des conceptions petites‑bourgeoises et de l'anarchisme. Marx est centraliste et, dans les passages cités de lui, il n’existe pas la moindre dérogation au centralisme. Seuls les gens imbus d'une « foi superstitieuse », petite‑bourgeoise, en l'État peuvent prendre la destruction de la machine bourgeoise pour la destruction du centralisme ! Mais si le prolétariat et la paysannerie pauvre prennent en main le pouvoir d'État, s'organisent en toute liberté au sein des communes et unissent l'action de toutes les communes pour frapper le capital, écraser la résistance des capitalistes, remettre à toute la nation, à toute la société, la propriété des chemins de fer, des fabriques, de la terre, etc., ne sera‑ce pas le centralisme ? Ne sera-ce pas là du centralisme démocratique le plus conséquent, et, qui plus est, un centralisme prolétarien ? »
Les soviets, les conseils ouvriers, nationalement centralisés, organisent le prolétariat comme classe, ses différentes composantes et expressions politiques. Par la médiation de ses partis, le prolétariat détient et fait perfectionner le pouvoir politique, les soviets sont le parlement et l'exécutif du pouvoir prolétarien. « L'autogestion », inspirée de Proudhon, fait lâcher au prolétariat la proie pour l'ombre, le dessaisit du pouvoir politique, le disloque et le divise contre lui‑même.