[Londres], le 19 janvier 1874.
Cher Wenceslas [1],
Engels m'a communiqué la lettre que tu lui as adressée [2]. D'où ces lignes. A mon retour [3] un anthrax fit éruption sur ma fesse droite; on l'opéra. Par la suite, il eut plusieurs successeurs de moindre importance; je pense que je souffre actuellement du dernier de la série.
Au reste, cesse une fois pour toutes de te préoccuper des racontars des journaux et surtout ne leur réponds pas. Moi‑même, je permets aux journaux anglais d'annoncer de temps en temps ma mort, mm donner le moindre signe de vie. Rien ne m'est plus désagréable que de paraître donner au public des nouvelles de ma santé par l'intermédiaire de mes amis. (Sur ce chapitre, tu es le grand coupable). Je me soucie du public comme d'une guigne et si on exagère à l'occasion mon mauvais état de santé, cela a au moins l'avantage de m'épargner toutes sortes de requêtes (théoriques et autres) émanant de personnes inconnues qui m'écrivent des quatre coins du monde.
Mes meilleurs remerciements pour les lignes aimables de Madame la comtesse et de Françoise.
Je suis très heureux de recevoir la Frankfurter Zeit[ung]; j'y trouve un tas de choses intéressantes.
La victoire relative des ultramontains et des social‑démocrates aux élections serves Mr. Bismarck and his middle class tail right [est bien fait pour M. Bismarck et les bourgeois qui le suivent] [4]. Davantage une autre fois.
Ton K. M.
A propos. Sur les indications de mon ami, le docteur Gumpert (Manchester) à la première démangeaison annonçant un anthrax, je frictionne la partie en question avec une pommade au mercure et je trouve que ce médicament a un effet tout à fait spécifique.
Qu'est donc devenu ton ami, le « docteur Freund » de Breslau, qui, à ton avis, promettait tant ? Il semble, après tout que c'est un fruit sec.
Notes
[1] Surnom amical donné par Marx à Kugelmann. Il l'appelait aussi Empereur Wenceslas.
[2] Inquiet sur la santé de Marx à la lecture d'une note parue dans la Frankfurter Zeitung à ce sujet, Kugelmann avait écrit à Engels le 13 janvier 1874, comme il l'avait déjà fait précédemment (Voir la réponse dEngels., M.E.W. t. 33, pp. 593‑594).
[3] Du 24 novembre au 15 décembre 1873, Marx avait fait une cure à Harrogate, où il séjourna avec sa fille Eleanor.
[4] Élections au Reichstag du 10 janvier 1874. Les voix socialistes avaient quadruplé (171 000 contre 41 000 en 1871). Le Zentrum catholique avait aussi gagné des voix en dépit de la guerre que lui faisait Bismarck (Kulturkampf).
Texte surligné en jaune : en français dans le texte.
Texte surligné en bleu : en anglais dans le texte.