1865 |
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Le coût de production d'une marchandise ne peut varier que dans deux circonstances :
Primo . Lorsque le taux général du profit se modifie, ce qui n'est possible que lorsque le taux moyen de la plus-value varie ou que le rapport entre la plus-value et le capital avancé varie.
A moins qu'elle ne provienne d'une hausse ou d'une baisse du salaire par rapport à son niveau normal (donc de simples oscillations du salaire), la variation du taux de la plus-value ne peut dériver que d'un changement de valeur de la force de travail, changement qui implique une variation de la productivité du travail qui fournit les subsistances, c'est à-dire une variation de la valeur des marchandises consommées par l'ouvrier.
Quant à la variation du rapport entre la plus-value et le capital avancé, comme elle ne peut pas résulter, dans ce cas, du taux de la plus-value, elle doit provenir du capital total et, en réalité, de sa partie constante. Or, si on se place au point de vue technique, on voit que le capital constant varie d'après la force de travail qui est achetée par le capital variable, et que par conséquent sa valeur varie à la fois d'après l'augmentation ou la diminution de sa quantité (en tant que capital constant) et d'après la valeur du capital variable. Si le même travail met en œuvre plus de capital constant, sa productivité augmente, tandis qu'elle diminue dans le cas contraire ; il en résulte nécessairement une modification de la valeur de certaines marchandises.
Dans les deux cas, la loi suivante est vraie : la valeur d'une marchandise peut rester invariable lorsque son coût de production varie par suite d'une variation du taux général du profit ; pour qu'il en soit ainsi il faut que d'autres marchandises aient en leur valeur modifiée.
Secundo. - Lorsque le taux général du profit reste constant. Dans ce cas le coût de production de la marchandise ne peut varier que par suite d'une variation de sa valeur, c'est-à-dire parce qu'il faut plus ou moins de travail pour la produire elle-même ou pour reproduire les marchandises nécessaires à sa production. C'est ainsi que le prix de production du fil de coton peut diminuer, ou bien parce que le coton brut se fabrique a meilleur marché, ou bien parce que de nouvelles inventions ont rendu les métiers à filer plus productifs.
Ainsi que nous l'avons établi plus haut, le coût de production est égal à k + p = prix de revient + profit. Cette expression revient à k + kp' , dans laquelle le prix de revient k est une grandeur déterminée, qui varie d'une branche de production à l'autre et est égale dans chacune à la valeur des capitaux constant et variable mis en œuvre, et dans laquelle p' représente le taux (p %) moyen du profit. Si k = 200 et p' = 20 %, le coût de production k + kp' = 200 + 200 * 20% = 200 + 40 = 240.
Il est clair que ce coût de production peut rester constant alors que la valeur des marchandises varie.
Toutes les variations du coût de production des marchandises se ramènent en dernière analyse à des variations de la valeur; mais toutes les variations de la valeur ne se traduisent pas par des variations du coût de production, celui-ci étant déterminé, non par la valeur d'une marchandise , mais par celle de toutes. Une différence dans la valeur de la marchandise A peut être compensée par une différence en sens inverse dans la valeur de la marchandise B ; ce qui a pour résultat de laisser le rapport général intact.
Nous avons montré que l'écart entre le coût de production et la valeur provient :
De ce que pour faire le coût de production, on ajoute au prix de revient de la marchandise le profit moyen et non la plus-value ;
De ce que le coût de production d'une marchandise peut devenir un élément du prix de revient d'autres marchandises et par conséquent y introduire l'écart qui existe entre le prix et la valeur des moyens de production auxquels il correspond.
Il en résulte que même les marchandises produites par des capitaux de composition moyenne peuvent présenter une différence entre leur prix de revient et la valeur totale des éléments qui le constituent. La composition moyenne étant 80 c + 20 v , il suffira pour que 80 c soit plus grand ou plus petit que la valeur du capital constant c , que le coût de production des marchandises représentées par c soit différent de leur valeur. De même 20 v peut s'écarter de sa valeur, lorsque les ouvriers consomment des marchandises dont les coûts de production diffèrent de leurs valeurs, ou en d'autres termes lorsque pour acheter ces marchandises, les ouvriers doivent accomplir plus ou moins de travail qu'il n'en faudrait si les coûts de production étaient égaux aux valeurs.
Ces considérations ne modifient pas nos conclusions quant aux marchandises de composition moyenne. La part de profit qui leur est attribuée est égale à la plus-value qu'elles contiennent. Dans notre capital 80 c + 20 v , la plus-value est déterminée, moins par les valeurs 80 c et 20 v en elles-mêmes, que par le rapport qui existe entre elles ; elle résulte donc essentiellement de ce que v est égal à 1/5 et c aux 4/5 du capital total, et chaque fois qu'il en sera ainsi, la plus-value produite par v sera égale au profit moyen. Mais de ce que la plus-value est égale au profit moyen, nous avons: coût de production = prix de revient + profit = k + p = k + pl, c'est-à-dire égal en réalité à la valeur de la marchandise. Dans ce cas, une variation des salaires n'influence pas plus k + p que la valeur de la marchandise, et elle provoque uniquement une variation en sens inverse du taux du profit ; de sorte que si la, hausse ou la baisse des salaires détermine une variation des prix des marchandises, il en résulte un taux de profit au-dessus ou au-dessous du niveau des profits dans les autres sphères, tandis que si elle ne modifie pas ce prix, le niveau des taux de profit reste uniforme. Les choses se passent donc en pratique comme si les produits des branches de production de composition moyenne se vendaient à leurs valeurs, car c'est seulement dans ce cas que, toutes circonstances égales, une variation du salaire provoque une variation inverse du profit, sans entraîner une variation de la valeur des marchandises, et se borne à affecter la grandeur de la plus-value.
Nous avons dit que la concurrence ramène le profit à un taux uniforme (le taux moyen) dans les différentes branches de production et transforme ainsi les valeurs des produits en coûts de production. Ce phénomène s'accomplit grâce à la migration du capital qui, tout en tenant compte des oscillations qui atteignent le profit dans une même branche par suite de la succession des années grasses et des années maigres, passe continuellement des industries donnant moins de profit à celles qui en rapportent plus. Il en résulte un mouvement oscillatoire du taux du profit dont la résultante tend vers la formation d'un taux uniforme et de même niveau pour toutes les productions.
La migration des capitaux est provoquée en premier lieu par les prix du marché qui élèvent le profit au-dessus ou l'abaissent au-dessous de la ligne moyenne. (Nous faisons abstraction provisoirement du capital commercial, que nous ne connaissons pas encore et que la spéculation se complait à retirer brusquement en grandes masses de telle branche d'affaires pour la, lancer dans telle autre). Cette migration - dans l’industrie, l'agriculture, l'exploitation des mines - ne va pas sans rencontrer de sérieux obstacles, notamment de la part du capital fixe ; d'autant plus que l'expérience apprend que si une industrie, l'industrie cotonnière par ex., rapporte pendant un certain temps des profits extraordinaires, elle en donne de très petits et se trouve même en perte pendant la période suivante, de sorte qu'elle parcourt des cycles dont chacun donne un profit moyen d'importance à peu près égale à celui des autres branches.
Ce que la concurrence ne montre pas , ce sont les valeurs qui,
cachées derrière les coûts de production, déterminent ceux-ci et dominent
la production. Ce qu'elle montre, ce sont :
Tous ces phénomènes semblent contredire aussi bien à la détermination de la valeur par le temps de travail qu'à la nature de la plus-value constituée par le travail non payé. La concurrence fait donc voir tout sous un faux aspect : les rapports économiques ont une forme apparente qui diffère considérablement et indique en réalité le contraire de leur constitution interne, et ceux qui en sont les représentants et les agents en ont une conception absolument erronée.
Dès que la production capitaliste est arrivée à un certain développement, l'égalisation des taux du profit ne résulte plus simplement des mouvements d'attraction et de répulsion que les prix du marché communiquent au capital ; les prix moyens et les prix du marché qui y correspondent étant bien fixés, chaque capitaliste se rend compte de ce que l'uniformité de ces prix résulte de la compensation de certaines différences et il en tient note dans ses calculs.
L'idée fondamentale est celle du profit moyen, c'est-à-dire que des capitaux d'importance égale doivent donner dans le même espace de temps des profits égaux. Elle se base à son tour sur la conception que le capital engagé dans chaque branche de production doit participer, en raison de son importance, à la plus-value extorquée aux ouvriers par le capital total de la société ; c'est-à-dire que chaque capital ne compte que comme une fraction du capital social et que chaque capitaliste n'est qu'un actionnaire de l'entreprise totale de la société.
C'est d'après cette conception que le capitaliste fait ses comptes et qu'il calcule, par exemple, qu'un capital dont le temps de rotation est plus long, soit parce que son procès de production dure plus longtemps, soit parce que ses produits se vendent sur des marchés plus éloignés, n'a pas moins droit au profit qu'il perd de la sorte et doit le trouver dans un renchérissement correspondant du prix. Il en est de même des capitaux exposés à de grands dangers, ceux placés dans les entreprises maritimes par exemple, bien que les assurances, qui se développent parallèlement à la production capitaliste, aient pour effet de rendre le risque égal pour toutes les industries (voir Corbett), en faisant payer, il est vrai, aux plus dangereuses une prime plus élevée, remboursée par le prix des marchandises. En pratique, toute circonstance qui rend un placement plus favorable et un autre moins favorable (jusqu'à un certain point, tous les placements sont considérés comme également nécessaires) est portée en compte une fois pour toutes comme facteur de compensation et il n'est pas nécessaire que la concurrence intervienne chaque fois pour en justifier l'application. Seulement les capitalistes oublient - ou plutôt ne voient pas, la concurrence ne le leur montrant pas - que toutes ces causes de compensation portées en compte dans le calcul des prix des différentes branches de production, établissent que tous réclament, avec une égale énergie, une part du butin commun, une part de la plus-value totale en rapport avec leur capital. Parce que le profit qu'ils encaissent est différent de la plus-value qu'ils extorquent à leurs ouvriers, ils se figurent que les facteurs de compensation, loin d'égaliser les parts de tous dans la plus-value totale, créent le profit, celui-ci ayant simplement pour cause l'économie que chacun d'eux parvient, par un procédé ou l'autre, à réaliser sur le prix de revient.
D'ailleurs, ce qui a été dit au chap. VII sur les idées des capitalistes quant à la source de leur plus-value s'applique également au profit moyen, avec cette seule différence que, pour un prix déterminé des marchandises et une exploitation donnée du travail, les qualités personnelles (habileté, perspicacité, etc.) des capitalistes interviennent pour fixer l'économie qu'ils peuvent réaliser sur le prix de revient.
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