1865

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Le Capital - Livre III

Le procès d'ensemble de la production capitaliste

K. Marx

§ 3 : Loi tendancielle de la baisse du taux de profit


Chapître XIII : La loi en elle-même

Le salaire et la journée de travail étant donnés, un capital variable déterminé, un capital de 100 par exemple, correspond à l'emploi d'un nombre déterminé d'ouvriers et est la caractéristique de ce nombre. Supposons que le salaire de 100 ouvriers soit de 100 £ pendant une semaine; si ces ouvriers fournissent autant de surtravail que de travail (c'est-à-dire s'ils travaillent une moitié du temps pour reproduire leur salaire et l'autre moitié pour créer de la plus-value pour le capitaliste), ils produiront une valeur de 200 £, comprenant 100 £ de plus-value. Le taux de la plus-value sera donc de 100% et il donnera lieu, ainsi que nous l'avons vu, à des taux de profit p' très différents, suivant l'importance du capital constant c et du capital total C, car le taux du profit est exprimé par pl / C.

Si c = 50 v = 100; p' = 100/150 = 66 ⅔ %

Si c = 100 et v = 100; p'  = 100/200 = 50 %

Si c = 200 et v = 100; p'  = 100/300 = 33 ⅓ %

Si c = 300 et v = 100; p'  = 100/400 = 25 %

Si c = 400 et v = 100; p'  = 100/500 = 20 %

Un même taux de plus-value, avec un même degré d'exploitation du travail, donne lieu à un taux de profit allant en décroissant, lorsque la valeur du capital constant et par conséquent la valeur du capital total vont en augmentant.

Si l'on admet que cette variation du capital se manifeste, non seulement dans quelques industries, mais plus ou moins dans toutes les branches de la production ou du moins dans les plus importantes, de telle sorte que la composition organique du capital social moyen s'en trouve affectée, cet accroissement général du capital constant relativement au capital variable, entraînera nécessairement une baisse graduelle du taux général du profit, bien que le taux de la plus-value, c'est-à-dire l'exploitation du travail par le capital, reste invariable. Or, à mesure que la production capitaliste se développe, le capital variable perd en importance relativement au capital constant et au capital total : un même nombre d'ouvriers met en œuvre, grâce au perfectionnement des méthodes de production, une quantité sans cesse croissante de moyens de travail, de matières premières et de matières auxiliaires, c'est-à-dire un capital constant de valeur de plus en plus grande. Cette diminution progressive du capital variable relativement au capital constant et au capital total correspond au perfectionnement de la composition organique du Capital social moyen et est l'indice du progrès de la productivité du travail social. Grâce à l'emploi de plus en plus considérable de machines et de capital fixe, un même nombre d'ouvriers peut mettre en œuvre, dans le même temps, une masse de plus en plus grande de matières premières et auxiliaires. Cette importance croissante de la valeur du capital constant, à laquelle ne correspond nullement une augmentation quantitative des valeurs d'usage, éléments matériels du même capital, entraîne une baisse progressive des prix : chaque produit contient une moindre quantité de travail que dans les stades antérieurs de la production, où le capital avancé pour le travail était plus grand relativement à celui consacré aux moyens de production. La série de chiffres que nous avons établie au commencement de ce chapitre exprime donc la vraie tendance de la production capitaliste, qui est caractérisée par une diminution progressive du capital variable par rapport au capital constant et une baisse correspondante des taux de profit pour des taux de plus-value, (une exploitation du travail) constants ou même croissants. (Nous verrons plus loin que cette baisse est tendancielle et non absolue.) La tendance à une baisse du taux général des profits est donc la caractéristique capitaliste du progrès de la productivité du travail social; ce qui ne veut pas dire que d'autres facteurs ne puissent pas déterminer la baisse des taux de profit, mais ce qui exprime qu'il est de l'essence de la production capitaliste d'entraîner par son développement progressif une transformation du taux de la plus-value en des taux de profit de plus en plus petits. Puisque l'importance du travail vivant diminue continuellement par rapport au travail matérialisé (moyens de production) qu'il met en œuvre, il est évident que la quantité de travail vivant non payé, la quantité de plus-value, doit diminuer continuellement par rapport au capital total. Le rapport entre la plus-value et le capital total étant l'expression du taux du profit, celui-ci doit donc diminuer progressivement.

Autant cette loi parait simple d'après ce que nous venons de développer, autant il a été impossible, ainsi que nous le montrerons plus loin, aux économistes de la découvrir. Le phénomène brutal n'échappa pas à leurs observations; mais toutes les tentatives qu'ils firent pour l'expliquer échouèrent. Et cependant la loi que nous avons énoncée a une importance capitale pour la production capitaliste, au point que l'on peut dire qu'elle est le problème dont la solution a occupé toute l'économie politique depuis Ad. Smith et qui a servi de base à la ligne de démarcation entre les différentes écoles. Il devait en être nécessairement ainsi, si l'on considère que jusqu'aujourd'hui l'économie politique n'était pas parvenue à formuler en termes précis la différence entre le capital constant et le capital variable, à distinguer la plus-value du profit, à concevoir le profit en lui-même indépendamment des différentes formes (profit industriel, profit commercial, intérêt, rente) qu'il revêt, à observer à fond les différences qui se présentent dans la composition organique des capitaux et à analyser la formation du taux général du profit.

C'est à dessein que nous formulons la loi avant de procéder à l'étude des différentes catégories de profits; nous démontrerons ainsi qu'elle est indépendante de ces subdivisions. Le profit, tel que nous l'étudions en ce moment, n'est que la plus-value sous un autre nom, la plus-value rapportée au capital total au lieu de l'être au capital variable qui lui a donné naissance; la baisse du taux du profit n'est donc que la baisse du rapport de la plus-value au capital total et elle est indépendante de toute subdivision de la plus-value en catégories.

Nous avons vu que lorsque le développement capitaliste est arrivé à un stade où la composition du capital répond à la formule c : v = 50 : 100, un taux de plus-value de 100 %, s'exprime par un taux de profit de 66 ⅔ %, et que lorsque le développement est arrivé à un stade plus élevé, exprimé par la formule c : v = 400 : 100, le même taux de la plus-value correspond à un taux de profit de 20 % seulement. Ce que nous avons constaté de la sorte pour des capitaux d'un même pays, arrivés à des stades différents de développement, s'applique évidemment aux situations relatives de différents pays inégalement avancés au point de vue de la production capitaliste; et c'est ainsi que dans le pays le moins développé, le taux général du profit s'élève à 66 ⅔ %, alors qu'il n'est plus que de 20 %, dans un pays beaucoup plus avancé.

Cette différence entre les taux de profit d'une nation à l'autre peut s'effacer et même devenir inverse, lorsque le travail est moins productif dans le pays le moins développé, c'est-à-dire lorsqu'une plus grande quantité de travail y produit une quantité moindre de marchandises et qu'une plus grande quantité de valeurs d'échange y est représentée par une moindre quantité de valeurs d'usage. Dans pareil pays, l'ouvrier devrait donner une plus grande partie de son temps de travail à la reproduction de ses moyens de subsistance et consacrer une moindre partie à la production de plus-value, ce qui aurait pour conséquence de faire baisser le taux de cette dernière.

Si, par exemple, dans le pays le moins développé l'ou­vrier travaillait ⅔ de la journée pour lui-même et ⅓ pour le capitaliste, sa force de travail, dans l'exemple précédent, serait payée 133 ⅓ et ne laisserait qu'un excé­dent de 66 ⅔. Au capital variable de 133 ½ correspon­drait un capital constant de 59, d'où un taux de plus-value de 66 ⅔ / 133 ⅓ = 50 % et un taux de profit de 183 ⅓ % / 66 ⅔ % = 36 ½ % environ.

Comme nous n'avons pas encore étudié les différentes parties du profit et que, par conséquent, elles n'existent pas encore pour nous, notons ce qui suit pour éviter des malentendus : lorsque l'ou compare des pays inégalement développés - surtout lorsque l'on met en parallèle un pays de production essentiellement capitaliste avec un autre où le travail n'est pas encore formellement subordonné au capital, mais où le travailleur est réellement exploité par le capitaliste (tel, par exemple, l'Inde où le ryot, pas encore asservi au capital, travaille en paysan indépendant et se voit extorquer par l'usurier, sous forme d'intérêt, non seulement tout son surtravail, mais une part de son salaire) - il est absolument inexact d'apprécier le taux national du profit d'après le taux national de l'intérêt. Dans les pays peu développés l'intérêt englobe tout le profit et même davantage, tandis que dans les pays développés au point de vue capitaliste, il ne représente qu'une partie de la plus-value et par conséquent du profit. Dans ces derniers, le taux de l'intérêt se détermine avant tout par des éléments (avances de l'usurier aux grands propriétaires) qui n'ont rien à voir avec le profit et il exprime seulement quelle est la part prélevée par l'usurier sur la rente foncière.

Lorsque l'on compare deux pays inégalement développés au point de vue capitaliste (dans lesquels le capital a des compositions organiques différentes), il peut se présenter que le taux de la plus-value (l'un des facteurs du taux du profit) soit le plus élevé dans le pays ayant la journée normale de travail la plus courte. Si, par exemple, par suite de l'intensité plus forte du travail, la journée de 10 heures en Angleterre équivaut à la journée de 14 heures en Autriche, il se peut que 5 heures de surtravail de l'ouvrier anglais représentent sur le marché mondial une valeur plus grande que 7 heures de surtravail de l'ouvrier autrichien; sans compter qu'en Angleterre, le surtravail peut-être fourni par une plus grande partie de la journée qu'en Autriche.

On peut également exprimer comme suit la tendance à la baisse du taux du profit correspondant à un taux de plus-value restant constant ou allant même en augmentant : une fraction de plus en plus grande du capital moyen de la société se convertit en moyens de travail tandis que une fraction de plus en plus petite est consacrée au travail vivant. Il en résulte que le travail vivant ajouté aux moyens de travail diminue sans cesse relativement à ceux-ci et que la valeur du travail non payé devient de moins en moins grande par rapport à la valeur du capital total. On peut dire aussi : une partie de plus en plus petite du capital total est convertie en travail vivant. Le capital total absorbe, par conséquent, une quantité de surtravail de, plus en plus petite eu égard à son importance, bien qu'en même temps puisse s'accroître le rapport de la partie non payée a la partie payée du travail. Cette diminution du capital variable relativement au capital constant alors que tous les deux augmentent en valeur absolue, n'est qu'une autre expression de la productivité croissante du travail.

Considérons un capital de 100, ayant la composition 80 c + 20 v et occupant 20 ouvriers; le taux de la plus-value étant de 100 %, ces ouvriers travaillent une demi-journée pour eux et une demi-journée pour le capitaliste. Consi­dérons, dans un pays moins développé, un capital 20 c + 80 v occupant 80 ouvriers, travaillant ⅔ de la jour­née pour eux et ⅓ pour le capitaliste. Les ouvriers du premier pays produiront une valeur de 40, ceux du second une valeur de 120. Le produit du premier capital est 80 c + 20 v + 20 pl  = 120, d'où un taux de profit de 20 %; le produit du second est 20 c + 80 v + 40 pl = 140, soit un taux de profit de 40 %. Le taux du profit est donc deux fois plus grand dans le second pays que dans le premier, bien que le taux de la plus-value soit deux fois plus élevé dans le premier (100 %) que dans le second (50 %). C'est que le capital a la même valeur dans les deux pays, mais que dans le premier il s'appro­prie le surtravail de 20 ouvriers seulement, tandis qu'il s'empare de celui de 80 dans le second.

La loi de la baisse progressive du taux du profit ou de l'appropriation décroissante de la plus-value eu égard à la quantité de travail matérialisé mis en œuvre par le travail vivant, n'exclut point l'accroissement absolu du travail occupé et exploité par le capital social, ni l'accroissement absolu du surtravail approprié par ce capital; elle n'empêche pas non plus que les masses de travail et de surtravail asservis aux capitaux individuels aillent en croissant, ni même que le surtravail augmente alors que le nombre de travailleurs reste constant.

Soit une population ouvrière de deux millions, ayant une journée de travail de longueur et d'intensité données, jouissant d'un salaire déterminé et présentant, par conséquent, un rapport donné entre le travail nécessaire et le surtravail. Le travail de ces deux millions d'ouvriers et leur surtravail, source de plus-value, produiront constamment la même valeur. Le rapport de cette dernière au capital constant (rixe et circulant) diminuera à mesure que se produira un accroissement de ce dernier et cette diminution, qui sera accompagnée de la baisse du taux du profit, aura lien bien que le travail vivant mis en œuvre reste le même et que la même somme de surtravail soit absorbée par le capital. Ce rapport se modifie, non parce que le travail vivant diminue, mais parce que le travail matérialisé, mis en œuvre par le travail vivant augmente. Sa diminution est relative, non absolue, et elle est indépendante de la somme absolue de travail et de surtravail. La baisse du taux du profit résulte, non d'une diminution absolue, mais d'une diminution relative de la partie variable du capital total.

Ce que nous venons de dire de la quantité de travail et de surtravail s'applique à l'augmentation du nombre des travailleurs et, par conséquent, dans les limites de notre hypothèse, à l'accroissement du travail vivant en général et du surtravail en particulier. Supposons que la popu­lation ouvrière s'élevant de 2 à 3 millions, le capital va­riable avancé pour les salaires monte de 2 à 3 millions et que le capital constant passe de 4 à 15 millions. La quantité de plus-value augmentera de moitié, étant données les circonstances que nous avons admises (constance de la journée de travail et du taux de la plus-value), et elle s'élèvera à, 3 millions. Le rapport du capital variable au capital constant qui était 2/4 deviendra 3/15, et le rapport de la plus-value au capital total sera le suivant pour cha­cun des cas :

  1. 4 c + 2 v + 2 pl; C = 6, p' = 33 ⅓ %
  2. 15 c + 3 v + 3 pl; C = 18, p' = 16 ⅔ %.

Par conséquent, bien que la plus-value ait augmenté de moitié, le taux du profit a baissé et il n'est plus que la moitié de ce qu'il était précédemment. Le profit étant la plus-value rapportée au capital de la société, sa grandeur absolue, considérée au point de vue social, est égale à la grandeur absolue de la plus-value; elle a par conséquent subi une augmentation de 50 %, bien que l'expression de son rapport au capital total, c'est-à-dire le taux général du profit, ait diminué considérablement. La baisse progressive du taux du profit peut donc se produire alors même qu'il y a augmentation du nombre des ouvriers occupés, accroissement de la quantité absolue de travail mis en œuvre et de surtravail accaparé par le capital, extension de la quantité absolue de plus-value et de profit recueillis. Et non seulement il peut en être ainsi, mais, à part les oscillations passagères, il doit en être ainsi en régime capitaliste.

Le procès capitaliste de production est de par sa nature un procès d'accumulation. Nous avons vu qu'à mesure que la production capitaliste progresse, la valeur qui devrait être simplement reproduite et conservée augmente par suite de la productivité croissante du travail, alors même que la quantité de travail mise en œuvre reste constante.

A plus forte raison s'accroissent la production quantitative de valeurs d'usage et avec elle la quantité de moyens de production. Le travail supplémentaire nécessaire pour reconvertir en capital cette richesse supplémentaire dépend, non de la valeur, mais de la quantité des moyens de production (y compris les subsistances), car dans le procès de travail c'est la valeur d'usage et non la valeur des moyens de production qui intéresse l'ouvrier. Or, l'accumulation du capital et la concentration capitaliste qui l'accompagne, sont des facteurs matériels de l'extension de la productivité, laquelle ne va pas sans l'accroissement de la population ouvrière, sans la création d'une masse de travailleurs correspondant au capital supplémentaire et dépassant sans cesse les besoins, par conséquent sans une surpopulation ouvrière. Lorsque le capital supplémentaire est momentanément en excès par rapport à la population ouvrière, il se produit une augmentation des salaires qui pousse à l'accroissement de la population ouvrière, en facilitant les mariages et en diminuant la mortalité; cette influence est renforcée par l'application de nouvelles méthodes de création de plus-value (extension et perfectionnement du machinisme) qui hâtent la formation d'une surpopulation artificielle, allant en s'amplifiant à mesure que la misère - en régime capitaliste la misère pousse à la reproduction - qui en est la conséquence devient plus considérable. L'accumulation capitaliste (qui n'est qu'un aspect de la production capitaliste) n'accroît donc pas seulement la quantité de moyens de production devant être convertis en capital; elle provoque en même temps une extension de la population ouvrière en rapport avec l'augmentation des moyens de production et parfois en excès sur elle.

Le développement de la production et de l'accumulation capitalistes entraînent donc nécessairement du surtravail qui peut être approprié et qui l'est en réalité, par conséquent une augmentation de la valeur absolue du profit accaparé par le capital social. Mais ces mêmes lois de la production et de l'accumulation font croître la valeur du capital constant plus rapidement que celle du capital variable, et c'est ainsi que tout en attribuant au capital social une quantité de profit plus considérable, elles déterminent la baisse du taux du profit.

Nous faisons abstraction en ce moment de ce que le développement de la production capitaliste et l'accroissement de la productivité du travail social qui en résulte, ont pour conséquence de faire correspondre à une même valeur une quantité sans cesse croissante de valeurs d'usage et de jouissance.

A mesure que se développent la production et l'accumulation capitalistes, le procès du travail prend des proportions plus considérables et exige, dans chaque entreprise, des avances de capital de plus en plus grandes. Ce développement a donc comme condition et comme résultat une concentration croissante des capitaux, accompagnée, mais dans une proportion moindre, d'une augmentation du nombre des capitalistes; il entraîne nécessairement une expropriation progressive des producteurs plus ou moins immédiats. Chaque capitaliste occupant ainsi une masse d'ouvriers de plus en plus considérable (bien que son capital variable diminue par rapport à son capital constant), il en résulte que la somme de plus-value (de profit) qu'il recueille augmente malgré la baisse du taux du profit. Les mêmes causes qui ramènent les armées ouvrières sous les ordres de quelques capitalistes accentuent sans cesse la disproportion entre la masse de capital fixe, de matières premières et de matières auxiliaires et la masse de travail leurs qui les mettent en œuvre.

Nous pouvons nous borner à signaler que la population ouvrière restant constante, tout accroissement du taux de la plus-value, qu'il résulte d'une prolongation ou d'une intensification de la journée de travail ou d'une baisse de la valeur du salaire par suite de la productivité croissante du travail, doit entraîner une augmentation de la plus-value et de la quantité absolue de profit, bien que le capital variable diminue relativement au capital constant.

L'accroissement de la productivité du travail social, l'intervention décroissante du capital variable dans le capital total, l'accumulation de capital, base du développement continu de la productivité et de la décroissance relative du capital variable, marchent donc de pair, à part des oscillations transitoires, avec l'extension continue de la force de travail mise en œuvre et l'accroissement de la valeur absolue de la plus-value et du profit.

Quelle forme devra revêtir cette double loi de la diminution du taux et de l'augmentation absolue du profit, se présentant simultanément et résultant des mêmes causes, en admettant, ainsi que nous l'avons fait, que la quantité de surtravail (plus-value) appropriée augmente et qu'au point de vue du capital total (ou d'un capital isolé considéré comme une fraction du capital total) le profit et la plus-value soient identiques ?

Considérons un capital de 100, ayant la composition du capital social moyen, soit, par ex., 80 c + 20 v. Nous avons vu, dans la deuxième partie de ce volume, que le taux moyen du profit dépend, non de la composition particulière du capital d'une branche de production, mais de la composition moyenne du capital social. Nous avons vu également que si dans un capital de 100 le capital variable diminue relativement au capital constant, le taux du profit baisse, lorsque le degré d'exploitation du travail augmente ou reste invariable et qu'en même temps diminue la grandeur relative de la plus-value, c'est-à-dire son importance par rapport au capital total de 100. Et non seulement il y a diminution de la grandeur relative de la plus-value, mais également de sa grandeur absolue et du profit tombant en partage à ce capital de 100. Le taux de la plus-value étant de 100 %, un capital 60 c + 40 v produit 40 de plus-value, un capital 70 c + 30 v en donne 30 et un capital 80 c + 20 v en fournit 20. La plus-value décroît d'un capital à l'autre, parce que pour un même capital de 100 le travail vivant mis en œuvre va en décroissant et que par conséquent le surtravail, le degré d'exploitation étant le même, suit la même régression. Dans toute partie aliquote du capital social (du capital de composition moyenne) prise comme base pour la détermination de la plus-value - et c'est ainsi qu'on calcule toujours le profit - la baisse relative de la plus-value coïncide avec sa baisse absolue. Dans nos exemples, les taux du profit doivent être respectivement de 40 %, de 30 % et de 20 %, parce que les quantités absolues de plus-value et par suite de profit sont respectivement de 40, de 30 et de 20, et que ces quantités sont produites par un même capital de 100. Cette régression du taux du profit résulte, ainsi que nous l'avons démontré, de ce que nous avons considéré des capitaux à des stades différents du développement de la production capitaliste.

Les mêmes causes qui déterminent, pour un capital donné, une diminution absolue de la plus value et du profit et par conséquent une baisse du taux du profit, entraînent une augmentation de la quantité de plus-value et de profit appropriée par le capital social (c'est à-dire par l'ensemble des capitalistes). Comment cela petit-il et doit-il se produire ? Qu'y a-t-il au fond de cette apparente contradiction ?

Si une partie aliquote = 100 du capital social (un capital de 100 ayant la composition sociale moyenne) est une grandeur donnée et si par conséquent pour elle une diminution du taux du profit correspond à une diminution absolue de ce dernier, il n'en est pas de même du capital total de la société, ni du capital d'un capitaliste quelconque, qui sont au contraire des grandeurs variables et qui, d'après ce que nous avons admis, doivent varier en raison inverse de la diminution du capital variable qui en fait partie.

Dans l'exemple précédent, le capital 60 c + 40 v produisait 40 de plus-value ou de profit, d'où un taux de profit de 40 %. Si le capital total de la société correspondant à cette composition moyenne avait été d'un million, la plus-value et le profit se seraient élevés à 400.000. Plus tard la composition s'est modifiée et est devenue 80 c + 20 v; comme le degré d'exploitation du travail est resté le même, la plus-value on le profit n'a plus été que de 20 par 100 de capital. Mais nous avons démontré que la quantité absolue de plus-value augmente malgré la diminution du taux du profit. Supposons donc qu'au lieu d'être de 400.000 elle se soit élevée à 440.000. Il ne pourra en être ainsi que pour autant que le capital total ait été l'objet d'une augmentation correspondante et qu'il soit devenu 2.200.000. Le capital total aura par conséquent augmenté de 220 %, pendant que le taux du profit baissait de 50 %. Si le capital s'était simplement dédoublé, il n'aurait produit, au taux de 20 %, que la plus-value et le profit donnés par l'ancien capital exploité au taux de 40 %. S'il avait augmenté de moins du double, il aurait produit moins de plus-value et de profit que le capital de 1.000.000 qui, en conservant sa composition, n'aurait dû passer de 1.000.000 qu'à 1.100.000 pour donner 440.000 de plus-value au lieu de 400.000.

Nous retrouvons ici la loi que nous avons développée précédemment, en vertu de laquelle une diminution relative du capital variable, c'est-à-dire une augmentation de la productivité du travail social, a pour condition une augmentation continue du capital total, la quantité de force de travail restant constante. A mesure que s'étend la production capitaliste, se marque la possibilité de l'existence d'une population ouvrière relativement surabondante, résultant non d'une diminution mais d'une augmentation de la productivité du travail, non d'une disproportion entre le travail et les subsistances ou les moyens de les produire, mais d'une disproportion entre l'accroissement progressif du capital et de la diminution relative de sa demande d'ouvriers.

Lorsque le taux du profit tombe de 50 %, la quantité de profit ne peut être maintenue que pour autant que le capital soit doublé; car elle ne peut rester constante lorsque le taux du profit diminue que pour autant que le capital augmente en raison directe de la baisse du taux. Lorsque le taux du profit tombe de 40 à 20, le capital total doit augmenter de 20 à 40 pour que la quantité de profit reste la même; de même lorsque le taux du profit tombe de 40 à 8, le capital doit augmenter de 8 à 40. Un capital de 1.000.000 à 40 % et un capital de 5.000.000 à 8 % donnent tous les deux 400.000. La quantité de profit ne pourrait augmenter que si le capital s'accroissait plus que proportionnellement à la baisse du taux du profit, ce qui revient à dire que le capital variable, tout en intervenant pour une part plus petite dans le capital total, ne peut augmenter d'une manière absolue que pour autant que le capital total subisse une augmentation relative plus considérable que la diminution relative du capital variable -, cette augmentation du capital total doit être telle que la fraction de sa composition nouvelle affectée à l'achat de la force de travail soit plus grande que l'ancien capital variable. Un capital total de 100 dans lequel le capital variable tombe de 40 à 20, doit atteindre une valeur supérieure à 200 pour pouvoir employer plus de 40 comme capital variable.

Si même la population ouvrière restait constante et que seules la longueur et l'intensité de la journée de travail augmentaient, le capital total devrait s'accroître; car il doit déjà le faire pour employer l'ancienne quantité de travail dans les anciennes conditions, lorsque sa composition change.

En régime capitaliste, le progrès de la productivité du travail se traduit donc par une tendance à la baisse du taux du profit et par l'augmentation de la quantité absolue de plus-value et de profit, de telle sorte que le capital variable et le profit augmentent en valeur absolue pendant qu'ils diminuent en valeur relative. Ce double effet ne peut se manifester, ainsi que nous l'avons dit, que pour autant que l'accroissement du capital total soit plus rapide que la baisse du taux du profit. Un capital variable devenu plus grand ne peut fonctionner avec un capital total dont la composition a atteint un degré plus élevé ou qui comporte un capital constant agrandi, que pour autant que la grandeur du capital total se soit accrue plus que proportionnellement au progrès de sa composition. Il s'ensuit qu'à mesure que la production capitaliste se développe, le capital nécessaire pour mettre en œuvre une force de travail déterminée devient plus considérable; c'est pour cette raison qu'en régime capitaliste, les progrès de la productivité du travail entraînent nécessairement l'existence permanente d'une surpopulation ouvrière apparente. Si au lieu d'intervenir pour la moitié, comme dans notre hypothèse précédente, le capital variable n'intervient plus que pour 1/6 dans le capital total, il faudra, pour que la même force de travail soit mise en œuvre, que le capital total soit triplé et il devra être sextuplé si l'on veut qu'il occupe deux fois plus de travail.

Ne parvenant pas à trouver une explication de la loi de la baisse du taux du profit, l'Économie politique s'est consolée en invoquant l'accroissement absolu du profit, tant pour le capitaliste isolé que pour le capital de la société; elle n'a mis en avant que des probabilités et des lieux communs vulgaires.

Dire que le profit a pour facteurs le taux du profit d'une part et la grandeur du capital d'autre part, c'est énoncer une tautologie. Dire ensuite qu'il est possible que le profit augmente, alors que le taux du profit diminue, n'avance guère, car il est tout aussi possible que le capital s'accroisse sans que le profit augmente et même lorsqu'il diminue. 100 à 25 % donnent 25 tandis que 400 à 5 % ne donnent que 20 [1]. Mais si l'on considère que les mêmes causes qui font baisser le taux du profit accélèrent l'accumulation, c'est-à-dire la formation de capitaux nouveaux, et que chaque capital nouveau met en œuvre de nouvelles quantités de travail et augmente la production de plus-value; si, d'autre part, on tient compte de ce que toute baisse du taux du profit implique un accroissement du capital constant et par conséquent du capital total, le procès cesse d'être mystérieux, On verra plus tard comment on fausse intentionnellement les calculs Pour cacher les augmentations absolues du profit coïncidant avec des diminutions du taux du profit.

Nous avons montré que les mêmes causes qui tendent à faire baisser le taux général du profit, déterminent une accélération de l'accumulation de capital et, par conséquent, un accroissement de la quantité absolue de surtravail (de plus-value, de profit). De même que tout parait renversé dans la concurrence, ou plus exactement dans la conscience des agents de la concurrence de même les facteurs qui, selon cette loi, sont en concordance, semblent en apparence être en contradiction. Il est manifeste que, dans les conditions énoncées plus haut, un capitaliste disposant d'un grand capital doit réaliser plus de profit qu'un petit capitaliste, dont les profits sont élevés en apparence. L'observation la plus superficielle montre en outre que dans certaines circonstances le grand capitaliste tire parti de cette situation et réduit intentionnellement le taux de son profit, en temps de crise par exemple, pour se tailler de la place sur le marché et en expulser les petits. C'est avant tout le capital commercial, dont nous nous occuperons plus loin en détail, qui présente ces phénomènes, qui font apparaître la baisse du profit comme une conséquence de l'agrandissement de l'entreprise et du capital; nous donnerons plus tard l'expression scientifique véritable de cette fausse conception.

On en arrive à des conclusions tout aussi superficielles lorsque l'on compare les taux de profit dans différentes branches d'affaires, soumises les unes à la libre concurrence, les autres au monopole. Toute la vulgarité de pensée des agents de la concurrence se retrouve chez notre Roscher, lorsqu'il dit que la réduction du taux du profit est « plus humaine et plus sage ». La baisse du taux du profit apparaît ici comme une conséquence de l'augmentation du capital et du calcul du capitaliste, attendant de cette baisse une augmentation de la valeur absolue de son profit. Chez tous, sauf chez A. Smith dont nous parlerons plus loin, ces idées ont pour base une ignorance complète de la nature du taux général du profit et cette conception bizarre que les prix sont faits en réalité par l'addition d'un profit plus ou moins arbitraire à la valeur réelle des marchandises. Quelles que singulières que soient ces idées, elles résultent cependant nécessairement de l'interversion apparente que la concurrence communique aux lois immanentes de la production capitaliste.


La loi en vertu de laquelle la baisse du taux du profit provoquée par le développement de la productivité est accompagnée d'une augmentation absolue du profit, a également pour conséquence que toute baisse des prix des marchandises issues de la production capitaliste ne va pas sans une augmentation relative des profits qui y sont contenus et qui sont réalisés par leur vente.

Par suite du développement de la force productive et des progrès correspondants de la composition du capital, une quantité de plus en plus grande de moyens de production est mise en œuvre par une quantité de plus en plus petite de travail; il en résulte que chaque fraction du produit total, chaque marchandise absorbe moins de travail vivant et contient moins de travail matérialisé, que l'on considère ce dernier comme provenant de l'usure du capital fixe ou qu'on l'envisage comme provenant des matières premières et auxiliaires mises en œuvre. Chaque marchandise contenant ainsi moins de travail passé (fourni par les moyens de production) et moins de travail présent (vivant), son prix diminue nécessairement. Cependant la quantité de profit qu'elle représente peut augmenter, et il suffit pour cela que le taux de la plus-value absolue ou relative augmente; la marchandise contiendra, il est vrai, moins de travail nouveau, mais la fraction non payée de celui-ci aura augmenté par rapport à la fraction payée. Pareille conséquence ne se constate cependant que dans certaines limites. En effet, la diminution - cette diminution s'accentue de plus en plus à mesure que la production se développe - de la quantité de travail vivant incorporé à chaque marchandise est accompagnée d'une diminution de la quantité de travail non payé, quel que soit l'accroissement de cette dernière relativement à la quantité de travail payé. Sous l'action des progrès de la productivité du travail, le profit correspondant à chaque marchandise diminue considérablement malgré l'accroissement du taux de la plus-value; et cette diminution (de même que la baisse du taux du profit) n'est ralentie que par la dépréciation des éléments du capital constant et l'action des autres facteurs, dont nous nous sommes occupés dans la première partie de ce volume, qui poussent à l'accroissement du taux du profit alors que le taux de la plus-value reste constant ou même est en décroissance.

Dire que le prix des marchandises dont l'ensemble constitue le produit total diminue, c'est dire qu'une même quantité de travail est incorporée à une quantité plus grande de marchandises ou que chaque marchandise prise isolément contient moins de travail qu'auparavant; ce cas se présente même lorsque le prix d'une partie seulement du capital constant augmente, par exemple, le prix des matières premières. A part quelques exceptions (comme lorsque la production du travail diminue dans une même mesure tous les éléments du capital constant et du capital variable), le taux du profit baisse malgré l'élévation du taux de la plus-value :

  1. lorsque le travail vivant nécessaire étant devenu moindre, la fraction non payée de ce travail, bien que représentant une partie plus considérable de ce dernier, est plus petite qu'auparavant;
  2. lorsque le capital ayant atteint une composition plus élevée, ce progrès a pour conséquence de faire diminuer, dans chaque marchandise, la fraction de la valeur représentant le travail vivant par rapport à l'autre fraction représentant les matières premières, les matières auxiliaires et l'usure du capital fixe.

Cette modification du rapport des éléments du prix de chaque marchandise exprime une diminution du capital variable par rapport au capital constant, et comme cette diminution est absolue pour une quantité donnée (100 par exemple) de capital, elle est aussi absolue pour toute marchandise considérée comme une fraction du capital reproduit. Cependant, si l'on calculait le taux du profit d'après les éléments des prix de chaque marchandise prise isolément, on s'écarterait sensiblement du taux réel et cela pour la raison suivante :

Le taux du profit est calculé d'après la totalité du capital employé, mais seulement pour une période déterminée, qui est d'un an en pratique; il est égal au quotient, rapporté à 100, de la plus-value (du profit) réalisée en un an divisée par le capital total. Il n'est donc pas nécessairement égal au taux qui serait calculé, non pour un an, mais pour une période de rotation; les deux taux ne sont égaux que lorsque la période de rotation est exactement d'un an.

Le profit réalisé pendant un an est la somme des profits pendant cette année sur les marchandises produites et vendues. Si nous calculons le profit par rapport au prix de revient, nous trouvons que le taux est exprimé par p / K, expression dans laquelle p représente le profit réalisé pendant l'année et K la somme des prix de revient des marchandises produites et vendues pendant la même période. Il saute aux yeux que le taux p / K ne peut-être égal à p / C, le taux réel du profit (le profit total divisé par le capital total), que pour autant que l'on ait K = C, c'est-à-dire que le capital fasse une rotation par an.

Considérons un capital industriel dans trois situations différentes :

  1. Un capital de 8000 £ produit et vend annuellement 5000 pièces de marchandises, à raison de 30 sh. la pièce; d'où une rotation annuelle 7500 £. Le profit sur chaque pièce étant de 10 sh. (soit 2500 £ sur les 5000 pièces produites en une année), chaque pièce contient 20 sh. de capital et 10 sh. de profit, ce qui conduit à un taux de profit de 10/20 = 50 %. La somme de 7500 £, en rotation pendant une année, se décompose en 5000 £ de capital et 2500 £ de profit, d'où pour la rotation, un taux  p / K du profit s'élevant également à 50 %. Par contre le taux de profit  p / C calculé sur le capital total est de 2500 / 8000 = 31 ¼ %.
  2. Le capital est maintenant de 10.000 £ et par suite d'une productivité plus grande du travail, il produit annuel­lement 10.000 pièces, au prix de revient de 20 sh.; il les vend à 24 sh., faisant un profit de 4 sh. par pièce. Le prix du produit annuel est donc de 12.000 £, dont 10.000 de capi­tal et 2000 de profit. Le profit p / K est maintenant de 4 / 20 = 20 % par pièce et de 2000 / 10 000, c'est-à-dire également de 20 %, pour la rotation annuelle; et comme le capital total (10.000 £) est égal à la somme des prix de revient, p / C, le véritable taux du profit est également de 20 %.
  3. La productivité croissante du travail a entraîné une augmentation du capital; celui-ci s'élève maintenant à 15.000 £ et produit annuellement 30.000 pièces, au prix de revient de 13 sh. Ces pièces sont vendues avec 2 sh. de profit, soit à 15 sh. La rotation annuelle est donc de 30.000 x 16 sh. = 225.000 dont 19.500 de capital et 3000 de profit, et nous avons : p / K = 2 /13 = 3 000 / 19 000 = 15 5/13 %, p / C = 3 000 / 15 000 = 20%.

Nous voyons donc que c'est uniquement dans le cas II, où le capital en rotation est égal au capital total, que le taux du profit par pièce ou par rotation est le même que le taux calculé d'après le capital total. Dans le cas I, où la somme en rotation est plus petite que le capital total, le taux du profit calculé par rapport au prix de revient est plus élevé, et dans le cas III, où le capital total est plus petit que la somme en rotation, ce taux est plus bas que le véritable taux du profit calculé par rapport au capital total. Il en est ainsi d'une manière générale.

Dans la pratique commerciale, la rotation est souvent calculée inexactement. On admet que le capital a fait une rotation dès que la somme des prix des marchandises vendues est égale au capital avancé; cependant le capital n'a fait une rotation complète que lorsque la somme des prix de revient des marchandises vendues est égale au capital avancé. - F. E.]

Nous voyons ici une fois de plus combien il est important, dans la production capitaliste, de considérer une marchandise ou le produit d'une période, non pas isolément comme une simple marchandise, mais comme un produit en rapport à la fois avec un capital qui a été avancé pour l'obtenir et avec le capital total de la branche de production à laquelle il appartient.

Bien que le taux du profit doive être calculé en rapportant la plus-value réalisée, non à la partie de capital qui a été consommée et qui réapparaît dans la marchandise, mais à cette partie augmentée de celle qui a été employée sans être consommée et qui, pour cette raison, continue à fonctionner dans la production, il n'est pas moins vrai que la quantité du profit ne peut être égale qu'à la plus-value contenue dans la marchandise et réalisée par la vente.

Lorsque la productivité de l'industrie s'accroît, le prix des marchandises tombe; elles contiennent moins de travail payé et non payé. Si, par exemple, le même travail fabrique trois fois plus de produits, chaque marchandise contient ⅔ de travail en moins et, comme le profit est une fraction du travail contenu dans la marchandise, il doit diminuer par unité de marchandise, même, du moins dans certaines limites, lorsque le taux de la plus-value augmente. Dans tous les cas, le profit sur le produit total ne tombe pas au-dessous de son quantum originaire aussi longtemps que le capital emploie le même nombre d'ouvriers, exploités au même degré. (Le même résultat est obtenu quand on emploie moins d'ouvriers exploités à un degré plus élevé.) En effet, la quantité des produits augmente dans la même proportion que tombe le profit par unité de produit. Ce profit resté le même se répartit maintenant autrement sur les marchandises, ce qui ne change rien à la répartition, entre ouvriers et capitalistes, de la valeur ajoutée par le travail vivant. La somme de profit ne peut augmenter que si le surtravail non payé augmente, la quantité de travail restant la même, ou si le nombre des ouvriers devient plus considérable, le degré d'exploitation du travail restant invariable, ou par ces deux causes à la fois. Dans tous ces cas - qui, selon notre hypothèse, supposent l'accroissement du capital constant par rapport au capital variable et l'accroissement du capital total - chaque marchandise contient moins de profit et le taux du profit baisse même par marchandise; un même quantum de travail correspond à une quantité plus grande de marchandise et chaque marchandise coûte moins cher. Considérée d'une manière abstraite, la baisse du prix de la marchandise par suite d'une augmentation de la productivité (qui entraîne une augmentation de la quantité de marchandise, celle-ci étant moins chère) peut ne pas affecter le taux du profit. Il suffit, par exemple, que l'augmentation de la productivité agisse également et simultanément sur tous les éléments de la marchandise, de manière à faire baisser le prix de celle-ci en raison directe de l'augmentation de la productivité du travail, et que le rapport entre les éléments de la marchandise reste le même. Le taux du profit pourrait même hausser, si l'élévation du taux de la plus-value était accompagnée d'une dépréciation considérable des éléments du capital constant et surtout du capital fixe; cette hausse ne se maintiendrait pas cependant et disparaî­trait à la longue. Dans aucun cas, la baisse du prix d'une marchandise ne permet à elle seule de formuler un conclu­sion quant au mouvement du taux du profit; car tout dépend de l'importance du capital qui est engagé dans la production. Supposons que le prix d'une aune de tissu tombe de 3 sh. à 1 ⅔ sh., et que l'on sache que le prix, qui avant la baisse était composé de 1 ⅔ sh. de capital constant (fil, etc.), ⅔ sh. de salaire et ⅔ sh. de profit, comprenne après celle-ci 1 sh. de capital constant, ⅓ de sh de salaire et ⅓ sh. de profit. Rien ne permettra de conclure à une variation ou au maintien du taux du profit; pour pouvoir le faire, on devrait savoir si et de combien le capital total a augmenté et combien d'aunes il produit en plus dans le même temps.

Cette action de la productivité du travail, résultant de la nature même de la production capitaliste, qui fait tomber le prix des marchandises en en accroissant la quantité, baisser le profit pour chaque marchandise et le taux du profit pour l'ensemble tout en en augmentant la somme totale, se manifeste à la surface uniquement par la réduction du profit par marchandise, la baisse des prix et l'augmentation du profit sur l'ensemble (augmenté) des produits. Aussi le vulgaire se figure-t-il que c'est par un simple acte de volonté que le capitaliste prend moins de profit sur chaque marchandise et se dédommage en en produisant un plus grand nombre; d'où également la théorie du profit upon alienation (profit par la vente), que l'observation du capital commercial a fait naître.

Nous avons vu précédemment, dans les quatrième et septième parties du premier volume, que la productivité croissante du travail, en augmentant la quantité et en diminuant le prix des marchandises, n'affecte pas le rapport entre le travail payé et le travail non payé entrant dans un produit, sauf lorsqu'il s'agit de marchandises jouant un rôle décisif dans le prix de la force de travail.

Comme dans la concurrence tout apparaît à rebours, le capitaliste peut s'imaginer :

  1. qu'en diminuant les prix, il réduit son profit par unité de marchandise, mais qu'il augmente son profit total en vendant plus de marchandises;
  2. qu'il fixe lui-même le prix de chaque marchandise et obtient par une simple multiplication le prix du produit total, alorsque les faits se suivent dans un ordre inverse, c'est-à-dire que la première opération est une division (vol.1, chap. XII, p. 137) et que la multiplication, qui arrive seulement en second lieu, n'est exacte que si elle a cette division pour base.

Quant à l'économiste vulgaire, il ne fait rien d'autre que de traduire en un langage en apparence plus théorique et plus général, les idées bizarres des capitalistes engagés dans la concurrence et de s'éreinter pour donner à ses propositions une structure scientifique.

En réalité, la baisse des prix, accompagnée de l'accroissement du profit à mesure que les marchandises deviennent moins chères et plus abondantes, n'est qu'une autre expression de la loi de la baisse du taux du profit se produisant concurremment avec une augmentation de la quantité de profit. Nous n'avons pas plus à rechercher ici jusqu'à quel point la baisse du taux du profit peut marcher de pair avec une hausse des prix que nous n'avons eu à le faire dans le vol. 1, p. 137 à propos de la plus-value relative. Le capitaliste qui applique des méthodes de production perfectionnées et non encore généralisées, vend. au-dessous du prix du marché et au-dessus de son coût de production, et profite d'un taux de profit plus élevé jusqu'à ce que la concurrence ramène ce dernier au niveau commun. Mais pendant qu'il est ramené à la période de l'égalité des taux de profit, il a donné plus d'importance à son capital engagé, et suivant la, mesure de cet accroissement, il est à même d'utiliser soit le même nombre, soit plus d'ouvriers qu'avec l'ancienne méthode et de produire une quantité de profit égale ou plus grande.


Notes

[1] « On serait ainsi porté à croire que, quelle que soit la diminution des profits du capital occasionné par l'accumulation des capitaux consacrés à la terre et par la hausse des salaires, la somme totale des profits doit cependant augmenter. Supposons que par l'accumulation renouvelée souvent d'un capital de 100.000 £, le taux des profits tombe successivement de 20 à 19, à 18, à 17 pour cent, toujours en diminuant, on croirait que la somme totale des profits retirés par les possesseurs de ces capitaux successifs, doit toujours être progressive, et qu'elle sera plus forte lorsque le capital est de 200.000 £ que quand il n'est que de 100.000 £, et plus forte encore quand il est de 300.000 £, en continuant ainsi à augmenter, quoique dans une proportion moindre, par suite de toute nouvelle augmentation de capital. Cette progression, cependant, n'est exacte que pendant un certain temps; car 19 pour cent sur 200.000 £ sont plus que 20 pour cent sur 100.000 £; et 18 pour cent sur 300.000 £, sont plus que 19 pour cent sur 200.000 £. Mais lorsqu'une grande somme de capital a été déjà accumulée et que les profits ont baissé, une nouvelle accumulation diminue la somme totale des profits. Supposons, par exemple, que l'accumulation soit de 1.000.000 et les profits de 7 pour cent, la totalité des profits montera à 70.000 £ qu'on ajoute ensuite à ce million un capital de 100.000 £, et que les profits baissent à 6 pour cent, les capitalistes ne recevront plus que 66.000 £, c'est-à-dire 4.000 £ de moins, quoique le capital se trouve porté de 1.000.000 £ à 1.100.000 £ » (Ricardo, Principes de l'Economie politique, Chap. VII, dans les œuvres complètes, Edition Guillaumin, 1847, p. 95 et 96).

En effet, Ricardo admet ici que le capital augmente de 4.000.000 à 4.106.000 c'est-à-dire de 10 %, tandis que le taux du profit tombe de 7 à 6, c'est-à-dire de 14 2/7 %. Hinc illae lacrimae.(« D'où ces larmes » - N.R.)


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