1978
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"Le titre du livre synthétise ma position :
à la place de la démocratie socialiste et de la dictature du prolétariat du SU, je suis revenu aux sources, ai tenté de faire revivre la vieille formule marxiste, tant de fois reprise par Trotsky, de dictature révolutionnaire. Dit d'une autre manière, une dictature pour développer la révolution, et non pour produire de la "démocratie socialiste" immédiatement."
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Nahuel Moreno
La dictature révolutionnaire du prolétariat
III. Démocratie bourgeoise ou
démocratie ouvrière ?
9. Démocratie bourgeoise et démocratie ouvrière dans le
révolution européenne.
La fausse identité qu'établit la majorité du SU entre la dictature du
prolétariat et la démocratie la plus absolue, ne fait pas que déterminer les
caractéristiques tout à fait particulières dont sera dotée sa dictature; le
principal auteur de la résolution ébauche aussi une conception du processus
révolutionnaire, qui n'a rien à voir avec le trotskysme, mais assurément
beaucoup avec l'ultra-gauchisme, autre face de leur révisionisme.
Pour commencer, il suppose le processus
révolutionnaire, au moins en Europe, constitué par une lutte propagandiste,
ou un "débat", entre la démocratie bourgeoise et la démocratie ouvrière. Du
nom du gagnant dépend le sort de la révolution. "La pratique
(souligné dans l'original) de la démocratie prolétarienne débordant les
limites de la démocratie bourgeoise doit devenir une pratique vécue par des
milliers et des milliers de travailleurs, par des secteurs suffisants de la
classe ouvrière. Cela nous ramène une fois de plus à la question de la durée
(souligné dans l'orignal) de la période de dualité de pouvoir. A la lumière
de l'expérience historique, ce qui s'est passé en Russie doit être considéré
comme exceptionnel. Une période de six ou sept mois est beaucoup trop
courte pour un prolétariat comme celui de l'Europe occidentale pour pouvoir
se dégager progressivement de cette légitimité de la démocratie bourgeoise,
pour assimiler la nouvelle légitimité, supérieure, de la démocratie
prolétarienne. Vraisemblablement, nous aurions besoin d'une période
plus longue de dualité de pouvoir, de l'ordre de plusieurs années, et qui
sera peut être interrompue, qui ne sera pas linéaire, qui sera partielle.
(...) ..." les problèmes de la démocratie, ou bien bourgeoise,
ou bien prolétarienne, c'est-à-dire le problème de l'Etat... (...) A
travers ce biais là, les travailleurs qui font leur apprentissage de
ce genre de contrôle ouvrier, qui se heurtent à chaque pas à l'autorité de
l'Etat bourgeois, et au caractère restrictif et répressif de l'Etat
bourgeois-démocratique même quand il est gouverné par des partis ouvriers,
ces travailleurs peuvent faire l'expérience des limites, et donc du
déclin de légitimité de cette démocratie bourgeoise. (Mandel, 1976)
[16]. Et pour conclure, voici comment Mandel voit l'avenir révolutionnaire de
l'Europe : "Dans une situation révolutionnaire, il faut faire comprendre aux
travailleurs que le débat réel n'est pas un débat entre la démocratie et la
dictature, mais entre le caractère limité et répressif de la démocratie
bourgeoise, et l'extension des libertés démocratiques par l'initiative et
l'autorité des masses. Une fois qu'on a gagné ce débat-là, la rupture
des masses avec les institutions bourgeoises n'est plus une question aussi
difficile et aussi irréalisable qu'on ne le pense à première vue." (Idem) [17]. Nous, archéo-trotskystes, pensons que la
réalité objective liquidera toutes les espérances démocratiques-bourgeoises-
des masses, et que tant que la réalité objective n'a pas encore détruit ces
espérances, aucun effet de démonstration n'est valable. Tant que les
travailleurs européens ne connaîtront pas de brutale crise économique, le
chômage, une inflation annuelle de 100 à 150%, l'apparition de bandes
fascistes, des coups d'état bonapartistes et fascistes, leurs illusions
démocratiques-bourgeoises ne disparaîtront pas. Rien ni personne ne peut les
détruire. Nous ne croyons pas pour autant à la survie pendant une longue
période de dualité de pouvoir, ni à un débat durant des années entre la
démocratie bourgeoise et la démocratie prolétarienne, mais tout à fait au
contraire. Pas de longues périodes de dualité de pouvoir, mais des périodes
très courtes, dans la mesure où la bourgeoisie ne peut survivre longtemps
dors une telle situation, et pas non plus de "débordement" de la démocratie
bourgeoise. Nous persistons à croire que dans toute situation révolutionnaire
la démocratie bourgeoise est court-circuitée. Dans ces situations,
l'alternative est : dictature directement contre-révolutionnaire
de la bourgeoisie, ou bien dictature, et non démocratie, révolutionnaire de
la classe ouvrière. Et ces deux dictatures s'affronteront les armes à la main
avant, pendant et immédiatement après la révolution ouvrière.
C'est Pourquoi le raisonnement que fait le SU, selon lequel la situation
révolutionnaire ouvrira la possibilité d'une lutte entre la démocratie
ouvrière et la démocratie bourgeoise pour savoir qui convainc, qui gagne les
masses dans le cadre du "débat" pour savoir laquelle, de ces deux
"démocraties", est la plus légitime, - est un raisonnement
schématique -. Nous pensons que nous sommes également en
présence d'un accès normatif et institutionnaliste, qui consiste à soutenir
que le processus révolutionnaire se déroulera sous la forme d'une dispute
propagandiste entre deux types d'institutions ou de mécanismes démocratiques,
sans voir la liaison des deux institutions, sans voir comment elles peuvent
être combinées dans le processus révolutionnaire. Par exemple, si le
véritable grand danger avant la prise du pouvoir est la contre-révolution
impérialiste, les attaques des bandes armées et les tentatives militaires et
semi-fascistes, les révolutionnaires ne pourront prendre comme axe de leur
activité le développement d'une polémique pour savoir quelle démocratie est
la meilleure. Ils se consacreront fondamentalement à la défense de la
démocratie bourgeoise si les masses, dirigées par le stalinisme et la
social-démocratie, continuent à croire en ces partis, mais ils le feront de
manière dynamique, révolutionnaire. Cette séparation entre les deux types
d'institutions n'existe pas du point de vue de la mobilisation ouvrière. Il
est tout à fait possible que pendant toute une période du processus
révolutionnaire, la défense de la démocratie bourgeoise, précisément à cause
des préjugés démocratiques-bourgeois des masses européennes, soit un mot
d'ordre important, de par ses effets transitoires, si la contre-révolution
impérialiste devient le danger le plus immédiat. Il peut également ne pas en
être ainsi. Tout dépend de la réalité objective. Il est très possible que
nous puissions mener l'affrontement à la contre-révolution, aux coups d'état
et aux bandes fascistes, au nom de la dictature du prolétariat et des organes
ouvriers dominants dans les états européens. Mais du fait de l'extrême
faiblesse de nos forces et de la force du stalinisme et de la
social-démocratie, nous ne croyons pas que c'est sous cette forme que se
dérouleront les premières révolutions européennes. A notre avis, il serait
ridicule de continuer cette polémique entre démocratie ouvrière et démocratie
bourgeoise plutôt que de proposer un front unique pour la défense de ce que
veulent les masses, mais cela au travers de leur armement et de la
mobilisation ouvrière. La démocratie ouvrière et la démocratie bourgeoise
peuvent alors parfaitement se combiner, et non pas s'opposer en un débat
permanent. Le véritable débat entre les réformistes et les révolutionnaires
ne portera pas sur les vertus dans l'abstrait de ces deux démocraties, mais
très probablement sur le fait de savoir si, pour défendre les croyances
démocratiques-bourgeoises de la grande majorité de la classe ouvrière, nous
utilisons la mobilisation et l'armement du prolétariat ou bien des méthodes
de collaboration de classe. La véritable polémique avec les
sociaux-démocrates et les bureaucrates opportunistes, portera sur les
méthodes. C'est très important, parce que si nous n'agissons pas de cette
manière, nous courons le risque de transformer le processus vivant de la
lutte de classes en une discussion académique à propos de schémas
démocratiques.
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