1978
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"Le titre du livre synthétise ma position :
à la place de la démocratie socialiste et de la dictature du prolétariat du SU, je suis revenu aux sources, ai tenté de faire revivre la vieille formule marxiste, tant de fois reprise par Trotsky, de dictature révolutionnaire. Dit d'une autre manière, une dictature pour développer la révolution, et non pour produire de la "démocratie socialiste" immédiatement."
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Nahuel Moreno
La dictature révolutionnaire du prolétariat
V. Le fétichisme
soviétique.
3. Trotsky et l'avenir des soviets en URSS.
Pendant les dernières années de sa vie, et fondamentalement dans le
Programme de Transition et les articles élaborés autour de sa discussion,
Trotsky ne fit que réaffirmer cette définition des soviets, aussi bien pour
avant que pour après la prise du pouvoir. Cela devient particulièrement
manifeste quant il nous parle de ce que devra être l'avenir des soviets en
URSS pour revenir à la dictature révolutionnaire des premières années et en
finir avec la dégénérescence bureaucratique.
Ainsi comme avant la prise du pouvoir, la formation
des soviets est conditionnée par l'existence d'une situation clairement
révolutionnaire, "seul le soulèvement révolutionnaire victorieux des masses
opprimées (en URSS) peut régénérer le système soviétique." (Trotsky, 1938)
[11]. Et que devraient être ces soviets ?
Comment seront-ils constitués ? "Il faut rendre aux
soviets non seulement leur libre forme démocratique, mais aussi leur contenu
de classe. De même qu'auparavant la bourgeoisie et les koulaks
n'étaient pas admis dans les soviets, de même maintenant la
bureaucratie et la nouvelle aristocratie doivent être chassées des
Soviets. (souligné dans l'original). Dans les Soviets, il n'y a place
que pour les représentants des ouvriers, des Kolkhosiens du rang, des
paysans, des soldats rouges." (Idem) [12] qui,
comme il l'affirme avant, sont "dans la lutte".
Trotsky s'est vu sur cette question obligé de
soutenir de nombreuses discussions avec des camarades du mouvement. Une de
ces discussions l'amena à écrire un article élargissant et précisant son
point de vue sur la lutte pour l'expulsion de la bureaucratie et de
l'aristocratie ouvrière des soviets. Un camarade s'élevait contre sa
position, pratiquement dans les mêmes termes que le fait aujourd'hui le
SU : "Il ne semble pas y avoir de raisons politiques valables
pour décider de priver à priori du droit de vote des groupes sociaux entiers
de la société russe d'aujourd'hui. La suppression du droit de vote devrait
être basée sur les actes politiques violents commis par des groupes ou
des individus contre le nouveau pouvoir soviétique." Comme on le voit,
on dirait une phrase extraite de la résolution que nous critiquons
aujourd'hui : on ne pourra restreindre les libertés
démocratiques les plus absolues que pour ceux qui s'engageraient dans des
actions violentes, prouvées, contre le pouvoir soviétique. En cette occasion,
Trotsky critiqua son polémiste en disant que "les raisons invoquées
traduisent une attitude formelle juridique, purement constitutionnelle, sur
une question qui doit être abordée d'un point de vue politique
révolutionnaire. Le problème n'est pas de savoir qui les Soviets priveront du
pouvoir une fois qu'ils seront définitivement établis. Laissons à demain
l'élaboration de la nouvelle Constitution Soviétique. Comment se
débarrasser de la bureaucratie soviétique (souligné dans
l'original)... tel est le véritable problème." "De véritables soviets
d'ouvriers et de paysans ne peuvent apparaître qu'au cours du soulèvement
contre la bureaucratie." "Ce n'est pas une question de "détermination"
constitutionnelle, sur la base de critères juridiques, mais
d'autodétermination véritable de deux camps qui s'affrontent.
(souligné dans l'original). Les soviets ne peuvent apparaître qu'au
cours d'une lutte décisive. Ils seront créés par la couche de travailleurs
qui est entrée dans le mouvement. La signification des soviets réside
précisément dans le fait que leur composition n'est pas déterminée par des
critères formels, mais par la dynamique de la lutte des classes." (Trotsky,
1938) [13].
Trotsky ne pouvait être plus clair. Premièrement, les soviets "priveront
du pouvoir" des secteurs sociaux de la population russe, y compris des
secteurs du mouvement ouvrier, l'aristocratie ouvrière, et en le faisant
seront dans leur droit. Deuxièmement, dans l'avenir également ils "priveront
du pouvoir" des secteurs de la population, bien que nous devions "laisser à
demain l'élaboration de la nouvelle Constitution soviétique". Troisièmement,
"ce n'est pas une question de détermination constitutionnelle" de fixer qui
participe aux soviets, puisque ce ne sont pas tous les travailleurs, mais
"la couche de travailleurs qui est entrée dans le mouvement" qui
y participent, et que ce sont ces secteurs, et ceux-ci seulement, qui
décident quels partis et secteurs sociaux ils légalisent, et lesquels ils
illégalisent. Cette position est identique à celle que nous soutenons :
il n'y a aucun principe marxiste qui oblige à octroyer la légalité la
plus absolue à tous les secteurs et partis ; et encore moins aux
contre-révolutionnaires. Trotsky était pour illégaliser les partis soutenant
la bureaucratie et l'aristocratie ouvrière, et non en faveur de la légalité
pour tous les partis et tous les habitants. Défendre le contraire est tomber,
par rapport aux soviets, dans le fétichisme organisationnel ;
c'est une conception formaliste et juridique. C'est comprendre le
soviet, non comme un organisme pour la lutte et pour ceux qui luttent, mais
comme un appareil de l'administration étatique pour lequel la lutte
révolutionnaire a cessé, comme un kyste où se développera à ses aises la
bureaucratie que l'on dit par ailleurs combattre.
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