1948 |
Traduit de l'allemand par Gérard BILLY 2016 |
Friedrich Engels et le problème des peuples « sans histoire »
Deuxième section : La théorie des nationalités de la Nouvelle Gazette Rhénane
1948
Nations révolutionnaires et nations contre-révolutionnaires
Dans le chapitre sur les Tchèques, nous avons dit que les propos incongrus de Müller-Tellering et d'autres correspondants de la N.G.R. sur les Tchèques, les Croates, les Ukrainiens etc., pouvaient en partie s'expliquer par l'attitude générale de cette publication dans la question des nationalités, que, de ce point de vue, la N.G.R. « n'avait pas volé ses Tellerings ». Examinons maintenant dans quelle mesure ce reproche est justifié par les articles de fond de la N.G.R. consacrés aux nationalités autrichiennes, et quelles conceptions théoriques ont pu conduire à de tels égarements.
Il s'agit des deux articles de Engels que nous avons déjà souvent cités, celui intitulé « Hongrie » et celui intitulé « Le panslavisme démocratique ».
Nous lisons dans ce dernier : « Les panslavistes démocrates, comme on les appelle, étaient confrontés à un dilemme infernal : ou bien renoncer à la révolution et confier à la monarchie impériale globale le soin de sauver au moins partiellement la nationalité, ou bien renoncer à la nationalité et sauver la révolution en laissant se décomposer la monarchie globale. Le sort de la révolution est-européenne dépendait alors de la position prise par les Tchèques et les Slaves du sud. Nous n'oublierons jamais qu'au moment décisif, au nom de leurs petites espérances nationales, ils ont trahi la Révolution et l'ont livrée à Petersbourg et à Olmütz … ! Nous vengerons dans le sang des Slaves cette ignoble et lâche trahison de la Révolution ... » Seule exception, les Polonais : « Parce que la libération de la Pologne est inséparable de la Révolution, parce que Polonais et révolutionnaire sont devenus des synonymes, les Polonais sont aussi assurés de la sympathie de l'Europe entière et de la restauration de leur existence nationale 182 que les Tchèques, les Croates et les Russes sont assurés de la haine de l'Europe entière et d'avoir à s'attendre à la plus sanglante des guerres révolutionnaires dirigée contre eux ... » « Aux phrases ronflantes et sentimentales dont on nous paye sur la fraternité … au nom des nations contre-révolutionnaires d'Europe 183, nous répondons : la haine anti-russe était et est encore la première des passions allemandes ; depuis la Révolution, elle est complétée par la haine anti-tchèque et anti-croate, et nous ne pouvons, en commun avec les Polonais et les Magyars, mettre en sécurité la Révolution que par le terrorisme le plus implacable contre ces peuples slaves ... » C'est pourquoi : « Lutte, 'lutte à mort impitoyable' 184 contre le slavisme traître à la Révolution : guerre totale et terrorisme sans merci – non pas dans l'intérêt de l'Allemagne, mais dans l'intérêt de la Révolution. »
Et Engels conclut l'article « Hongrie » par ces phrases d'une violence provocatrice :
« Mais dès la première insurrection victorieuse du prolétariat français … 185, les Allemands d'Autriche et les Magyars seront libres, et ils prendront une revanche sanglante sur les barbares slaves. La guerre générale qui s'ensuivra alors fera éclater cette ligue slave et fera disparaître jusqu'au nom de toutes ces petites nations obtuses. La guerre universelle à venir effacera de la surface de la terre non seulement les classes réactionnaires et les dynasties, mais aussi des peuples réactionnaires tout entiers. Et ce sera un progrès. »
On ne peut – surtout après les expériences abominables de notre époque – qu'être d'accord avec K. Kautsky, quand il dit que le lecteur reste « pantois » de lire ces phrases sous la plume de Engels, et qu'elles montrent que l'auteur « a, non seulement une vision totalement fausse à bien des égards de la situation réelle, mais aussi, et c'est encore plus ahurissant, qu'il brade les principes sur lesquels est fondé, non seulement le socialisme international, mais aussi la pensée marxiste en particulier 186. » Mais, comme le dit un proverbe russe : « Dans une chanson, chaque mot est indispensable » ; ces phrases ont été écrites, et il ne nous reste plus qu'à nous arranger avec cet état de fait et à y réfléchir. Bien entendu, nous n'avons pas à suivre la critique superficielle de G. Adler 187, reprise 50 ans plus tard par Kautsky 188, qui les interprète dans le sens où Engels aurait prôné ici carrément l'extermination physique des peuples slaves, à l'exception des Polonais. (C'est à notre siècle barbare qu'il devait rester réservé d'énoncer à haute voix et de mettre en œuvre de pareilles bestialités !) Ce que Engels voulait effectivement « effacer de la surface de la terre », c'était les mouvements nationaux slaves, les partis politiques des Tchèques, des Croates, etc. avec leurs cercles dirigeants. Il aurait fallu pratiquer un « terrorisme implacable » à l'encontre de ces derniers. Les peuples eux-mêmes, leurs masses, seraient soumises par les « nations révolutionnaires » victorieuses à un processus de germanisation, de magyarisation, de polonisation (pas précisément pacifique). Naturellement, c'est encore bien assez grave. Il est maintenant clair que les sorties de Müller-Tellering et autres correspondants ne peuvent pas être mises sur leur seul compte particulier, qu'elles faisaient au contraire écho à l'attitude idéologique de la N.G.R. elle-même. Elles exprimaient concrètement, pratiquement, cette « haine anti-slave » que le journal élevait alors au rang de principe … Certes, cette « haine anti-tchèque et anti-croate » que Marx et Engels proclamèrent quand une menace mortelle pesait sur le dernier foyer révolutionnaire d'Europe, la guerre d'indépendance hongroise, était une haine de révolutionnaires contre les mouvements nationaux qui se comportaient en alliés et soutiens de la réaction en Autriche ; certes, ils étaient tous deux persuadés, en raison de la situation générale en Europe (la suprématie du tsarisme russe), et sur la base d'une interprétation très unilatérale de l'histoire de l'Europe Centrale, que les Slaves autrichiens étaient « nécessairement » et seraient en permanence des ennemis de toute révolution et de tout progrès. Cependant, tout cela ne fait qu'expliquer les motifs et la véhémence particulière de leur haine anti-slave, mais sans effacer en rien le fait qu'ils faisaient de peuples entiers l'objet de cette haine et appelaient contre eux à une « guerre d'anéantissement 189 ».
Quelle différence avec la ligne d'action des bolcheviks russes, 70 ans plus tard, quand ceux-ci, sous la direction de Lénine et Trotsky, appelèrent, non pas à une guerre entre les peuples, mais à une guerre de classes, et brandirent dans ce but l'étendard du droit à l'auto-détermination de toutes les nations, même des plus petites … ! Eux aussi, les bolcheviks russes durent se confronter pendant la guerre civile de 1918-1921 à nombre d'États limitrophes qui étaient avant tout des « bastions » et des « avant-postes » de la réaction soutenue par l'étranger, et ils furent même contraints de recourir à la force des armes contre eux. Mais jamais, il ne leur vint à l'esprit de stigmatiser ces peuples limitrophes eux-mêmes comme « réactionnaires par nature », sans parler de les menacer d'une « guerre d'anéantissement » ... 190
Comment expliquer ce contraste éclatant entre le comportement des révolutionnaires allemands de 1848 et celui des révolutionnaires russes de 1917 191 ? C'est que, manifestement, les bolcheviks avaient de solides raisons de compter sur le soutien du prolétariat et de la paysannerie des régions limitrophes, alors que les révolutionnaires allemands de 1848 se croyaient – à tort ou à raison – face à une muraille impénétrable de la réaction à l'est de l'Europe.
Engels écrivait déjà à la veille de la révolution de mars :
« Une révolution allemande est une affaire autrement sérieuse qu'une révolution napolitaine » (janvier-février 1848). « À Naples, il n'y a que l'Autriche et l'Angleterre 192 qui se font face ; dans une révolution allemande, ce sont l'orient tout entier et l'occident tout entier qui se font face. 193 »
L'orient tout entier – c'est-à-dire l'immense empire russe des tsars qui était à l'apogée de sa puissance précisément sous le règne de Nicolas Ier, et aux frontières duquel la révolution de 1848 ne put que marquer le pas. Le tsar russe était la figure de proue de la contre-révolution, le chef effectif des gouvernements réactionnaires d'Europe centrale ; et s'il pouvait l'être, c'est que son empire – en dépit de la guérilla opposant en permanence les paysans malmenés comme des esclaves et la classe des propriétaires fonciers – était encore très éloigné d'une véritable révolution interne. C'est pourquoi le tsarisme représentait une menace mortelle pour tout développement révolutionnaire et tout progrès en Europe, et tout particulièrement dans une Prusse, qui – de l'aveu même de Bismarck – avait dans toutes les constellations européennes de 1831 à 1850 été un État vassal de la Russie. Et si la Russie – quand ce n'aurait été que pour protéger sa quote-part du brigandage polonais – ne pouvait tolérer aucune révolution à ses frontières, inversement, tous les révolutionnaires européens voyaient nécessairement dans une guerre contre la Russie dans laquelle est et ouest se feraient face, la meilleure des garanties, et même la seule garantie protégeant la révolution de l'extérieur.
Engels écrit le 12 août 1848 : « L'Allemagne révolutionnaire ne peut mener qu'une guerre : la guerre contre la Russie. C'est une guerre où elle peut rassembler ses énergies, vaincre ses propres autocrates, une guerre dans laquelle, comme cela convient à un peuple qui secoue les chaînes d'un esclavage trop longtemps toléré, elle paiera la propagation de la civilisation du sacrifice de ses fils et se rendra intérieurement libre en portant la liberté hors de chez elle ... »
Dans cette situation, autrement dit au regard de la menace que le tsarisme faisait peser, il était assurément juste d'opposer « l'occident tout entier » à « l'orient tout entier », la démocratie et la civilisation au despotisme et à la barbarie, et par conséquent de parler d'une « alliance des peuples révolutionnaires contre les peuples contre-révolutionnaires » (dans la mesure où cette dernière expression désignait l'empire russe des tsars). Mais cette conception n'était juste que parce qu'aucune révolution ne s'était produite ni ne pouvait se produire dans l'empire russe lui-même et parce que le tsar disposait de 800 000 moujiks dociles en uniforme. Vue sous cet angle, nous ne pouvons qu'approuver la politique étrangère de la N.G.R. .
Mais qu'en était-il, du même point de vue, des peuples slaves d'une Autriche qui avait été le théâtre d'une révolution victorieuse et où, dans les premiers mois de la Révolution, la réaction et l'absolutisme étaient à terre, épuisés et battus ? Fallait-il considérer de prime abord les Slaves autrichiens eux aussi comme des peuples réactionnaires et les assigner à « l'orient » ? - Engels, en tout cas, semble ne pas avoir été de cet avis quand, en janvier 1848, il évoqua « la liberté slave » pour laquelle « les Allemands devraient dégager le chemin » et quand encore, en août de la même année, - avec pour horizon la guerre contre la Russie - il prit le parti de la « liberté pour la Bohème ». C'est seulement à partir du moment où les partis nationaux slaves passent effectivement dans le camp contre-révolutionnaire, ce qui est un fait accompli avec la chute de Vienne, qu'il change radicalement de position et qu'il proclame également le mot d'ordre d'une alliance des peuples révolutionnaires contre les peuples contre-révolutionnaires 194. La question est de savoir si, d'abord, un tel mot d'ordre, dans la situation telle qu'elle était, après une défaite décisive de la révolution, pouvait encore avoir une quelconque utilité ; et ensuite, s'il répondait à une nécessité objective ou n'était pas plutôt le produit d'une fureur compréhensible au vu du comportement « d'un monde slave qui avait trahi la révolution ». À première vue, la question paraît superflue, les partis slaves étaient de fait de l'autre côté de la barricade 195 et il n'y avait pas lieu d'avoir la moindre indulgence. Mais est-ce que cette défection du « monde slave » était absolument inévitable en toutes circonstances 196, et est-ce qu'on ne pouvait plus rien y faire non plus pour l'avenir ? - Notre question est donc la suivante : Est-ce que la politique des nationalités suivie par la N.G.R., laquelle opposait en Autriche en 1849 « des peuples réactionnaires entiers » à « des peuples révolutionnaires » et construisait toute sa stratégie sur cette prémisse, était justifiée par la situation effective de la révolution autrichienne ? Est-ce que réellement, les peuples slaves d'Autriche étaient économiquement, socialement et culturellement si désespérément arriérés qu'ils ne pouvaient qu'être contre-révolutionnaires pendant la Révolution de 1848/49 ? Ou bien, pour mettre en évidence ce qui est essentiel : est-ce que les masses paysannes de ces peuples étaient condamnées dans tous les cas à rester hostiles à la révolution ?
Poser la question, c'est répondre aussitôt par la négative. Premièrement, les peuples slaves d'Autriche se situaient alors aux degrés les plus divers sur l'échelle du développement (il suffit de comparer les Tchèques aux Croates), et rien n'autorisait à les mettre tous dans le même panier ; et deuxièmement, la paysannerie, même chez les plus arriérés de ces peuples, était dans sa grande majorité en révolte plus ou moins ouverte contre le féodalisme 197 – comme les paysans français à la veille de 1789. Et si cette paysannerie s'est alliée à la réaction et non à la révolution 198, la raison en est sans doute moins son état d'arriération que les œillères de classe de la bourgeoisie allemande d'Autriche et de ses alliés aristocratiques – hongrois et polonais. Les peuples slaves autrichiens de 1848/49 ne peuvent donc guère être qualifiés de contre-révolutionnaires sans espoir, de contre-révolutionnaires « par nature ».
Une autre question interfère alors, celle du panslavisme. Est-ce que les Slaves autrichiens de l'époque n'étaient pas « nécessairement » panslavistes ? N'étaient-ils pas voués, quelles que fussent les circonstances, à devenir (pour des raisons nationales) les postes avancés du tsarisme en Europe centrale ? - Mais pourquoi donc ? Personne mieux que Engels n'a démontré l'inconsistance et la vacuité du panslavisme, le fait que derrière « l'unité panslaviste », il ne pouvait y avoir en réalité « qu'un pur fantasme ou bien alors la férule russe ». Et si les Slaves autrichiens ont malgré tout à l'occasion flirté avec le panslavisme, la raison en a été, non pas qu'ils levaient les yeux vers le tsar russe parce qu'ils voyaient en lui leur « saint patron », ni qu'ils pensaient à la ville sainte de Constantinople, mais bien qu'ils sentaient nationalement (et socialement) opprimés et voulaient se débarrasser de leurs maîtres allemands, hongrois et polonais. Dire que les Slaves autrichiens étaient condamnés à être panslavistes, c'est dire en d'autres termes qu'il était inévitable qu'ils soient dominés et opprimés par les « vieilles nations civilisées », et que la Révolution de 1848/49 n'aurait rien pu changer à cet état de choses …
Bien entendu, Marx et Engels ne pouvaient pas énoncer cette conclusion dans toute sa brutale nudité. Ils n'étaient pas plus en mesure d'exposer à la lumière du jour les sources réelles de ces luttes nationales si fatales à la Révolution autrichienne, car elles étaient essentiellement liées à la nature de classe de la bourgeoisie allemande et de ses alliés aristocratiques. Vu l'immaturité et la faiblesse du prolétariat industriel en Autriche, cela serait revenu à avouer que la Révolution de 1848 était dans une impasse ; quel révolutionnaire véritable déclarerait perdue d'avance une révolution qu'il est en train de vivre et à laquelle il participe ? Et c'est ainsi que nous voyons, dans la question des nationalités autrichiennes, Engels et Marx s'écarter de la réalité et chercher à expliquer l'attitude contre-révolutionnaire des Slaves sans histoire d'Autriche, non pas par les luttes auxquelles la rivalité entre « nations dominantes » et « nations dominées » donne inévitablement une forme nationale, mais par la nature des peuples slaves eux-mêmes, par le « caractère contre-révolutionnaire » que l'histoire leur aurait attribué. Le pas était d'autant plus aisé à franchir que les rédacteurs de la N.G.R., fondamentalement centralistes et adversaires de tout particularisme 199, pouvaient s'appuyer sur l'expérience historique de la Révolution française qui présentait un exemple notable d'assimilation de petites communautés ethniques et de fusion de patois variés avec le français 200. Et en fin de compte, est-ce que les peuples sans histoire d'Autriche n'étaient pas surtout composés de paysans, donc de membres d'une classe qui (selon ce que nous lisons dans un article de Engels 201) ne pouvait avoir dans l'histoire qu'un comportement réactionnaire, et dont l'extinction était une simple question de temps à brève échéance ?
Telle était la situation historique et psychologique qui, à notre avis, ne pouvait qu'enfanter nécessairement la théorie des peuples sans histoire de Engels. Dans la suite de notre exposé, nous allons tenter de démontrer que cette hypothèse est assise sur des fondements solides.
Notes
182 C'est-à-dire de leur État national.
183 Engels se réfère ici à la « proclamation aux Slaves » de Bakounine.
184 Citation de « l'appel » de Bakounine.
185 Marx et Engels attendaient alors le déclenchement d'une nouvelle révolution d'un mois à l'autre.
186 K. Kautsky, « Le socialisme et la guerre », 1937.
187 « Qu'on comprenne bien Marx » (il veut dire : Engels) « il demandait l'extermination des peuples slaves, et pas seulement le renversement des gouvernements » … (« Fondements de la critique de K. Marx », 1887) – Sur le sens que G. Adler donne aux phrases de Engels, voir aussi : Mehring, « Histoire de la social-démocratie allemande », I (1897) et Skȧlak, « La guerre mondiale et le marxisme » (en tchèque), 1919.
188 « Il fut proclamé que tous les Slaves sauf les Polonais étaient contre-révolutionnaires par nature, et c'est pourquoi il ne fallait pas seulement les combattre dans la situation présente qui les faisait glisser dans le camp de la contre-révolution. Non, il fallait les exterminer. Avec eux, toute fraternisation était exclue, vis-à-vis d'eux, il n'y avait que la lutte, jusqu'à leur anéantissement. - Il ne s'était pas écoulé beaucoup plus d'un an depuis la rédaction du Manifeste Communiste qui se concluait par les mots : Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! » (Kautsky, ibid.) L'explication que Kautsky donne de cette contradiction est tout sauf satisfaisante. « Si Marx et Engels », écrit-il, « se sont laissés entraîner à tenir des propos si ahurissants, ce n'est ni la Révolution, ni un mode de pensée particulier qui en est responsable, c'est la guerre : c'est à cause de la guerre, la guerre révolutionnaire des Hongrois, qu'ils se sont mis en contradiction avec leurs propres principes. La guerre cessant, les contradictions ont disparu. » Comme si toute révolution ne débouchait pas sur une guerre civile, et comme si la guerre civile n'était pas une guerre ! … (Kautsky passe constamment sans en dire un mot à côté de l'opposition dressée par Engels entre peuples entiers « réactionnaires » et peuples entiers « révolutionnaires ».)
189 Il devait être bien difficile, dans la pratique des partisans de la N.G.R., de séparer cette « haine révolutionnaire » pour des nationalités sans histoire alliées de la réaction, de la simple haine chauvine dont les bourgeois allemands et les aristocrates hongrois et polonais poursuivaient ces nationalités qu'ils exploitaient et opprimaient ! (Un Müller-Tellering, nous l'avons vu, était incapable de respecter cette frontière.)
190 Il devait rester réservé à Staline de déclarer pendant la seconde guerre mondiale ennemis du socialisme et des peuples soviétiques, non seulement le gouvernement hitlérien et les classes dominantes allemandes, mais tout le peuple allemand. (De ce point de vue aussi, la politique de Staline représentait une rupture totale avec les principes de l'internationalisme prolétarien.)
191 Lénine ne veut voir là aucun contraste. Dans un de ses articles de fond sur la question nationale, il dit : Marx et Engels étaient « avant toute chose pour la lutte contre le tsarisme. C'est pour cette raison, et exclusivement pour cette raison, qu'ils étaient adversaires du mouvement national des Tchèques et des Slaves du sud. Un bref coup d’œil sur les écrits de Marx et Engels dans les années 1848/49 suffira pour montrer à tout un chacun … qu'ils opposaient avec la plus grande netteté « des peuples réactionnaires entiers », qui servaient à la Russie d'avant-postes en Europe, aux « peuples révolutionnaires » : les Allemands, les Polonais et les Hongrois. C'est un fait. Et il n'y a aucun doute que cela correspondait alors à la réalité : en 1848, les peuples révolutionnaires se battaient pour la liberté dont l'ennemi principal était le tsarisme ; or, ces Tchèques et autres étaient effectivement des peuples réactionnaires et des avant-postes du tsarisme. » Et Lénine poursuit : « Que nous dit cet exemple concret, qu'il nous faut aussi analyser concrètement si nous voulons rester fidèles au marxisme ? Seulement la chose suivante : 1. que les intérêts de la libération de quelques grands et très grands peuples européens sont supérieurs aux intérêts du mouvement de libération des petites nations, et 2. que les exigences de la démocratie doivent être jaugées à l'échelle de l'Europe tout entière - on peut dire déjà maintenant : à l'échelle mondiale – et non pas de façon isolée. Rien de plus et rien de moins. Il n'y a pas là la moindre trace de reniement du principe socialiste élémentaire …, auquel Marx est toujours resté fidèle : un peuple qui en opprime un autre, ne saurait être libre. Si devait se répéter la situation concrète à laquelle Marx se trouva confronté à une époque où le tsarisme exerçait une influence prépondérante sur la politique internationale, p. ex. que quelques peuples enclenchent une révolution socialiste (comme l'a fait la révolution démocratique-bourgeoise dans l'Europe de 1848), mais que d'autres peuples se révèlent être des piliers de la réaction bourgeoise, alors nous devrions être pour une guerre révolutionnaire contre eux pour les 'écraser' et anéantir tous leurs avant-postes, - que se manifestent ici ou non de petits mouvements nationaux ... » (« Résultats de la discussion sur le droit à l'auto-détermination », dans : « Contre le courant », Lénine et Zinoviev, 1921, p. 399-400) Cette interprétation de Lénine pèche par deux côtés. D'abord, il néglige le fait que Engels et Marx voyaient dans les Slaves sans histoire, non seulement des « postes avancés du tsarisme », mais aussi des « mini-nations » non viables et condamnées à disparaître. Et ensuite, aux yeux de Marx et Engels, manifestement, « le principe socialiste élémentaire : un peuple qui en opprime un autre ne saurait être libre », ne valait que rapporté aux « grandes nations historiques vigoureuses », et non aux « petits résidus de peuples qui, après avoir pendant un temps plus ou moins long joué un rôle sur la scène de l'histoire, avaient été absorbés comme parties intégrantes de nations plus puissantes à qui leur vitalité supérieure donnait la capacité de surmonter des obstacles plus importants. » (Engels dans la revue « The Commonwealth », 1866). Cunow, socialiste allemand de droite, était donc fondé (du point de vue formel) à interpréter les déclarations de Engels des années 1849 et 1866 dans le sens d'un déni du droit à l'auto-détermination pour les petites peuplades « sans histoire ». ( Cf. son livre : « La théorie marxienne de l'histoire, de la société et de l'État », II, 37-49.)
192 L'Angleterre soutenait le mouvement constitutionnel de la bourgeoisie ialienne.
193 Engels, « Trois nouvelles constitutions » (20.02.1848)
194 Dans l'article : « Le panslavisme démocratique » (14.02.1849)
195 Mais nous savons aussi qu'il existait en Bohème un groupe non négligeable d'intellectuels qui travaillait sous la conduite de Bakounine aux préparatifs d'une insurrection armée contre l'absolutisme.
196 On sait que le gouvernement révolutionnaire hongrois proclama au dernier moment (alors que les troupes de Paskevitch étaient déjà en Hongrie) l'égalité de droits de tous les peuples de Hongrie. Cette mesure était en contradiction flagrante avec l'attitude intransigeante de la N.G.R.. Mais n'aurait-il pas mieux valu que les Magyars se ravisent plus rapidement et reviennent plus tôt sur leur inflexibilité dans la question des nationalités ?
197 Les plus actifs de ce point de vue étaient les paysans galiciens et slovènes. (Cf. les actes du Reichstag 1848/49)
198 Cela vaut aussi pour la majeure partie de la paysannerie allemande d'Autriche !
199 Engels écrit en novembre 1847, à la veille de la révolution : « Avec son industrie, son commerce, ses institutions politiques, la bourgeoisie déjà travaille à tirer de leur isolement les petites localités refermées sur elles-mêmes, à les mettre en relation, à fusionner leurs intérêts … et à former, à partir de la foule des localités et des provinces jusqu'ici indépendantes les unes des autres, une grande nation, avec des intérêts et des usages communs, avec des idées communes. La bourgeoisie déjà centralise sur une échelle importante … Le prolétariat démocratique n'a pas seulement besoin de la centralisation entamée par la bourgeoisie, il devra la pousser encore beaucoup plus loin. Pendant la courte période où le prolétariat a été à la barre de l'État, pendant le règne de la Montagne, il a imposé la centralisation par tous les moyens, par la mitraille et la guillotine. Le prolétariat démocratique, quand il reviendra au pouvoir, devra non seulement centraliser chaque pays pour lui-même, mais même l'ensemble de tous les pays civilisés aussi tôt que possible … (Article : « La guerre civile en Suisse »)
200 Wendel note : « Marx and Engels as Rhinelanders, belonged entirely to West Europe, and had never seen the problem of nationalities at close quarters. They had lived in France, where the German Alsatians had willingly submitted, and knew Belgium, where the Teutonic Flemings had no separatist feelings. (?) If, then, such highly developed peoples threw in their hat with nations differing in language and habits, the N.Rh.Ztg found it hard to appreciate the national griefs of the more backward Southern Slavs, the more as only vague accounts of their movement reached Germany ? » (Slavonic Review, 1923-4, p. 293.)
201 Article contre K. Heinzen (1847)