1948 |
Traduit de l'allemand par Gérard BILLY 2016 |
Friedrich Engels et le problème des peuples « sans histoire »
Première section : La politique des nationalités de la Nouvelle Gazette Rhénane
1948
LES UKRAINIENS (RUTHÈNES)
Nous allons maintenant étudier une nationalité qui, en 1848 (et encore quelques dizaines d'années plus tard), pouvait passer pour être la nationalité sans histoire par excellence : les Ukrainiens ou bien, selon le nom qu'ils se donnaient alors à eux-mêmes, les Russins, [Rusynŷ] (Ruthènes) de Galicie, de Bukovine et du nord-est de la Hongrie 106, trois pays de la couronne d'Autriche.
De toutes les nationalités sans histoire de l'Autriche, aucune ne connaissait sans doute une situation pire que celle des Ruthènes, ce peuple de « paysans et de popes », comme les appelaient avec mépris les nobles polonais 107. Ceux qui étaient le plus en avance sur eux, étaient les Tchèques : leurs zones de peuplement faisaient partie des régions de la vieille monarchie où l'économie et la culture étaient les plus développées, et en 1848, à côté d'une nombreuse petite-bourgeoisie urbaine, ils comptaient aussi une importante couche d'intellectuels pénétrés du sentiment national, et sans doute en mesure d'engager le difficile combat pour la sauvegarde de la culture tchèque. D'un autre côté, les Slaves du sud eux-mêmes, pas moins arriérés culturellement et économiquement que les Ruthènes, étaient cependant, en tant que nationalité, dans une bien meilleure position qu'eux. Le mouvement croate bénéficiait de la traditionnelle autonomie des États provinciaux de Croatie et de Slavonie ainsi que de l'antagonisme entre la noblesse croate autochtone et la noblesse magyare, cependant que les Serbes pouvaient déjà s'adosser dans leurs aspirations nationales à la principauté semi-souveraine voisine de Serbie ; en outre, les Slaves du sud, grâce aux milices de la « frontière militaire » autrichienne, représentaient aussi, au milieu des turbulences de 1848/49, un facteur militaire non négligeable, comme le montre leur rôle dans la guerre de Hongrie.
Qu'étaient en revanche les Ruthènes en 1848 ? Rien d'autre que les « ombres de leurs ancêtres disparus 108 », qu'une masse de paysans analphabètes et à moitié serfs, qui, certes, parlaient une autre langue et allaient dans une autre église 109 que leurs seigneurs, mais qui continuaient à être enfouis profondément dans une existence « sans histoire » et n'avaient comme embryon de couche intellectuelle nationale que leur clergé grec-catholique. Certes, ce clergé ruthène, sous l'influence des « précurseurs » tchèques et serbes, fut lui aussi saisi dans le milieu des années 30 d'une puissante aspiration à faire revivre la culture nationale – et il présenta, en 1848, l'année de tous les orages, lui aussi, des revendications politiques et culturelles étonnamment abouties. Mais ce ne furent pourtant que de très modestes débuts qui ne devaient porter leurs fruits que 30 à 40 ans plus tard. En 1848, par contre, la masse du peuple, les paysans, était fort loin de l'idée nationale 110. Certes, ils se sentaient Ruthènes, mais seulement parce que les seigneurs et leurs créatures étaient polonais et le faisaient sentir quotidiennement à leurs « sujets » en manifestant ostensiblement leur mépris pour leur « patois de paysans » et leurs « péquenots de popes ». L'antagonisme national était donc ici (pour parler comme O. Bauer 111) seulement la forme apparente d'un antagonisme social, la haine nationale, seulement une haine de classe « travestie ». Il a fallu pour cette raison le travail acharné de plusieurs générations pour que la nationalité ruthène passe du stade de simple possibilité à celui d'une réalité culturelle et politique.
Il va de soi qu'à l'étranger, on ne pouvait qu'ignorer l'existence d'un mouvement national encore aussi embryonnaire (nous ne parlons naturellement pas des slavistes savants). C'est seulement dans les publications démocratiques polonaises des années 1846-48 qu'il acquit pour la première fois une « popularité » de courte durée – même si elle n'eut rien de glorieux.
Il s'agit ici des « tueries de Galicie » de 1846, dans lesquelles la démocratie européenne vit le symbole de l'infamie et de la perfidie du système Metternich et qui sont si souvent mentionnées aussi dans les écrits de Marx et Engels 112.
Lorsque, dans le milieu des années 40, les sociétés secrètes de Galicie (dans lesquelles se regroupaient pour l'essentiel des membres de l'intelligentsia aristocratique désargentée ainsi que de la petite et moyenne noblesse) se disposèrent à lancer une nouvelle lutte d'indépendance, elles se donnèrent l'ambitieux objectif de faire cette fois-ci de la cause polonaise celle du « peuple » polonais lui-même. Ils savaient que, contre la supériorité écrasante des trois puissances qui s'étaient partagé le pays, une insurrection ne pouvait vaincre qu'en s'assurant la participation active de la nation polonaise tout entière, c'est-à-dire avant tout de la classe paysanne saignée à blanc. Et les paysans ne se joindraient au combat que s'ils pouvaient nourrir l'espoir que dans la nouvelle Pologne ressuscitée, ils ne seraient plus maintenus dans l'esclavage, que leurs chaînes seraient brisées ! Une « révolution sociale » était donc la condition de possibilité de la révolution nationale, voilà ce qui était dit. Mais, à vrai dire, une « révolution sociale » qui devait se faire, non pas contre, mais avec la noblesse, celle-ci en prenant l'initiative : il s'agissait, en convainquant les seigneurs de renoncer volontairement aux corvées et autres charges féodales, de cimenter l'union fraternelle de toutes les classes sociales dans la lutte contre les oppresseurs étrangers. (Cela paraissait d'autant plus possible que la productivité des corvées ne cessait de décroître, que le pays était secoué de résistances paysannes de plus en plus fréquentes et que les seigneurs eux-mêmes commençaient à se rendre compte que le statu quo devenait intenable).
Quelle ne fut pas la stupeur des insurgés, quand les paysans que, naïvement confiants, ils avaient appelés le 18 février 1846 aux armes contre l'Autriche, les tournèrent contre eux au lieu de les rejoindre, et noyèrent férocement la révolte dans le sang de la noblesse polonaise ! On aurait aujourd'hui du mal à mesurer la déception, la fureur, le désespoir qui s'emparèrent alors de la « Szlachta » et en particulier de sa fraction démocratique : on était prêt à sacrifier au peuple ce qu'on avait de plus précieux, et le « peuple » trompait les espoirs de la nation de façon aussi sordide ! On voulait reconnaître en lui un frère ayant les même droits, et il se comportait comme un Caïn ! Est-ce que la cruelle providence pouvait soumettre une nation à une épreuve plus terrible, lui faire boire un calice plus amer ? On chercha une explication à ces horribles événements, et on la trouva – chose compréhensible – non pas dans la haine séculaire des paysans contre leurs bourreaux et oppresseurs (l'abnégation de la noblesse ne suffisait-elle pas à effacer les fautes du passé ?) ni dans l'insuffisante préparation idéologique de l'insurrection 113, mais dans la politique perfide de Metternich, lequel – conscient de la faiblesse du gouvernement autrichien en Galicie – avait dressé les paysans ignorants contre leurs seigneurs et les avait utilisés comme outils de l’infâme fratricide. C'est ainsi que naquit la légende 114 racontant comment des paysans 115 ignorants et rapaces auraient été égarés et achetés par Metternich, et auraient livré la liberté polonaise à l'ennemi en suivant Szela, un chef de bande pareil à une bête fauve … (Comme si tout le vécu abominable de ces paysans n'avait pu susciter leur haine et leur méfiance, et comme s'ils avaient eu besoin d'un Metternich pour désirer secouer leur joug ! …)
Telle était la version de la noblesse polonaise sur l'origine des « massacres de Galicie » de 1846. Cette version – à laquelle elle croyait sincèrement, car elle était la seule qui cadrait avec sa psychologie - fut bien sûr activement colportée aussi à l'étranger et accueillie avec faveur par la presse démocratique en France, en Angleterre et en Allemagne. Mais là, pour ne pas donner prise aux doutes et aux interrogations, il fallait qu'elle prenne un autre caractère et que, de légende surgie spontanément, elle devienne une mystification consciente. Les colporteurs de la légende s'en chargèrent, ils firent croire à la démocratie de l'étranger que les massacres – qui avaient eu lieu en Galicie occidentale, donc dans la partie purement polonaise du pays – n'avaient pas simplement été perpétrés par des paysans, mais, sur l'ordre de Metternich, par des paysans ruthènes « fanatisés pour une cause nationale et religieuse » (alors que ces paysans habitaient dans la partie orientale du pays! 116).
Ici, la démocratie de l'étranger, toute à son s'enthousiasme pour la cause de la « liberté des nations », dressait l'oreille : « Ainsi, il y a plusieurs nationalités en Pologne ? » - Nullement, répondait la démocratie polonaise. « Comme partout ailleurs en Europe, il y a en Pologne des dialectes et des religions différentes. Ainsi les Ruthènes, qui parlent certes un patois qui s'écarte un peu du polonais et appartiennent à une autre Église, mais qui sont, en regardant de près, tout aussi Polonais que nous. C'est Metternich, le grand démagogue, qui le premier, les a « éveillés » à une nouvelle vie « nationale », c'est lui qui a le premier inventé – en suivant la maxime 'divide et impera' – une « nationalité ruthène » artificielle qui n'existe absolument pas 117 ! »
C'est sous cette forme mystifiée que la légende aristocratico-polonaise est reprise en 1849 chez Engels, à qui Kautsky 118, O. Bauer 119, G. Steklov 120, O. Rühle et plus récemment E. Fischer l'emprunteront partiellement. (Chez tous ces auteurs, ce sont des paysans ruthènes qui ont commis les massacres de 1846.)
« Quelle était au juste la « pièce maîtresse » de la politique de Metternich ? », demande Engels (dans l'article intitulé « La Hongrie » de janvier 1849).
« Il tenait en bride les bourgeois et les paysans de chaque nation en utilisant la noblesse de la même nation et les paysans de toutes les autres nations, il tenait en bride la noblesse de chaque nation en lui faisant craindre les bourgeois et les paysans de la même nation. Les divers intérêts de classe, les diverses œillères nationales et les préjugés locaux, si complexes fussent-ils, se tenaient mutuellement en échec et laissaient au vieux brigand Metternich la plus grande liberté de mouvement. Les scènes de tueries en Galicie montrent jusqu'où il a été dans cette manipulation des peuples les uns contre les autres : là, il a brisé le mouvement démocratique polonais déclenché dans l'intérêt des paysans en utilisant les paysans ruthènes fanatisés sous l'étendard de la religion et de la nation. »
Et à un autre endroit :
« Pour contenir l'esprit révolutionnaire des Polonais, Metternich avait déjà fait appel aux Ruthènes, une ethnie qui se distingue des Polonais par un dialecte un peu différent et surtout par la religion grecque, qui avait toujours fait partie de la Pologne et qui apprit pour la première fois de la bouche de Metternich que les Polonais étaient ses oppresseurs. Comme si, dans l'ancienne Pologne, les Polonais eux-mêmes n'avaient pas été opprimés au même titre que les Ruthènes, comme si, sous la domination autrichienne, Metternich n'avait pas été leur oppresseur commun ! »
C'est clair : Engels prend pour argent comptant la légende diffusée par la noblesse polonaise. Pour lui, les Ruthènes sont au fond une « ethnie » polonaise, et Metternich apparaît comme un magicien à deux baguettes capable de faire sortir de terre à son gré, non seulement des révoltes sociales 121, mais aussi des mouvements nationaux achevés. Il n'y a que l'argument final (celui selon lequel, dans l'ancienne Pologne, les Polonais eux-mêmes étaient opprimés) qui semble apporter quelque chose de neuf ; mais lui aussi provient de l'arsenal des publications démocratiques polonaises de 1846-48, qui esquivait toute allusion à une oppression nationale dans l'ancienne Pologne en brandissant la réponse stéréotypée selon laquelle les Polonais eux-mêmes – à savoir les paysans polonais – étaient socialement opprimés 122. Et le fait que Metternich était l'oppresseur commun des Polonais et des Ruthènes n'empêchait pas le moins du monde la noblesse polonaise d'opprimer de son côté les Ruthènes, ou du moins d'aspirer à le faire, - comme l'a montré plus que clairement la Révolution de 1848. Les deux arguments sont naturellement des sophismes purs et simples.
Les passages de Engels que nous venons de citer contiennent en germe ce qui est la position de la N.G.R. vis-à-vis des Ruthènes et de la question nationale ruthène. Certes, on ne peut reprocher à cette gazette d'ignorer les réalités effectives du recoin le plus reculé de la monarchie, dans une province sur laquelle on n'avait à l'époque à l'ouest que de très vagues idées 123 – d'autant moins que ses correspondants polonais, de bonne ou de mauvaise foi, lui envoyaient la plupart de temps des rapports qui risquaient fort de désorienter. Toujours est-il qu'ils rapportèrent la mise en place du « Conseil Principal de Ruthénie » (« Rada Ruska ») avec de nombreuses filiales en province 124, l'instauration d'une chaire ruthène à l'université de Lemberg, les revendications des Ruthènes concernant la protection de leur nationalité, la mise en valeur et le développement de leur langue et la création d'une garde nationale ruthène spécifique 125, leur mémoire adressé à l'empereur dans lequel ils demandaient la séparation politique de la Galicie orientale, ruthène, et de la Galicie occidentale, polonaise 126, etc. De sorte que, même pour l'époque, le jugement de la N.G.R. sur les relations ruthéno-polonaises apparaît trop précipité et trop apodictique et doit être attribué moins au manque d'information qu'à sa prévention en faveur des sources d'information liées à la noblesse polonaise.
Ce faisant, il est arrivé à la N.G.R. de s'empêtrer dans de bien curieuses contradictions. Elle écrit ainsi le 28 octobre :
« De Paris, le Polonais Joseph Ordega » (l'un des dirigeants des démocrates polonais) « adresse à la « Réforme » un billet dans lequel il fait la lumière sur les régiments dits polonais qui se sont battus contre Vienne pour le compte de la camarilla. Au cours des derniers mois, en effet, le gouvernement autrichien a rappelé sous les drapeaux tous les soldats galiciens qui avaient fini leur service. Ce sont les mêmes que les mercenaires soudoyés en 1846 pour commettre les atrocités de Galicie » (sic).
Le papier du démocrate Ordega est, comme on voit, une fort maladroite mystification, car ce ne sont pas des « mercenaires soudoyés », mais d'authentiques paysans polonais qui, en 1846, se sont rués sur leurs seigneurs sous la direction du « roi paysan » dont nous avons déjà parlé, Szela. La N.G.R. ajoute la « note de la rédaction » suivante : « Est-il nécessaire de préciser que ces soldats ne sont pas des Polonais, mais des Ruthènes. Les propriétaires fonciers de Galicie ayant volontairement renoncé au charges féodales » (mais sous réserve que toutes les forêts et toutes les vaines pâtures reviennent aux seigneurs!) « il ne restait plus au gouvernement autrichien d'autre moyen d'entretenir la division en Galicie qu'en dressant, au nom de la nationalité, les Ruthènes contre les Polonais. Les Ruthènes parlent un autre dialecte, leur religion (la religion grecque) les sépare des Polonais, et enfin ce sont eux qui constituent la paysannerie proprement dite. 127 »
La théorie de la N.G.R. (qui, nous le verrons ci-dessous, opposait des « peuples révolutionnaires » entiers à des « peuples contre-révolutionnaires » entiers) ne connaissait à vrai dire qu'une nation polonaise unifiée, « révolutionnaire ». Mais comme toute la paysannerie polonaise (donc environ 90% du peuple polonais) était à cette époque « pour l'empereur », c'est-à-dire pro-autrichienne (ou alors, pro-russe ou pro-prussienne), la N.G.R. ne pouvait plus que transformer ces paysans en Ruthènes, et la nation polonaise en une nation exclusivement aristocratique ... 128
Le lecteur aura remarqué que dans les citations de la N.G.R., la « question ruthène » apparaît toujours liée d'une manière ou d'une autre avec la question paysanne, et que le mouvement ruthène se présente comme un mouvement foncièrement paysan. Et c'est ce qu'il était effectivement – un bout de 1789, un mouvement sous les dehors duquel (en dépit des œillères nationales et du caractère réactionnaire petit-bourgeois des intellectuels qui étaient à sa tête) entrait en scène une nouvelle force historique, « un élément révolutionnaire encore embryonnaire » - une paysannerie se rebellant contre le féodalisme.
Les correspondants polonais de la N.G.R., liés à la démocratie aristocratique, le sentent confusément : d'un côté, pour eux, le mouvement ruthène est un néant absolu, un truc monté par le gouvernement, une bulle de savon, mais, de l'autre, ils le créditent d'une énorme influence sur les paysans et lui imputent en permanence l'intention de commettre de nouvelles « tueries ». Il nous faut donc faire maintenant une digression en examinant la question paysanne en Galicie telle qu'elle se posait en 1848/49. Ce faisant, nous pourrons faire un peu la lumière sur ce qui se passait derrière les coulisses de l'activité parlementaire officielle des porte-parole démocrates de la révolution autrichienne et peut-être commencer à apercevoir ce qu'était de façon générale la « politique paysanne » de la N.G.R. (une question qui n'a jusqu'ici jamais été étudiée!).
Le trait le plus saillant de tous (ou presque tous) les correspondants polonais de la N.G.R. est la peur panique d'une répétition des événements de 1846 en Galicie occidentale ; une peur dont on peut dire avec certitude qu'elle dominait toute la pensée et toute la sensibilité de la noblesse polonaise et ne pouvait que réduire au minimum son activité révolutionnaire en 1848/49 129.
Dès la première correspondance de la N.G.R. consacrée à la situation en Galicie, celle du 26 mai 1848 envoyée de Lemberg, cette peur se manifeste nettement, bien qu'elle soit liée à toutes sortes d'illusions bizarres. Le correspondant relate de prétendues « menées » en Galicie ayant pour objectif « d'exciter les paysans russins à assassiner leurs seigneurs ». Mais le correspondant se rassure : « apparemment, un bon esprit s'est éveillé chez les paysans ruthènes. Ils semblent eux aussi vouloir faire cause commune avec les Polonais. » Et il fait le portrait prolixe et très lyrique d'un paysan ruthène qui aurait déclaré, « en levant les mains au ciel », devant le conseil national polonais : « Il y a eu parmi nous des gens qui nous ont divisés en amis et ennemis ; mais … aussi vrai qu'il y a un dieu au ciel, il faut qu'ici-bas règne la concorde entre Polonais et Ruthènes ... 130 ».
Mais cette atmosphère élégiaque de concorde céleste s'était déjà dissipée dans le billet suivant du 6 juillet, que la rédaction assortit du commentaire caractéristique suivant :
« Nous reproduisons ci-dessous sans y changer une ligne une lettre envoyée par un noble polonais de Lemberg,. Le lecteur n'aura pas de mal à faire la distinction entre les récits qui s'en tiennent aux faits et à eux seuls et les tentatives que fait le gentilhomme pour s'expliquer de la façon la plus plausible possible les rapports mutuels - qu'il ne comprend pas - entre les différentes classes. »
Le lecteur objectera sans doute que ces lignes montrent manifestement de quel regard critique la N.G.R. jugeait ses correspondants aristocratiques polonais ! C'est exact ; malheureusement, c'est le seul passage où la rédaction exprime ses réserves à l'encontre de leur façon de voir – et quel qu'en soit l'intérêt, il ne peut rien changer au tableau d'ensemble de la « politique polonaise » de la N.G.R..
Or, qu'écrivait le gentilhomme ?
Il se lamente : « La Galicie est dans un état qui confine à l'anarchie la plus complète. Les autorités sont inertes et comme éteintes, le pays lui-même est sous gouvernement militaire. Le peuple jette sur les propriétaires fonciers des regards pleins d'animosité, il se méfie des autorités et manifeste, sans savoir au juste pourquoi, le plus vif attachement à l'empereur. Il prend parti pour le soldat, qui, de son côté ne néglige rien qui soit susceptible de lui assurer son soutien actif en cas de nécessité, comme cela a été le cas lors des atrocités de 1846. Le comportement actuel du paysan ne résulte pas de sa conviction et de sa libre volonté, non, c'est un comportement suscité artificiellement par les officiers du fisc et les géomètres (!) qui arpentent le pays depuis des années et des années 131 … C'est seulement quand on connaît de près la situation et la vie en Pologne, en particulier à la campagne, qu'on est en état de mesurer à quels artifices et à quels subterfuges diaboliques on a dû recourir pour faire du paysan ce qu'il est aujourd'hui. » Un de ces « artifices », c'est la question ruthène : « On a trouvé un nouveau moyen de semer la discorde et de provoquer des divisions, avec les habitants de l'est de la Galicie, ceux qu'on appelle Russins ou (!) Huzules, que l'on cherche coûte que coûte à rendre réfractaires à la cause de la Pologne ... 132 ». Aucun doute : l'état d'esprit des paysans effraie au plus haut point le gentilhomme, mais il est absolument incapable d'en comprendre les raisons. Or, c'est exactement la même chose dans toutes les correspondances venant de Galicie. Par exemple, le 19 juillet, on apprend qu'une adresse du conseil national polonais de Tarnow au ministère de l'intérieur de Vienne attribue aux autorités autrichiennes l'intention de provoquer « des atrocités semblables à celles de 1846 » 133. Le n° du 1er août contient des nouvelles alarmantes sur une attaque perpétrée par près de 1000 « Ruthènes c'est-à-dire paysans » armés de faux contre 42 gardes-nationaux polonais sans défense dans la petite ville galicienne de Podhace – attaque au cours de laquelle on aurait presque revécu les abominations de 1846 … Les funestes semailles déversées par les chefs de la nationalité ruthène » - conclut le correspondant - « commencent à lever en Galicie et menacent d'une copieuse moisson. 134 » Un autre correspondant écrit : « Les bouchers et les égorgeurs qui ont dévasté la Galicie cette année-là, avaient été recrutés, excités et utilisés comme des machines par Stadion 135 » - le même Stadion, « qui avait inventé de toutes pièces la nation ruthène et à l'instigation de qui, dans cette ville (Lemberg), a été installé un conseil populaire ruthène (Rada Ruska) 136 ... » Une autre correspondance du 24 octobre 1848 : « D'après les informations qui nous viennent de toutes parts, la bureaucratie est en train de mettre au point une conspiration révoltante pour assassiner comme en 1846 la prétendue (!) noblesse, le clergé et tous ceux qui sont partisans de la bonne cause. 137 » Il y a même un correspondant qui, en faisant état de la mauvaise volonté des conscrits de Cracovie « à se battre contre la Hongrie », ne peut s'empêcher d'ajouter : « Ces événements ne manqueront pas d'avoir des répercussions chez les paysans de Galicie … Ils brûlent du désir de laver la honte de 1846 dans le sang des bourreaux autrichiens 138. » (Le lecteur pourra sans peine imaginer de quel « désir » les paysans galiciens de l'époque brûlaient réellement.)
Les pensées de la noblesse ne cessent de tourner comme dans un cercle ensorcelé autour des désastres de 1846 dont il ne parvient pas à se détacher et dont il ne cesse d'invoquer les fantômes ensanglantés dans une sorte de cauchemar obsessionnel. Et continuellement les mêmes dénonciations du mouvement national ruthène, dans lequel la noblesse flaire, avec un instinct de classe aiguisé, la rébellion du paysan enchaîné, continuellement, la même tentative impuissante « de s'expliquer de la façon la plus plausible possible les rapports mutuels » - que l'on ne comprenait pas - « entre les différentes classes ». On comprend fort bien que telle ait été la pensée de la noblesse galicienne et qu'elle n'ait pu être différente, mais on comprend moins bien que tous ces écrits aient pu trouver place précisément dans la N.G.R., alors qu'ils parlaient un langage de classe à ce point borné et transparent.
On trouve dans la N.G.R. une contribution insolite et particulièrement significative de ce point de vue, dont le sujet est Jacob Szela, le fameux chef des paysans polonais de 1846, « l'année sanglante » :
« Le sinistre bandit à la solde de Metternich, le paysan Szela, voulait à tout prix être élu député au Reichstag, mais il échoua, à sa place fut élu un autre paysan du nom de Kobylica. Furieux, Szela écrivit une lettre véhémente au ministre de l'intérieur dans laquelle on trouve le passage suivant : « N'ai-je donc pas mérité qu'on me distingue 139 ? En 1846, j'avais été proclamé roi des paysans (!) 140, j'étais craint et vénéré ; n'ai-je donc pas fait faire assez d'économies au Trésor impérial en lui épargnant des dépenses ? N'ai-je pas écrasé la révolution en Galicie ? On avait besoin de moi à cette époque-là, et maintenant on m'oublie, juste maintenant, pour les élections. Si j'étais élu, j'aurais pu mettre un peu de côté sur les 302 florins de frais de voyage et les 200 florins d'indemnité mensuelle (!), et au Reichstag, je pourrais siéger confortablement. Par contre, Lukian Kobylica, du district de Kimpolung, n'est, lui rien d'autre qu'un simple paysan qui a attaqué en 1846 les habitants de cette localité (il s'agit des agents des seigneurs), les a muselés, bâillonnés, crucifiés, et leur a versé de l'eau bouillante sur la tête, ce qui lui a valu une condamnation au cachot et à 50 coups de bâton. Et c'est un individu comme ça qui est choisi comme député ! » Et Müller-Tellering, qui n'est plus pour nous un inconnu, d'ajouter : « Demain, j'irai voir de plus près ce qu'il en est de ce député à la Constituante. 141 »
Le lecteur n'a sans doute pas besoin qu'on lui assure que dans toute cette histoire (qui a du reste fait à ce moment-là le tour de toutes les gazettes d'Allemagne et d'Autriche), il n'y a pas un mot de vrai – hormis le nom des deux paysans. Szela ne s'est jamais porté candidat au Reichstag, pas plus qu'il n'a envoyé de courrier au ministre de l'intérieur. Et de son côté, le député paysan ruthène Kobylica n'a pas commis un seul des forfaits dont il est incriminé, lors des « émeutes » des Huzules du district de Dolhopol (en Bucovine, son pays d'origine) en 1844 (et pas 1846!) - vu la sévérité de la justice de cette époque, il aurait été pendu dix fois ! Pas la moindre trace de tout cela dans les archives officielles 142, on y trouve par contre la mention de mauvais traitements que son seigneur aurait infligés à Kobylica en 1846 . Toute cette histoire est donc inventée de A à Z. Mais elle avait un but transparent : compromettre les députés paysans et en particulier Kobylica, et par ce moyen créer un climat permettant de l'exclure du Reichstag ! En effet, la tenue des élections de juin/juillet 1848 au « Reichstag constituant » avaient déjà été, malgré les lamentations et les imprécations de la noblesse contre la bureaucratie, hautement « galiciennes », c'est-à-dire qu'elles reposaient sur la fraude électorale, sur la manipulation des électeurs paysans analphabètes et autres escroqueries du même tonneau (c'était la seule manière d'obtenir que dans les districts ruraux de Galicie, des propriétaires de domaines, etc. soient élus par douzaines!). Et de la même façon, les représentants de la noblesse galicienne au Reichstag, les « Polonais en frac », s'appuyant sur leur alliance avec la « gauche » allemande, ont eu recours à tous les moyens, même les plus malhonnêtes, pour expulser du Reichstag les députés paysans, embarrassants et abhorrés d'eux, surtout leurs porte-parole les plus actifs. Car ici, il ne s'agissait pas de déclamations démocratiques, dont les « Polonais en frac » n'étaient pas avares, mais de choses aussi concrètes que l'indemnité compensant l'abolition des charges féodales, les servitudes paysannes dans les forêts et les pâtures usurpées par la noblesse, le droit seigneurial de « propination », le droit de la chasse, etc. Et sur ces sujets, la démocratie n'avait plus droit à la parole …
La N.G.R. se fit aussi l'écho, même s'il fut assourdi, des pratiques électorales en Galicie et du comportement des députés paysans galiciens au Reichstag. Il ne s'agit pas ici des anecdotes amusantes qui circulaient à Vienne sur ces députés et contribuaient largement à leur popularité 143, mais des articles des correspondants de Lemberg et de Vienne, qui, tout superficiels et bornés qu'ils fussent, contiennent bien des choses intéressantes. C'est ainsi que de Vienne on écrivit le 28 juin au journal à propos des élections au Reichstag :
« Dans la grande majorité des districts, c'est la méfiance à l'égard de la noblesse, de la bureaucratie et du clergé qui ressort nettement des élections … Seule exception, l'élection en Galicie de plusieurs membres du clergé grec, qui sont plus étroitement liés au peuple. 144 »
Certes, le gentilhomme que nous avons déjà rencontré a un autre regard dans son article du 6 juillet :
« Les élections à l'Assemblée Nationale de Vienne se sont tenues pour la majeure partie sous l'influence, bien qu'elle ait été larvée, de la bureaucratie, ces sangsues du pays. Elle a été assidûment à l’œuvre partout où il y avait quelque chance que le résultat lui convienne … En beaucoup d'endroits, ce sont des paysans qui ont été élus, mais seulement des paysans dont on était convaincu qu'ils étaient attachés à l'absolutisme impérial, ou bien des criminels condamnés pour vol 145 etc., et libérés depuis peu. Ailleurs, les paysans n'ont pas voulu participer aux élections ; le résultat a été qu'en-dehors de quelques exceptions, elles ont donné de bons résultats (!) ; mais immédiatement, se sont nouées les intrigues nécessaires pour annuler ces actes légaux. 146 »
Voilà pour les élections en Galicie. Sur les députés paysans au Reichstag, Müller-Tellering écrit le 18 août :
« Le comte Stadion 147 croyait pouvoir entraîner docilement à sa suite et utiliser à ses fins les 80 et quelque 148 paysans de Galicie qui siègent au Reichstag et ne comprennent pas l'allemand. Pillersdorf comptait sur un regroupement de même type avec les paysans allemands. Mais, bien que parlant des langues différentes, tous ces gens ont apporté de leur patrie le même sentiment, la même volonté, et c'est un même langage qu'ils partagent tous. Ils parlent tous la langue de la démocratie, et apprennent tous les jours, au fur et à mesure qu'ils connaissent mieux leurs chefs de file, à la parler mieux. Au début, le paysan votait en s'alignant sur les Pillersdorf et les Stadion, - mais maintenant, il fréquente les clubs et se forme avec tant de succès, dans les réunions du soir de la gauche, où l'on parle la langue unique de la démocratie, bien qu'elle soit nationalement diverse, qu'il se met à déposer des motions de sa propre initiative et à parler, même si c'est avec encore une certaine gaucherie 149 ... »
Ce tableau enthousiaste dressé par Tellering, était certes largement exagéré. Mais il y avait dans tout cela quelque chose de vrai, comme le montre le n° 83 de la N.G.R. qui reproduit le discours du député paysan ruthène Kapuszczak lors du débat sur l'abolition des charges féodales :
« En fait d'indemnisation (en contrepartie des obligations féodales à abolir) » - rapporte Tellering - « il veut de surcroît que les propriétaires de domaines et la noblesse versent des indemnités. « Les paysans de Galicie », dit-il, « étaient de corvée 300 jours au lieu de 100, pour le seigneur 3 journées comptaient pour une. Qui, alors, doit indemniser qui ? Le paysan était obligé de travailler toute la semaine, le dimanche, on le jetait à l'étable, à coups de triques, on le poussait au travail, et quand il demandait qu'on ménage ses bêtes de trait affaiblies, alors on lui disait : harnache-toi et prends le joug, toi et ta femme ! - Les seigneurs déclarent eux-mêmes qu'ils ont fait cadeau des corvées, alors pourquoi faudrait-il les indemniser ? » (Là, Kapuszczak met dans le mille.) « Le paysan n'est même pas tenu de dire merci pour le « cadeau », puisqu'il a été offert seulement le 12 avril, (donc) au moment où nos frères allemands sont intervenus en défense de nos droits ; s'il y a quelqu'un à remercier, ce sont nos frères allemands et notre bon empereur. (Applaudissements au centre, sifflets à gauche.) On nous considérait comme des esclaves, nous devions nous arrêter à 30 pas de la maison du seigneur, étions obligés d'aller chez le Juif 150, si nous voulions communiquer avec lui (le seigneur) (Applaudissements au centre), car il nous était interdit de pénétrer dans sa maison. « Le paysan pue », disait-on … Et c'est nous qui devrions dédommager ? Le fouet qui lacérait nos corps épuisés, lui, certes, nous pouvons en faire cadeau. 151 »
On comprendra que les « Polonais en frac » de Galicie (à quelques exceptions près 152) ne trouvèrent guère à leur goût le discours de Kapuszczak ; on perçoit aussi à quel point les distinctions entre partis étaient alors toutes relatives, quand on voit ce discours récolter « les applaudissements du centre, et les sifflets sur la gauche » … (En tout cas, ces sifflets n'avaient pas pour cible l'attachement à l'empereur manifesté par le député paysan, car au Reichstag, tous les chefs de la gauche étaient exactement sur la même tonalité dans leurs discours.) C'est que la gauche du Reichstag était une gauche bourgeoise, qui devait prendre en compte les intérêts de classe de ses alliés de la noblesse polonaise, et en outre, était elle-même imprégnée du plus profond respect pour la « question de la propriété » - même quand, comme dans ce cas, la propriété en jeu était la propriété féodale … Les loups ne se mangent pas entre eux.
En tout cas, les députés paysans de Galicie de 1848/49 n'étaient pas aussi nettement et définitivement réactionnaires qu'on le suppose d'ordinaire 153. Ou plutôt : ils l'étaient seulement sur le terrain politique, dans la mesure où toute leur situation de classe faisait d'eux non seulement des ennemis de la noblesse féodale, mais aussi des « monarchistes nés ». Les paysans français étaient eux aussi encore dans leur grande masse monarchistes en 1789 – et pourtant, ils devinrent peu après dans leur grande majorité des soldats loyaux de la République 154 ! S'il ne s'est pas passé la même chose lors de la révolution autrichienne de 1848/49, il semble bien que la faute en incombe, non à la paysannerie, mais à cette révolution elle-même – à sa pusillanimité et à sa peur des « problèmes sociaux », à son incapacité à pousser la solution de la question agraire et le mouvement anti-féodal des paysans au-delà des limites de ce qui était inévitable et admissible du point de vue étroitement bourgeois.
Cette conception semble être contredite par le fait que dans l'Autriche de 1848, « l’œuvre d'émancipation des paysans a été bien plus couronnée de succès que dans aucune autre partie de l'Allemagne 155 ». Certes, il ne s'ensuit pas qu'elle n'aurait pas pu aboutir à un succès plus grand encore, et qu'il nous faille absolument appliquer par exemple les critères prussiens pour évaluer « l'émancipation des paysans en Autriche ». Au contraire : à en juger sans passion, « l’œuvre émancipatrice » du Reichstag viennois n'apparaît pas aussi grandiose que le dit l'historiographie libérale bourgeoise courante. Il abolit les charges féodales, assurément, mais ce faisant, ne fit que valider ce que « la paysannerie avait déjà fait entrer dans la réalité 156 », et ce que l'absolutisme et la noblesse féodale considéraient eux-mêmes comme une concession inévitable au vu des circonstances. Mais le Reichstag greva en même temps la paysannerie et le pays tout entier du paiement d'une lourde indemnité aux seigneurs, il recula saisi d'un frisson sacré devant toute perspective de modification de la propriété foncière et de plus laissa à l'absolutisme et à l'aristocratie féodale le soin de trancher la question cruciale des droits d'exploitation des forêts et des pâturages : en se comportant ainsi, il a commis une lourde faute aux dépens de la paysannerie et la révolution. Ce qu'il produit avec son « œuvre émancipatrice », ce fut un minimum, pas un maximum !
Si étrange que cela puisse paraître, l'extrême-gauche de la révolution de 1848, dont la N.G.R. était le guide spirituel, n'a pas été en état d'évaluer correctement l'énorme importance de la question paysanne en Autriche, les chances extraordinaires qu'elle offrait à la révolution comme les lourds dangers dont elle la menaçait. On cherche en vain dans la N.G.R. une analyse des problèmes agraires en Autriche, un programme concret dans la question paysanne autrichienne, ou au moins des articles et des correspondances qui se penchent sur le fond et les principes de cette question 157. Même le débat acharné qui secoua le Reichstag autour de l'indemnisation compensatoire des charges féodales, ne suscite aucune prise de position dans ses colonnes, elle se cantonne dans le rôle du journaliste qui rapporte ce qu'il voit. Mais, en ce qui concerne la question paysanne en Hongrie et en Galicie, les éloges dont elle couvrait la législation agraire « révolutionnaire » de Kossuth et « l'esprit de sacrifice » légendaire des seigneurs galiciens, faisaient d'elle, de fait, le porte-parole de la démocratie nobiliaire de ces pays et ne pouvaient que compliquer gravement, sinon même barrer, l'accès à la compréhension de leurs problèmes agraires 158 …
C'est seulement quand la révolution fut défaite et alors qu'elle n'était plus en Hongrie qu'un corps sanguinolent agité des derniers soubresauts, c'est alors seulement qu'émerge sporadiquement l'idée d'une « guerre des paysans » autrichienne qui viendrait à la rescousse de la révolution et des Hongrois … (Mais elle ne dit pas comment on pourrait en venir à cette guerre des paysans et avec quels mots d'ordre concrets les paysans pourraient être mis en branle.) Nous pensons ici – à part une remarque fugace de Marx 159 – à deux billets très vraisemblablement rédigés par Engels dans les n° 275 et 283 de la N.G.R., et dont le premier est consacré à nouveau aux paysans ruthènes et au député Kobylica, que nous connaissons, et le deuxième à une prétendue insurrection paysanne à Chrzanow (Galicie occidentale).
Premier billet : « Hongrie. Aucune nouvelle de Transylvanie … En Bucovine, par contre, on voit resurgir la nation depuis longtemps oubliée des Huzules avec à sa tête le roi-paysan Kobylitza. C'est dans ce coin perdu de la monarchie impériale que s'allume la lutte que la mise en application des lois sur le remplacement des charges féodales 160, ne manquera pas de déclencher entre les paysans et la noblesse partout en Autriche. Kobylica se joint directement aux Magyars 161. Écoutez ce qu'en dit le numéro du 4 avril de (1849) de la « Bukovina » de Czernowitz : 'Le tristement célèbre Kobylica est réapparu avec son dangereux acolyte Birla Mironiuk dans les montagnes au milieu des Huzules (ruthènes). Il propage de dangereuses chimères dans les communautés, il les incite à faire des incursions dans les forêts et les pâturages seigneuriaux et à ne pas démordre de leur attitude de résistance, en ajoutant qu'il ne tardera pas à venir avec une armée hongroise leur prêter main-forte ...' Bonne chance pour la guerre des paysans autrichienne ! 162 »
Voici donc, présenté tout d'un coup dans ce billet comme un allié des Hongrois, ce même Kobylica à qui on avait imputé auparavant (dans la correspondance de Tellering du 6 août 1848) tous les crimes, possibles aussi bien qu'impossibles … Cependant, cette fois encore, il s'agissait simplement d'une mystification : Kobylica n'a nullement rejoint les Hongrois. Après avoir, en novembre-décembre 1848, « fait prendre les armes à plusieurs milliers de paysans » dans sa région natale « en défense d'un programme de partage égalitaire entre les paysans des forêts et des domaines seigneuriaux et étatiques » 163, il se cacha dans les Carpates galiciennes, où les autorités ne purent s'emparer de sa personne qu'en mai 1850. Après avoir purgé une peine curieusement légère d'un mois d'arrêt, il fut banni et exilé dans la partie roumaine de la Bucovine (Gurahumora), où il mourut l'année suivante 164.
D'où provenait alors l'information de la « Bukowina » ? Eh bien, de nouveau de la noblesse, et cette-fois ci des propriétaires fonciers roumains 165, lesquels, à la différence de la noblesse polonaise, étaient restés « fidèles à l'empereur » pendant la révolution et pouvaient d'autant plus facilement dénoncer au gouvernement Kobylica comme « partisan des rebelles hongrois ». C'est que l'enjeu tournait autour des « forêts et des pâturages seigneuriaux » …, et sur ces sujets, aucune aristocratie n'entendait la plaisanterie !
Voilà pour Kobylica. Mais tandis que le mouvement des Huzules de Bucovine lié à son nom se fait remarquer tant par son côté 'communisme agraire' que par ses dimensions territoriales, on ne peut assurément pas en dire autant de la « République paysanne de Chrzanow 166 » : en fait, des paysans de plusieurs villages des environs de la petite ville de Galicie occidentale s'enfuirent dans les forêts avec femmes et enfants, le bruit ayant couru que des insurgés étrangers (des Hongrois, des Polonais ?) approchaient – ou bien – comme l'information en parvint à la N.G.R. le 16 avril de Cracovie - pour se soustraire à l'enrôlement. Sourds aux apaisements prodigués par les autorités, ils y restèrent plusieurs jours. Et ce fut tout. Mais la N.G.R. voulut voir dans cet incident insignifiant « les débuts d'une insurrection paysanne polonaise » :
Elle écrivit le 27 avril 167 : « Les Magyars ont trouvé un nouveau soutien, de la plus haute importance actuellement, à la veille de leur probable victoire, et c'est l'insurrection paysanne polonaise qui prend forme en Galicie … Trois mille 168 paysans se sont retirés dans la grande forêt de Chrzanow et y bivouaquent. On a tenté de les amadouer, mais ils ont répondu : 'Nous aimons mieux mourir ici qu'en Hongrie, qu'est-ce que les Hongrois nous ont fait ?' 169 »
Un billet donc qui est encore plus fantaisiste que celui sur les projets hongrois de Kobylica, puisqu'il transforme un simple mouvement de panique des paysans 170 en une « insurrection paysanne » et l'explique en outre par les sympathies pro-hongroises des paysans (lesquelles étaient assurément inexistantes)... Mais ces deux billets sont intéressants en ceci qu'ils nous montrent les illusions que la N.G.R. se faisait dans ce cas tant sur la maturité politique des paysans ruthènes et polonais que sur la force d'attraction révolutionnaire de la révolte aristocratico-bourgeoise en Hongrie 171. (Et cette deuxième illusion était certainement encore plus grave que la première).
Encore deux remarques pour conclure : Nous avons commencé en examinant les positions exprimées par la N.G.R. sur le mouvement national ruthène, et avons débouché au fur et à mesure de notre étude sur une critique de ses positions sur le problème paysan de la révolution autrichienne de 1848/49. Cela était probablement inévitable, avec un mouvement national tel que le mouvement ruthène d'il y a cent ans, encore aussi limité à son noyau social intrinsèque (la question paysanne), encore aussi peu en mesure de se déployer au-delà de ce noyau. Mais ce déplacement dans notre approche s'est, nous semble-t-il, révélé utile pour notre étude : il nous a donné la possibilité de considérer la politique des nationalités de la N.G.R. sous un aspect nouveau et de chercher la racine de ses erreurs à un niveau plus fondamental : – l'évaluation erronée (ou la sous-estimation) de la question paysanne dans la révolution autrichienne de 1848. Nous aurons encore l'occasion de mesurer combien cet aspect est important pour notre sujet dans son ensemble.
En ce qui concerne le mouvement ruthène (ou mieux : ukrainien) lui-même, nous voulons encore signaler au lecteur une remarque faite par Engels dans une lettre du 12 avril 1853 à Weydemayer : « En ce qui concerne les provinces autrefois polonaises en-deçà de la Dvina et du Dniepr, je ne veux plus en entendre parler, depuis que j'ai appris que tous les paysans y sont des Ukrainiens (Petits-Russes) 172, alors que l'élément polonais ne comprend que des nobles et en partie des bourgeois – et que pour les paysans de ces régions – comme dans la Galicie ruthène de 1846 – la restauration de la Pologne signifierait le rétablissement de la vieille domination aristocratique dans toute sa puissance. 173 »
Pourrait-on souhaiter une critique plus pertinente de la politique ukraino-polonaise de la N.G.R. 174 que cette autocritique de la plume de Engels ?
AUTRES PEUPLES SANS HISTOIRE
Pour conclure ce chapitre, encore quelques brèves indications concernant les autres ethnies et populations autrichiennes que la N.G.R. considérait comme « dépourvues d'histoire » : les Slovaques, les Roumains et les Saxons de Transylvanie.
Sur les Slovaques, on ne trouve dans la N.G.R. que quelques indications (la plupart du temps de la plume de Engels). C'est ainsi que dans son article intitulé « la Hongrie » (de janvier 1849), il souligne le désintérêt politique de la population rurale slovaque :
« Le territoire habité exclusivement par les Magyars n'occupe même pas le tiers de toute la Hongrie-Transylvanie. L'espace situé entre Presbourg, au nord du Danube et de la Theisse, et les contreforts des Carpates, est habité par plusieurs millions de Slovaques et quelques Ruthènes 175. Au sud, entre la Save, le Danube et la Drave, ce sont des Croates et des Slavons ; plus à l'est, le long du Danube, une colonie serbe d'un demi-million. Entre ces deux régions slaves, le lien est fait par les Valaques et les Saxons de Transylvanie. Les Magyars sont donc encerclés de trois côtés par des ennemis naturels. » Tous ces peuples, ajoute-t-il, ne représentent toutefois pas le même danger pour les Hongrois : les Roumains et les Saxons, les Serbes et les Croates s'étaient soulevés « en masse » contre eux ; mais pour ce qui est des Slovaques, ils « seraient de dangereux adversaires dans ces régions propices à une guerre de partisans, s'ils étaient moins marqués par l'indifférence. »
Cette remarque de Engels correspond en gros à la situation réelle ; en dépit de l'hostilité des masses paysannes à l'endroit de la noblesse hongroise, il fut impossible de les impliquer dans une rébellion contre les Hongrois – et c'est ce qui causa l'échec de l'action militaire entreprise en été contre les Hongrois par les chefs slovaques Hurban, Štúr et autres. L'issue lamentable de cette action fut en bonne partie due à la différence religieuse entre le monde rural catholique et les intellectuels en partie protestants qui étaient les animateurs de l'idée nationale slovaque. (Sept ans plus tard, Engels se rappela cet antagonisme religieux, lorsque, dans sa lettre à Marx du 7 mars 1856, il attribua par erreur précisément au protestantisme slovaque la responsabilité « d'avoir puissamment contribué à l'inactivité des Slovaques contre la Hongrie en 1848/49. 176 » D'autres remarques sur les Slovaques se trouvent dans quatre articles de Engels consacrés au déroulement de la guerre hongroise, les 4 et 19 mars et les 20 et 28 avril 1849. Mais là, sous l'influence manifeste de la propagande hongroise, les Slovaques sont décrits comme favorables aux Hongrois.
« Malgré tous ses efforts, le gouvernement impérial n'a pas réussi à susciter le moindre fanatisme national chez les Slovaques. Ils sont les seuls de tous les peuples slaves de Hongrie à nourrir une franche sympathie pour la cause hongroise 177. » « Messieurs Štúr et Hurban » – lit-on dans le deuxième article - « ont tellement la confiance des Slovaques que ceux-ci leur ont déjà plusieurs fois fait repasser le col de Jablunka en direction de la Moravie ! 178 » … Le 20 avril, Engels écrit : « La 'Gazette Constitutionnelle de Bohème' publiait hier un long article écrit depuis la Slovaquie … Dans chaque ligne transpire le dépit que les Slovaques refusent absolument de se laisser contaminer par la haine panslave anti-magyare, que les paysans slovaques soutiennent avant tout le parti qui leur assurera l'émancipation totale des charges féodales 179. » (C'est-à-dire selon Engels le gouvernement hongrois.) Et enfin, dans un article du 28 avril : »Les paysans slovaques, qui doivent à Kossuth l'abolition des charges féodales, sont d'ardents partisans (sic) des Magyars et les soutiennent partout par des informations, des feux de signalement, etc. 180 »
Il y avait à vrai dire aussi peu de vrai dans cette affirmation que dans l'information du correspondant de la N.G.R. en Galicie que nous avons citée dans le chapitre précédent, selon laquelle les paysans ruthènes « voulaient désormais prendre fait et cause pour les Polonais », et qui n'était née que des imaginations candides des insurgés hongrois.
Les Roumains ne sont pas mentionnés plus souvent que les Slovaques dans la N.G.R.. Mais il faut faire une distinction : les Roumains vivaient d'une part en Autriche (surtout en Transylvanie), et de l'autre dans ce qu'on appelait les principautés danubiennes. En 1848/49, les premiers s'opposaient aux Hongrois, les autres aux Russes. Il est compréhensible que les Roumains de Transylvanie aient été attaqués par la N.G.R. comme auxiliaires de la réaction, mais que les Roumains des principautés (c'est-à-dire en réalité la noblesse roumaine de ces principautés) aient été salués comme des alliés 181. Mais comme pour la N.G.R., le comportement contre-révolutionnaire d'un peuple est en même temps la preuve qu'il n'est pas viable, le même peuple – le peuple roumain - figure dans ses colonnes, en fonction de son établissement, tantôt au titre de « nation depuis longtemps déliquescente et dépourvue de toute énergie », tantôt comme nationalité dont « la liberté et l'indépendance » doivent être protégées.
Il y aurait encore à citer les Saxons de Transylvanie qui, pour la N.G.R., sont aussi une « nation depuis longtemps déliquescente », et auxquels il est en outre reproché (de même qu'aux Juifs hongrois) de vouloir « faire exception » en Hongrie et de « s'entêter à garder une nationalité absurde en plein milieu d'un pays étranger ». (Une attitude difficile à expliquer si l'on veut à tout prix voir dans Engels et Marx « des nationalistes allemands ».)
Notes
106 Les « Russins » [Rusynŷ] – traduction latinisante en allemand de « Ruthènes » - ont plus tard renoncé à leur ancien nom historique et pris celui « d'Ukrainiens », d'une part pour manifester leur unité avec la partie la plus importante de leur peuple qui vivait dans l'Ukraine russe (et étaient désignés officiellement sous le nom de « Petits-Russiens ») et de l'autre pour souligner la différence avec les Grands-Russiens qui se disent aussi « Russes ». Aujourd'hui, aucun Ukrainien ne songerait plus à se dire « Russin » ou « Petit-Russien », - un indice des énormes changements qui se sont produits ici dans les 60 à 70 dernières années. Nous utiliserons dans la suite l'ancien terme de « Ruthènes », les correspondants de la N.G.R. ne connaissant que celui-là – pour éviter d'avoir à donner à chaque fois l'autre nom en plus.
107 Nous parlons ici et parlerons dans la suite de l'étude exclusivement des Ruthènes de Galicie, étant donné qu'il n'existait en 1848 de mouvement national notable qu'en Galicie.
108 Titre d'un roman de l'écrivain ukrainien Kotsiubynsky
109 Les Ruthènes de Galicie appartenaient – jusqu'à leur « conversion » forcée à l'église soviétique en 1945 – au rite grec-catholique. Le rôle joué par l'Église grecque-catholique dans la renaissance nationale des Ruthènes est intéressant. En Galicie, cette Église a été sans aucun doute un puissant bastion national (elle était l'Église des paysans, alors que l'Église catholique romaine dans la Galicie de l'est passait pour être celle des « seigneurs!). Par contre, dans le Cholmland voisin, par contre, qui faisait partie de la Russie, et non de l'Autriche, et où, il y a plus de cent ans, les paysans grecs-catholiques furent convertis de force à la foi orthodoxe (quelle « continuité » dans les pratiques de russification !), l'attachement au rite grec-catholique était tel qu'en 1905, quand fut autorisé le passage au catholicisme (mais pas au rite grec!), les paysans adhérèrent en masse à l'Église catholique romaine, et devinrent par là-même – en dépit de la différence de langue – des Polonais.
110 Cf. M. Bach, op. cit., p. 486 : « Qu'était par exemple la nation ruthène ? C'étaient des millions de prolétaires ruraux économiquement et moralement opprimés depuis des siècles, sans même un embryon de classes, une indigence partout la même et partagée par tous, dépourvus de culture propre, étrangers à toute espèce de culture – que représentait l'idée nationale pour eux, que pouvait-elle représenter ? Ils savaient qu'il y avait des Polonais, le gentilhomme qui les exploitait jusqu'au sang était un Polonais, ils voyaient l'aubergiste juif, et à Vienne – ça, ils le savaient – habitait l'empereur, plein de bonté et de justice, dont ils devenaient les soldats et qui aimerait tant les aider si seulement il connaissait leur misère. Face à tout cela, eux étaient Ruthènes. Assurément, ils étaient Ruthènes, et quand les Polonais prétendaient, et que les Allemands tout à leur romantisme pro-polonais répétaient en toute bonne foi après eux, que les Ruthènes étaient une invention du gouvernement autrichien, c'était évidemment d'une totale absurdité ! Mais on comprend qu'il n'existait à proprement parler pas de question ruthène en Autriche avant 1848. »
111 Cf. le livre d'O. Bauer : « La question des nationalités et la social-démocratie » (1924)
112 Cf. la première réaction de Engels à ces « tueries » dans son article : « Le début de la fin en Autriche » : « Si encore en 1823 et 1831, l'Autriche pouvait disperser les rebelles piémontais, napolitains et romagnols à coups de boulets de canon, elle a été contrainte en 1846 en Galicie de mettre en mouvement un élément révolutionnaire pas encore développé, les paysans » … [http://www.mlwerke.de/me/me04/me04_504.htm]
113 Les nobles insurgés s'imaginaient qu'il suffirait de s'adresser aux paysans le jour du soulèvement en leur annonçant solennellement la suppression des corvées pour les gagner immédiatement à leur cause. Ils ne voyaient pas que la paysannerie nourrissait contre la noblesse une haine accumulée depuis des siècles, et qu'elle n'avait que trop eu l'occasion – en particulier depuis que Marie Thérèse et Joseph II lui avait reconnu le droit de porter plainte et d'intenter un procès aux seigneurs – de se convaincre de ses pratiques frauduleuses, dont la falsification de documents, etc. ! Seul, un travail d'explication long et modeste, seule une propagande bien faite et généreuse aurait peut-être pu ouvrir une brèche dans le mur de haine et de méfiance qui séparait les masses paysannes et la démocratie aristocratique, et rapprocher les deux partis hostiles. Cette voie fut certes tentée, mais quel succès pouvait avoir une propagande qui voulait persuader les paysans que les responsables de leur misère étaient, non pas les seigneurs, … mais le gouvernement autrichien, qui empêchait les seigneurs de mettre un terme à l'oppression de leurs sujets et de les libérer ?! (Et c'était cet esprit-là qui – à quelques rares exceptions près – inspirait toute la littérature de propagande des sociétés secrètes démocratiques.) Et c'est ce qui fait que cette littérature – qui du reste ne pouvait absolument pas être lue par ces paysans analphabètes – n'eut aucun effet sur eux, et resta confinée au milieu des aristocrates qui, de cette façon, par des appels, par des chansons écrites dans le « style populaire », cherchaient à se convaincre mutuellement de la nécessité d'une « révolution paysanne » ! … (L'auteur de cette étude a dépouillé les archives officielles (une masse énorme de documents représentant environ 200 fascicules) concernant l'activité des sociétés secrètes polonaises en Galicie dans les années 1835-1847, mais n'a, au total, pu trouver que trois à quatre cas où il était question d'une réelle propagande auprès des paysans.)
114 Nous utilisons ce terme au sens que lui donne Franz Mehring dans sa « Légende de Lessing » (« Ainsi naquit le culte bourgeois de Lessing et à partir de là, la légende de Lessing. Ce qui ne veut pas dire que cette légende reposerait sur une falsification intentionnelle et sciemment organisée. Les légendes historiques ne prennent jamais forme de cette façon ; dans la mesure où elles font preuve d'une certaine vigueur et d'une certaine vitalité, elles ne sont jamais rien d'autre que la superstructure idéologique d'une évolution économico-politique. »
115 Dans son commentaire des articles de la N.G.R. consacrés à la Pologne, Mehring écrit : Il est certes vrai que le système Metternich « se maintenait à flot en jouant les nations, et dans les nations les classes, les unes contre les autres », il n'en serait « pas moins stupide de mettre sur le compte de Metternich le fait que lorsque la noblesse polonaise appela en 1846 ses serfs au combat pour l'indépendance nationale, les paysans se soient jetés avec une fureur sauvage sur les gentilshommes eux-mêmes, aient incendié leurs demeures et répandu leur sang à flots. Metternich était bien trop timoré pour ne pas paniquer lui-même devant de pareils brasiers. Il est possible que tel ou tel agent subalterne du despotisme habsbourgeois ait soufflé sur les flammes, mais la thèse des hobereaux polonais selon laquelle ce seraient seulement les manigances de Metternich qui auraient déchaîné les paysans est du même calibre que celle selon laquelle les barricades du 18 mars à Berlin seraient dues à une poignée de Français, de Juifs et de Polonais ou que la social-démocratie allemande aurait été inventée par la police prussienne pour freiner la marche triomphale sans cela irrésistible du parti du progrès [Fortschrittspartei]. »
Cette analyse de Mehring est certainement juste dans ses grandes lignes. Ajoutons qu'aucun historien n'a réussi jusqu'ici à apporter ne serait-ce qu'un début de preuve allant dans le sens de la version aristocratique des événements de 1846, bien que, depuis 1918, il soit possible de puiser dans l'immense trésor des archives autrichiennes officielles. Assurément, on trouve des documents où des fonctionnaires subalternes de Galicie proposent au gouvernement, après les massacres, d'utiliser les paysans en ce sens ; mieux, l'auteur de ces lignes a publié en 1936 dans les « Annales de l'histoire sociale et économique » (en polonais) un mémoire de Metternich qu'il a trouvé dans les archives militaires de Vienne, et dans lequel celui-ci – quelques semaines après les incidents de Galicie – ne se montre absolument pas aussi effrayé qu'il devrait l'être si l'on suit Mehring, et cherche à justifier sa politique de tolérance vis-à-vis des massacres en disant que « lorsqu'un incendie se déclare, toute pompe à eau est bonne à utiliser » … Cependant, ce mémoire lui-même ne prouve que ce que nous savions déjà : à savoir que le gouvernement autrichien, bien loin de se comporter en toute conscience comme un « advocatus diaboli » lors des événements de 1846, s'est bien plutôt laissé surprendre par eux et a accepté pour cette même raison avec d'autant plus d'empressement le secours inattendu des paysans.
116 Du point de vue ethnique, la Galicie autrichienne se divisait en deux parties : la Galicie occidentale polonaise et la Galicie orientale ukrainienne. La ligne de démarcation était la rivière San. (La ligne Curzon correspond en gros à cette délimitation)
117 Il est significatif que toutes les fois que le mouvement ukrainien (ruthène) a pris de la force, il a aussitôt été dénoncé comme l'« invention » d'une quelconque « puissance étrangère ». Dans la Russie pré-révolutionnaire, on aimait fort à voir dans la nationalité ukrainienne une « invention », soit de Bismarck, soit de « l'État-Major allemand », ou même du Vatican.
118 « Guerre et démocratie », 1935
119 « Histoire de l'Autriche », 1911
120 Bakounine, « Oeuvres et correspondance » (Commentées par Steklov).
121 Rappelons que les tueries en Galicie occidentale étaient en lien avec un refus généralisé des corvées, et que les paysans se mirent même ici et là à se partager les domaines seigneuriaux ; ce n'est qu'en avril et mai 1846 que le calme fut ramené dans la paysannerie par les détachements militaires.
122 Voir p . ex. la brochure de K. Ciȩglewicz, « Rzecz Czerwono-Ruska », Lemberg, 1848.
123 Nous lisons ainsi dans une correspondance de Vienne envoyée à la N.G.R. du 16.01.1849 : « On a découvert en Galicie une nouvelle nation – la nation des Hukules. Cette nation est formée par des bandits comme celle des Serežan, ou pour mieux dire des Sarrasins (!). Comme eux, ils portent des manteaux rouges, des pistolets, des poignards, des couteaux longs d'une aune, etc.. Le juvénile empereur de la loi martiale (François-Joseph Ier) leur a envoyé un général de brigands qui les mène maintenant contre les Magyars. Les soi-disant Ruthènes ne suffisaient pas, car ce ne sont en réalité que des Juifs et des fonctionnaires allemands (sic). Les Hukules, eux, sont de purs produits de 1846. » (N° 196). Or les mystérieux « Hukules » dont il est question ici ne sont personne d'autre que les Huzules, les montagnards ruthènes des Carpates orientales – un petit peuple romantique et parfaitement pacifique de bergers et de sculpteurs sur bois qui ne portaient, même il y a cent ans, ni poignards ni couteaux « longs d'une aune » (il suffit de lire les descriptions ethnologiques), et n'avaient strictement rien à voir avec les tueries de 1846 dont presque aucun écho n'était même parvenu jusqu'à eux. Les journalistes d'il y a cent ans avaient déjà une imagination plus que débordante ! Les mêmes malheureux « Hukules » reviennent du reste encore dans un article de Engels du 12.03.1849 intitulé « Vienne et Francfort » : « Et de nouveau, nous avons des commissaires impériaux en Autriche, à Olmütz, tandis qu'ici, comme à Berlin, le Reichstag est dispersé et que le peuple se voit octroyer une constitution « de par la grâce de Dieu » aidée des Croates, des Serežan, des Hukules etc... (N.G.R. du 13.03.1849)
124 N.G.R., N°42 du 12.07.1848
125 N° 132 du 02.11
126 N° 147 du 19.11
127 N° 128
128 C'est pour cette raison que ce sont toujours les paysans ruthènes, mais jamais les paysans polonais, qui sont traités de contre-révolutionnaires par la N.G.R. . C'est ainsi qu'on y parle des « troupes croates, ruthènes et valaques qui (en prenant Vienne d'assaut) ont violé le territoire allemand et ont incendié de leurs obus la première ville d'Allemagne » (N° 213). Et le 19.05. de la même année, elle cite comme facteurs déterminants de la défaite de la révolution en Autriche « l'armée impériale d'Italie, les appétits nationaux des Tchèques, des Croates et des Serbes, la stupidité butée des paysans ruthènes ». (N° 301 – article de Engels)
129 Le gouvernement autrichien ne savait naturellement que trop bien où était le défaut de la cuirasse dans la noblesse galicienne. Ce qui fit qu'elle lui joua sans discontinuer la même mélodie cynique et répugnante que celle que tenta d'utiliser le roi de Prusse, Frédéric Guillaume IV, dès le 24.03.1848 pour intimider les membres de la délégation polonaise de Posen. En substance, il leur dit qu'« ils feraient bien de prendre garde à ne pas prendre un roseau à la place d'une épée – allusion transparente à la gratitude de la « population paysanne » envers le gouvernement ». « Seuls, les fonctionnaires prussiens, dit-il encore, avaient protégé en 1846 les seigneurs polonais du danger d'explosions à la campagne du genre de celles qui s'étaient produites en Galicie. » Ce à quoi les députés polonais surent seulement répondre que « c'était le machiavélisme du gouvernement autrichien qui avait dressé les paysans ruthènes de Galicie contre les gentilshommes polonais. » (Mehring, « Introduction ») Mais on peut facilement imaginer les sentiments de ces députés et combien peu ils pouvaient songer à en appeler à « leurs paysans » contre la brutalité prussienne ! ...
130 N.G.R. N° 15 du 15.06.1848.
131 Il s'agit ici de l'arpentage géométrique du pays entrepris pour l'établissement de ce qui était appelé le « cadastre stable de l'impôt foncier ».
132 N.G.R., n° 43 du 13.07. 1848.
133 Dans sa réponse, le ministère déclara que le conseil national « n'avait pas lieu de se plaindre, n'ayant au contraire qu'à remercier le gouvernement pour la protection que celui-ci lui accorde. » (Ibid., n° 60 du 30.07.)
134 N° 62 du 01.08.
135 Gouverneur de Galicie ; mais il ne fut nommé à ce poste qu'un an après les massacres.
136 N.G.R. n° 272 du 14.04.1849.
137 N° 141 du 12.11.1848.
138 N° 291 du 06.05.1849.
139 À ce propos : sur le chapitre de l'année 1846, presque tous les historiens bourgeois polonais répètent la fable propagandiste totalement absurde lancée par la démocratie de l'époque, selon laquelle l'empereur Ferdinand aurait décoré Szela d'une médaille d'or en récompense des « services » rendus à la monarchie. On retrouve malheureusement cette ineptie aussi chez Steklov (« Oeuvres et Correspondance de Bakounine », III), qui fait de lui, en toute logique, un Ruthène. - En réalité, comme il s'opposait à la reprise des corvées, Szela fut arrêté en mai 1846 et déporté en Bucovine dans le village de Solka. (Cf. M. Janik, « Bannissement de J. Szela en Bukovine », 1936, en polonais.)
140 C'est-à-dire que la noblesse et les agents impériaux lui ont donné ce sobriquet.
141 N.G.R. ? n° 72 du 11.08.1848.
142 Archives du gouvernement de Lemberg, dossier concernant les sujets, 1844, n° 53 636 : « Révolte des sujets et emploi de l'assistance militaire dans le canton russophone de Kimpolung ». Cf. également l'étude de I. Franko sur L. Kobylica (en ukrainien), 1905.
143 « Diverses anecdotes circulent ces temps-ci sur ces membres du Reichstag ; il se dit par exemple que 20 d'entre eux ont pris deux chambres dans un hôtel, et que, le garçon d'hôtel leur faisant remarquer qu'il n'y avait pas assez de place pour autant de lits, ils ont simplement demandé de la paille en disant qu'il y aurait comme ça suffisamment de place. Le régiment polonais de Nassau étant stationné ici, d'autres se sont logés à la caserne chez leurs compatriotes » … (N.G.R. n° 37 du 7.07.) Cf. aussi Kudlich, « Rétrospectives et souvenirs », qui mentionne des anecdotes analogues.
144 Ibid., n° 35 du 05.07.
145 Pour la noblesse, tous les chefs des paysans étaient des « criminels » !
146 N.G.R., n° 43 du 13.07. - En réalité, les cas de non-participation des paysans aux élections ont été très rares. Très souvent, leur « abstention » avait consisté en ce que les grands électeurs paysans s'étaient réunis et avaient élu député un des leurs, mais qu'ensuite, ils avaient refusé de signer le procès-verbal (par méfiance envers toute signature de documents). L'élection était alors invalidée, les 80 et quelques paysans – rentraient chez eux, et on procédait à une nouvelle élection avec les 6-9 grands électeurs de la noblesse qui étaient restés, laquelle était d'ordinaire ratifiée par les autorités.
147 Après sa démission du poste de gouverneur de Galicie, dirigeant de la « droite » dans la Reichstag de Vienne.
148 En fait, ils étaient 39. (Les mandats de 3 députés paysans de Galicie furent annulés par la « gauche ».)
149 N.G.R., n° 82 du 22.08.1848
150 Il s'agit ici des aubergistes juifs. Presque tous les propriétaires de domaines en Galicie avaient à cette époque un aubergiste juif à ferme qui avait le droit d'imposer aux paysans l'achat annuel ou mensuel d'une certaine quantité d'eau-de-vie et était seul autorisé à faire le commerce de leurs produits ; cet aubergiste était de ce fait le « médiateur » le mieux placé entre le « seigneur » et les « assujettis ».
151 N.G.R., n° 83 du 23.08.1848.
152 Il y avait naturellement parmi les « Polonais en frac » aussi des démocrates sincères et des révolutionnaires ! Mais même eux n'étaient pas capables de dépasser leur point de vue de classe. Ainsi, par exemple, le chef de la « gauche » polonaise au Reichstag, le comte Borkowski, justifia sa position dans la question des servitudes avec les arguments suivants : « Le paysan galicien a peu de besoins, et sa ferme suffit à les satisfaire. Or, maintenant que les corvées et autres services sont abolis, et si l'on conserve …. l'obligation de l'utilisation des forêts et des pâtures, pourquoi le paysan travaillerait-il ? Tous ses besoins seraient couverts de toute façon. La moitié la plus importante des terres seigneuriales resterait en friche, les céréales pourriraient sur pied … Pour prévenir cette calamité, je ne vois qu'un remède : la contrainte morale à l'image de celle qui s'exerce dans les villes : le sentiment de la nécessité. À la place du statut supprimé de maître à sujet, il faudrait un statut tel que les anciens seigneurs et les anciens sujets aient besoin les uns des autres, de telle sorte que travail et capital marchent la main dans la main pour assurer le bien général ... » (Ergo, il faut dépouiller les paysans de tous leurs droits de coupe forestière et de pâturage!) - « Procès-verbaux sténographiques » du Reichstag 1848/49, Vol. I, 642-4.
153 Encore un exemple. Le député paysan polonais Jan Sztorc écrivit de Vienne, le 4.10.1848 à ses électeurs du district de Tarnow : « Mes chers frères ! À votre lettre, je dois répondre que vous ne devez de corvée à personne ni n'avez à payer d'intérêt à personne, car vous n'êtes pas des esclaves, mais un peuple libre et souverain … Labourez donc et cultivez les récoltes d'hiver sous ma responsabilité, et malheur à celui qui vous importunerait. Si jamais le seigneur ou quelqu'un d'autre s'avisait de vouloir vous prendre votre terre, ameutez-vous et abattez-le comme un chien. Car vous n'avez à craindre personne, ni notre grand maître mandataire, ni Son Excellence le commissaire du district ou le capitaine du district, - car ce sont des hommes tout à fait comme vous, auxquels vous pouvez dire la vérité en face. - Personne n'a plus le droit comme auparavant de vous faire mettre sur le banc » (pour asséner une correction) « ni de vous faire enfermer, car vous êtes des hommes libres. - Votre ami et représentant, Joh. Storc. » Bien entendu, Sztorc fut immédiatement dénoncé par le « comité national » polonais de Tarnow comme « agitateur paysan » dangereux. (Archives gouvernementales de Lemberg, « Documents particuliers de la présidence du gouverneur v. Zaleski », 1848.)
154 « J'ai fait allusion … au mouvement paysan qui a commencé en 1788 dans l'est de la France. … En étudiant ce mouvement, j'ai pu trouver des éléments prouvant de toute évidence que les paysans révoltés pensaient très souvent que c'était le roi qui avait ordonné de prendre d'assaut les châteaux de la noblesse. … Il y eut aussi des manifestes royaux falsifiés et même des traces d'usurpateur ; rien de tout cela n'a empêché les mêmes paysans de l'est de la France de soutenir leurs députés qui votaient pour la décapitation du roi et pour la république … » (Extrait du discours de P. Kropotkine à une réunion d'émigrés russes à Genève, - communiqué par G. Plekhanov dans la revue russe « Iskra », n° 38 du 15.04.1903.)
155 Engels, « Révolution et contre-révolution en Allemagne ».
156 Ibid.
157 La seule exception est un article peut-être rédigé par Engels sous le titre « La population des campagnes en Autriche ». L'auteur y cite une phrase de l' « Allgemeine Österreichische Zeitung » [Gazette Universelle d'Autriche »] : « Les tribunaux seigneuriaux, qui sont très intimidés depuis les journées de mars et ont perdu leur autorité, ne peuvent rien faire d'autre que de leur céder [aux paysans] », et la commente ainsi : « Céder est pour eux la meilleure des attitudes ; qu'ils soient obligés de céder, chagrine profondément le romantique. Par ailleurs, cet état « d'anarchie » qui attriste cet homme est mille fois préférable à l'état où la « loi » permettait, suivant les principes de la féodalité, de saigner l'agriculteur aux quatre veines, pis que le bétail, en lui imposant corvées, dîmes, etc. » (N.G.R., n° 73 du 12.08.1848, Vienne, le 6 août.) - Cf. aussi le n° 52, qui rend compte de « l'agitation chez les paysans de Moravie » contre les « baillis – ces vampires qui sucent le sang des paysans ».
158 Cf. les passages suivants extraits de l'article de Engels « Schwanbeck dans la Gazette de Cologne » (N.G.R., n° 225 du 18.02.1849) : « Mais le grand Schwanbeck est encore moins dans l'obligation de savoir que la Hongrie est le seul pays (?!) où les charges féodales ont légalement et factuellement cessé totalement d'exister pour le paysan depuis la révolution de mars ! » - Deuxième extrait : « Supposons que la révolution hongroise de mars ait été une pure révolution nobiliaire – est-ce que cela donne le droit à la « monarchie impériale » autrichienne d'opprimer la noblesse hongroise et par là-même les paysans hongrois (?), comme elle a opprimé la noblesse galicienne et à travers elle … (souligné par Engels) les paysans galiciens ? ». Disons simplement que Engels se trompe bien entendu quand il dit que la Hongrie est « le seul pays » de la monarchie sans charges féodales, car dans l'Autriche proprement dite, elles ont disparu, de fait à partir des journées de mars, et légalement à partir de la résolution du Reichstag de septembre 1848. - Nous avons encore plus grave avec l'étrange reproche adressé à la « monarchie impériale » d'opprimer la noblesse et « travers lui » les paysans ! C'est, dans la bouche de Engels, le couplet que l'on entend chanter dans tous les démêlés fiscaux de la noblesse galicienne et plus généralement autrichienne avec l'absolutisme, celle-ci disant à l'État : Si tu nous demandes de payer plus d'impôts, nous serons obligés de pressurer davantage nos paysans ; si donc nous les opprimons, c'est toi qui en es responsable ; par conséquent, c'est toi le vrai oppresseur des paysans ! Ou bien, dans une autre variante : quand tu nous charges de l'administration locale et de l'exercice de la justice, tu nous mets sur le dos l’étiquette infamante d'oppresseur ; par conséquent, l'essence de ces rapports féodaux, c'est cette étiquette ! Etc
159 Dans l'article intitulé « La chute de Vienne » (6.11.1848), Marx écrit : « De son côté, la population allemande » (pourquoi seulement « allemande » ?) des campagnes autrichiennes n'est pas encore pacifiée. On entendra encore sa voix stridente dominer le charivari multiethnique (!) autrichien. »
160 Il s'agit de la loi adoptée par le Reichstag et exécutée par l'absolutisme.
161 Souligné par Engels.
162 N.G.R. n° 275 du 18.04.1849. (cf. également n° 294 du 10.05.1849 : « Hongrie : En Bucovine, l'agitateur paysan Kobylica éveilles de plus en plus l'inquiétude du gouvernement. »
163 M. Bach, op. cit. - L'affirmation « fait prendre les armes » aux Huzules est à prendre sous toutes réserves.
164 Archives de Lemberg, Präsidialia, N° 11 223 ex 1851.
165 Dans la Bucovine, la noblesse était roumaine.
166 N.G.R., n° 280 du 24.04.1849.
167 L'article est signé « Hongrie », et est donc, pensons-nous, de Engels.
168 Dans le n° 280, ils n'étaient que 2000.
169 N.G.R., n° 283 du 27.04.1849.
170 Des mouvements de panique de ce genre étaient à ce moment-là chose courante (les archives en font foi), car les paysans étaient habités par la crainte permanente de voir arriver de mystérieux « Polonais » (des nobles insurgés).
171 Cf. également l'article de Engels du 19.03.1849 sur le déroulement de la guerre en Hongrie : « Il nous suffit : c'est un fait que les paysans (en Hongrie) se sont insurgés, et c'est un fait que les Autrichiens les pacifieront. » (N° 250, Cologne)
172 Inexact, en-dehors des Ukrainiens, le territoire est habité aussi par des Biélorusses et des Lituaniens.
173 Cité d'après l'édition des œuvres complètes en russe, vol. 25, p. 184.
174 Les opinions de Engels sur la question ukrainienne (ruthène) sont étudiées ici pour la première fois. Si étrange que cela puisse paraître, dans le chapitre important sur la question polonaise que Mehring rédige pour introduire les articles de Engels concernant « les débats sur la Pologne à Francfort », il ne dit pas un traître mot des erreurs de Engels dans la question ukrainienne, alors qu'il y rectifie même des « bourdes historiques » d'importance secondaire que Engels a laissé échapper. (Par exemple, la phrase selon laquelle « la liberté de circulation entre les trois fragments éclatés de la Pologne », décidée par le congrès de Vienne, « n'est jamais entrée dans les faits »). L'énigme se résout cependant très facilement : la source essentielle d'information de Mehring sur l'histoire polonaise était R. Luxemburg, qui, comme on sait, sur cette question des nationalités, défendait des positions extraordinairement doctrinaires. N'écrivit-elle pas encore au lendemain de la victoire de la révolution russe d'octobre en 1917 : « De tous côtés, des nations et des mini-nations arrivent en brandissant leurs droits à former des États. Des cadavres décomposés surgissent de tombeaux séculaires animés d'un nouveau printemps, et des peuples 'sans histoire' qui n'ont jamais constitué d'États autonomes » (comme si cela tranchait la question en quoi que ce soit!), « se sentent pris d'une puissante aspiration à former un État. » Et au nombre de ces « cadavres décomposés », elle mettait avant tout les Ukrainiens, dont le mouvement national était à ses yeux « un néant absolu, une bulle de savon, le canular arrogant de quelques douzaines de professeurs et d'avocats », « vu que l'Ukraine n'avait [prétendument] jamais constitué une nation ni un État » … (Archives Grünberg, SXIII, 1928, p. 290, 293 295.) Tout à fait dans l'esprit et même dans le style de la N.G.R. de 1849, donc ! Rien d'étonnant alors, que R. Luxemburg ait recommandé aux bolcheviks russes (à qui la question ukrainienne devait coûter trois années de guerre civile en dépit de la politique conciliante de Lénine et Trotsky !) la politique suicidaire qui consistait à « étouffer dans l’œuf … d'une main de fer les aspirations séparatistes » (ibid. p. 290). Bien entendu, le doctrinarisme grotesque de R. Luxemburg n'a rien à voir avec le « nationalisme polonais » que bien des critiques ukrainiens lui prêtent. Mais il nous montre que des erreurs politiques ont une logique fatale à laquelle souvent même de grands penseurs ne peuvent se soustraire. Mais cette question sera abordée dans la suite de ce travail.
175 Carpato-Ukrainiens
176 Marx écrit à Engels le 5 mars 1856 : « À propos de la Réforme protestante : l'Autriche a dès le début, alimenté la dangerosité des Slaves, tous les peuples – sauf les Russes – penchant pour la Réforme. La Réforme a amené la traduction de la Bible dans tous les dialectes populaires slaves. Et allant de pair avec ça, l'éveil de la nationalité. D'un autre côté, profonde alliance avec le nord allemand protestant. Si l'Autriche n'avait pas écrasé ce mouvement, le protestantisme aurait fourni aussi bien la base de la prédominance de l'esprit allemand qu'autant de remparts contre la Russie grecque-catholique. L'Autriche a mis les Allemands dans toutes les merdes possibles et préparé le terrain aux Russes en Allemagne comme à l'est. » Dans sa réponse du 7.03., Engels se dit d'accord et ajoute : « Heureusement, un très fort protestantisme s'est maintenu en Slovaquie …, et en Bohème, tout mouvement national sérieux, en-dehors du mouvement prolétarien, contiendra un fort élément de réminiscence hussite, ce qui atténuera le côté spécifiquement national. »
177 N.G.R. n° 237 du 4.03.1849
178 N.G.R. n° 250 du 20.03 « Nouvelles de la guerre de Hongrie ».
179 Ibid. n° 277 du 20.04 « Hongrie »
180 Ibid. n° 284 du 28.04 « Hongrie »
181 Cf. articles de Engels du 28.07 (« Bucarest ») et du 19.101848 ainsi que de le n° du 8.03.1849 de la N.G.R. (« Principautés danubiennes »).