1920 |
Un livre d'A. Rosmer, successivement syndicaliste révolutionnaire, communiste et trotskyste. |
Moscou sous Lénine
1920
XII : Radek parle de Bakounine
Dans cette période davant congrès, jeus une occupation supplémentaire avec la commission des mandats ; javais été désigné par le Comité exécutif pour en faire partie avec le Bulgare Chabline, et Radek, alors secrétaire de lInternationale communiste.
Radek occupait dans lInternationale une position particulière. Il était Polonais, avait surtout milité en Allemagne et maintenant il était plus ou moins russifié. Il avait la réputation dun journaliste brillant et informé, mais il nétait pas rare dentendre formuler des remarques désobligeantes quant à son comportement dans les groupements où il avait travaillé. Au cours des réunions intimes de la commission, et plus tard à lExécutif de lInternationale communiste, jeus loccasion de le bien connaître. Après notre première rencontre au Comité exécutif, il mavait demandé daller le voir à son bureau de lInternationale, installée alors dans limmeuble de lancienne ambassade dAllemagne, la maison où lambassadeur von Mirbach avait été assassiné par le socialiste-révolutionnaire Bloumkine. Il prétendait connaître le français, mais en tout cas il ne le parlait pas et notre conversation eut lieu en anglais. Durant un récent emprisonnement en Allemagne, il avait, croyait-il, perfectionné sa connaissance de langlais ; il avait peut-être appris à le lire, mais la langue quil parlait était effroyable ; il était cependant le seul à ne pas sen apercevoir, car il sexprimait avec son assurance habituelle. Pour cette première rencontre il sétait mis en frais damabilité, et après mavoir demandé quelques informations sur le mouvement français, il parla de ses récents travaux, notamment dune étude sur Bakounine. Dans ma prison, dit-il, jai relu les principaux écrits de Bakounine et jai acquis la conviction que le jugement que nous, social-démocrates, portions sur lui, était en bien des points erroné. Cest un travail quil faut reprendre. Javais limpression dune concession imprévue au syndicalisme et à lanarchisme qui plaçaient Bakounine parmi leurs grands précurseurs.
Revenant aux choses de France, il me demanda mon opinion sur les dirigeants du Parti socialiste français, en particulier sur Cachin et Frossard, et sur leur mission dinformation. Il connaissait Francis Delaisi par son ouvrage sur La démocratie et les financiers, me questionna sur son activité présente et sur sa position pendant la guerre, sur la possibilité de lamener au communisme. Je dus répondre que je nen savais rien ; Delaisi était resté silencieux pendant la guerre dont il avait cependant annoncé lapproche, et assez exactement le caractère, dans sa brochure La guerre qui vient.
Notre tâche, à la commission, était assez facile ; les délégués qui nous soumettaient leur mandat étaient presque tous connus ; il ny eut guère de contestations ; seulement un incident de peu dimportance au sujet de la délégation française. Jacques Sadoul et Henri Guilbeaux avaient participé au premier congrès. Guilbeaux, considéré comme représentant de la gauche française de Zimmerwald , avec voix délibérative ; Sadoul, mandaté par le groupe communiste de Moscou, avait été admis avec voix consultative. Fallait-il les inclure tous les deux dans la délégation ? Jétais alors le seul délégué ayant un mandat du Comité de la 3e Internationale. Jestimais que Guilbeaux, par laction quil avait menée en Suisse, était qualifié pour recevoir un mandat avec voix délibérative, tandis que Sadoul, qui se rattachait au Parti socialiste et navait été quun rallié de circonstance, aurait seulement voix consultative. Cette proposition navait guère plu à Radek - il détestait Guilbeaux pour des raisons personnelles ; il en avait avisé Sadoul qui nous envoya une vive protestation. On mit finalement Guilbeaux et Sadoul sur le même plan : délégués avec voix consultative, ce dont ils ne furent satisfaits ni lun ni lautre.