1929 |
Lettre à R. Adler, traduite du russe |
Œuvres – novembre 1929
Lettre à R. Adler
Chère RaIssa Timofélevna,
Etant donné l'état d'esprit actuel de S[trasser], que vous avez très clairement caractérisé dans votre lettre du 25 octobre, le rencontrer ne permettrait pas, je crois, de faire avancer les choses. Bien au contraire : à l'étape actuelle, nous parviendrions seulement à la conclusion que nous n'avons pas suffisamment de points d'accord pour travailler en commun, les chances de rapprochement s'en trouveraient plutôt amoindries qu'augmentées. Cela ne veut pas dire que je trace une croix sur S[trasser]. Mais nous devons encore beaucoup progresser pour que des gens comme S[trasser], qui ont cet état d'esprit, se rallient à nous Vous demandez si mon interview à Neue Freie Presse n'a pas été dénaturée. Il y a un lapsus, non pas malveillant mais fortuit. J'ai dit: "La signification politique de la déclaration de Rakovsky est la suivante ". Or le journaliste a fait de mon analyse de la signification politique de la déclaration une citation de la déclaration. Bien entendu, on ne trouve pas dans la déclaration de formulation aussi explicite. Cependant, le même Rakovsky met les points sur les "i" dans les commentaires qu'il a rédigés sur la déclaration, et qui sont largement diffusés au sein de l'opposition comme au-dehors. A ce propos, des extraits des thèses de Rakovsky ont été envoyés à Vienne à l'adresse de Frank et vous les avez sans doute déjà reçus.
Les événements d'Autriche créent pour le parti, et donc pour l'Opposition également, de nouvelles conditions. Il est possible aujourd'hui de faire un grand pas en avant. Je crois qu'il faudrait commencer par éditer un hebdomadaire, ce qui implique la collaboration des trois groupes.
Je pense que s'ils ne se préparent pas résolument à franchir ce pas, nous verrons les cercles de l'opposition végéter sans véritables perspectives. En France, la création de La Vérité a réellement modifié la situation interne de l'opposition et a ouvert devant elle des possibilités entièrement nouvelles. Mais il est vrai qu'il n'y a pas en France une situation de crise profonde comme c'est le cas en Autriche. En politique, ce ne sont pas les qualités personnelles, les sympathies ou les antipathies, qui règlent les relations entre groupes, ni même entre individus, mais les positions politiques. Le conflit russo-chinois et la Déclaration de l'opposition russe ont amené les différente groupes d'opposition à se déterminer, cela a permis de vérifier, en particulier, que Frey était capable de prendre, seul, une position juste. C'est pourquoi il est indispensable de collaborer avec lui. Un hebdomadaire constitue une base suffisamment large pour y parvenir. Bien entendu, cela doit aller de pair avec une fusion de tous les groupes d'opposition de gauche, la meilleure voie pour y arriver étant d'organiser une conférence.
Les résolutions du dernier comité national du Leninbund sont tout bonnement catastrophiques sur le plan idéologique et témoignent de l'effroyable niveau théorique de la couche dirigeante. Et ce n'est pas surprenant : l'opposition de gauche ne dispose d'aucun organe politique théorique en langue allemande. J'ignore si la minorité du Leninbund parviendra dans un proche avenir à créer son propre organe à Berlin. Il est donc d'autant plus important de mettre sur pied le plus rapidement possible un bon hebdomadaire à Vienne. Cette revue pourrait au moins provisoirement, constituer le centre théorique de l'opposition de gauche pour tous les pays de langue allemande. Je crois que nous devons concentrer toutes nos forces sur cet objectif.