1940 |
La mise en application de la politique militaire prolétarienne selon le Socialist Workers Party américain... Compte-rendu sténographique d'interventions prononcés lors d'une conférence du SWP tenue du 27 au 29 septembre 1940. Le sujet avait été étroitement travaillé avec Trotsky, assassiné le 21 août. Traduction par nos soins de la presse du SWP. |
James Patrick Cannon
La Politique Militaire du Prolétariat
du 27 au 29 septembre 1940
Introduction de la rédaction du "Socialist Appeal" : Ce qui suit [1] est un rapport sténographique du discours principal prononcé par le camarade Cannon lors de la conférence plénière du Parti socialiste des travailleurs qui s'est tenue du 27 au 29 septembre à Chicago.
Notre premier mot en ouvrant officiellement nos délibérations aujourd’hui est consacré à la mémoire de notre plus grand professeur et camarade et de notre plus glorieux martyr. La proposition du Comité national est que nous nous levions tous un instant pour rendre un hommage silencieux à la mémoire du camarade Trotsky.
Nous nous rencontrons pour la première fois sans lui. Je suis sûr que pendant que nous restions debout pendant la minute de silence, une pensée commune pesait sur nous tous. Nous réalisons tous de manière très poignante que, que nous soyons tout à fait adultes ou non, nous sommes désormais confrontés à l'épouvantable responsabilité de diriger et d'organiser le mouvement mondial d'émancipation prolétarienne sans l'aide directe de celui qui a façonné et guidé notre mouvement, qui nous a instruit, qui nous a élevé, fait de nous des hommes, et nous a préparés à cette grande mission. C'est à nous maintenant de montrer que nous avons réellement appris ce qui nous a été enseigné si patiemment et si minutieusement. Il s'agit pour nous de prendre les outils qui nous ont été confiés et de les utiliser non plus comme des apprentis mais comme des ouvriers à part entière.
Nous sommes convaincus que nous pouvons y parvenir parce que nous avons reçu le plus grand héritage qu’aucun groupe politique de l’histoire du monde ait jamais reçu. Jamais auparavant l’avant-garde ouvrière n’avait bénéficié d’une préparation aussi complète et approfondie, d’une manière théorique et programmatique, que celle que nous avons reçue. Surtout au cours des onze années écoulées depuis l'exil du camarade Trotsky d'Union Soviétique, onze années si riches en événements historiques, nous avons bénéficié de jour en jour et d'année en année de l'aide de son grand cerveau marxiste. Avec son aide et ses conseils, nous avons percé les mystères de cette époque et trouvé dans chaque cas la voie stratégique et tactique qui mène le mouvement prolétarien vers des hauteurs plus élevées.
Nous n’avons plus seulement maintenant la tâche de diriger le mouvement dans ce pays. Nous avons également sur nos épaules une grande responsabilité internationale. Au XIX° siècle, il y a près de soixante-dix ans, Marx et Engels transférèrent le centre de la Première Internationale aux États-Unis. Leur décision était alors, pour ainsi dire, une indication symbolique du futur rôle de premier plan de l’Amérique sur la scène internationale. Par un concours de circonstances, le geste prophétique de nos grands maîtres a enfin été confirmé par la réalité concrète. Le principal centre politique et la base organisationnelle de la Quatrième Internationale, destinée à achever l'œuvre commencée par la Première Internationale de Marx et Engels, se trouve en réalité ici aux États-Unis, sous la garde des camarades rassemblés ici et de ceux qu'ils représentent dans toutes les régions du pays.
C'est un concours de circonstances, plutôt qu'un mérite particulier de notre part, qui nous a imposé cette responsabilité internationale. Tout d’abord, nous étions destinés à disposer de la plus grande liberté possible pour le développement ouvert, légal de notre mouvement. Tandis que nos vaillants camarades, dans un pays après l'autre, tombaient sous les coups de la persécution, étaient étouffés et réprimés, nous, ici en Amérique, avons eu maintenant douze années de travail préparatoire ininterrompu. Nous étions les seuls parmi pratiquement toutes les sections de la Quatrième Internationale à avoir la chance de ne pas commencer entièrement avec des personnes nouvelles et inexpérimentées. Nous avons transféré dans le nouveau mouvement, la Quatrième Internationale, des cadres importants et expérimentés qui avaient été testés et qui avaient appris dans le mouvement communiste depuis 1918 et même avant. Notre mouvement a ainsi été préparé par son passé et par ces circonstances favorables à établir une continuité ininterrompue entre le mouvement du présent et celui qui l'a précédé. Toutes ces choses prises ensemble nous ont équipé et préparés pour le rôle que nous devons maintenant jouer en aidant au développement ultérieur de la Quatrième Internationale dans tous les pays.
Ce mouvement est avant tout une création du camarade Trotsky. C'est à lui qu’est revenue la tâche de formuler son programme et de rassembler ses cadres à l'échelle internationale. Mais ces dernières années, notre parti est passé au premier plan et a joué un rôle de plus en plus important. De plus en plus, le camarade Trotsky en est venu à compter sur nous comme le plus solide pilier de la IV° Internationale. De plus en plus de camarades dans toutes les parties du monde en sont venus à considérer la combinaison du camarade Trotsky et de la section américaine comme la principale garantie de stabilité à la direction du parti international. Et maintenant, après la mort du camarade Trotsky, nous pouvons être sûrs que les camarades de toutes les parties du monde - en Chine, poursuivant leur travail au péril quotidien de leur vie ; les camarades emprisonnés et dans les camps de concentration en Allemagne ; dans l'illégalité en France ; en Angleterre ; en Australie ; en Amérique du Sud ; en Union soviétique - partout, on compte maintenant sur la section américaine, sur le Socialist Workers Party, pour qu’elle atteigne le niveau de sa responsabilité historique et assure le fonctionnement et le développement continu de notre mouvement international. Cela nous impose à tous une responsabilité encore plus grande.
Nous ne pouvons plus rester à la traîne. Chacun d’entre nous, j’en suis sûr, a senti ces dernières années que si nous nous trompions, nous avions l’assurance que quelqu’un de plus sage que nous pourrait nous corriger. Nous avons tous senti, y compris moi-même, que si nous nous trompions ou nous laissions aller un peu, notre relâchement serait compensé par l’énergie infatigable du Vieux. Nous nous sommes permis plus d’un luxe. Nous ne pouvons plus nous le permettre. Le fardeau repose sur nos épaules. Nous devons le porter. Nous devons donner au mouvement plus que jamais énergie, discipline, fidélité et efficacité.
Nous nous réunissons à une époque de grands changements dans le monde. Sous nos yeux, presque sans que nous nous en rendions compte, une situation mondiale profondément nouvelle s’est créée. Une nouvelle période s’est ouverte. L’essence de la nouvelle situation est que le capitalisme, dans sa décadence sans précédent, dans son agonie, est passé complètement de la stabilité et de la paix relatives qui le caractérisaient en tant que système social en pleine croissance et en pleine santé à un état de crise permanente, et cette crise permanente s’exprime maintenant dans une guerre permanente.
Au meeting de masse d’hier soir, j’ai mentionné le développement nouveau et significatif du pacte germano-italo-japonais. L’annonce de ce pacte signifie avant tout que la guerre en Europe va s’étendre à l’Asie, à l’Afrique et à l’hémisphère occidental des Amériques. Il n’y a aucune perspective de paix durable dans le monde capitaliste. Imaginons un instant qu’une forme de paix puisse se réaliser dans la guerre européenne. Personne ne pourrait croire que ce serait une paix stable. Ce ne serait que la préparation à une nouvelle guerre de continents, d’hémisphères, englobant le monde entier. Si une victoire soudaine et écrasante d’Hitler devait imposer une paix avec l’Angleterre, comme ce fut le cas avec la France, personne ne croirait que ce serait la fin de la guerre. Si une paix formelle devait être déclarée et qu’il y avait une accalmie, durant laquelle il n’y aurait pas de guerre, ce ne serait qu’un intermède.
Nous nous préparons, nos maîtres impérialistes se préparent, nuit et jour, à défier Hitler pour la domination du monde. Et Hitler, Mussolini et les impérialistes japonais se préparent à relever ce défi. Le résultat ne peut être qu’une époque entière de militarisme et de guerre ininterrompus. Le prolétariat, qui est la seule puissance capable de sortir l’humanité de ce bourbier sanglant, doit se rendre à l’évidence. Il ne peut plus se permettre de rêver d’une solution pacifique du problème social. Le mouvement ouvrier a été dominé par cette illusion pendant des décennies, pendant des générations. On pensait et on sentait qu’en travaillant jour après jour à organiser des syndicats, à construire des partis réformistes, à voter, à obtenir une législation sociale – on pensait qu’avec cette méthode, en travaillant d’année en année et de décennie en décennie, on pourrait améliorer graduellement la situation des masses et glisser pacifiquement, sans heurts ni secousses violentes, vers un nouvel ordre social appelé socialisme.
Les ouvriers ne peuvent plus se permettre de telles rêveries, car le monde est en feu avec la guerre et le militarisme. La principale conclusion que l'avant-garde prolétarienne doit tirer est celle-ci : toutes les grandes questions seront résolues par des moyens militaires. C'est la grande conclusion sur laquelle le camarade Trotsky a insisté dans les derniers mois de sa vie. Dans ses lettres, ses articles et ses conversations, il l’a répété à maintes reprises. Nous vivons des temps nouveaux. Le trait caractéristique de notre époque est la guerre incessante et le militarisme généralisé. Cela nous impose comme première tâche, qui domine et détermine toutes les autres, l'adoption d'une politique militaire, l'attitude du parti prolétarien à l'égard de la solution des problèmes sociaux à une époque de militarisme généralisé et de guerre.
Les chances de voir les États-Unis rester en paix sont absolument nulles. Vous avez sous les yeux le projet de notre résolution sur la politique militaire. Il a été publié dans le bulletin intérieur et discuté dans les cellules depuis deux mois. Nous avons exposé dans cette résolution notre conception de ces nouveaux problèmes et de ces nouvelles tâches. Nous abordons dès le début la question de la participation de l’Amérique à la guerre. Il est tout à fait absurde de s’imaginer qu’il existe une politique spéciale, un tour de passe-passe, qui puisse permettre à la plus forte puissance impérialiste du monde d’échapper à la participation à la lutte pour la domination impérialiste du monde. Personne ne croit à cette possibilité, sauf quelques pacifistes à l’esprit confus. Et quand je dis pacifistes à l’esprit confus, je ne veux pas dire les isolationnistes bourgeois. Je veux dire les imbéciles, les gens qui appartiennent complètement au passé, comme les socialistes qui suivent N. Thomas, les lovestonistes, quelques fanatiques religieux.
Cette aile de la bourgeoisie américaine que l’on appelle isolationniste n’est pas moins agressive, pas moins militairement orientée que l’aile qui veut intervenir immédiatement dans la guerre actuelle.
Le Chicago Tribune critique vivement la politique de Roosevelt uniquement parce qu’elle a une approche différente de la guerre. Ils pensent que nous devons commencer la lutte, la lutte de l’impérialisme américain pour la domination du monde, en conquérant d’abord l’hémisphère occidental, puis en attaquant l’est par une guerre contre le Japon, en remettant à plus tard l’affrontement avec Hitler. Les plus clairvoyants, les plus conscients et, j’en suis sûr, les plus forts de la bourgeoisie américaine, ceux qu’on appelle interventionnistes, croient que nous devons commencer la lutte pour la domination du monde par une intervention dans la guerre européenne. Ce qui divise actuellement les deux camps n’est qu’une question de stratégie. Maintenant qu’ils sont confrontés à une alliance militaire ouverte entre l’Allemagne et le Japon, leurs désaccords peuvent facilement être surmontés.
La seule question sera de savoir quand et à quel moment commencer une intervention ouverte. En fait, à part les formalités, nous intervenons maintenant dans la guerre européenne autant que nous le pouvons. Nous envoyons des fournitures illimitées de matériel militaire à l’Europe. À mon avis, la seule raison pour laquelle nous n’envoyons pas de troupes est qu’il n’y a pas d’endroit où les faire atterrir. Les héros de Wall Street et leurs laquais politiques ont négligé la situation européenne. Ils ont sous-estimé la pourriture et la faiblesse des démocraties bourgeoises d'Europe d'une part, et la puissance militaire d'Hitler d'autre part. Ils ont attendu trop longtemps que les ports soient occupés par les fascistes. Il ne reste plus que l'Angleterre. L'Angleterre n'a pas de place pour les troupes, et l'opinion de plus en plus répandue parmi les capitalistes et les experts militaires américains est que l'Angleterre elle-même est une cause perdue.
La question de savoir quand commencera la participation américaine à la guerre n’est qu’une question secondaire. Le fait même que nous ayons affecté environ quinze milliards de dollars en un an aux dépenses militaires avant même que la guerre ne soit officiellement déclarée, que nous ayons institué la conscription en temps de paix pour la première fois dans l’histoire, ces faits ne peuvent qu’indiquer que les maîtres de ce pays se préparent à une explosion d’agressivité militaire d’une ampleur jamais vue auparavant dans l’histoire. L’Amérique impérialiste veut dominer le monde. Sur son chemin se trouve l’Allemagne hitlérienne à l’Ouest, sur son chemin se trouve le Japon impérialiste à l’Est. Le conflit entre ces puissances impérialistes ne peut en aucun cas être résolu par la diplomatie, les vœux ou les demi-mesures, mais seulement comme toutes les autres choses se décident à cette époque – par la force militaire.
Maintenant, face au militarisme universel et à la guerre permanente, face au fait que la plus grande industrie de toutes va être la guerre, l’armée et la préparation des choses pour l’armée, face à ces faits, que doit faire le parti révolutionnaire ? Allons-nous nous tenir à l’écart et dire simplement que nous ne sommes pas d’accord avec la guerre, que ce n’est pas notre affaire ? Non, nous ne pouvons pas faire cela. Nous n’approuvons pas l’exploitation capitaliste dans les usines. Nous n’approuvons pas tout ce système d’exploitation par lequel des individus privés peuvent s’emparer des moyens de production et asservir les masses. Nous sommes contre cela, mais tant que nous ne serons pas assez forts pour mettre fin à l’exploitation capitaliste dans les usines, nous nous adapterons à la réalité. Nous ne nous abstenons pas, ne faisons pas de faire des grèves individuelles et ne nous séparons pas de la classe ouvrière. Nous allons dans les usines et essayons en travaillant avec la classe d’influencer son développement. Nous allons avec les ouvriers et partageons toutes leurs expériences et essayons de les influencer dans une direction révolutionnaire.
La même logique s’applique à la guerre. La grande majorité de la jeune génération sera entraînée dans la guerre. La grande majorité de ces jeunes travailleurs penseront d’abord qu’ils font une bonne chose. Qu’un parti révolutionnaire se tienne là et dise : « Nous pouvons tolérer l’exploitation dans les usines, mais pas l’exploitation militaire » , c’est être complètement illogique. S’isoler de la masse du prolétariat qui sera en guerre, c’est perdre toute possibilité de l’influencer.
Nous devons être de bons soldats. Nos camarades doivent se charger de défendre les intérêts du prolétariat dans l’armée, de la même manière que nous essayons de protéger ses intérêts dans les usines. Tant que nous ne pouvons pas arracher les usines aux patrons, nous luttons pour y améliorer les conditions de vie. De même, dans l’armée. En nous adaptant au fait que le prolétariat de ce pays sera le prolétariat en armes, nous disons : « Très bien, monsieur le capitaliste, vous en avez décidé ainsi et nous n’avons pas été assez forts pour l’empêcher. Votre guerre n’est pas la nôtre. Mais tant que la masse du prolétariat l’accompagnera, nous l’accompagnerons aussi. Nous défendrons notre propre programme indépendant dans l’armée, dans les forces armées, de la même manière que nous l’élevons dans les usines. »
Nous disons que c’est une bonne chose que les ouvriers soient maintenant formés à l’usage des armes. Nous sommes, en fait, pour l’entraînement militaire obligatoire du prolétariat. Nous sommes pour que chaque syndicat se prononce en faveur de cette idée. Nous voulons que le prolétariat soit bien entraîné et équipé pour jouer le jeu militaire. La seule chose à laquelle nous nous opposons, c’est la direction d’une classe en laquelle nous ne faisons pas confiance. Nous ne voulons pas de mouchards du patron comme dirigeants de nos syndicats. De même que nous ne voulons pas d’eux comme dirigeants de nos syndicats, nous ne voulons pas d’eux comme dirigeants des forces armées. Nous sommes prêts à combattre Hitler. Aucun travailleur ne veut voir cette bande de barbares fascistes envahir ce pays ou n’importe quel autre pays. Mais nous voulons combattre le fascisme sous une direction à laquelle nous pouvons faire confiance. Nous voulons nos propres dirigeants – ceux qui se sont montrés les plus dévoués à leur classe, qui se sont montrés les hommes les plus courageux et les plus loyaux sur les piquets de grève, ceux qui s’intéressent au bien-être de leurs collègues travailleurs. C’est précisément le genre de personnes que nous voulons comme dirigeants. Dans la période où toute la jeunesse ouvrière est mobilisée pour la guerre, ce sont eux que nous voulons à la tête de nos bataillons.
Nous adressons donc nos revendications propres au gouvernement. Nous participerons à la guerre aussi longtemps que les ouvriers le feront. Nous dirons franchement aux ouvriers des syndicats et des magasins : « Nous voudrions tout de suite mettre fin à toute cette exploitation capitaliste – militaire et industrielle. Mais tant que vous ne serez pas prêts à cette solution logique, nous nous joindrons à vous. Nous combattrons à vos côtés, essayerons de protéger les hommes d’un gaspillage inutile de vies. Nous ferons tout cela. Mais nous gardons un privilège – le droit d’exprimer notre opinion jour après jour : vous ne devez pas faire confiance à la direction de votre classe ennemie. N’oubliez pas que le gouvernement de Washington est le représentant des mêmes patrons que ceux contre lesquels vous devez vous battre chaque jour pour vivre. Ce n’est rien d’autre que le Comité exécutif de tous les patrons qui, ensemble et individuellement, agissent comme exploiteurs et oppresseurs de la classe ouvrière. Ne faites pas plus confiance à ce gouvernement patronal qu’à vos propres patrons.
Nous lutterons sans relâche pour que les ouvriers aient des officiers de leur choix. Que cette énorme somme d’argent prélevée sur le trésor public soit allouée en partie aux syndicats pour la création de leurs propres camps d’entraînement militaire sous la conduite d’officiers de leur choix. Nous irons au combat avec la conscience que l’officier qui nous dirige est un homme de notre chair et de notre sang, qui ne gaspillera pas nos vies, qui sera loyal et fidèle et qui représentera nos intérêts. Et ainsi, au cours du développement de la guerre, nous construirons dans l’armée un grand mouvement de travailleurs conscients, les armes à la main, qui seront absolument invincibles. Ni l’Hitler allemand ni aucun autre Hitler ne pourra les vaincre.
Nous ne laisserons jamais se produire ce qui s’est passé en France. Ces officiers de haut en bas se sont révélés n’être que des traîtres et des lâches rampant à genoux devant Hitler, laissant les ouvriers absolument impuissants. Ils se préoccupaient bien plus de sauver une partie de leurs biens que de combattre l’envahisseur fasciste. Le mythe de la guerre de la « démocratie contre le fascisme » a été pulvérisé de la manière la plus honteuse et la plus honteuse. Nous devons crier haut et fort que c’est précisément ce que fera cette bande de Washington, car elle est faite de la même étoffe que la bourgeoisie française, belge et norvégienne. L’exemple français montre que les officiers de la classe des démocrates bourgeois ne peuvent mener les travailleurs qu’à des massacres inutiles, à la défaite et à la trahison.
Les ouvriers doivent eux-mêmes prendre en charge la lutte contre Hitler et contre quiconque tente de porter atteinte à leurs droits. C'est là tout le principe de la nouvelle politique élaborée pour nous par le camarade Trotsky. La grande différence entre celle-ci et la politique militaire socialiste du passé est qu'elle est une extension de l'ancienne politique et une adaptation des anciens principes aux nouvelles conditions. Dans nos conversations avec le camarade Trotsky, il a dit qu'il considérait que le grand danger pour notre mouvement était le pacifisme. La souillure du pacifisme dans notre mouvement est due en partie à la tradition socialiste de gauche de l'antimilitarisme. C'est aussi en partie un vestige du passé de notre propre mouvement. Nous avons dit et ceux qui nous ont précédé ont dit que le capitalisme avait fait son temps. L'économie mondiale est prête pour le socialisme. Mais lorsque la guerre mondiale a éclaté en 1914, aucun parti n'avait l'idée que l’heure était à la lutte pour le pouvoir. La position des meilleurs d'entre eux était essentiellement une protestation contre la guerre.
Même les meilleurs marxistes n’avaient pas pensé que le moment était venu où les ouvriers devaient prendre le pouvoir pour sauver la civilisation de la dégénérescence. Lénine lui-même n’envisageait pas la victoire de la révolution prolétarienne comme l’issue immédiate de la guerre. Peu de temps avant le déclenchement de la révolution de février en Russie, Lénine écrivait en Suisse que sa génération ne verrait probablement pas la révolution socialiste. Lui-même avait repoussé la révolution à plus tard, à une décennie plus tard. Et quelques mois plus tard, elle explosa dans toute sa puissance en Russie. Des situations révolutionnaires aiguës se développèrent dans un pays européen après l’autre.
Trotsky nous a fait remarquer que même des combattants antiguerre aussi vaillants et honnêtes que Debs et d’autres comme lui menaient une lutte contre la guerre en guise de protestation, mais il ne leur est jamais venu à l’idée que la guerre posait directement la question de la lutte pour le pouvoir. Cette protestation contre la guerre avait un caractère semi-pacifiste. Notre mouvement en a été affecté, surtout lorsqu’il a été affecté par l’élément petit-bourgeois du parti. Vous vous souvenez que lorsque nous discutions et discutions avec eux, la tendance dominante parmi eux était la suivante : « Nous voulons savoir comment nous pouvons nous tenir à l’écart de la guerre, et si la guerre éclate, comment pouvons-nous nous tenir à l’écart du service militaire. » Ils étaient surtout préoccupés par les différents moyens d’échapper à la conscription. Plus d’un a exprimé l’idée de fuir vers le Mexique.
Un groupe d’étudiants héroïques issus des minorités de Chicago a acheté un petit bateau et a navigué vers Tahiti ou un autre endroit de ce genre pour s’y cacher jusqu’à la fin de la guerre. Alors que des millions de jeunes prolétaires sont sur les champs de bataille en train de vivre toutes sortes d’expériences, d’affronter toutes sortes de dangers, de s’endurcir et de se préparer à tout, ces héros se prélassent sous le soleil tropical et attendent le jour de leur destin. Je suppose que lorsque viendra le moment de faire la révolution, ces gens reviendront probablement de Tahiti en disant : « Nous voici, les gars, prêts à vous guider. » Il n’est pas difficile d’imaginer la réponse qu’ils obtiendront de la part des garçons qui ont déjà choisi leurs dirigeants dans l’épreuve du sang et du feu.
Seuls ceux qui ont traversé l’enfer avec les soldats pourront jamais atteindre leur cœur et être capables de les influencer. Tous ceux qui ont de l’expérience dans le mouvement ouvrier savent qu’il faut plus que de beaux discours pour gagner de l’influence auprès des ouvriers. Il faut être avec les ouvriers. Et neuf fois sur dix. Je pense que tous les syndicalistes en témoigneront : le meilleur atout que vous puissiez avoir est d’être un bon ouvrier à l’atelier. Si les ouvriers disent : « C’est le meilleur mécanicien d’entre nous ; il fait sa part du travail, non pas parce qu’il aime son patron, mais parce qu’il ne veut pas charger ses collègues, etc. » – si les ouvriers disent cela d’un homme, son influence se transmet au syndicat, et lorsqu’il se lève pour dire un mot dans le syndicat, il est écouté.
La même psychologie prévaudra absolument dans l’armée. Un homme effrayé, prêt à fuir – il ne pourra jamais diriger les ouvriers-soldats en prononçant quelques discours depuis sa retraite. Il est nécessaire d’accompagner les ouvriers dans toutes leurs expériences, dans tous les dangers, dans la guerre. De la guerre naîtra la révolution, pas autrement. Le Manifeste de guerre de la IV° Internationale déclare : « Nous n’avons pas voulu la guerre, nous ne sommes pas pour la guerre, mais nous n’avons pas peur de la guerre. Dans cette guerre même, nous formerons les cadres des soldats révolutionnaires qui dirigeront la lutte. »
Il faut se rappeler en permanence que les ouvriers de cette époque ne sont pas seulement des ouvriers, mais des soldats. Ces armées ne sont plus composées d’individus sélectionnés, elles sont des masses entières de jeunes prolétaires, transférés de l’exploitation des usines à l’exploitation de la machine militaire. Ils seront imprégnés de la psychologie du prolétariat dont ils sont issus. Mais ils auront des fusils à la main et ils apprendront à les utiliser. Ils gagneront en confiance en eux-mêmes. Ils seront motivés par la conviction que le seul homme qui compte à cette époque de l’histoire est celui qui a un fusil à la main et sait s’en servir.
Le grand avantage des ouvriers est leur masse. « Vous êtes nombreux, ils sont peu nombreux » , disait le poète Shelley. Tout ce dont les masses opprimées ont besoin, c’est de la volonté de puissance. Pour transformer cette maison de fous du capitalisme en un monde socialiste, il suffit que les masses des ouvriers et des paysans pauvres aient en tête une idée générale simple : ils ont le pouvoir et il est temps de l’utiliser. La classe capitaliste met les armes entre les mains de la classe ouvrière. Cela finira par causer sa perte.
Comme je l’ai dit dans mon discours d’hier soir, la guerre détruit beaucoup de choses utiles et précieuses. C’est un coût terrible que l’humanité doit payer pour avoir tardé à instaurer le socialisme après que le capitalisme a perdu son utilité. Ce retard de la révolution a envoyé à l’humanité un terrible fléau qui va détruire non pas des milliers mais des millions de vies humaines. Il détruira de grandes accumulations de culture matérielle qui ont nécessité des décennies de travail humain pour être créées. Prenons comme exemple la ville de Londres aujourd’hui. Voici une grande ville avec des siècles de réalisations humaines accumulées qui sont réduites en poussière. Dix-neuf jours consécutifs de bombardements, et il va de soi que la ville est déjà partiellement en ruines.
La guerre détruit beaucoup de choses qui nécessiteront beaucoup de travail pour être remplacées. Mais la guerre détruit aussi des choses mauvaises. Ce qui met fin à toute ambiguïté et pose toutes les questions sans détour. Il y a peut-être eu lieu de douter dans le passé de la meilleure façon pour les travailleurs de résoudre le problème social. Des générations entières de travailleurs se sont laissées tromper par l’idée que la meilleure solution était la lutte syndicale et parlementaire graduelle et pacifique, pas à pas. C’est ainsi qu’ils ont construit de grands syndicats et des partis politiques comptant des millions de membres et des dizaines de millions de voix. Ces organisations avaient l’air très imposantes en temps de paix. Elles étaient très importantes. Mais qu’est-il arrivé à ces organisations qui n’avaient rien appris à faire d’autre que de faire payer leurs cotisations un jour et voter le lendemain ? Dès qu’elles ont subi une attaque militaire violente, elles étaient tout simplement finies. Elles étaient conçues pour la paix, pas pour la guerre.
Comment peut-on respecter les parlementaires réformistes et les syndicalistes vulgaires après ce qui s’est passé en Belgique, en Norvège et en France ? Des millions de personnes organisées, pratiquement tout le prolétariat organisé ; tous payaient leurs cotisations ; des accords étaient signés avec les patrons ; un appareil complet de fonctionnaires et d’experts économiques confortablement rétribués dans les syndicats ; beaucoup de dirigeants étaient des personnes de longue date, importantes dans la communauté, tant personellement que socialement ; Tout allait bien jusqu’à ce que la situation passe de la paix, qui était dépassée, à la guerre, la logique du présent. Toutes ces organisations pour la paix ont été écrasées comme des coquilles d’œufs. Il ne reste plus rien de l’organisation, sauf le petit groupe de révolutionnaires qui ont compris que la guerre était à l’ordre du jour et se sont préparés à fonctionner en conséquence. Il ne reste rien des syndicats de Jouhaux en France. De tous ses contrats, de ses experts, de sa trésorerie et de sa pseudo-importance, il ne reste rien. Un décret d’un général Pétain décrépit : « Nous ne voulons plus de ces syndicats » , et la partie était perdue.
Et ce grand parti socialiste de Léon Blum, le parti qui mobilisait des millions de voix et qui paraissait si puissant en temps de paix. La guerre l’a paralysé, et le Parti socialiste français s’est effondré comme un bœuf de traîneau dans un abattoir. Léon Blum finit aux arrêts à Vichy pratiquement comme un vagabond ramassé dans la rue et jeté en prison. Ce sont des gens finis, ces réformistes, des hommes du passé. Aujourd’hui, les temps réclament des hommes nouveaux et un nouveau type de parti, un parti construit pour la guerre.
Ils se moquaient de la Quatrième Internationale, de ce petit groupe qui parlait de guerre et de révolution, qui paraissait si insignifiant à côté de leurs organisations numériquement imposantes. Ils se vantaient de leur propre importance alors que leurs mouvements étaient déjà voués à une mort ignominieuse. Les partisans de la Quatrième Internationale, au contraire, avaient une idée qui prévoyait les événements à venir et ils se préparaient à y survivre. J’ai le grand plaisir de vous annoncer que nous avons reçu des nouvelles de nos camarades de France – nous étions tous très inquiets du sort de nos camarades – nous avons reçu des nouvelles selon lesquelles ils avaient survécu à la guerre jusqu’à présent, que nos camarades avaient échappé aux mailles du filet et étaient non seulement en sécurité, mais fonctionnaient en petits groupes et en contact les uns avec les autres. Même ceux qui étaient en prison pendant la guerre ont réussi à sortir au moment où tout le monde fuyait, y compris les geôliers. Ils ont profité de l’exode général pour s’y mêler et y sont encore. Je suis sûr que la même chose est vraie dans d’autres pays. Ceux qui se préparent dans leur esprit à la guerre sont les mieux qualifiés pour survivre et devenir plus forts. Les Philistins se moquaient autrefois : « Les trotskistes, ils ne sont que quelques centaines. » C’est vrai, mais ils existent encore, plus sûrs que jamais. Léon Blum n’a pas pu aujourd’hui rassembler quelques centaines de sociaux-démocrates dans l’ensemble des territoires occupés et non occupés de France. Ils n’étaient pas organisés pour la guerre. C’est pourquoi ils ont succombé au premier coup. Seuls les partis adaptés à la guerre, prêts à aller jusqu’au bout, à une solution militaire du problème, pourront survivre et vaincre.
J’en viens maintenant à un autre aspect du problème : comment la transformation de cette société d’une situation de paix en une situation de guerre permanente affecte le mouvement syndical. Une chose est absolument claire : les jours des vieux syndicats réformistes routiniers sont comptés. Ils ne pourront pas survivre à la guerre en tant qu’organisations indépendantes. Le mouvement syndical ne pourra survivre que dans la mesure où il s’engagera dans la voie de la lutte résolue contre le système capitaliste. Le syndicat traditionnel non combattant des États-Unis subira le même sort que ceux de France, de Belgique et de Norvège, à moins que les éléments révolutionnaires ne parviennent à le vivifier de l’intérieur et à lui insuffler un esprit de lutte révolutionnaire.
De même, le travail de nos propres camarades dans ces syndicats doit subir un changement. Nous-mêmes avons été affectés par toute la perspective générale de longues années de progrès lents. Dans le passé, 90 % de notre activité syndicale consistait en de petits accords et combinaisons avec des éléments progressistes et non progressistes afin de gagner quelques pouces dans la lutte économique. Nous devons continuer la lutte pour des revendications immédiates dans les syndicats. Il faut continuer le travail quotidien, patient, pour défendre chaque conquête, prendre soin de chaque contact. Dans ce travail, nous collaborons avec tous – progressistes ou réactionnaires – dans l’intérêt quotidien des travailleurs.
Mais en même temps, nous devons comprendre, et faire comprendre de plus en plus aux travailleurs, qu’il n’y aura pas de possibilité en Amérique de croissance et de stabilité à long terme pour des syndicats conservateurs. Cette vision propre aux bureaucrates syndicaux est un mirage. Ils pensent en termes du monde d’hier. L’Amérique entre en guerre à la vitesse d’un train express. Les syndicats seront confrontés à cette alternative : soit ils prendront un virage brusque, développeront une politique révolutionnaire, commenceront une lutte pour le pouvoir main dans la main avec l’aile révolutionnaire de l’armée, soit ils cesseront d’exister. Au mieux, ils seront relégués au rang de simples appendices du gouvernement, sans pouvoir indépendant. C’est sur ce ton que nous devons parler dans les syndicats et les usines.
Il faut que nous nous penchions sur notre propre parti. Tous les camarades du parti qui sont dans les syndicats conservateurs, qui, d’une manière ou d’une autre, ont commencé à succomber à cette atmosphère étouffante, qui ont commencé à développer des tendances à éviter la lutte et à laisser les choses tranquilles, tous les camarades du parti qui s’enfoncent dans ce bourbier doivent être tirés d’affaire. Il faut leur rappeler que la chose la plus importante à cette époque est de construire un parti révolutionnaire. Seul un parti révolutionnaire peut inspirer les syndicats à affronter l’épreuve des temps nouveaux. Nous devons insister plus que jamais sur la responsabilité de chaque camarade du parti.
Votre force dans les syndicats est la force de votre parti. Ne l’oubliez pas. Tous ces collaborateurs d’aujourd’hui, tous ces militants syndicaux qui font si bonne figure en temps normal et paisible, qui sont assez bons pour une grève locale, n’ont aucune idée de la rapidité avec laquelle ces gens peuvent se transformer sous la pression de la crise sociale. Seuls pourront résister dans la période à venir ceux qui sont fortifiés par de grandes idées générales – pas autrement. Vous serez déçus si vous croyez un seul instant qu’un homme qui n’a pas encore rompu avec son attachement au capitalisme en général sera capable de résister à la pression de la guerre. Pas du tout. Certains de nos camarades ont déjà fait des expériences très douloureuses dans ce domaine. Ceux qui ont anticipé la pression et qui savent voir au-delà d’elle l’objectif de la nouvelle société peuvent résister à la pression.
Nous devons avant tout développer notre parti comme un parti d’un type nouveau. Toutes les anciennes organisations partidaires ont été construites pour la paix. Elles ne peuvent survivre à cette nouvelle époque de militarisme universel. Le seul parti qui puisse survivre est celui qui s’adapte au militarisme universel et vise la lutte pour le pouvoir. Il ne peut pas être une organisation tentaculaire, lente et indisciplinée. Il doit être hautement centralisé, avec une discipline de fer dans ses rangs. Il doit être capable de fonctionner, si nécessaire, sous toutes sortes de persécutions. Il faut une direction forte. Nous devons choisir dans nos rangs des personnes expérimentées et de confiance pour les postes de direction et leur donner toute autorité. C’est seulement ainsi que nous pourrons « agir vite et frapper fort en tant qu’organisation unie et disciplinée » .
Au cours de l’année écoulée, nous avons réalisé des progrès d’une importance historique. Alors que le camarade Trotsky était encore en vie pour nous aider, nous avons eu la possibilité de mener dans nos rangs une lutte fondamentale qui nous a préparés à construire le parti de type nouveau. Nous avions des gens qui hurlaient à tout rompre contre le « bureaucratisme » . Ils voulaient un parti où chacun pourrait faire ce qu’il voulait, avoir l’honneur et l’insigne de la Quatrième Internationale sans aucune responsabilité personnelle. Et si le parti leur demandait quelque chose, ils criaient haut et fort contre les injustices dont ils étaient victimes. Lorsque ces clochards criaient au « bureaucratisme » , ils voulaient en réalité protester contre le centralisme et la discipline. J’ai pensé à maintes reprises, et j’ai dit à maintes reprises à des camarades, que le grief que les véritables révolutionnaires prolétariens du parti avaient contre nous, c’était que les accusations de la minorité petite-bourgeoise n’étaient même pas à moitié vraies.
Les ouvriers du parti veulent de la discipline. Ils veulent la centralisation. Ils veulent un parti qui ne permette à personne de se moquer de lui. Ils veulent un parti qui exige de chaque dirigeant qu’il mette toute sa vie, tout son temps, y compris sa vie personnelle, à la disposition du parti. Notre mouvement n’est pas un jeu. Il vise à prendre le pouvoir dans ce pays. Pour cela, nous avons besoin d’un parti dur, d’un parti ferme. C’est un grand avantage pour nous que nous nous soyons débarrassés de cette opposition petite-bourgeoise. Nous avons amélioré la composition de notre parti : nous nous sommes débarrassés de beaucoup de vantardises. Nous nous sommes débarrassés de beaucoup de bois mort et nous sommes maintenant en mesure de faire de vrais pas en avant.
Il est temps maintenant de mener à bien la lutte contre la fraction petite-bourgeoise. Vous savez que la minorité a refusé d’accepter les décisions de la convention. Afin d’être parfaitement équitable et de leur donner le temps de réfléchir, nous leur avons accordé une période de suspension de près de six mois, et non d’expulsion, pour accepter les décisions de la majorité de la convention et rétablir leur position dans le parti. Ils n’ont pas profité de cette concession exceptionnelle. Entre-temps, ils se sont développés politiquement loin de nous, en tant que clique typiquement socialiste de gauche et pacifiste. Leur chef idéologique, Burnham, a renoncé au socialisme. Nous n’avons rien en commun avec eux sur le plan politique. Ils ont plus qu’utilisé le solde de la période probatoire que nous leur avons accordée. Nous ne voulons pas qu’il y ait d’ambiguïté et de confusion dans l’esprit du public concernant eux et nous comme deux ailes du même mouvement. C’est la recommandation unanime du Comité national que la suspension de la minorité de la convention soit changée en expulsion sans condition lors de cette conférence.
Notre deuxième recommandation est de commencer à contrôler de plus près la responsabilité, la discipline et la loyauté vis-à-vis du parti, sans laisser place à la panique dans nos rangs. Nous avons maintenant deux choses à craindre et nous devons naviguer entre les deux. L’une est l’insouciance et l’irresponsabilité, l’autre est la prudence extrême, la chasse aux espions et la nervosité générale dans l’organisation. La deuxième est de loin le plus grand danger. Nous proposons une mesure qui tendra à éliminer les deux. J’ai parlé d’un parti qui dit qu’il ne reculera devant rien de moins que la lutte pour le pouvoir et qu’il luttera jusqu’au bout pour renverser le capitalisme. Un tel parti ne peut exister avec une direction qui a peur pour elle-même ou qui manifeste une nervosité quelconque.
Nous subissons une pression énorme et nous la subirons encore plus. Nous savons que nous avons affaire à une machine meurtrière avec le GPU de Staline. Nous savons que le camarade Trotsky n’a pas été la première et ne sera probablement pas la dernière victime de cette machine meurtrière. Notre parti doit également s’attendre à des persécutions de la part du gouvernement de Wall Street. En comprenant tout cela, certains camarades se sont demandé si nous ne pourrions pas faire quelque chose pour préserver nos dirigeants du danger – peut-être les mettre en réserve, je suppose. Dès la première heure après l’assassinat de Trotsky, nous avons mené une lutte résolue contre cette psychologie. Les gens effrayés ne pourront diriger personne. Celui qui prend part au mouvement révolutionnaire doit de ce fait courir certains risques. Des millions de jeunes travailleurs américains vont être jetés dans la guerre. Beaucoup d’entre eux perdront la vie. Nous vivons des temps dangereux. Mais ils sont dangereux pour tout le monde, pas seulement pour nous. Les révolutionnaires doivent faire face aux dangers de notre époque et ne pas les craindre. Une bonne moitié ou les trois quarts de l’objectif des persécutions et des assassinats est de terroriser les autres. Personne ne peut nous terroriser. Nous essaierons d’être prudents, mais sans avoir peur.
J’ai eu une conversation intéressante avec le camarade Dobbs sur ces deux dangers que sont la nervosité et l’insouciance. Il a convenu avec moi que l’inquiétude est pire que l’insouciance. « Un homme insouciant, dit-il, est bon tant qu’il dure, mais un homme nerveux ne vaut rien à aucun moment. » C’est profondément vrai. Nous devons faire preuve de la prudence nécessaire et nous préserver autant que possible. Mais si vous donnez l’impression aux ouvriers que vous craignez les dangers de la lutte, vous ne pourrez jamais les diriger. Dans un parti révolutionnaire, on peut se passer de beaucoup de choses, mais on ne peut pas se passer de courage.
D’un autre côté, nous devons contrôler l’insouciance. Nous voulons savoir qui est qui dans le parti. Nous ne voulons pas d’une chasse aux espions universelle, car c’est pire que la maladie qu’elle cherche à guérir. Le camarade Trotsky a dit à maintes reprises que la suspicion mutuelle entre camarades peut démoraliser considérablement un mouvement. D’un autre côté, il y a une certaine insouciance dans le mouvement, comme un vestige du passé. Nous n’avons pas suffisamment étudié le passé des gens, même ceux qui occupent des postes importants : d’où ils viennent, comment ils vivent, avec qui ils sont mariés, etc. Chaque fois que de telles questions, élémentaires pour une organisation révolutionnaire, étaient posées, l’opposition petite-bourgeoise s’écriait : « Mon Dieu, vous envahissez la vie privée des camarades ! » Oui, c’est précisément ce que nous avons fait, ou plutôt ce que nous avons menacé de faire, mais cela n’a jamais abouti. Si nous avions un peu plus soigneusement vérifié ces questions, nous aurions peut-être empêché des choses fâcheuses dans le passé.
Nous proposons de créer une commission de contrôle au sein du parti. Nous sommes maintenant tout à fait prêts à le faire. Ce sera un corps de camarades responsables et autorisés qui prendront les choses en main et mèneront chaque enquête à son terme d’une manière ou d’une autre. Cela mettra fin aux soupçons inconsidérés d’un côté et au relâchement injustifié de l’autre. Le résultat final ne peut être que de rassurer le parti et de renforcer sa vigilance. Nous pensons que le parti tout entier, une fois débarrassés de la racaille petite-bourgeoise, est prêt à accueillir un tel organe.
Nous devons renforcer notre personnel professionnel. Nous ne prétendons pas être un parti de militants de base glorifiés. La seule raison pour laquelle nous n’avons pas dix, vingt, trente ou quarante personnes de plus qui consacrent tout leur temps et toute leur énergie au parti, c’est que nous manquons de ressources. Nous avons besoin de plus d’argent pour engager plus de permanents à plein temps. Cette conférence doit décider de l’ampleur du pas en avant qu’elle estime pouvoir faire dans cette direction. Nous ne venons pas ici avec une proposition de quotas spécifiques. Nous voulons que chaque délégation se réunisse et décide du montant qu’elle peut collecter dans un délai de deux mois, par exemple. Notre plan général est que, comme plusieurs sections l’ont suggéré, nous créions un « Fonds commémoratif Trotsky » pour construire le parti. Nous pensons que c’est un bon plan. S’il rencontre l’approbation de la conférence, nous pourrons adopter une résolution à cet effet.
Nous voulons désormais construire le parti de manière plus équilibrée que par le passé. Dans le passé, nous avons consacré une part démesurée de nos ressources à la presse. Nous avons dû le faire. La propagande devait prendre le pas sur l’organisation et lui préparer la voie. Dans la période à venir, nous voulons tendre un peu la main à l’organisation selon le principe général du dollar pour dollar – un pour la presse, un pour l’organisation.
Depuis le dernier congrès, nous avons pris certaines mesures dans ce sens. Vous, camarades du secteur automobile, savez que nous avons constamment maintenu des camarades qualifiés dans ce domaine. Il en va de même dans d’autres domaines. L’importante mesure prise à Saint-Paul aura une signification nationale pour nous tous. Elle montre la tendance croissante des camarades sérieux à considérer le parti comme la chose la plus importante de toutes. Je veux parler de l’action de la camarade Carlson qui a démissionné de son poste de permanente syndicale et accepté un poste d’organisatrice du parti. C’est un bon exemple. Nous devons collecter autant d’argent que possible pour mettre au travail à plein temps pour le parti un grand nombre de travailleurs qualifiés du parti. Il est effarant de constater le nombre de personnes compétentes qui ne consacrent qu'une petite partie de leur temps au parti parce que le travail nécessaire pour gagner leur vie leur prend énormément de temps et d'énergie. Cela convient au vieux parti, mais pas à nous.
Introduction de la rédaction du "Socialist Appeal" : Ce qui suit [2] est un extrait du discours du camarade James P. Cannon, secrétaire national du Parti socialiste des travailleurs, résumant la discussion sur la politique militaire lors de la conférence plénière du Parti qui s'est tenue du 27 au 29 septembre à Chicago.
En résumé, je reprendrai les questions dans l’ordre inverse de leur importance. La question stalinienne est une question de tactique et elle est de loin secondaire par rapport au problème principal de notre politique militaire. Néanmoins, elle a une importance considérable. La discussion a clairement montré une chose : il y a aujourd’hui dans nos rangs très peu de malentendus sur les aspects fondamentaux de la question du stalinisme. La situation est très différente de celle d’il y a un an.
Il est important de se rappeler à ce propos que notre combat avec l’idéologue petit-bourgeois Burnham a commencé sur la question de la caractérisation des staliniens. On se rappellera qu’il y a presque deux ans, au moment de la crise de l’automobile, le premier véritable affrontement avec Burnham et ses associés a été précipité par leur attitude à l’égard de la scission du syndicat de l’automobile. Bien que la grande masse des ouvriers de l’automobile se rangeât du côté du CIO – et donc à l’époque des staliniens – Burnham voulait détourner notre soutien vers Martin, même vers l’AFL, en partant du principe que les staliniens ne faisaient pas réellement partie du mouvement ouvrier.
La situation s’aggrava encore lors de l’invasion de la Pologne, lorsque Burnham voulut que le parti prenne position contre l’Armée rouge en avançant que l’Union soviétique était « impérialiste » . La question devint plus aiguë lors de l’invasion finlandaise. Puis, lorsque Browder fut inculpé par le gouvernement pour une accusation de passeport manifestement inventée, Burnham s’opposa à toute défense de Browder au motif qu’il ne représentait aucune tendance ouvrière légitime. Il oublia le fait qu’en tant qu’agent de la bureaucratie soviétique, Browder représentait indirectement la plus grande organisation ouvrière du monde, celle de l’État soviétique.
Dans ce débat, Burnham était fondamentalement motivé par la pression de l’impérialisme démocratique aux États-Unis. Les staliniens étaient pour le moment en conflit avec l’administration Roosevelt, et « l’intransigeance » de la faction de Burnham contre les staliniens ne représentait qu’une forme bon marché et facile d’adaptation aux clameurs des démocrates bourgeois. Leurs opinions étaient façonnées contre toute forme de reconnaissance du PC comme tendance du mouvement ouvrier. Nous n’avons jamais entendu une telle expression ici aujourd’hui, de la part de qui que ce soit.
Le camarade Morton nous a fait un discours aujourd’hui qui nous a beaucoup appris sur ses expériences au sein du syndicat des ouvriers de l’électricité et de la radio du CIO. Il a dit quelque chose que nous devons prendre en compte : les staliniens de base de ce syndicat ne font pas de distinction entre nous et les provocateurs rouges, ils ont tendance à nous considérer comme faisant partie de la réaction générale. Si c’est vrai, nous devons en tenir compte et corriger cette impression.
Tout d’abord dans la presse. Notre presse doit avoir une ligne plus précise, une ligne qui ne puisse être mal comprise. A chaque occasion importante, il faut faire comprendre aux lecteurs de notre presse que, bien que nous soyons irréconciliablement hostiles au stalinisme – plus que jamais auparavant – nous reconnaissons qu’il représente un courant dans le mouvement ouvrier international et qu’en tant que tel, nous le défendons contre les attaques des provocateurs anti-communistes. Notre presse est notre principal moyen de clarification. Mais la campagne de presse doit être renforcée par des propositions de front uni adressées aux staliniens sur les mesures appropriées. Il y a des occasions qui nous offrent la possibilité de nous rapprocher des ouvriers staliniens et de faire avancer la cause révolutionnaire.
Il ne faut pas oublier, bien sûr, que la ligne actuelle des staliniens n’a qu’un an. Je serais très surpris qu’elle dure encore un an. Le camarade Trotsky estimait que Moscou se tournait déjà vers les Alliés, et particulièrement vers les États-Unis. L’Union soviétique est prise dans un étau entre le Japon d’un côté et l’Allemagne nazie de l’autre. Si les puissances de l’Axe subissent des revers militaires, si l’impérialisme américain agit plus agressivement contre elles, Staline est tout à fait susceptible de basculer dans l’orbite de l’impérialisme démocratique dirigé par les États-Unis. Vous pouvez être sûrs, dans ce cas, que la ligne des staliniens dans ce pays changera très bientôt en conséquence.
Une telle perspective ne s’oppose pas à ce que l’on s’adresse aux staliniens avec des propositions de front unique sur la base de leur ligne actuelle. Plus nous pénétrerons profondément dans leurs rangs sur la base du front unique, en liaison avec leur politique pseudo-radicale, plus nous aurons de chances d’influencer les ouvriers contre le retour à la démocratie bourgeoise et au charlatanisme du Front populaire lorsque les bureaucrates tourneront. Un tel changement de politique du jour au lendemain provoquera inévitablement une crise au sein du PC. Nous devons nous efforcer d’être en mesure d’influencer les éléments révoltés – et cette fois, ce seront les meilleurs, et non les pires – dans une direction révolutionnaire. Tout plaide en faveur d’une politique de front unique sérieuse, soigneusement élaborée, réaliste et pratique. Il est obligatoire que nous consacrions une part proportionnée de notre temps et de notre énergie aux staliniens.
Mais ne nous laissons pas emporter par cette question. On a pu remarquer une légère tendance dans la discussion à mettre l’accent sur cette question tactique secondaire au détriment de notre tâche principale, qui est d’orienter le Parti vers une politique militaire qui n’a rien de commun avec la politique du PC. Il ne faut pas commencer à tourner autour de cette question comme des pirouettes. Il ne faut pas peindre le PC et le faire passer pour autre chose qu’il n’est. Il faut corriger notre politique unilatérale du passé, mais sans la corriger à outrance. Nous risquons de faire de la lutte pour le front uni avec le PC une sorte de panacée.
J’ai eu un peu peur aujourd’hui en écoutant certains discours. J’ai eu une vision horrible du Parti qui tourne en rond et qui est tellement préoccupé par les fronts unis avec le PC que nous n’avons rien d’autre à faire. Le whisky ressemble au thé, mais on ne peut pas le boire aussi librement sans effets néfastes. Cette lutte pour le front uni avec le PC est aussi un puissant remède. Nous devons nous habituer à la maîtrise de soi de l’homme qui peut « prendre ou laisser faire » . N’oubliez pas que le stalinisme est une agence de l’impérialisme, tout comme la bureaucratie de Green et Lewis. Ce n’est qu’une autre variété. Comme les traîtres du réformisme traditionnel, la bureaucratie stalinienne essaie aussi de défendre ses propres intérêts contre les impérialistes. C’est cette contradiction dans chaque cas qui ouvre la voie à la tactique du front unique. Mais n’oubliez jamais que les principaux coups du stalinisme sont dirigés contre la classe ouvrière internationale.
Certains camarades ont posé la question un peu faussement aujourd’hui, je pense. Ils ont demandé : « Qui représente le principal danger à l’heure actuelle ? Quel est le principal danger ? Est-ce représenté par les patriotes purs et durs du type Green et Hillman ? ou est-ce le PC ? » Et ils en sont venus à la conclusion que ce sont les chauvins, pas le PC. Cela montre seulement que le PC est un danger encore plus grand que nous ne le pensons ; sa duplicité crée un peu de confusion même dans les rangs les plus expérimentés. Le stalinisme est le plus grand danger pour le mouvement révolutionnaire international, précisément parce que les staliniens discréditent la grande révolution russe et sèment la confusion et la démoralisation dans les rangs de l’avant-garde prolétarienne qui a rejeté le réformisme traditionnel. Une manœuvre diplomatique momentanée de Staline – elle-même inspirée par la trahison – ne doit pas donner l’impression dans nos rangs que le PC n’est peut-être pas un danger aussi grand aujourd’hui qu’hier. Le stalinisme est traître dans l’âme. Il est le principal obstacle sur le chemin de la révolution prolétarienne. Notre attitude à l’égard du stalinisme est celle d’une guerre irréconciliable. Nous ne pouvons concevoir le front unique que dans le sens d’une attaque de flanc contre notre ennemi le plus perfide.
Le nœud de la question du stalinisme peut être résumé en cinq points :
Premièrement, où se trouve le principal réservoir de recrutement futur du parti révolutionnaire dans ce pays ? Est-ce dans les rangs du PC ? Ou bien dans les rangs de la classe ouvrière à moitié éveillée de ce pays, qui n’a pas été vaincue et qui n’a pas été corrompue ? Nous considérons comme évident que le principal réservoir de recrutement se trouve dans les rangs de ces ouvriers non staliniens. On ne peut s’attendre qu’à un recrutement accessoire du parti stalinien. C’est aussi une source importante, mais ce n’est pas la plus importante. Chaque démarche que nous faisons à l’égard du stalinisme doit être évaluée selon le critère de savoir si elle favorisera ou nuira à notre possibilité de recruter dans les rangs du jeune prolétariat sans instruction mais militant.
Deuxièmement, nous devons être plus prudents, plus précis et plus militants dans la distinction que nous faisons entre notre critique du stalinisme et les attaques des chauvins anti-rouges. Nous devons commencer sérieusement à souligner cette différence dans notre presse. Nous devons clarifier le problème dans son ensemble pour nos membres, pour nos lecteurs, pour les ouvriers staliniens qui lisent parfois notre presse. Nous devons faire comprendre à chaque occasion, avec force et catégoriquement, que nous n'avons rien de commun avec les attaques anti-staliniennes des journaux capitalistes, des vieux syndicats et des sociaux-démocrates contre les staliniens.
Troisième point : notre principal problème dans le domaine politique n'est ni de faire bloc avec les staliniens contre les chauvins progressistes, ni de faire bloc avec les chauvins progressistes contre les staliniens sur des problèmes quotidiens dans les syndicats. Notre principal problème est de mettre en avant et de développer plus clairement et plus précisément la ligne indépendante du parti révolutionnaire.
Quatrième point : au cours du développement, nous chercherons et utiliserons les occasions appropriées et les actions pratiques de front unique dirigées envers les ouvriers du PC. Mais cela ne doit pas devenir le côté dominant de notre activité à leur égard. Nous écrirons 99 attaques contre les perfidies du PC. Nous ne pouvons pas nous permettre de faire un pas en avant dans la direction du front unique avec eux. Et même au moment de nous rapprocher d’eux pour un front unique, nous ne nous relâcherons jamais un instant, et nous ne permettrons pas à aucun ouvrier de penser un seul instant que cette tactique signifie une sorte de réconciliation ou un adoucissement de notre attitude envers la machine meurtrière perfide du stalinisme.
Cinquième point : je ne suis pas aussi optimiste que certains camarades quant au nombre et à la qualité des recrues que nous recevrons du PC. Il y a dans notre organisation quelques membres – pas mal – qui sont venus chez nous des staliniens ces derniers temps et qui sont devenus de bons révolutionnaires. Nous avons aussi fait l’expérience de recruter plus d’une fois, plus de dix fois, des staliniens qui ont essayé de devenir des révolutionnaires, mais qui étaient devenus si démoralisés, et dans une certaine mesure si corrompus, par le PC qu’ils n’étaient pas assimilables. L’une des plus grandes malédictions du stalinisme est l’énorme démoralisation, la désorientation et la corruption des esprits des militants ouvriers avancés qu’il a provoquées.
J’en viens maintenant à la question décisive et fondamentale qui occupe notre parti, la question de la politique militaire. Au cours de la discussion, certains camarades ont demandé : notre ancienne ligne était-elle erronée ? La résolution représente-t-elle un départ complètement nouveau et un renversement de la politique du passé ? Il n’est pas tout à fait exact de dire que l’ancienne ligne était erronée. C’était un programme conçu pour la lutte contre la guerre en temps de paix. Notre lutte contre la guerre dans des conditions de paix était juste dans une certaine mesure. Mais elle n’était pas suffisante. Il faut l’étendre. Les anciens principes, qui demeurent inchangés, doivent être appliqués concrètement aux nouvelles conditions de la guerre permanente et du militarisme universel. Nous n’avons pas imaginé, personne n’a imaginé, une situation mondiale dans laquelle des pays entiers seraient conquis par des armées fascistes. Les ouvriers ne veulent pas être conquis par des envahisseurs étrangers, surtout par des fascistes. Ils ont besoin d’un programme de lutte militaire contre les envahisseurs étrangers qui assure leur indépendance de classe. C’est là le fond du problème.
Dans le passé, nous avons été souvent mis dans une certaine position désavantageuse ; la démagogie des sociaux-démocrates contre nous a été efficace dans une certaine mesure. Ils disaient : « Vous n’avez pas de réponse à la question de savoir comment lutter contre Hitler, comment empêcher Hitler de conquérir la France, la Belgique, etc. » (Bien sûr, leur programme était très simple : suspendre la lutte de classe et subordonner complètement les ouvriers à la bourgeoisie. Nous avons vu les résultats de cette politique de trahison). Eh bien, nous avons répondu d’une manière générale : les ouvriers renverseront d’abord la bourgeoisie chez eux, puis ils s’occuperont des envahisseurs. C’était un bon programme, mais les ouvriers n’ont pas fait la révolution à temps. Maintenant, les deux tâches doivent être télescopées et exécutées simultanément.
L’essentiel est que nous devons agir non pas dans les anciennes conditions de paix, mais dans les nouvelles conditions du militarisme général et de la guerre. Nous ne pouvons pas éviter les nouvelles circonstances, nous devons y adapter notre tactique. En cas de grève, nous exhortons les ouvriers à ne pas entrer dans les usines. Mais quand la majorité décide de revenir en arrière, nous devons revenir avec elle et accepter avec elle, pour le moment, l’exploitation des patrons. Parfois, la défaite d’une grève va jusqu’à non seulement briser un syndicat légitime, mais à pousser les ouvriers à rejoindre le syndicat patronal de l’entreprise. Nous sommes contre les syndicats d’entreprise, mais si les ouvriers y sont poussés, nous y allons et essayons d’y travailler dans l’intérêt du prolétariat. Une tactique analogue doit être appliquée aussi dans les questions de guerre et de militarisme.
Nous avions un grand marxiste comme professeur, et une partie de son génie était de ne jamais faillir à la tactique marxiste. Il prenait toujours la situation existante, dans sa totalité, comme point de départ. Les bolcheviks se sont mis en route en 1917 pour renverser tout le monde capitaliste. Ils ont renversé la bourgeoisie russe, mais les autres pays sont restés sous la domination de la classe capitaliste internationale. Ainsi, à un certain moment, les bolcheviks ont fait le bilan et ont dit : « Voici la situation telle qu’elle existe en réalité. Nous ne pouvons pas renverser les autres bandits impérialistes pour le moment. Les ouvriers ne sont pas encore prêts. Entamons donc des relations commerciales avec les pays impérialistes, gagnons un peu de répit et renversons-les demain. » Le camarade Trotsky a été poussé à élaborer et à étendre notre tactique par la nouvelle situation mondiale. Un parti qui ne s’adapte pas à cette situation, à la guerre existante, ne peut jouer aucun rôle.
Un camarade a essayé de justifier ici une politique antimilitariste. Ses remarques étaient, à mon avis, une réminiscence des temps passés. L’antimilitarisme était une bonne chose quand nous luttions contre la guerre en temps de paix. Mais ici, vous avez une nouvelle situation de militarisme universel. Il est évident que partout dans le monde, tout va se régler non pas par des réunions de masse, ni par des pétitions, ni par des grèves, ni même par des manifestations de masse dans les rues. Tout va se régler par des moyens militaires, les armes à la main. Alors, pouvons-nous maintenant être antimilitaristes ? Absolument pas ! Bien au contraire. Nous devons dire : « Bon, la situation, qui n’est pas de notre fait, est que la force militaire décide. Il ne reste aux travailleurs qu’une chose à faire : apprendre à être de bons combattants avec des armes modernes. » Ainsi, nous, antimilitaristes d’hier, devenons aujourd’hui des militaristes positifs. Le camarade qui essaie de présenter notre position aujourd’hui comme toujours antimilitariste a, à mon avis, résolument tort.
J’ai posé cette question dans nos conversations avec le camarade Trotsky. Après qu’il eut développé ses idées, je lui ai posé la question et je lui ai demandé de répondre de la manière la plus nette et la plus catégorique possible. Je lui ai demandé : « Pouvons-nous nous qualifier de militaristes ? » Et il a répondu : « Oui. Il n’est peut-être pas judicieux, tactiquement parlant, de commencer par une telle proclamation, mais si les pacifistes vous accusent de cela, si on vous accuse d’être militariste, vous prenez la parole et vous dites : « Oui, je suis un militariste révolutionnaire prolétarien. » Cela ne contredit pas l’attitude quelque peu différente que nous avons adoptée à des époques quelque peu différentes – où l’on ne pouvait exclure la possibilité d’empêcher la guerre par la révolution.
La lutte des éléments social-pacifistes contre la conscription était-elle juste dans cette dernière période ? Non, elle ne l’était pas. Elle a ignoré les réalités et semé des illusions. Les ouvriers étaient pour la conscription. La loi sur la conscription a été adoptée sans aucune opposition sérieuse. La lutte telle que nous l’avons menée, pour le contrôle ouvrier, était à 100 % juste. Nous sommes pour la conscription, mais nous ne voulons pas que les patrons enrôlent les ouvriers. Nous voulons que les ouvriers soient enrôlés par une organisation ouvrière. Si un pacifiste confus et horrifié nous demande : « Vous voulez vraiment dire cela ? Vous voulez obliger tous les ouvriers à prendre les armes et à apprendre à vous en servir ? » Nous répondons : « Oui, c’est exactement ce que nous voulons dire. » Comment justifier une telle contrainte ? Par les nécessités de la lutte des classes qui justifient tout. Il n’y a rien de nouveau dans une telle attitude. Une certaine mesure de contrainte a toujours été invoquée par le mouvement ouvrier contre les arriérés, les fainéants.
Par exemple, les syndicats s’efforcent toujours de rendre l’adhésion obligatoire. Les ouvriers intelligents, loyaux et sérieux adhèrent volontairement au syndicat. Alors ils disent aux arriérés, aux ignorants et aux briseurs de grève : adhérez si vous voulez, pacifiquement, mais adhérez à ce syndicat ou bien ne mettez pas les pieds dans cette usine. C’est cela la contrainte pour vous, mon garçon. Nous ne pouvons pas permettre à votre ignorance ou à votre conception erronée de l’intérêt individuel d’interférer avec les intérêts de classe dans leur ensemble. Qu’est-ce qu’un piquet de grève ? Eh bien, certains de ceux que j’ai vus au moins avaient des aspects d’une persuasion extraordinaire. J’ai vu des piquets de grève d’une telle nature que si quelqu’un voulait en discuter, il n’avait même pas la possibilité de le faire. Soit il restait dehors, soit il était éliminé. La contrainte dans la guerre des classes est une nécessité de classe. Nous ne l’avons pas inventée. Elle doit également s’appliquer à l’entraînement militaire.
Une question intéressante, posée par certains ouvriers, a été rapportée ici : « Comment pouvez-vous dire aux ouvriers de se placer sous le contrôle des syndicats pour l’entraînement militaire alors que les syndicats sont contrôlés par des gens comme Lewis, Green et Hillman ? » Eh bien, si nous attendons que les syndicats soient dirigés par la Quatrième Internationale, nous perdons tout sens de la dynamique de leur développement. Green, Lewis et leurs semblables – toute la haute bureaucratie du mouvement ouvrier à l’heure actuelle – sont des agents des capitalistes dans le mouvement ouvrier, mais ils ne sont pas la même chose que les patrons. Leur seule base d’existence est le mouvement ouvrier ; et malgré tout le bureaucratisme des syndicats, ils sont soumis à certaines pressions, à certains contrôles d’en bas. Lorsque la dégradation des conditions, complétée par notre agitation, soulèvera une vague de radicalisation dans les masses, les ouvriers résoudront le problème de la direction dans les régiments ouvriers ainsi que dans les syndicats.
Nous prenons toujours les organisations ouvrières telles qu’elles sont. Nous les rejoignons telles qu’elles sont, les soutenons telles qu’elles sont, essayons de les remodeler de l’intérieur. Bien entendu, l’idée même d’un Lewis ou d’un Green à la tête de l’instruction militaire des ouvriers est une idée farfelue. Bien comprise, notre lutte pour l’instruction militaire sous contrôle syndical est une lutte mortelle contre la bureaucratie réformiste et non combattante. L’adoption de notre politique, ou même un mouvement vigoureux en sa faveur, signifierait la perte des dirigeants actuels. Personne ne croirait que ces scélérats soient aptes à une entreprise aussi sérieuse que l’instruction des ouvriers à l’action militaire.
En 1917, après février, les Soviets de Petrograd et de Moscou étaient aux mains des sociaux-démocrates et des socialistes-révolutionnaires, c’est-à-dire des hommes de la trempe de Lewis et Green, Hillman et Dubinsky ; ni mieux ni pire. Malgré cela, parce que les Soviets embrassaient les ouvriers, Lénine lança le mot d’ordre : « Tout le pouvoir aux Soviets » . Au cours de cette lutte pour tout le pouvoir aux Soviets, les bolcheviks gagnèrent à leur côté la majorité des ouvriers. Et presque au même moment que l’insurrection, les ouvriers ont chassé les mencheviks et les socialistes-révolutionnaires et ont placé les bolcheviks à leur tête. C’est ainsi qu’il faut concevoir les choses dans cette question aussi.
La question du référendum sur la guerre en rapport avec l’instruction militaire obligatoire a été soulevée par un des camarades. Cette question a été posée au vieux dans une lettre de Goldman, et il y a répondu. Le vieux a dit : « Je ne vois pas pourquoi nous devrions renoncer à la demande d’un référendum sur la guerre. Avant qu’ils n’entrent réellement en guerre, une agitation pour un référendum populaire est un excellent moyen de démasquer leur fausse démocratie. » C’est un moyen d’agitation contre eux. Ce n’est pas si simple et automatique ; l’un n’exclut pas l’autre.
Le camarade Trotsky a également répondu à la question de savoir si notre mot d’ordre de la Garde de défense des ouvriers est remplacé par notre politique militaire. Il a dit qu’il ne voyait pas pourquoi. Il pensait qu’ils étaient liés. Bien entendu, à l’heure actuelle, l’accent est entièrement mis sur la question de la pénétration des organisations militaires. Mais, à mesure que la crise se développe, toutes sortes d’attaques réactionnaires seront lancées contre les syndicats. Des bandes seront organisées pour les briser. Les membres des syndicats seront constamment obligés de se protéger. Les travailleurs doivent être sur leurs gardes pour protéger leurs syndicats. Le mot d’ordre de « Gardes de défense des travailleurs » peut être lancé au moment opportun, non pas en contradiction avec notre politique militaire, mais en corrélation avec elle.
Sur la question du rôle des femmes dans le parti après la conscription, il ne faut pas croire que tous nos membres seront dans l’armée. En gros, le pourcentage de notre parti dans l’armée sera le même que celui de leur classe de la même génération. Nous avons un parti jeune. Vous apprendrez d’après le rapport d’organisation complet du camarade Dobbs que l’âge moyen de notre parti est de 29 ans. Cela signifie que peut-être la majorité de nos camarades hommes seront dans l’armée tôt ou tard.
Certains de nos dirigeants seront retirés et à leur place des camarades femmes se présenteront. Nous avons déjà des indications que nous ne manquons pas de ressources dans ce domaine. Et n’oubliez pas que nous avons quelques vieux qui ont dépassé l’âge de la conscription. Peut-être le parti peut-il en faire usage. Lénine a dit un jour, et j’ai toujours sympathisé avec lui, que lorsqu’un révolutionnaire atteint l’âge de 50 ans, il faut le fusiller. Quand les hommes vieillissent, ils deviennent généralement fatigués et conservateurs. Mais il y a des exceptions à toutes les lois, et nous en faisons partie. Si nous avons la bonne politique, et si nous avons la conception que chaque membre de notre parti est potentiellement un leader, potentiellement un général dans l’armée de la révolution, nous ne manquerons pas de leadership.
Le camarade Birchman a mentionné la question des travailleurs noirs dans la militarisation. Notre attitude envers les Noirs en temps de guerre, comme notre attitude envers toutes les autres questions, est la même qu’en temps de paix. Notre ligne est la ligne de classe. Nous défendons l’égalité absolument inconditionnelle de toutes les races et de toutes les nationalités. C’est un principe cardinal du communisme. Nous devons lutter pour et défendre ce principe dans toutes les conditions, y compris celles du militarisme.
Comment travaillons-nous dans une armée de conscrits ? a demandé quelqu’un. Nous travaillons de la même manière que dans un atelier. En effet, le but principal de l’industrie est aujourd’hui d’approvisionner l’armée. Où tracer la ligne ? Il n’y a guère d’industrie qui ne soit mobilisée pour la fabrication ou le transport de matériel pour l’armée. Les masses sont dans l’armée ou travaillent pour approvisionner l’armée. Les ouvriers sont soumis à l’exploitation militaire. Nous allons défendre les intérêts des esclaves de l’exploitation militaire, tout comme nous allons dans l’usine et luttons contre l’exploitation capitaliste. Notre ligne de base partout est la ligne de classe.
Le deuxième point est d’être prudent, prudent. Ne pas faire de coups d’État, ne pas faire de mouvements prématurés qui nous exposent et nous séparent des masses. Aller avec les masses. Être avec les masses, tout comme les bolcheviks l’étaient dans l’armée de Kerensky.
Pourquoi ne pouvons-nous pas faire cela ici ? Et comment pouvons-nous le faire autrement ? Comment pouvons-nous autrement, dans un monde dominé par le militarisme, voir notre voie vers le salut du monde autrement que par des moyens militaires ? Et comment pouvons-nous obtenir ces moyens militaires sinon en pénétrant l’armée telle qu’elle existe ?
Nous avons une grande assurance. Je répète ce que j’ai dit lors de la réunion de masse. Nous avons notre chance devant nous dans ce pays. Même si la guerre est déclarée et qu’une dictature militaire est instaurée, même si toutes sortes de mesures répressives sont décrétées – nous devons toujours nous rappeler qu’une dictature de la police et des forces militaires, instaurée par décret, ne peut pas être la même chose qu’une dictature fasciste basée sur un mouvement de masse mobilisé pendant des années après que les travailleurs ont raté leur chance de prendre le pouvoir. Avant que le fascisme ne puisse s’installer dans ce pays sur une base de masse, selon la loi historique élucidée par le camarade Trotsky, la grande radicalisation massive des travailleurs aura lieu. Les travailleurs ici, comme partout, auront la première chance de prendre le pouvoir. C’est tout ce dont nous avons besoin. Nous aurons notre chance et nous ne la laisserons pas passer.
Notes
1 | Source : Socialist Appeal, vol. 4, n°41 (12.X.1940). - .pdf de cette parution - |
2 | Source : Socialist Appeal, vol. 4, n°43 (26.X.1940). - .pdf de cette parution - |