1952 |
« De même que la propriété par un groupe d'actionnaires d'une entreprise capitaliste s'accompagne du droit de voter au sujet de son administration et de décider la nomination ou le renvoi de ses directeurs, la propriété sociale de la richesse d'un pays doit s'exprimer par le pouvoir donné à la société de décider de son administration ainsi que de la nomination ou du renvoi de ses dirigeants. Les « démocraties populaires » sont basées sur des conceptions différentes. Une dictature policière et bureaucratique s'est établie au-dessus du peuple et demeure indépendante de la volonté de celui-ci, tout en prétendant gouverner au nom de ses intérêts. » |
Les satellites européens de Staline
PREMIÈRE PARTIE – L'ÉCONOMIE DES SATELLITES RUSSES
Chapitre II — Transformation des rapports de
propriété dans l'industrie, les transports, la banque, les assurances
et le commerce
1952
Les transformations dont il vient d'être question eurent un résultat relativement simple : elles assurèrent la prédominance de la petite propriété paysanne. Les rapports de propriété dans l'industrie, les transports, etc., sont, par contraste, beaucoup plus compliqués. Pour bien comprendre la situation actuelle, il est nécessaire de jeter un coup d'œil rapide sur les conditions qui existaient avant le dernier conflit mondial, sur l'influence exercée par l'occupation nazie et sur les effets immédiats de la victoire des armées rouges.
En Europe orientale, la bourgeoisie se développa très tard et, par comparaison avec celle de l'Occident, demeura faible et pauvrement pourvue de capitaux. Il en résulta deux phénomènes antagonistes, mais complémentaires. D'une part, le capital étranger s'infiltra dans ces pays ; d'autre part, l'État, pour éviter de le voir saper l'indépendance nationale, devint propriétaire de certains moyens de production, ne restant pas, comme à l'ouest, un simple surveillant et régulateur des activités des capitalistes privés. Entre ces deux puissances : capitalisme étranger et capitalisme d'État, et sous leur pression, le capitalisme « national » privé parvint à se maintenir tant bien que mal.
Le rôle joué par l'État dans l'industrie était plus grand en Pologne que dans n'importe quel autre pays de l'Europe orientale :
ENTREPRISES POSSÉDÉES PAR L'ÉTAT EN POLOGNE (EN 1938) ET LEUR PART DANS LES DIVERSES INDUSTRIES |
|
100 % |
Production des sels de potasse et de l'alcool; tabac | constructions aéronautiques ; transports aériens; poste, télégraphe, radio |
97 |
Transports maritimes |
95 |
Fabrication des produits de teinturerie |
93,3 |
Chemins de fer |
91 |
Assurances contre l'incendie |
84 |
Production du sel |
73 |
Téléphones |
70 |
Fonderies |
52 |
Assurances autres que contre l'incendie |
50 |
Stations thermales et estivales |
45,8 |
Instituts financiers |
30 env. |
Fabrication des machines-outils1 |
32 |
Carrières, exportation du bois2 |
25 |
Usines à gaz, charbon, produits chimiques3 |
10 à 20 |
Production du contreplaqué, cotonnades, appareillage électrique, bois, raffinage du pétrole |
7,9 |
Production de l'énergie électrique |
(S.-L. sharp, Nationalisation of Key Industries in Eastern Europe, Washington, 1946, pp. 4-5.) |
Il existait beaucoup de sociétés mixtes, possédées en partie par l'État, en partie par des autorités locales, des compagnies privées ou des individus.
La valeur des entreprises d'État dans la Pologne de 1930-1931 atteignait environ 12,5 milliards de zlotys, soit 22,5 % de la valeur totale des industries et du commerce du pays, et la proportion était encore plus grande, comme l'indique le tableau, dans les branches les plus importantes (industrie lourde, métallurgie, produits chimiques, transports).
En Yougoslavie, l'Etat possédait les chemins de fer ainsi que les réseaux téléphoniques et télégraphiques. Les services publics appartenaient aux autorités locales. L'État jouait un rôle très important dans l'industrie du bois du fait qu'il était propriétaire de 37,8 % des forêts. Les autorités locales en possédaient, en outre, 27,9 %. L'État avait entre les mains treize mines de charbon et deux de minerai de fer, qui produisaient respectivement 25 % et 90 % de la production totale de ces minéraux. Le tabac, le sel, la soie naturelle constituaient des monopoles d'État. La fabrication du fer et de l'acier (par la Compagnie sidérurgique yougoslave) et celle des armements étaient contrôlées par l'État, qui avait également une participation très vaste dans les industries de la cellulose et du sucre.
Dans les autres pays de l'Europe orientale, le capitalisme d'État n'était pas aussi développé, mais non négligeable. C'est ainsi qu'en Tchécoslovaquie la totalité des réseaux ferroviaires lui appartenait pratiquement. Les autorités locales possédaient les tramways, les services d'eau, de gaz et d'électricité. La participation de l'État à la puissante banque Živnostenská et aux usines Škoda était de haute importance. Dans l'ensemble de l'industrie, il possédait au moins le dixième des capitaux investis.
Les conditions étaient sensiblement les mêmes dans les autres pays.
Presque toutes les entreprises-clefs de l'industrie, des transports et de la banque étaient, avant la guerre, contrôlées par le capital étranger. Zweig écrit : « La part du capital étranger dans les fonds possédés par l'ensemble des sociétés par actions de Pologne se montait à 33 %. Sa part dans le capital total des sociétés par actions actives est donnée comme s'élevant à 44,8 % en 1935 et à 40,1 % en 1937 », mais « le pouvoir de contrôle de ce capital couvrait une marge beaucoup plus étendue que les 40,1 % de la capacité de production » (Ibid., p. 121). C'était parce que le capital étranger, concentré en certaines positions-clefs, contrôlait un volume de capitaux beaucoup plus considérable. Les sociétés où il dominait constituaient 63,1 % du capital de toutes les sociétés par actions. Sa prépondérance était particulièrement grande dans certaines branches de l'industrie ; dans les mines et les fonderies, il contrôlait 63,6 % de toute l'industrie par actions, 89,9 % dans l'extraction du pétrole, environ 80 % dans l'industrie chimique, 90 % dans l'électro-technique, 95 % dans l'énergie électrique et la fourniture d'eau, 40 % dans les textiles (Ibid., pp. 121-122), 85,1 % dans les assurances, 68,9 % dans les communications et les transports (L. Wellisz, Foreign Capital in Poland, Londres, 1938, p. 145). Il n'avait moins d'importance que dans les industries légères (produits alimentaires, papier, verre, céramiques, etc.) et dans le commerce.
Les autres pays de l'Europe orientale se trouvaient dans une situation analogue. Boris Kidritch, président du comité de planification, déclara au Ve Congrès du parti communiste de Yougoslavie que le capital étranger « participait pour 77,9 % dans l'industrie des mines et celle des matériaux de construction de l'ancienne Yougoslavie, pour 90,9 % dans l'industrie métallurgique, pour 55,8 % dans le raffinage des métaux, pour 28,3 % dans l'industrie du verre et de la céramique, pour 51,4 % dans celle du papier, pour 73,6 % dans les produits chimiques, pour 27,1 % dans les produits alimentaires et agricoles, pour 61,4 % dans les textiles, pour 40,9 % dans l'industrie du cuir et de la fourrure, pour 43,5 % dans la production de l'énergie électrique, pour 32,3 % dans les autres industries, ce qui donnait une moyenne générale de 49,51 % » (B. Kidritch, Sur la construction de l'économie socialiste dans la République fédérale de Yougoslavie, Belgrade, 1948, p. 31).
L'ouvrage publié par le Royal Institute of International Affairs (Agrarian Problems from the Baltic to the Aegean, Londres, 1944) affirme : « 15 à 20 % seulement des capitaux de l'industrie de la Roumanie étaient entre des mains roumaines » (p. 81).
« En 1936, le capital étranger versé dans les compagnies bulgares s'élevait à... 42,6 % du capital versé de l'ensemble de ces compagnies » (Royal Institute of International Affairs, South-Eastern Europe. A Political and Economical Survey, Londres, 1939, p. 173). Sa part était de 48,03 % dans la grande industrie manufacturière, de 38 % dans le commerce en gros, de 24 % dans les assurances, de 22 % dans les banques et de 63 % dans les transports (selon le rapport présenté par Dobri Terpechev devant le Ve Congrès du parti communiste bulgare, Sofia, 1948).
On trouvait une situation analogue en Hongrie.
La Tchécoslovaquie était le seul pays où le capital étranger investi dans la banque et dans l'industrie fût d'une importance relativement faible.
L'influence exercée par l'occupation allemande fut si considérable que, selon les mots de S. Perlman : « Le capitalisme européen fut finalement tué par le nazisme », qui « bouleversa tellement les droits de propriété existants que leur rétablissement, même d'une manière approchée... est inconcevable » (« Quelques réflexions sur la Russie », dans Problems of the Post-War World, Symposium, New-York et Londres, 1945, p. 334). Il n'y a là aucune exagération, comme en témoigne le passage suivant du livre de M. Sharp :
Quelques exemples des acquisitions faites par le capital allemand depuis l'accord de Munich et l'établissement du protectorat de Bohême-Moravie montrent bien l'ampleur du bouleversement des rapports de propriété provoqué par les Allemands dans les pays d'Europe orientale.
En plus de la confiscation pure et simple des biens juifs et de l'acquisition des créances et des avoirs tchécoslovaques dans l'Europe du Sud-Est, les Allemands ont désormais le contrôle et la propriété des principaux établissements financiers et industriels en Bohême-Moravie.
Les banques tchèques ont été contraintes de fusionner, de sorte qu'il n'en subsiste plus que quatre. Le capital allemand (Creditanstalt Dresdner Bank et Deutsche Bank) possède en gros 18 milliards des 33,6 milliards de couronnes (koruny) investies au total dans ces banques.
La plupart des propriétés et des intérêts industriels sont passés sous le contrôle des Hermann Göring Werke (Usines de Vitkovice, Société des mines et des fonderies, fonderie de Pod-brezova en Slovaquie, usines d'armements de Skoda et Brno, aciéries et mines de charbon de la Poldihuette A. G.). Les I. G. Farben ont pris en charge les usines chimiques de l'ancienne Aussiger Verein et les fabriques de dynamite Nobel de Bratislava.
Dans le pays des Sudètes, incorporé au Reich, une firme spécialement créée, la Sudetenländische Bergbau, contrôlée par les Hermann Göring Werke, a pris en charge les anciens biens de l'État tchèque, de la Zivnostenska Banca et les intérêts de la famille Petschek. (op. cit., p. 6-7)
Simultanément, les Allemands développèrent certaines industries de guerre parce que la Tchécoslovaquie était relativement à l'abri des attaques aériennes. Les constructions aéronautiques, par exemple, qui avaient environ 5 000 ouvriers avant le conflit, en employaient plus de 100 000 en 1944, ce qui accroissait la partie de l'industrie tchèque contrôlée par les Allemands.
Étant donné que 40 % de l'industrie tchécoslovaque étaient, avant Munich, entre les mains de citoyens allemands, il est manifeste qu'à la fin de la guerre la proportion du capital germanique n'était pas inférieure à 60 % dans l'industrie et atteignait presque 100 % dans les entreprises financières (banques, assurances, etc.).
M. Sharp écrit au sujet de la Pologne : « Les banques polonaises des régions annexées furent absorbées par l'Ostbank A. G., filiale de la Dresdner Bank. Une organisation particulière fut mise sur pied pour prendre en charge la propriété industrielle, soit directement, soit sous la forme d'une administration obligatoire par la Haupttreuhandstelle Ost. Des mines de charbon furent prises par les Hermann Göring Werke en Sibérie et par les Preussische Bergwerks und Hütten A. G. dans le bassin de la Dombrowa. La Schlesische A. G. für Bergbau et les Hüttenbetriebe concentrèrent entre leurs mains l'industrie du zinc (à l'exception de quelques intérêts laissés aux usines de Giesche). En avril 1942, on signalait que 230 000 entreprises industrielles et commerciales de toute taille avaient été germanisées dans la Pologne annexée (ce chiffre comprenait de très petites affaires et probablement aussi des affaires sous propriété juive).
Les « Werke des Generalgouvernements », organisation d'État, prirent en charge les établissements industriels les plus importants. Deux fabriques de soie artificielle passèrent sous le contrôle des Vereinigte Glanzstoff Fabriken de Wuppertal. Le pétrole fut exploité par la Karpathen-Öl A. G. et les centrales d'énergie électrique par l'Ost-Energie A. G. (Ibid., p. 7-8).
En prenant possession des capitaux français, belges et autrichiens (qui atteignaient, en 1937, 56,9 % du total des capitaux étrangers), ainsi que des entreprises juives (constituant environ 10 % de la richesse industrielle et commerciale) et de celles dont l'État était propriétaire avant la guerre, les Allemands acquirent le contrôle de plus de la moitié du capital industriel et bancaire et de presque toutes les entreprises industrielles, de transport et bancaires de réelle importance.
M. Sharp écrit au sujet de la Yougoslavie : « La Yougoslavie fut démembrée après l'attaque de 1941 et les États successeurs s'emparèrent de la propriété publique et privée dans les provinces séparées. En Serbie, les Allemands obtinrent le contrôle des chemins de fer et des mines, propriété de l'État. La prise de possession des intérêts français leur donna les mines de cuivre de Bor. Les infiltrations du capital germanique en Serbie furent évaluées à environ 45 millions de dollars et, en Croatie, à 35 millions approximativement » (Ibid., p. 9).
Le capital allemand envahit aussi l'économie des pays alliés : la Hongrie et la Roumanie. « En Hongrie, par exemple, les investissements allemands étaient estimés, en février 1944, officiellement, à 692 millions de dollars et, officieusement, à plus du double » (Ibid., p. 8). Ainsi, environ un tiers de l'industrie hongroise tomba sous le contrôle du capital allemand : six très grandes entreprises métallurgiques, neuf mines, trois sociétés de transport, trois industries de produits alimentaires, dix usines de textiles et treize industries diverses (N. Clarion, Le Glacis soviétique, Paris, 1948, p. 89). Le capital allemand se montra particulièrement actif dans le développement des industries de l'aluminium et du pétrole, qui étaient pratiquement nouvelles en Hongrie. L'ampleur du contrôle ainsi obtenu sur l'économie hongroise est révélée par le fait que, le capital allemand étant évalué à plus d'un milliard de dollars, la richesse nationale totale de la Hongrie, en excluant la terre et les édifices, était estimée à 4,4 milliards de dollars en 1948.
« En Roumanie, les Hermann Göring Werke entrèrent en possession d'un nombre important d'actions dans de nombreuses entreprises industrielles, grâce à la saisie des avoirs tchèques. Semblablement, les Allemands « rachetèrent » les intérêts français et belges dans la banque et les mines ainsi que certains intérêts pétroliers hollandais. Un sixième du capital investi dans les banques et l'industrie roumaines passa en possession des Allemands ou sous leur contrôle, selon un calcul fait au début de 1944. Dans l'industrie pétrolière, les intérêts allemands s'enflèrent de moins de 0,5 % avant la guerre à 38 % en 1942. Tous les biens juifs furent « roumanisés » (Sharp, op. cit., pp. 8-9).
Avant le conflit, plus de la moitié du capital étranger investi en Roumanie l'était dans l'industrie des pétroles, et sa totalité constituait près de 85 % du capital d'ensemble de toute l'industrie roumaine. En conséquence, le capital allemand investi dans les pétroles atteignit à lui seul, en 1942, près d'un cinquième de tout le capital industriel de la Roumanie, ou un quart du capital étranger. En outre, il contrôlait quelques autres entreprises assez importantes telles que l'entreprise métallurgique Malaxa, les mines de Resitza, les sociétés Copsa Mica-Cugir, ainsi que deux autres entreprises nouvelles de moyenne grandeur (Clarion, op. cit., pp. 90-91).
Deux pays échappèrent pratiquement à cette invasion du capital allemand pendant la guerre : la Bulgarie et la Finlande, la première parce qu'elle manquait de l'industrie lourde nécessaire à l'effort militaire nazi, la seconde parce que le capital étranger qui s'y trouvait investi n'était ni français, ni belge, mais britannique ou américain, et parce qu'il fut impossible aux Allemands d'acheter les actions anglaises et américaines pendant les hostilités.
La défaite de l'Allemagne laissa sans propriétaires une très grande partie des entreprises industrielles, de transports ou bancaires des pays de l'Europe orientale. La plus grande fraction des biens allemands de Tchécoslovaquie, de Pologne et de Yougoslavie passa aux mains des États nationaux, tandis que, dans les pays précédemment alliés avec le Reich, aussi bien que dans les zones soviétiques d'Allemagne et d'Autriche, ils furent généralement absorbés par le gouvernement russe. Même la Tchécoslovaquie et la Pologne durent fournir leur part du butin récolté par les vainqueurs soviétiques. La Yougoslavie constitua l'unique exception parce que ceux-ci n'occupèrent jamais militairement l'ensemble du pays, mais seulement quelques territoires et pour quelques mois. Certaines des industries, anciennement possédées par les Allemands et dès lors réclamées par la Russie, furent démontées, tandis que le reste demeurait intact, sous contrôle russe.
Nous traiterons plus loin la question du démontage des usines. Nous nous bornerons, ici, à étudier la prise de possession par l'U. R. S. S. de certains intérêts dans l'industrie, les transports et la banque.
Le capital allemand s'étant assuré 38 % des investissements totaux dans l'industrie pétrolière roumaine (ainsi qu'un certain nombre d'industries et de banques), la Russie put obtenir le contrôle presque absolu d'un tiers de cette industrie. Elle devint également propriétaire d'une grande partie de l'industrie métallurgique et des banques. Elle jugea préférable, pour des raisons diverses, de monter en Roumanie (et en Hongrie) des entreprises dans lesquelles elle possédait la moitié des actions, l'autre moitié restant entre les mains de capitalistes privés roumains (ou hongrois) ou de l'État (d'après les lois de nationalisation de 1948). L'État soviétique se trouva ainsi en mesure de contrôler un secteur de l'industrie beaucoup plus grand que s'il avait fondé des sociétés entièrement russes. En mai 1945, l'U. R. S. S. et la Roumanie conclurent un accord sur la création de sociétés mixtes dans certaines branches de l'industrie, celle du pétrole en tout premier lieu. C'est ainsi que naquit le Sovrompetrol, qui possède la part du lion dans les champs pétrolifères et les raffineries du pays. La loi de nationalisation de vaste portée promulguée le 11 juin 1948 ne s'appliqua pas à ces sociétés mixtes.
The World Today (janvier 1949), publication mensuelle du Royal Institute of International Affairs, dit de façon significative :
Le seul capitaliste dans l'industrie roumaine est la Russie communiste. Seul le gouvernement russe a le droit de détenir des actions privées, et seule la société où l'U. R. S. S. a des actions est autorisée à faire des bénéfices et à les répartir entre ses actionnaires. Le Sovrompetrol possède maintenant les puits et les concessions les meilleurs, ainsi que le droit d'exporter dans les pays à change libre. Le gouvernement roumain le subventionne aussi, officiellement, en cas de pertes. On constate donc que le Sovrompetrol dispose d'une affaire fort avantageuse. Le second secteur appartient en principe à l'État roumain. Sa tâche est la prospection, la recherche de nouveaux puits et l'exploitation des puits épuisés, abandonnés par les sociétés expropriées. Son personnel est sans expérience. Il se limitera au trafic désavantagé avec la Russie soviétique et avec ses satellites. Par conséquent, étant donné que les deux secteurs travaillent au bénéfice de l'U. R. S. S., il n'est pas difficile de prédire qui a les meilleures chances de réussir et qui est voué à la faillite.
Bien que, le pétrole étant l'industrie principale de la Roumanie, la Russie y ait consacré sa principale attention, elle n'a pas négligé les autres branches. Etant donnée l'étroite fusion du capital industriel et bancaire en Roumanie, la Sovrom Banco a été créée comme constituant le meilleur moyen de contrôler l'ensemble de l'industrie — en plus du pétrole. Cinquante pour cent des actions de la banque sont directement détenues par la Russie, et l'autre moitié par des compagnies roumaines. Mais comme la Russie, héritière des anciens propriétaires allemands, a une participation dans un grand nombre de ces dernières, elle dispose, même matériellement, de la majorité des actions.
En outre, des sociétés Sovrom ont été constituées pour les transports maritimes et fluviaux, les communications aériennes, le bois, le charbon, l'acier, les produits chimiques, le gaz et quelques autres industries. Dans chacune d'elles, la Russie a payé sa part uniquement en libérant les avoirs allemands qui s'y trouvaient.
Les accords de Potsdam autorisaient la Russie à mettre la main sur tous les biens allemands en Hongrie qui, en février 1944, étaient évalués officiellement à 692 millions de dollars et, officieusement, au double de cette somme sur une richesse totale du pays estimée à 4,4 milliards de dollars en 1943. Elle exerça ses droits partiellement en emportant du matériel industriel et partiellement en prenant la direction d'industries qui continuèrent à opérer en Hongrie. Un accord économique, conclu en septembre 1945, prévit l'établissement de sociétés mixtes russo-hongroises dans quatorze branches de l'industrie et des transports : pétrole, bauxite, aluminium, charbon, produits chimiques, les vastes usines métallurgiques Weiss-Manfred, Ganz et Rimamurany, électricité, chemin de fer, navigation sur le Danube, transports aériens. Si l'importance de ces sociétés, dans l'économie du pays, était grande, elle l'était beaucoup moins que celle des sociétés roumaines analogues. Mais elles constituent une arme politique de très grande valeur pour assurer l'asservissement de la Hongrie à l'U. R. S. S.
En Bulgarie, il existe des sociétés purement soviétiques et des sociétés mixtes dans certaines mines et entreprises de transports. Lorsque la Russie prit possession des avoirs des compagnies allemandes, elle n'accepta pas leur passif, dont la partie la plus importante était constituée par leurs dettes envers l'État. En conséquence, tandis que ces avoirs allemands, provenant, pour la plus large part, de véritables brigandages opérés aux dépens du peuple bulgare, étaient transférés aux Russes, les dettes étaient mises à la charge du contribuable. Le fait fut révélé lors du procès Kostov (décembre 1949), au cours duquel le professeur Stefanov, ancien ministre des Finances, fut accusé de manifester de l'opposition à cette façon de faire. On lui reprocha, au surplus, de vouloir imposer aux sociétés soviétiques les mêmes charges fiscales qu'aux sociétés bulgares. Le réquisitoire considéra comme allant de soi que ces sociétés soviétiques jouissent de privilèges spéciaux en matière d'impôts.
En Yougoslavie, deux compagnies de transports mixtes : « Juspad » et « Justa », furent constituées le 4 février 1947 sous prétexte de « contribuer à la reconstruction et au développement des capacités productrices du pays ». Elles furent supprimées après la rupture avec Moscou, et on obtint alors quelques clartés sur la façon dont elles fonctionnaient. Joze Vilfan, délégué yougoslave au Conseil économique et social des Nations Unies, en parla devant celui-ci. La participation des deux gouvernements à ces compagnies aurait dû être égale, mais, dans la pratique, le fonctionnement fut très différent de ce qui avait été prévu. Par exemple, en mai 1948, l'U. R. S. S. n'avait versé que 9,83 % de sa participation à la Juspad, alors que la Yougoslavie avait déjà versé 76,25 % ; cependant 40 % seulement des services des deux compagnies allaient à la Yougoslavie, et le reste à d'autres pays. Alors que la Juspad faisait payer à l'industrie yougoslave 0,4 dinar par tonne-kilomètre, elle ne réclamait que 0,19 à l'U. R. S. S. et 0,28 aux autres pays. A la liquidation, la Yougoslavie prit à sa charge tout le passif des deux sociétés, quoique l'U. R. S. S. retirât en totalité la part de capital qu'elle avait déjà versée (Tanjug, II, octobre 1949).
C'est là un important aspect de l'exploitation que le gouvernement russe exerça par l'intermédiaire des sociétés mixtes. Les prix de certains articles dont la production dépend de ressources naturelles n'existant qu'en quantité limitée et qui sont la propriété d'individus (ou de l'État) — tels que le blé, le coton, le bois, le charbon, le pétrole — comprennent toujours non seulement les salaires des ouvriers et les bénéfices des propriétaires du capital, mais aussi une redevance payée aux possesseurs de ces ressources naturelles. Lorsque l'État soviétique prend au Sovrompetrol, par exemple, la moitié de ce qui reste quand les frais de production (salaires, amortissement du matériel, etc.) ont été couverts, il prélève non seulement la moitié des bénéfices proprement dits, mais aussi la moitié du loyer des champs pétrolifères. Il devient donc copropriétaire de la richesse naturelle de la Roumanie. On sait l'énormité des redevances ordinairement payées pour les champs pétrolifères. Un exemple suffira à cet égard. En 1946, l'U. R. S. S. conclut un accord avec l'Iran pour la création d'une société pétrolière russo-iranienne. Il fut convenu que la part de l'Iran consisterait à fournir le sol contenant le pétrole et, pour ce seul fait, qu'il recevrait 49 % des actions de la société, c'est-à-dire 49 % des bénéfices et des redevances. Dans le cas du Sovrompetrol, la Roumanie dut fournir la moitié du capital et, en supplément, donner gratuitement le sol. Il n'est pas difficile de calculer la part d'actions que la Roumanie aurait reçue si les conditions avaient été les mêmes qu'en Iran. Elle aurait obtenu 49 % des bénéfices en tant que redevance pour les champs pétrolifères et la moitié du reste — soit 25,5 % — en tant que propriétaire de la moitié du capital, ce qui lui aurait fait 74,5 % au total. Mais elle ne reçut que 50 %. La Russie n'aurait touché que 25,5 % au lieu de 50 %. Tel aurait été le cas si les sociétés mixtes avaient été constituées sur le principe de l'égalité servant habituellement de base entre des partenaires capitalistes. Les bénéfices exceptionnels perçus par l'U. R. S. S. dans le cas du Sovrompetrol et de nombreuses autres sociétés mixtes sont le résultat d'une pression politique.
Nous avons déjà parlé de la prise de possession des industries, des entreprises de transports et des banques par l'État russe. Il convient maintenant d'examiner le transfert des industries aux États « nationaux » qui, au moins officiellement, sont à distinguer de l'État soviétique. On qualifie ordinairement ce transfert de « nationalisation », quoique ce terme soit loin d'être adéquat puisqu'il suppose que l'État jouit de l'indépendance et qu'il s'identifie à la nation, ou du moins à sa majorité. Il n'y a cependant pas de danger à employer ce terme assez lâche, à condition de bien garder cette réserve à l'esprit.
Les États nationaux des satellites étant subordonnés à l'État russe, on doit s'attendre à ce que les progrès de la nationalisation de l'industrie soient subordonnés aux besoins de l'infiltration soviétique dans les économies nationales. C'est bien ce qui se produit. Trois pays seulement de l'Europe orientale : la Pologne, la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie, furent les alliés de la Russie pendant la guerre. L'U. R. S. S. ne put donc, de ce fait, exiger d'eux des réparations ni réclamer tous les avoirs allemands qui y existaient. Elle les encouragea en conséquence à nationaliser leurs industries, ce qui fut fait, pour la grande majorité de celles-ci, dès 1945. (Dans deux de ces pays : la Tchécoslovaquie et la Pologne, la nationalisation s'accompagna d'une vaste expropriation chauvine des « Teutons » par les « Slaves ».)
Les choses se passèrent différemment dans les quatre pays qui s'étaient alliés à l'Allemagne : Roumanie, Hongrie, Bulgarie, Finlande. Il n'y eut pas de nationalisation en Finlande, qui ne fut jamais occupée, et le parti communiste ne déclencha pas de propagande bien intense pour la réclamer. En Roumanie et en Hongrie, l'intérêt qu'avait la Russie à exiger des réparations et à constituer des sociétés mixtes (en même temps qu'un certain nombre de facteurs politiques et sociaux dont nous reparlerons) eut pour résultat de retarder la nationalisation sur une grande échelle jusqu'en 1948, c'est-à-dire pendant plus de trois ans après le début de l'occupation soviétique. En Bulgarie, la Russie craignit que l'enthousiasme révolutionnaire des masses (qui dut sans parallèle, sauf en Yougoslavie, dans cette région de l'Europe) ne fît naître une trop large indépendance à son égard ; son administration était également certaine de pouvoir exécuter la nationalisation à l'instant qu'elle choisirait, aussi décida-t-elle d'attendre jusqu'à la fin de 1947, moment où cette vague révolutionnaire eut perdu sa force vive.
Un autre facteur très important : le Plan Marshall, contribua à fixer le temps où devaient s'exécuter les nationalisations en Roumanie, en Hongrie et en Bulgarie. Le désir de nouer des relations commerciales avec l'Europe occidentale, tel qu'il fut exprimé par la décision unanime prise par le gouvernement tchécoslovaque, le 4 juillet 1947, de participer à la conférence Marshall (décision annulée après la visite à Moscou de Gottwald et de Masaryk, le 10 juillet), obligea la Russie à resserrer son contrôle sur l'économie de l'Europe orientale, ce qu'elle ne pouvait faire qu'en faisant passer toutes les industries de ces pays sous la propriété de l'État. D'où les nationalisations.
Il est impossible de bien comprendre la façon dont cette nationalisation s'effectua en Pologne sans tenir compte de deux facteurs : à savoir : l'existence dans la Pologne d'avant la guerre de nombreuses industries antérieurement possédées par le capital allemand et devenues sans propriétaires et, ce qui est encore plus important, la transformation de l'industrie polonaise provoquée par l'annexion des territoires du Reich situés à l'est de l'Oder et de la Neisse et par l'expulsion des habitants allemands. Nous désignerons cette région par le nom de territoires occidentaux, et ce qui reste de la Pologne d'avant le conflit par le nom d'ancienne Pologne.
PRODUCTION EN 1937 (EN MILLIERS DE TONNES) |
||
|
Ancienne Pologne |
Territoires occidentaux |
|
_ |
_ |
Charbon |
36 218,0 |
29 793,0 |
Coke |
2328,0 |
3229,0 |
Briquettes |
17,4 |
368,6 |
Lignite |
18,4 |
7 594,0 |
Zinc et plomb |
200,0 |
722,1 |
Minerai de fer |
791,6 |
73,1 |
(The World Today, mars 1947.) |
Le tableau précédent montre l'importance industrielle des territoires occidentaux par rapport à l'ancienne Pologne.
La production de fonte des territoires occidentaux atteignait sensiblement 50 % de celle de l'ancienne Pologne, et celle de l'acier 70 %. L'annexion apporta une importante industrie chimique, avec une très vaste gamme de produits. La capacité de raffinage du sucre était la même dans les deux zones. En fait, « la capacité totale de cette ceinture industrielle (c'est-à-dire des territoires occidentaux) est égale à celle de toute la Pologne d'avant la guerre » (The World Today, mai 1948).
En 1937, deux millions de personnes travaillaient dans les mines, l'industrie et les divers métiers en Pologne, mais 1 177 858 personnes, soit la majorité, étaient employées dans des entreprises de moins de 15 ouvriers, les autres n'employant que 830 000 personnes. Par contraste, les industries des territoires occidentaux occupaient, avant la guerre, plus d'un million de travailleurs dans une majorité de grands établissements dont plusieurs centaines possédaient plus d'un millier d'ouvriers chacun.
Aussi, lorsque l'industrie des territoires occidentaux fut déclarée propriété d'État, après l'expulsion de la population allemande (des ouvriers et leurs familles, en grosse majorité), une importante partie — sinon la plus grande — de l'industrie de la nouvelle Pologne se trouva soustraite à la propriété privée. La propriété d'État aurait déjà dépassé de loin celle-ci si la nationalisation n'avait porté que sur l'industrie proprement dite, c'est-à-dire à l'exclusion des artisans et des entreprises employant moins de 15 personnes. La chose ne fut pas immédiatement évidente, car il fallut inévitablement un certain temps avant de pouvoir trouver un nombre suffisant de travailleurs polonais pour les établissements des territoires occidentaux. Aussi, pendant un certain temps après la fin des hostilités, l'industrie nationalisée de ces territoires joua-t-elle, dans l'ensemble de la nouvelle Pologne, un rôle moins important qu'on aurait pu s'y attendre.
Clarion écrit au sujet de l'ancienne Pologne : « Si nous tenons compte du fait que l'industrie lourde et moyenne de l'ancienne Pologne équivaut à l'industrie moyenne et petite de l'Ouest, les mesures de nationalisation laissèrent 45 % du nombre total des industries en dehors de la propriété d'État, soit au minimum 60 % du nombre total des ouvriers industriels » (op. cit., p. 94)4.
Il semble que Clarion exagère le rôle joué par l'industrie privée dans l'ancienne Pologne. Même ainsi, au moins la moitié des ouvriers des mines, de l'industrie et des transports, travaillent dans des entreprises d'État, de sorte que la très grosse majorité de l'ensemble de l'industrie polonaise actuelle est sous la propriété de celui-ci.
Boleslav Bierut, alors président du Conseil national de l'Intérieur et ultérieurement président de la République polonaise, a souligné, dans un discours prononcé à la veille du 1er janvier 1946, que l'expropriation des Allemands constituait le facteur fondamental devant faire de l'État le propriétaire de la majorité des industries. Il déclara : « La guerre renversa complètement les rapports de production de notre système d'avant la guerre... Après l'expulsion des occupants, une énorme majorité des établissements industriels, même des plus petits, durent être classés comme propriétés abandonnées et rouverts grâce aux efforts de l'État, du gouvernement autonome territorial, des coopératives et de nouvelles entreprises privées. Après avoir investi des fonds publics dans les établissements, l'État se sentit obligé de régulariser la situation juridique de ceux-ci et leurs titres de propriété. La seule façon de sortir de cette situation, particulièrement dans le cas des grandes entreprises, c'est la nationalisation. » Celle-ci est donc « un acte légal sanctionnant des faits et des procédures existant déjà. C'est une adaptation de la loi aux réalités ». Tel était l'état des choses en 1945, et la loi sur la nationalisation du 3 janvier 1946 lui donna une sanction légale. Premièrement, tous les biens allemands dans l'industrie, les mines, les transports, les banques, les assurances et le commerce furent déclarés propriété de l'Etat, aussi bien dans les territoires occidentaux que dans l'ancienne Pologne. Deuxièmement, un certain nombre d'autres entreprises, possédées par des citoyens polonais, furent également prises en charge par l'État ; la mesure toucha tous les établissements employant plus de 50 travailleurs. Roman Zambrovsky, secrétaire du comité central du parti des ouvriers polonais (parti communiste), résuma la situation dans un discours prononcé le 12 juillet 1948. Il déclara que 85 % de la production industrielle étaient entre les mains de l'État et d'entreprises coopératives (celles-ci ne dépassant pas 5 %) ; la proportion était la même dans les transports et la finance ; elle était de 100 % en ce qui concernait la banque. Seuls l'artisanat et la très petite industrie demeuraient la propriété de patrons privés (Glos Ludu, 13 juillet 1948).
A la suite de la défaite de la Wehrmacht et de l'expulsion des Allemands des Sudètes, la majeure partie des entreprises industrielles, de transports et bancaires demeurèrent sans propriétaires. Le président Bénès écrivait, le 15 décembre 1945, dans le Manchester Guardian : « Les Allemands s'étaient purement et simplement emparés de toutes les industries principales et de la totalité des banques... S'ils ne les nationalisèrent pas directement, ils les placèrent du moins entre les mains de grandes sociétés allemandes... Ils préparèrent ainsi, automatiquement, la nationalisation du capital économique et financier de notre pays. Il était absolument impossible de le restituer aux particuliers tchèques ou de le consolider sans une énorme assistance par l'État et sans de nouvelles garanties financières. L'État était obligé d'y entrer... »
Trois décrets, parus le 24 octobre 1945, firent passer sous propriété de l'État toutes les banques, les compagnies d'assurances, les sociétés par actions, les industries-clefs et les entreprises de grande envergure. Tous les établissements des industries-clefs (mines, fonderies et aciéries, électricité, etc.), quelle que fût leur taille, se trouvèrent nationalisés. Il en fut de même, dans les autres industries, pour toutes les entreprises employant un nombre déterminé d'ouvriers ou possédant certaines capacités techniques.
Au 1er novembre 1946, la propriété (en pourcentages du nombre total des travailleurs) était ainsi répartie :
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TERRITOIRES TCHÈQUES |
SLOVAQUIE |
|||
|
Propriétés de l'Etat (et des communes) |
Administrées par l'État |
Coopératives |
Privées |
Industries nationalisées |
|
_ |
_ |
_ |
_ |
_ |
Industries de moyens de production |
79,2 |
10,3 |
0,2 |
10,3 |
83,1 |
Industries des moyens de consommation |
44,2 |
14,3 |
1,0 |
39,5 |
52,9 |
Industries non directement affectées par la nationalisation |
11,9 |
13,2 |
2,0 |
72,9 |
18,9 |
Total pour l'industrie |
61,6 |
11,6 |
2,4 |
24,4 |
57,7 |
Aucune nouvelle loi de nationalisation n'a été promulguée entre le 24 octobre 1945 et février 1948 ; on peut donc admettre qu'au cours de cette période il n'y eut pas plus d'un quart de l'industrie (en fonction du nombre des ouvriers) sous propriété privée. Et, comme les entreprises particulières étaient de faible importance par rapport aux entreprises étatisées (en moyenne, chacune de celles-ci occupait huit fois plus de travailleurs qu'une entreprise privée), elles jouaient un rôle encore inférieur dans l'économie industrielle totale du pays.
Une nouvelle nationalisation eut lieu, en février 1948, après l'arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement, et la proportion de l'industrie privée tomba d'environ 25 % à 7 % du total (d'après le nombre d'ouvriers).
C'est donc en 1945 que l'État fit ses plus vastes acquisitions qui provinrent presque entièrement d'entreprises restées sans propriétaires, c'est-à-dire d'entreprises anciennement possédées par des Allemands.
La nationalisation de 1945 affecta à peine la bourgeoisie tchécoslovaque et ne toucha pas du tout les propriétaires tchécoslovaques de la moyenne et petite industrie. Après quoi, les dirigeants communistes proclamèrent qu'il n'y aurait plus de nouvelles mesures de ce genre. Ainsi, le 27 mars 1947, « Clément Gottwald, premier ministre de Tchécoslovaquie, déclara dans une interview que, d'après le programme du présent gouvernement, il est évident que celui-ci considère comme terminée l'étatisation dans le domaine de la production » (Neue Zürcher Zeitung, 29 mars 1947). Quelques semaines plus tard, à une réunion générale du conseil central des syndicats, Antonin Zapotocky, qui présidait, annonça : « Nous acceptons que des entreprises d'importance moyenne, voire certaines plus importantes, demeurent entre des mains privées, et nous ne voyons aucune raison pour modifier ce point de vue. »
Cependant, en février 1948, Gottwald et Zapotocky « oublièrent » toutes ces belles paroles et, pour la première fois, la bourgeoisie tchécoslovaque, y compris les patrons de la moyenne et de la petite industrie, fut sérieusement affectée par la nationalisation. Cette seconde opération fut d'envergure relativement faible après la grande de 1945.
La première loi de nationalisation parut, en Yougoslavie, le 5 décembre 1946. Les deux chambres de l'Assemblée nationale adoptèrent à cette date des mesures faisant passer sous propriété de l'État des entreprises privées appartenant à quarante-deux branches de l'industrie, des transports, de la banque et du commerce en gros. Il serait cependant erroné de croire que, jusque-là, tous ces secteurs de l'économie fussent demeurés sous propriété privée. Dans la pratique, la nationalisation s'effectua sans sanction légale, sous couvert d'une loi promulguée le 24 novembre 1944 sur l'expropriation des biens de l'ennemi et de ses collaborateurs. Au 19 janvier 1946, The Economist estimait que la proportion de l'industrie étatisée ou coopérative était de 70 à 80 % en Yougoslavie, et le journal moscovite Les Temps nouveaux écrivait, le 15 mars 1946 : « Le gouvernement est en possession de 82 % de l'ensemble de l'industrie, les établissements privés comptant seulement pour 18 %. »
Après avoir jeté ce coup d'œil sur la propriété industrielle en Pologne, en Tchécoslovaquie et en Yougoslavie, il est nécessaire d'examiner rapidement comment le commerce est contrôlé. Dans ces trois pays, la propriété privée s'est maintenue très largement dans un domaine particulier, en plus de l'agriculture : celui du commerce de détail. Roman Zambrovsky mentionna, dans le discours cité plus haut, qu'en Pologne l'État et les coopératives n'effectuaient que 25 à 30 % du commerce de détail (dans le commerce de gros, la propriété privée a une part négligeable, celle de l'État étant de 59 % et celle des coopératives de 36,6 %, soit 95,6 % au total). La situation est analogue en Tchécoslovaquie. En ce qui concerne la Yougoslavie, B. Kidritch déclara : «Alors qu'en 1945 85 % du commerce étaient encore effectués par des boutiques particulières, 12 % par des coopératives et seulement 3 % par des magasins d'État, ces derniers atteignaient déjà 19,2 % en 1946, les coopératives 32p. 100, et les boutiques privées étaient descendues à 48,8 % » (B. Kidritch, op. cit., p. 29).
Au 31 mars 1948, la part du commerce privé n'était plus que de 1,78 %, celle des magasins d'État de 39,91 % et celle des coopératives de 58,31 %. (Ibid., p. 31)
Une nouvelle loi vint, en mai 1948, nationaliser tout ce qui subsistait du commerce privé.
Dans ces trois pays, la proportion de l'économie restée entre des mains privées ne dépassa pas celle qu'elle avait dans la Russie soviétique à l'époque de la N. E. P.5.
En Hongrie et en Roumanie, les demandes de réparations par la Russie et la constitution par elle de sociétés mixtes destinées à lui assurer le contrôle direct de certaines positions-clefs dans leur économie eurent pour résultat de retarder les nationalisations jusqu'à la fin des réquisitions, des démontages d'usines, etc., jusqu'à ce que les réparations eussent été presque entièrement payées et les sociétés mixtes déjà mises en place. La nationalisation s'effectua alors sur une vaste échelle dans le premier semestre de 1948.
Cette nationalisation n'est, pour le gouvernement russe, qu'un moyen pour obtenir une valeur ajoutée et une accumulation du capital, et son but n'est pas différent, dans le principe, de celui des sociétés mixtes dont le rôle est ouvertement de soutirer des « réparations ». L'incident suivant le démontre bien.
Après la grave défaite subie par le parti communiste hongrois aux élections générales (novembre 1945), où il ne recueillit que 17 % des votes, la bourgeoisie hongroise prit plus d'assurance et le gouvernement, dirigé par le parti des Petits Propriétaires paysans, essaya de retarder l'accord au sujet des sociétés mixtes. Le parti communiste déclencha alors soudainement une violente campagne pour la nationalisation de l'industrie sur une vaste échelle. Mátyás Rákosi, secrétaire général du parti et vice-président du Conseil des ministres, prononça un discours à Radio-Budapest, le 4 mars 1946, pour réclamer la nationalisation de toutes les industries dans lesquelles la Russie réclamait justement la constitution de sociétés mixtes. Il demanda, en outre, l'élimination des éléments réactionnaires du parti des Petits Propriétaires paysans. Le gouvernement céda, les sociétés mixtes furent créées et le parti communiste ne parla plus de nationalisation (pour un certain temps).
Cette nationalisation fut effectuée par petits morceaux en Hongrie. Les mines de charbon furent nationalisées en janvier 1946, les centrales d'énergie un peu plus tard, dans la même année. Cinq grands établissements Industriels furent soumis au contrôle de l'État, à titre temporaire, « jusqu'à la fin des réparations », en novembre 1946. Toutes les banques furent étatisées en septembre 1947. Cependant, jusqu'à la loi du 25 mars 1948, un quart de l'industrie lourde et les quatre cinquièmes du reste de l'industrie demeurèrent sous propriété privée. A la suite de cette loi, toutes les entreprises industrielles employant plus de cent personnes devinrent propriété de l'État. Celui-ci posséda dès lors 78 % de l'industrie, d'après le nombre d'ouvriers. Le 28 décembre 1949, le gouvernement décida de prendre en charge toutes les entreprises employant plus de dix ouvriers et toutes celles possédées par le capital étranger. Bien entendu, les lois de nationalisation ne touchèrent pas aux sociétés mixtes.
La manière dont l'étatisation fut exécutée en Hongrie illustre bien les procédés tactiques des chefs communistes et leur conviction que la participation active des ouvriers à cette nationalisation n'était pas nécessaire. Le lundi de Pâques 1948 fut déclaré férié. Les usines étant ainsi vides de leur personnel, des fonctionnaires vinrent en proclamer la saisie. Quand les ouvriers rentrèrent, le lendemain, ils avaient changé de patron (Continental News Service, 16 avril 1948).
En Roumanie, le premier pas vers la nationalisation fut la création, durant l'été, de 1947, d'un certain nombre de conseils industriels qui groupèrent les établissements de diverses branches, surveillèrent la répartition des matières premières et déterminèrent les plans de production. Le terrain se trouva ainsi préparé pour la première loi sur la nationalisation de l'industrie, en date du 11 juin 1948. Ce jour-là, sans en avoir parlé au préalable, le gouvernement présenta au parlement un projet qui devint loi au bout de trois heures de discussion et décrétait l'étatisation de l'immense majorité des industries. Quelques mois plus tôt, du 21 au 23 février 1948, au congrès du parti des Ouvriers roumains (communiste), qui devait arrêter la politique de la Roumanie pour l'avenir immédiat, il n'avait pas été fait mention d'une prochaine nationalisation à grande échelle. Toutes les compagnies pétrolières, y compris celles où des capitaux étrangers étaient investis (sauf le Sovrompetrol), furent étatisées, aussi bien que toutes les usines métallurgiques employant plus de 100 ouvriers, les filatures utilisant une puissance de plus de 100 CV, les scieries disposant de plus de 20 CV, toutes les compagnies de navigation (sauf celle de la Sovrom), les chemins de fer, les entreprises de radio et de téléphones, ainsi que toutes les banques (sauf la Sovrombank).
Le gouvernement bulgare posséda seulement 6 % de l'industrie du pays jusqu'au 23 décembre 1947, jour où, d'un seul coup, pratiquement toute cette industrie fut nationalisée. L'État en prit 93 % (il en resta 2 % aux mains des coopératives et 5p. 100 sous propriété privée), 100 % des banques et des compagnies d'assurances, 100 % du commerce avec l'étranger. (Pour une paix durable, pour une démocratie populaire I organe du Kominform, 15 décembre 1948.) Cyril Lazarov, dans le Rabotnitchesko Delo du 31 octobre 1948, évalua la part de l'Etat dans le commerce en gros à 64 % et dans le commerce de détail à 22,3 %.
Bien que l'Autriche et la Finlande soient en dehors de la zone que nous étudions, elles fournissent de précieuses indications sur les véritables motifs inspirant l'attitude des divers partis communistes en face des nationalisations.
En Autriche, c'est la Russie qui constitue le principal obstacle à celles-ci, alors que la bourgeoisie autrichienne et les puissances occidentales en paraissent des partisans enthousiastes.
Par une vaste nationalisation de l'industrie, le parlement de Vienne escomptait mettre fin aux démantèlements d'usines et à la prise de possession des industries par les Russes. En juillet 1946 fut donc votée une loi, basée sur le programme électoral des trois partis composant la coalition gouvernementale (y compris le parti communiste) et prévoyant la nationalisation de 71 grandes entreprises. Le haut commandement soviétique protesta, sous prétexte qu'elle porterait atteinte aux droits russes sur les réparations, et le veto soviétique empêcha la loi d'être promulguée. Aussitôt le parti communiste renversa sa politique en se faisant l'adversaire de la nationalisation.
En Finlande, le parti démocrate populaire (communiste) se trouvait dans une situation tactique plus favorable ; la Commission de contrôle russe ayant de très bonne heure informé le gouvernement finlandais que « la nationalisation était contraire aux intérêts soviétiques », il put donc s'y opposer en temps utile.
Les différences entre les politiques suivies dans les divers pays montrent bien que ces politiques ont été déterminées, dans chaque cas, uniquement par l'intérêt des maîtres de la Russie. Il est bien évident, par conséquent, que, pour celle-ci, la nationalisation est seulement un moyen de faire passer l'industrie entre les mains de l'État, c'est-à-dire entre les mains des maîtres de cet État : la classe russe dirigeante.
Notes
1 Une autre source fixe à 50 %, dans l'ensemble, la participation de l'État à l'industrie métallurgique (F. Zweig, op. cit., p. 109)
2 Zweig indique que l'État possédait les trois huitièmes des forêts (Ibid.).
3 D'après Zweig, l'État détenait la plus grande partie des industries chimiques (Ibid.).
4 Clarion se base probablement sur la déclaration faite le 2 janvier 1946 par Hilary Minc, ministre de l'Industrie polonaise, selon laquelle, après la loi de nationalisation, l'État emploierait seulement 40 % des ouvriers de l'Industrie, 60 % continuant de travailler pour des patrons particuliers.
5Selon l'International Press Correspondence, hebdomadaire du Komin-tern, du 26 novembre 1927, le pourcentage de l'industrie privée, dans la production russe totale, fut de 18,7 % en 1925-1926. Dans le commerce de gros, la part de l'entreprise privée au chiffre d'affaire général fut de 9,4 % et de 38,8 % dans le commerce de détail. (En 1927-1928, les chiffres respectifs furent 1,5 et 27,0.)