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« De même que la propriété par un groupe d'actionnaires d'une entreprise capitaliste s'accompagne du droit de voter au sujet de son administration et de décider la nomination ou le renvoi de ses directeurs, la propriété sociale de la richesse d'un pays doit s'exprimer par le pouvoir donné à la société de décider de son administration ainsi que de la nomination ou du renvoi de ses dirigeants. Les « démocraties populaires » sont basées sur des conceptions différentes. Une dictature policière et bureaucratique s'est établie au-dessus du peuple et demeure indépendante de la volonté de celui-ci, tout en prétendant gouverner au nom de ses intérêts. » |
Les satellites européens de Staline
DEUXIÈME
PARTIE — LA VIE POLITIQUE DANS LES SATELLITES RUSSES
Chapitre IV — Les communistes prennent le contrôle de la police et de l'armée.
1952
A la fin de la guerre, les partis communistes participaient aux gouvernements à côté des partis bourgeois, non seulement dans les « démocraties populaires », mais en France, en Italie, en Belgique, en Autriche et en Finlande. Leurs chefs, pendant environ deux ans, se réclamèrent de l' « union nationale » et de l' « ordre », contre les grèves et les mouvements ouvriers en général. A la fin de cette « lune de miel », les représentants communistes quittèrent le gouvernement ou en furent chassés en France, en Italie, en Belgique, en Autriche et en Finlande, et passèrent à l'opposition, tandis que, dans les « démocraties populaires », ils prenaient tout le pouvoir entre leurs mains. Cette différence provint de ce que le parti communiste ne put s'emparer du contrôle de la police et de l'armée dans aucun des pays occidentaux, comme il le fit à l'est. Dans aucun des premiers il ne réussit à obtenir le portefeuille de la Guerre et, seulement en Autriche et en Finlande, il détint pendant un moment celui de l'Intérieur et, par conséquent, la direction de la police. Même en Finlande, il ne réussit pas à « épurer » complètement celle-ci des éléments « indésirables » ni à y introduire ses agents, de sorte que, lorsque le ministre communiste Leino perdit son poste, il ne put guère utiliser la police comme moyen de résistance. Dans les États satellites, la situation était toute différente. Les ministres de l'Intérieur furent communistes presque dès le début. Ils en profitèrent pour incorporer au parti les anciens fonctionnaires ou pour les remplacer par des membres de ce parti. Comme on manque, naturellement, de statistiques sur les modifications subies par la composition de la police dans ces pays, on est obligé de recourir aux informations ou aux fragments d'informations publiées par la presse. Cependant, en ce qui concerne la Tchécoslovaquie, on dispose du témoignage de Hubert Ripka, qui y fut ministre du Commerce extérieur jusqu'en février 1948 et se trouve actuellement en exil. Il déclare qu'à la veille du coup d'État de février « tous les postes importants du ministère de l'Intérieur étaient occupés par des communistes ; dans la Sûreté, sur neuf chefs de service, cinq étaient communistes. A la tête des trois branches du corps de la police de sécurité nationale (S. N. B.), il ne se trouvait que des militants communistes : le colonel Krystof, le Dr Hora et le Dr Gœrner. Dans l'une des sections les plus importantes de la Sûreté (III-2), 14 des 19 fonctionnaires étaient également communistes, et dans le corps de la police, 9 sur 13. Au quartier général de la police politique, les trois postes les plus importants étaient occupés par des communistes. Ils dominaient aussi dans les Services de renseignements, jusqu'aux rangs les plus bas. Au quartier général de Prague de la S. N. B. provinciale, 4 des 5 fonctionnaires principaux étaient membres du parti. Sur les 17 directeurs régionaux de la S. N. B., en Bohême, 12 l'étaient également. Il en était de même pour 60 des 70 hauts fonctionnaires de la S. N. B. » (Czechoslovakia Enslaved, Londres, 1950, p. 195). Il n'est pas douteux que l'infiltration communiste dans les postes-clefs de la police dans les autres satellites ne fût encore plus complète. Il est significatif que Andrassy Ut, à Budapest, où se trouve le quartier général si redouté de la Police spéciale de Sûreté, ait été rebaptisée au nom de Staline !
Dans l'armée, il se passa à peu près la même chose. La mainmise du Kremlin sur les forces militaires des États satellites a été symbolisée par la désignation du maréchal soviétique Constantin Rokossowsky comme ministre polonais de la Défense nationale (7 novembre 1949), en remplacement du maréchal Michal Rola-Zymierski1. Rokossowsky naquit à Varsovie à l'époque où la Pologne faisait encore partie de l'empire russe, mais il eut aussi peu de liens avec sa patrie d'origine que le maréchal Montgomery, né en Irlande, avec la sienne. Il devint célèbre, ou plus exactement connu, en Pologne à l'époque du soulèvement de Varsovie, car il commandait les armées soviétiques qui assistèrent si passivement au massacre des insurgés. Après la guerre, on le prépara à prendre le commandement de l'armée polonaise en le maintenant dans le pays comme chef des troupes assurant la garde des lignes de communication russes avec la zone d'occupation en Allemagne.
Le général Korczyc, chef d'état-major de l'armée polonaise, et le général Poplawski, ministre adjoint de la Défense nationale, sont également des anciens chefs de l'armée soviétique. Le 24 avril 1950, la publication mensuelle des communistes hongrois émigrés, Magyar Kommunista, a signalé que le général russe Mensikov avait été nommé « Inspecteur général de l'armée hongroise ».
Non content de contrôler les armées « nationales », le Kremlin maintient des troupes dans quatre des États satellites, officiellement pour assurer la sécurité de ses lignes de communication avec ses zones d'Allemagne et d'Autriche. Ce sont la Roumanie, la Hongrie, la Bulgarie et la Pologne. Seules la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie n'ont pas d'unités soviétiques. La première, située à la frontière de l'U. R. S. S. et contractée entre la Pologne, la Hongrie et les deux zones russes d'occupation (avec une courte jonction avec la zone américaine d'Allemagne), peut être considérée comme suffisamment « sûre » du point de vue militaire. En Yougoslavie, le fait qu'il ne s'y trouvait pas d'armée russe et qu'il n'existe aucune frontière commune avec l'U. R. S. S. eut une grande importance lors de la révolte de Tito contre le Kremlin.
S'étant ainsi assurés de l'armée et de la police, les communistes purent procéder à l'élimination de tous les autres partis.
Références
1 Rola-Zymierski fut l'un des rares légionnaires de Pilsudski à prêter serment d'allégeance aux Allemands au cours de la première guerre mondiale. Il exerça un commandement dans l'armée polonaise au cours de la campagne de 1920 contre la Russie. En 1927, il fut condamné pour prévarication, dégradé, réformé et puni de cinq années d'emprisonnement. Le Kremlin le fit commandant en chef des forces polonaises et ministre de la Défense nationale.