1952 |
« De même que la propriété par un groupe
d'actionnaires d'une
entreprise capitaliste s'accompagne du droit de voter au sujet de son
administration et de décider la nomination ou le renvoi de ses
directeurs, la propriété sociale de la richesse d'un pays doit
s'exprimer par le pouvoir donné à la société de décider de son
administration ainsi que de la nomination ou du renvoi de ses
dirigeants. Les « démocraties populaires » sont basées sur des
conceptions différentes. Une dictature policière et bureaucratique
s'est établie au-dessus du peuple et demeure indépendante de la volonté
de celui-ci, tout en prétendant gouverner au nom de ses intérêts. » |
Les satellites européens de Staline
DEUXIÈME
PARTIE — LA VIE POLITIQUE DANS LES SATELLITES RUSSES
Chapitre VII — Slaves contre teutons
1952
L'un des actes les plus épouvantables commis par les partis communistes d'Europe orientale — particulièrement en Tchécoslovaquie et en Pologne — fut l'expulsion brutale de millions de gens, hommes et femmes, jeunes et vieux, pour la seule raison qu'ils étaient Allemands et non Slaves. Comme l'a déclaré V. Gollancz, « c'est l'un des plus grands crimes accomplis depuis Gengis-Khan ».
Le Kremlin escomptait retirer plusieurs avantages de cette expulsion. Les Slaves de l'Europe orientale rechercheraient désormais les directives du plus grand pays de leur race, la Russie. En outre, la crainte d'un retour des millions d'Allemands expulsés créerait une barrière de suspicion et de haine entre l'Europe orientale et les puissances occidentales ayant sous leur contrôle l'Allemagne de l'Ouest, où la majeure partie de ces expulsés se réfugia. A la suite de ces expropriations, les industries de la Pologne et de la Tchécoslovaquie — c'est-à-dire les deux plus importantes de l'Europe orientale — pourraient être transférées à l'État (c'est-à-dire sous la coupe du parti communiste), tout en préservant l' « union nationale » et l' « ordre ». Cette action inhumaine démoraliserait inévitablement les Slaves, les habituerait aux crimes les plus abominables et les transformerait en complices. (Le Kremlin, avec son absence de scrupules ordinaire, n'en fait pas moins appel, aujourd'hui, au nationalisme allemand. Il ne s'agit plus de dresser les Slaves contre les Teutons. « Les Russes et les Allemands, les deux plus grands Peuples, a dit Staline dans son message du 13 octobre 1949, doivent se tenir au coude à coude face à l'Occident impérialiste. »
Commençons par la description des persécutions et des expulsions que subirent les Allemands en Europe orientale après la guerre :
R. H. M. Worsley, dans un article intitulé « Expulsion en masse », publié dans le Nineteenth Century (décembre 1945), donne les chiffres suivants :
Prusse orientale |
2 333 301 |
Statistisches Jahrbuch für das deutsches Reich, recensement de 1933 |
Poméranie |
1 920 897 |
|
Prusse occidentale |
337 578 |
|
Basse Silésie |
3 204 004 |
|
Haute Silésie |
1 482 765 |
|
Total |
9 278 545 |
|
Minorités allemandes dans les États baltes |
200 000 |
Chiffres estoniens, lettons et lituaniens |
Immigration allemande pendant la guerre en : |
|
|
Pologne |
800 000 |
I. L. O., Displacement of Population in Europe, p. 38. |
Territoires de l'Est |
300 000 |
|
Minorité de Pologne |
1 059 000 |
Recensement polonais de1921 |
Immigration pendant la guerre en : |
|
|
Tchécoslovaquie |
480 000 |
I. L. O., Ibid., p. 38. |
Sudètes |
3 231 688 |
Recensement tchécoslovaque de 1930 |
Minorités allemandes en : |
|
|
Hongrie |
520 000 |
Recensement hongrois de 1920. |
Roumanie |
740 000 |
Royal Institute of International Affairs, South-Eastern Europe, p. 8. |
Yougoslavie |
513 472 |
|
Total général |
17 122 705 |
|
Ce tableau exagère quelque peu le chiffre des expulsions, car il est basé sur des statistiques d'avant la guerre ; or, pendant les hostilités, une proportion considérable des habitants de ces régions furent tués, tandis que beaucoup d'autres évacuèrent d'eux-mêmes. En outre, il subsiste un certain nombre d'Allemands en Europe orientale : 500 000 en Roumanie, 250 000 à 300 000 en Tchécoslovaquie, 200 000 en Hongrie, soit environ un million au total. Dans son livre, Europe on the Move (New-York, 1949), E. M. Kulischer déclare que le nombre des Allemands expulsés après la guerre fut de 11 200 000 (p. 302). (Ce qui ne comprend pas les 4 millions qui s'enfuirent de la zone soviétique en 1945 et 1946, ni ceux qui les imitèrent ultérieurement.) Quel que soit le chiffre qu'on adopte pour le nombre des expulsés ou des fuyards, il excède de beaucoup celui des gens expulsés ou recrutés pour le travail obligatoire par Hitler, durant la guerre. Kulischer écrit sur ce point : « Le nombre des travailleurs étrangers en Allemagne, y compris les prisonniers de guerre et les ouvriers civils officiellement reconnus comme étrangers, mais sans ceux de l'Alsace-Lorraine et des Sudètes, dépassa 6 millions en 1943. Le maximum de 8 millions fut atteint en 1944 (dont près de 2 millions étaient des prisonniers de guerre) » (p. 264). Il ajoute : « On peut estimer que, tout compris, le déplacement de 30 millions ou plus de gens pendant la domination de Hitler sur l'Europe aboutit au transfert définitif de 2 à 3 millions de personnes. La nouvelle distribution de la population européenne fut due à la défaite de l'Allemagne, qui ouvrit la voie à une autre migration, permanente cette fois, d'environ 25 millions1 de gens, et qui est probablement la plus grande qu'ait connue l'histoire de cette partie du monde » (p. 305).
Des considérations de place nous obligent à choisir, pour décrire le caractère pris par les expulsions, entre la peinture plus ou moins détaillée du sort subi par les Allemands dans une des régions de l'Europe orientale ou de parler brièvement de ce qui leur arriva dans toutes. La première façon de faire nous a paru préférable et nous allons prendre comme exemple le traitement des Allemands en Tchécoslovaquie.
Les Allemands des Sudètes n'étaient pas des nouveaux venus dans ce territoire. Ils étaient arrivés il y a environ sept cents ans, lorsque l'Espagne était encore sous la domination des Arabes, et quelques siècles avant la découverte de l'Amérique. Leur chiffre était aussi grand que celui de la population de certains petits États de l'Europe. Le recensement de 1930 le fixait à 3,2 millions contre 2,8 millions d'habitants pour la Norvège, 3,6 pour la Finlande, 3,7 pour le Danemark et 4,1 pour la Suisse.
Leur structure sociale n'était pas très différente de celle des Tchèques et des Slovaques, sauf que le pourcentage des ouvriers était plus élevé (un peu plus que parmi les Tchèques, beaucoup plus que parmi les Slovaques). D'après le recensement de 1930, les divers groupes sociaux comptaient les effectifs suivants :
|
Allemands (%) |
Tchèques et Slovaques (%) |
|
__ |
__ |
Indépendants |
21,89 |
25,81 |
Fermiers |
0,40 |
0,28 |
Fonctionnaires et employés |
16,60 |
18,24 |
Ouvriers |
61,11 |
55,67 |
En 1936, 476 000 Allemands des Sudètes étaient groupés dans des syndicats. Le comité exécutif de leur parti social-démocrate déclarait : « Au moment où leur situation fut la pire, à la veille de la décision de Munich, nos syndicats pouvaient encore se comparer, par la force, à ceux de la Suisse, pays de 4 millions d'habitants et démocratie active » (Introduction à Sudeten Labour and the Sudeten Problem, de W. Jaksch, Londres, 1945).
Ils possédaient une longue tradition socialiste, car leur territoire avait été l'un des premiers et des plus forts centres socialistes de l'empire austro-hongrois. Ils fournirent à l'Internationale socialiste un certain nombre de ses chefs les plus éminents, comme Karl Kautsky, Viktor Adler, Otto Bauer et Karl Renner. Dès les élections générales de 1907, le parti social-démocrate recueillit 39,4 % des votes dans la Bohême allemande. A celles de 1911, il en eut 40 %. Aux élections de 1920,il emporta 44 % des voix des Sudètes. Pendant plus de dix ans, avec le parti communiste2, il détint environ la moitié des bulletins de vote dans ce territoire, proportion beaucoup plus forte que celle à laquelle pouvaient prétendre les sociaux-démocrates et les communistes parmi les Tchèques et, a fortiori, parmi les Slovaques.
La crise économique mondiale qui débuta en 1929 transforma la situation. L'industrie des Sudètes, dépendant surtout de ses exportations, fut beaucoup plus affectée par cette crise que celle du reste du pays. Le gouvernement bourgeois de Tchécoslovaquie distribuait les emplois au désavantage des ouvriers allemands quand il donnait de l'ouvrage, ce qui aggrava encore l'état de choses. Il en résultat que le chômage, dans les districts des Sudètes, fut au moins deux fois plus élevé que dans les régions tchèques de l'intérieur (Jaksch, ibid., p. 17).
La misère causée par ce chômage, alors que l'Allemagne nazie, de l'autre côté de la frontière, réclamait des travailleurs (bien que ce fût pour préparer la guerre), conduisit les Allemands des Sudètes à rallier la bannière de Henlein, chef des nazis dans leur territoire. Aux élections générales du 19 mai 1935, il recueillit 1 249 530 voix, c'est-à-dire 62 à 63 % du total, tandis que le parti social-démocrate n'en obtenait que 299 942 (contre 506 761 en 1929), soit environ 15 %. Les voix du parti communiste furent évaluées à 120 000, soit à peu près 6 % (Wiskemann, op. cit., p. 206).
Les chefs de ce dernier n'étaient pas encore, à cette époque, faits à l'idée que les Allemands des Sudètes fussent de véritables nazis et ils expliquèrent la victoire d'Henlein par les circonstances nationales et sociales dans lesquelles ils se trouvaient placés. L'Inprecor du 1er juin 1935 écrivit : « Le parti, dans un manifeste du comité central, expose les raisons de la victoire remportée par la faction Henlein. L'explication à chercher est dans la politique de la bourgeoisie tchèque, qui a provoqué une misère et une pauvreté terribles, ainsi qu'une oppression nationaliste dans les régions allemandes... Les fascistes de Henlein peuvent être vaincus seulement par une politique donnant du travail et du pain aux masses ouvrières des districts allemands et les libérant du joug de cette oppression nationaliste. »
Quel fut le sort des Allemands des Sudètes qui s'opposèrent jusqu'au bout à Henlein ? 400 000 votèrent contre lui, ce qui, avec les familles, faisait 700 000 à 800 000 personnes. Quand l'accord de Munich donna le territoire à l'Allemagne, les plus compromis des antinazis durent s'enfuir à l'intérieur de la Tchécoslovaquie. Mais plus de 20 000 d'entre eux furent livrés à la Gestapo par le gouvernement tchèque de l'époque, qui collaborait avec Hitler, et 10 000 autres durent revenir dans le territoire annexé par celui-ci parce qu'on leur refusa le droit d'asile. 4 000 Sudètes seulement furent acceptés par d'autres pays. Quelque 40 000, au total, furent internés dans les camps de concentration et la moitié, environ, y moururent. Ce chiffre soutient honorablement la comparaison avec le nombre des victimes dans d'autres pays qui tombèrent sous le joug nazi.
En 1940, Fierlinger, le « compagnon de route » social-démocrate qui devait devenir ultérieurement chef du gouvernement à qui fut due l'expulsion des Allemands de la Tchécoslovaquie, déclara :
Dans sa lutte pour le pouvoir dans le territoire des Sudètes, Henlein employa les mêmes méthodes (que Hitler dans le Reich). Il promit aux grands propriétaires fonciers allemands de leur rendre les terres prises lors de la réforme agraire ; à l'Église, il promit également le retour de ses biens. Mais, simultanément, il promit aux paysans allemands de procéder à une juste répartition des terres. Aux propriétaires d'usines, Henlein garantit l'étouffement des organisations syndicales, tout en leurrant les ouvriers avec la perspective de salaires plus élevés et de travail assuré.
Le mouvement des Allemands des Sudètes (celui de Henlein) exploita très habilement pour ses fins politiques les besoins égoïstes que l'ordre capitaliste entretient dans le peuple. La terreur compléta là où les promesses furent insuffisantes. Mais ce qui influença le plus les compatriotes d'Henlein, ce fut le sentiment que le monde ne faisait rien contre ces méthodes, qu'il nourrissait une sympathie secrète pour Hitler et ses complices, que la République demeurait isolée dans une lutte inégale contre la duperie et une force supérieure. Néanmoins, il se trouva parmi les Allemands des Sudètes de vaillants défenseurs de la République et de la démocratie qui, pour leur loyauté, ne reçurent aucune récompense, bien au contraire, ils furent terriblement châtiés. Le tableau de la lutte désespérée des Allemands des Sudètes démocrates, tout au moins du point de vue moral, n'est pas, pour les démocrates d'aujourd'hui, quelque chose de malheureux, comme il semble, par erreur, à beaucoup d'entre eux. (Dnešní válka jako sociální krise, préface, daté de décembre 1940, pp. 87-88, cité par Der Sozialdemokrat, publication bimensuelle de la social-démocratie des Allemands des Sudètes, Londres, juin 1945).
Trois ans plus tard, Bruno Köhler, chef communiste des Sudètes, déclara à Radio-Moscou :
Hitler est venu dans le territoire des Sudètes et il en repartira. Mais le territoire et les Allemands des Sudètes resteront... Les fascistes disparaîtront, mais les Allemands des Sudètes et les Tchèques demeureront pour vivre en bons voisins, quel que soit le régime qui s'établira en Europe après la guerre. La défaite de Hitler, qui est inéluctable, ne signifiera pas notre fin. Elle signifiera la libération des Allemands des Sudètes du joug sanglant de Hitler. La libération de Hitler donnera aux Allemands des Sudètes la possibilité de déterminer notre propre sort et d'ordonner notre vie conformément à la volonté des hommes qui aiment la liberté »(Ibid., janvier 1944).
La guerre finie, la chanson changea. Le parti communiste découvrit qu'il pouvait tirer deux avantages de l'expulsion des Allemands : premièrement, la conscience politique enfin éveillée des masses serait détournée vers des chenaux réactionnaires et chauvins ; deuxièmement, la majorité des industries (anciennement possédées par des Allemands) se trouveraient transférées à l'État sans qu'il y eût besoin d'une intervention active de la classe ouvrière et sans que la bourgeoisie pût s'y opposer. Gottwald déclara, le 12 mai 1945 : « La nouvelle République sera un État slave, une République des Tchèques et des Slovaques. Nous priverons de leurs droits de citoyens les Allemands et les Hongrois, qui ont commis de si grands crimes contre notre peuple et contre la République, et nous les châtierons sévèrement. » Le ministre communiste de l'Information, Václav Kopecký, parlant à Radio-Prague, le 25 mai 1945, dit : « L'armée tchécoslovaque est déjà prête à nettoyer les régions frontières de la République des Allemands et des Hongrois, et à remettre les richesses de ces vieilles régions slaves entre les mains des Tchèques et des Slovaques. » Dans un discours prononcé à Liberec (Reichenberg), il dit encore : « Nous débarrasserons Liberec des ennemis allemands et nous le ferons de façon si complète qu'il le restera pas la moindre place où la graine teutonne puisse germer de nouveau. Nous expulserons tous les Allemands, nous confisquerons leurs biens, nous dégermaniserons non seulement les villes, mais la région tout entière... de sorte que l'esprit victorieux des Slaves imprégnera tout le pays depuis les frontières jusqu'au centre. »
Le ministre communiste de l'Enseignement, Zdeněk Nejedlý, déclara, le 29 mai 1945 :
Nous ne connaissons pas d'Allemands progressistes, et il n'en existe pas... L'Allemagne, naguère puissance la plus redoutée en Europe, n'existe plus ; cela signifie pour nous que la question allemande est réglée une fois pour toutes. Nous continuerons l'œuvre de nos prédécesseurs ; nous purifierons Prague et les régions frontières, et nous sommes en mesure de le faire parce que nous disposons à cet effet du puissant concours de l'Armée rouge. Toutes les armées ne nous auraient pas aidés dans cette tâche... Ce n'est plus le moment d'hésiter. Nous ne pouvons dire que nous ne nous orienterons ni vers l'Est ni vers l'Ouest, mais que nous attendrons. Aujourd'hui, il faut dire « oui » ou « non ». Il faut nous décider soit pour l'Est, soit pour l'Ouest. Je ne crois pas que ce soit là un problème bien difficile à résoudre pour le peuple tchèque. Nous appartenons à la grande famille slave, à la tête de laquelle se trouve le grand peuple russe et son chef Staline. » Il poursuivit, sur un ton de chauvinisme encore plus fervent : « Regardez l'Europe centrale... Il y a des Hongrois. Que peuvent-ils faire ? Et puis des Roumains... Que peuvent-ils faire eux aussi ? Et que peuvent faire les Allemands ? Ils n'ont plus d'avenir nulle part. Nous sommes plus grands qu'eux tous ; avec notre culture, nous pouvons nous placer bien au-dessus d'eux. Et vous verrez, dans leur situation désespérée, ils seront trop heureux de suivre notre direction. Combien existe-t-il de compositeurs, en Europe, de la taille de Smetana ? Combien de peintres de la classe de Mánes et d'Aleš ? Combien d'historiens de la valeur de Palacký ? Combien de savants de l'envergure de Purkyně ?... Notre culture doit être nationale... Nous n'avons rien autour de nous que des civilisations en ruines... Nous commencerons avant tout par porter la nôtre jusqu'aux régions frontières, et nous y établirons notre idéal culturel ! (cité par Der Sozialdemokrat, juin 1945).
Le parti communiste surpassa la bourgeoisie tchécoslovaque dans son ardeur chauvine, mais celle-ci fit de son mieux pour prouver qu'elle n'était pas moins germanophobe et patriote que les communistes. Le Dr Ivo Duchacek, par exemple, du parti du peuple (catholiques), dit devant l'Assemblée nationale provisoire, en mars 1946 : « Nous ne voulons exclure personne de ce succès, bien qu'il soit vrai, par exemple, que le parti communiste n'avait pas sur cette question, en 1939, 1940 et 1941, des conceptions slaves aussi nettes et aussi intransigeantes qu'aujourd'hui. Cependant, je considérerais comme une véritable falsification de l'Histoire et comme une légende, que je n'hésite pas à appeler légende préélectorale, si les communistes, entre tous les partis, prétendaient que l'expulsion des Allemands de notre pays est due uniquement ou presque uniquement à eux » (Lidová demokracie, 9 mars 1946, cité par Der Sozialdemokrat, Londres, mai 1946).
Le parti communiste possédait certains avantages dans cette compétition nationale. Tout d'abord, il pouvait souligner que, nulle part ailleurs que dans les territoires sous contrôle soviétique, les Allemands n'étaient expulsés en masse. Deuxièmement, ce qui était encore plus important, l'expulsion fut organisée et les biens allemands répartis par un ministre communiste de l'Intérieur : Václav Nosek Le Corps de Sécurité, qui effectua matériellement l'expulsion, était commandé par des chefs communistes. (En Pologne aussi, le parti communiste se chargea d'expulser les Allemands des territoires occidentaux et d'installer des Polonais à leur place. C'était Gomułka, secrétaire général du parti, qui était responsable.)
Du fait qu'aux yeux du peuple ce fut le parti communiste qui assuma la responsabilité des expulsions, il y eut un pourcentage de partisans communistes plus important parmi les nouveaux colons tchèques du territoire des Sudètes que dans n'importe quelle autre région du pays, même dans les grandes villes où se trouvaient concentrés un grand nombre d'ouvriers. Aux élections générales de 1946, le parti communiste recueillit 70 % des voix dans les districts de Jablonec et de Turnov, 62 % dans celui de Kadaň, 59 % dans celui de Falknov, plus de 50 % dans celui d'Aš, etc. (Il en fut de même dans les territoires occidentaux de Pologne, aussi les dirigeants communistes insistèrent-ils pour qu'ils eussent une représentation disproportionnée aux élections générales de janvier 1947.)
Toute la population des Sudètes, sauf quelques dizaines de milliers d'ouvriers qualifiés indispensables, fut expulsée. Ceux qui restèrent furent contraints de travailler au moins douze heures par jour, voire quinze si l'employeur le commandait. Les comités nationaux organisèrent ce travail obligatoire. D'après leurs décrets, les ouvriers allemands de Tchécoslovaquie n'eurent plus le droit d'appartenir à un syndicat, furent exclus des avantages sociaux, durent céder un quart de leurs salaires à titre de réparations envers l'État, virent leurs congés supprimés, et l'école fut interdite à leurs enfants.
Dans les premiers jours qui suivirent la défaite de la Wehrmacht en Tchécoslovaquie, il y eut quelques lézardes dans le mur de l'hostilité nationaliste sous forme de fraternisation entre ouvriers tchèques et allemands. Un certain nombre de communistes de rang subalterne, à Bodenbach, par exemple, se mirent à publier un quotidien en tchèque et en allemand, appelé Rudý Prapor-Rote Fahne. Il ne vécut pas longtemps, car Nosek interdit immédiatement la publication de n'importe quel journal allemand ou en deux langues dont l'une serait l'allemand.
Il est assez ironique d'observer que ces excès contre les Allemands, en Tchécoslovaquie, avaient lieu au moment même où les autorités russes — leur armée venant d'entrer en Allemagne — attaquaient Ilya Ehrenburg pour sa très violente propagande anti-allemande, tant était grand leur désir d'obtenir l'oreille du peuple germain (Pravda, 14 avril 1945). Contradiction ? Il est très facile de sortir des contradictions en chantant des chansons différentes en différents langages et en divers pays. Pour les Allemands qui s'intéressaient encore au sort de leurs frères de Tchécoslovaquie, il y avait une réponse toute prête : tous les Allemands des Sudètes étaient coupables d'avoir soutenu le mouvement de Henlein ! P. Reimann, par exemple, écrivait le 2 juin 1945 : « Il n'existe pas de mouvement allemand antifasciste en Tchécoslovaquie. Au meilleur cas, il y eut des individus d'origine germanique qui, isolés de tout mouvement parmi leurs compatriotes, soutinrent le mouvement tchèque de libération nationale... Le fait que certaines couches de la classe ouvrière, organisées par les socialistes, furent contaminées par les nazis est prouvé par l'annonce, dans la presse britannique, de la fuite en masse des mineurs allemands de la région de Brüx. Cette nouvelle, et d'autres semblables, confirme à notre grand regret que la classe ouvrière allemande ne constitua pas une exception dans l'évolution générale de la minorité germanique sous le régime nazi » (cité par Der Sozialdemokrat, juin 1945). Ceci parut dans Einheit, dont le sous-titre est « Journal bimensuel antifasciste des Allemands des Sudètes », et qui montra pendant des années que le parti communiste exerçait une influence considérable sur le mouvement antinazi de cette région. Pourtant le 22 mai 1945, Einheit publiait la lettre d'un soldat tchèque qui avait visité une verrerie allemande près de Pilsen : « Nous pouvons être fiers. Nos gens et ceux qui étaient précédemment des fonctionnaires social-démocrates, tous ont tenu bon, quelle que fût la terreur, et ont suivi nos idées, tous m'ont dit qu'ils attendaient notre retour avec plaisir. Ils défendent et continueront de défendre ce que nous construisons. » L'Einheit ne tarda pas à oublier ces paroles. La politique du parti communiste en Tchécoslovaquie devint dès lors sans équivoque : il n'y avait plus de place pour les Allemands. Depuis ce moment, c'est trahir la ligne du parti que de parler des discours adressés par Radio-Moscou aux Allemands des Sudètes.
Les communistes posèrent en dogme, après la guerre, non seulement que tous ceux-ci — à l'exception de quelques individus — étaient des nazis, mais qu'ils l'étaient devenus en dépit de ce que, dans la République tchécoslovaque, ils eussent la pleine égalité des droits avec les autres citoyens. Gustav Beuer, ancien député communiste des Sudètes, écrivit : « La façon dont la République traita la minorité allemande dans son ensemble fut telle qu'elle permettait aux Allemands de s'adapter aux conditions nouvelles et de devenir une partie intégrante du pays slave s'ils n'avaient pas été possédés d'une hostilité indéracinable contre tout ce qui était slave » (New Czechoslovakia and her Historical Background, Londres, 1947, p. 190-191). C'est exactement le contraire de ce que le parti communiste avait dit pendant plus de quinze ans au sujet des injustices dont les Allemands avaient à souffrir en Tchécoslovaquie3. L'expulsion des Allemands de ce pays ne peut s'expliquer comme étant le résultat de la haine spontanée du peuple. La majorité des Slovaques, qui ne sont pas des Teutons, mais des Slaves, soutinrent Tiso, fantoche placé par les nazis à la tête de la Slovaquie, avec non moins d'empressement que les Allemands soutinrent Henlein. Le nombre de prisonniers politiques slovaques qui moururent dans les camps de concentration nazis fut inférieur à celui des Allemands des Sudètes, et il y eut relativement moins de victimes parmi les Tchèques eux-mêmes4. Les Tchèques souffrirent beaucoup moins que les Yougoslaves sous l'occupation hitlérienne. 1 700 000 personnes moururent dans ce dernier pays, alors qu'il y eut seulement 200 000 morts (dont 100 000 étaient des Juifs) en Tchécoslovaquie. Les crimes des fascistes des Sudètes contre les Tchèques furent beaucoup moins sauvages que ceux des oustachis croates, qui massacrèrent plusieurs centaines de milliers de Serbes, hommes, femmes et enfants. Cependant, comme nous l'avons vu, la haine et la persécution des Allemands à l'échelle nationale ne fut jamais un caractère marquant de la politique communiste en Yougoslavie et, pendant un certain temps, l'armée de Tito renferma même des unités allemandes.
On ne peut pas expliquer, non plus, la politique antigermanique en Tchécoslovaquie comme un sous-produit de la résistance contre les nazis. Une semaine avant l'entrée de l'armée soviétique à Prague, il n'y avait pas de résistance armée parmi les Tchèques (contrairement à ce qui se passait chez les Slovaques) et, deux ou trois jours encore auparavant, Radio-Prague, alors sous contrôle allemand, pouvait fièrement annoncer que « beaucoup de Tchèques travaillaient pour la défense de la patrie » (c'est-à-dire pour les Allemands). Le conflit avec la population germanique éclata seulement après la défaite du Reich. Pendant plusieurs mois, en fait pendant plus d'un an, la presse attaqua les nombreux Tchèques qui, dans le territoire des Sudètes, se conduisaient amicalement avec les Allemands. Tous les témoignages démontrent que l'expulsion fut imposée à un peuple désorienté, par la pression organisée du parti communiste et de la bourgeoisie.
Deux millions et demi de personnes, dont les ancêtres étaient établis dans le pays depuis plusieurs siècles, en furent victimes. Cinq cents ans après le mouvement démocratique et populaire de Hus, qui unit les paysans, les artisans et les ouvriers, aussi bien tchèques qu'allemands, plus de vingt-cinq ans après que Lénine eut félicité le parti communiste tchécoslovaque, alors le troisième par ordre d'importance (après le russe et l'allemand), d'avoir opéré la fusion des travailleurs révolutionnaires tchèques et allemands, slovaques et hongrois, se produisit une persécution effroyable qui n'a de comparable que celle des Juifs par Hitler. On pourrait écrire des centaines de pages pour décrire les horreurs de cette persécution qui constitua une partie capitale de la politique réactionnaire des partis communistes en Tchécoslovaquie et en Pologne. La citation suivante, tirée de la Pétition adressée au secrétaire général des Nations Unies et aux ministres des Affaires étrangères des puissances signataires de l'accord de Potsdam par la délégation parlementaire des syndicats des Sudètes en Grande-Bretagne, le 1er mars 1947, donne quelques exemples des souffrances infligées aux Allemands. Elle décrit les événements qui se déroulèrent dans la petite ville de Saaz (Žatec). En 1930, la population de Saaz était de 18 061 âmes.
Arno Behrisch, ancien secrétaire du parti social-démocrate en Saxe, a recueilli les faits suivants qui se passèrent dans le fameux centre houblonnier de Saaz, au nord-ouest de la Bohême. Behrisch s'était réfugié en Suède pendant la guerre. Les autorités suédoises l'emprisonnèrent à cause de son activité pro-alliée. Il se trouve maintenant à Hof, en Bavière, comme secrétaire du parti socialiste, et il est vice-président du parti social-démocrate bavarois. En 1945 et 1946, avec sa femme Hildegarde, il interrogea de nombreux réfugiés des Sudètes, et le rapport qui suit est le résultat de cette enquête.
Le dimanche 3 juin 1945, les autorités tchèques ordonnèrent à tous les hommes de treize à soixante-trois ans, habitant Saaz, de se réunir sur la place du marché à six heures du matin. Ceux qui arrivèrent en retard furent horriblement battus à coups de fouets, de bâtons et de planches. Deux furent immédiatement tués parce qu'ils aventuraient une protestation. Cinq mille hommes et jeunes garçons furent mis en route vers la ville de Postelberg, distante de 18 kilomètres. Il leur fallut soutenir une allure rapide sous le grand soleil et ceux qui restèrent à la traîne furent aussitôt abattus à coups de revolver. A Postelberg, ils furent enfermés dans une ancienne caserne de cavalerie. Ils passèrent la nuit dans la cour, couchés à même le sol. Les gardes tchèques menacèrent de tirer sur tous ceux qui se relèveraient. Toutes les heures, ils tiraient des rafales au-dessus d'eux. Ils se promenaient parmi eux et rouaient de coups ceux qui remuaient. A l'aube, un commandement en tchèque retentit, il ne fut pas clairement compris; ce pouvait être zůstat : restez là, ou vstát : levez-vous. Certains hommes se relevèrent, d'autres demeurèrent couchés. Les gardes ouvrirent immédiatement le feu et abattirent de nombreuses victimes avec leurs mitraillettes. Ceux qui n'étaient que blessés furent achevés par une balle dans la nuque.
La nuit suivante, les hommes furent rassemblés dans les écuries, 400 hommes par écurie de 28 chevaux. Des centaines durent y passer les nuits suivantes. Pendant les trois premiers jours, on ne leur donna aucune espèce de nourriture, puis ils reçurent un morceau de pain et un peu de soupe de pommes de terre. Les gardes en tuèrent encore pendant la nuit et aussi pendant la journée. Un mécanicien allemand fut abattu par un soldat tchèque qui cria de manière à être entendu par tout le monde : « C'est le coup de grâce, vous y passerez tous. » D'autres Tchèques firent chorus : « Notre médecin, notre hôpital, notre médicament, c'est une balle dans la nuque. »
Le 5 juin, les hommes furent triés en fonction de leurs antécédents politiques. Les communistes et les anciens détenus des camps de concentration allemands furent renvoyés à Saaz. Les SS et les dirigeants nazis, les anciens policiers, etc., furent rejetés dans les écuries, certains dans une soue à cochons. D'anciens soldats allemands demeurèrent dans la cour de la caserne. Les hommes enfermés dans les écuries souffrirent du manque d'air. Dix devinrent fous, cinquante s'évanouirent. Les autres, ayant crié aux gardes de l'extérieur que certains de leurs camarades étaient devenus fous, reçurent comme réponse : « Tuez-les ! » Il n'y avait que deux petites ouvertures pour la ventilation. Les prisonniers ayant demandé que la porte fût ouverte pendant un moment, les Tchèques répondirent en tirant à travers les ouvertures. Il y eut plusieurs tués, d'autres furent abattus au matin. Les auges des écuries furent remplies d'eau. Les prisonniers durent y plonger la tête. Quand ils ne pouvaient plus tenir et se redressaient, ils étaient frappés sur la nuque. » Jour et nuit, les Tchèques venaient chercher des prisonniers et les rouaient de coups. Cela se produisait pratiquement toutes les deux heures. Les soldats furent aidés par des civils, qui apportèrent des cannes, des bâtons, des fouets et des cordes. Plusieurs hommes moururent sous les coups.
6 juin. Un camion de Tchèques armés de matraques en caoutchouc et de fouets arriva, il s'ensuivit une orgie de bâtonnades dans la pire tradition des SS. Les victimes devaient se déshabiller complètement et elles étaient rossées effroyablement pendant une heure entière ou jusqu'à ce qu'elles s'évanouissent. On les ranimait alors en leur jetant des seaux d'eau froide, et les coups recommençaient. Des Tchèques écrasèrent les parties génitales de certains hommes en les piétinant avec leurs bottes. Les malheureux poussaient des cris horribles. Cinq garçons, âgés de treize à seize ans, furent atrocement battus parce qu'ils s'étaient écartés de quelques pas de leur place. Ils se mirent à hurler en appelant leur mère. Ils furent alors mis au mur et les Tchèques épaulèrent leurs fusils. « Ne tirez pas, laissez-nous vivre ! » crièrent les petits. Une salve partit et ils tombèrent tous les cinq sur le sol. Des milliers de gens, restés dans la cour, furent témoins du fait. Quel crime pouvaient bien avoir commis ces enfants ?
Les Tchèques passèrent alors à un autre genre d'amusement, bien connu dans les camps de concentration nazis, celui d'obliger les prisonniers à se maltraiter entre eux. On les contraignit à se boxer et à se battre, et, s'ils y mettaient quelque mollesse, ils étaient roués de coups par les gardes. A certains, on enfonça des aiguilles de bois sous les ongles ; à d'autres, on écrasa les parties génitales. Un homme fut fouetté sur celles-ci ; à d'autres, on y attacha une corde sur laquelle on tira brutalement ; à d'autres les bourreaux les écrasèrent entre leurs mains jusqu'à ce qu'ils défaillissent sous la douleur. Un chimiste allemand fut tué dans la soirée.
Parmi 300 anciens soldats, entassés dans une petite écurie à la nuit et maltraités comme il a été dit ci-dessus, cinq hommes moururent dans la même nuit. Parmi eux il y avait un antinazi bien connu. Les gardes s'amusèrent à tirer des balles dans le local. Le crime de ces hommes était d'avoir été mobilisés dans l'armée allemande.
Des groupes de prisonniers furent graduellement emmenés. Certains furent conduits dans des camps de concentration, d'autres employés à des travaux forcés. Ces derniers comprenaient des antinazis et même des demi-juifs. Un certain nombre furent emmenés dans des bois voisins et fusillés. Finalement, d'autres, dont M. Kruttner, un des témoins, furent ramenés à Saaz le 12 juin. Ils furent battus sans arrêt en cours de route. Un prêtre catholique fut tué d'un coup de revolver parce qu'il ne pouvait pas marcher assez vite.
12 juin. Le premier transport de gens transférés quitta Saaz. Ils avaient été choisis à cause de leur incapacité au travail. Il y avait parmi eux des invalides qui ne furent pas autorisés à emporter leurs membres artificiels. Le transport comprenait 200 hommes, 800 femmes et enfants. On leur avait arraché tous leurs biens. A la gare de Komotau, une jeune fille fut extraite d'un wagon, conduite dans le compartiment de l'escorte et violée. A Ober-Georgenthal, près de la frontière de Saxe, le train s'arrêta et les gens durent franchir à pied les montagnes. Une femme mourut sur la route. Les autres furent battus, particulièrement les soldats invalides, qui ne pouvaient soutenir l'allure. Après avoir parcouru près de 45 kilomètres, les déportés furent remis aux Allemands, à la frontière. Ils avaient refusé de travailler, dirent les Tchèques.
13 juin. Toutes les femmes furent convoquées dans une caserne de Saaz. On y garda 14 000 femmes et enfants pendant la nuit, entassés dans les écuries, les garages et aussi dans la cour. A la tombée de la nuit, des hordes de gardes tchèques entrèrent dans les locaux et les viols en masse commencèrent. Les victimes étaient choisies à la lueur de torches et violées sur place. Il y eut des hurlements effroyables. Les femmes qui tentèrent de résister furent battues jusqu'à ce qu'elles perdissent connaissance, et violées alors. D'autres, ainsi que des jeunes filles, furent emmenées et on ne les revit plus jamais. Ces actes abominables se répétèrent chaque nuit. Il n'y avait aucun soin sanitaire et des maladies ne tardèrent pas à se déclarer. Pendant les trois premiers jours, il n'y eut pas de nourriture et très peu ensuite. Les femmes avaient reçu l'ordre d'apporter les clefs de leur maison, on les leur prit et elles furent remises aux Tchèques, qui commencèrent à piller. En moins de deux jours, 40 bébés moururent dans les bras de leur mère. Les femmes furent gardées en cet endroit pendant plusieurs semaines et le nombre des morts ne cessa de croître. Les enfants en bas âge décédaient chaque jour ; il y eut quinze décès dans une seule journée. Du 25 au 30 juin, pas moins de 76 bébés périrent ainsi. Les mères étaient contraintes de porter elles-mêmes les petits corps au cimetière. Il y eut jusqu'à 32 personnes dans une pièce de cinq mètres carrés. On ne cessait de dire aux mamans qu'on allait leur prendre leurs enfants. 70 d'entre elles, envoyées aux travaux forcés, durent abandonner les leurs dans la caserne.
Une vieille femme sanglotante approcha, comme il sortait du cimetière, un prêtre catholique qui venait de procéder à l'enterrement d'un soldat tchèque. Elle lui murmura : « Il y a des voitures pleines d'enfants morts dans le parc voisin du cimetière. » Je vous en supplie, demandez au surveillant qu'il leur soit accordé une sépulture chrétienne ! » Le prêtre persuada le surveillant, un Tchèque qui désapprouvait fortement ce qui se passait, d'accorder cette demande.
Les femmes envoyées à la campagne pour accomplir des travaux forcés n'étaient pas payées et restaient enfermées dans des granges et des écuries.
1er juillet. A 4 heures du matin, des femmes et des enfants furent réveillés par de grands cris et des coups de revolver. On les conduisit par groupes de 50 dans une pièce où des soldats tchèques étaient assis. Ils firent se déshabiller complètement les femmes et les fouillèrent, devant les enfants, de la manière la plus honteuse, sous prétexte de chercher des bijoux cachés. Seules les jeunes femmes furent ainsi traitées, les vieilles furent accablées de sarcasmes. Les victimes durent ensuite demeurer plusieurs heures au soleil et ne reçurent aucune nourriture de la journée.
Le commandant de ce camp de femmes était un Tchèque du nom de Marek, surnommé le « chien sanglant » et le « bourreau de Postelberg ». Il ne cessait d'inventer de nouvelles tortures. Il choisit 40 femmes et jeunes filles pour arracher les herbes sur la voie ferrée. Dans la soirée, elles furent poussées dans un wagon vide et violées par les soldats.
Le 28 juillet, 150 femmes furent envoyées dans un dépôt pour trier des stocks de l'armée allemande. Puis elles furent conduites dans une école et battues. Les Tchèques prétendirent qu'elles avaient voulu dérober du matériel pour les Werwölfe. Un groupe de 50 femmes qui rentraient des champs furent attaquées un peu plus tard par les mêmes soldats, également battues et violées.
Ce fut seulement en novembre que les derniers survivants quittèrent la caserne de SS de la Trnovaner Strasse, à Saaz. Jusque-là, la nourriture avait consisté en un peu de café noir et moins d'une demi-livre de pain par jour, rien d'autre. Les enfants recevaient trois onces de pain par jour. La mortalité crût beaucoup parmi eux. Finalement, les femmes et leurs enfants furent répartis entre les fermes tchèques pour y accomplir des travaux serviles.
Le commandant général des camps de Saaz était un Tchèque du nom de Haas, criminel déjà quinze fois condamné. Il était alors chef de la police.
Le nombre total des habitants de Saaz ainsi assassinés dépassa 2 000.
Les faits relatés ci-dessus représentent seulement une fraction de ceux qui se déroulèrent dans la malheureuse ville... Ces horreurs ne furent pas isolées ; elles firent partie d'un système dont la cruauté, on peut l'affirmer, ne fut pas inférieure à celle des pires agissements nazis » (p. 36-41).
Les souffrances des Allemands des Sudètes ne cessèrent pas après leur expulsion. On peut juger par les deux témoignages suivants de ce qu'ils endurèrent au cours du transport vers l'Allemagne :
A la fin d'août (1945), un convoi d'Allemands des Sudètes arriva à Berlin. Il venait de Troppau, en Silésie tchèque, et était resté dix-huit jours en route. Au départ, il comptait 4 200 femmes, enfants et vieillards. A l'arrivée, il n'y en avait plus que 1 350. » Un prêtre sudète, se trouvant maintenant à Berlin.
J'ai vu un très grand nombre de ces gens (des déportés des Sudètes), près d'un million, qui mouraient littéralement de faim sur les routes. J'ai vu des enfants et des bébés morts dans les fossés, morts de faim et de maladie, avec des bras et des jambes qui n'étaient souvent pas plus gros que le pouce d'un homme. Un observateur hollandais, écrivant de la Saxe (Amis américains des démocrates des Sudètes, Tragedy of a People. Racialism in Czechoslovakia, New York, 1946)5.
Références
1 Ce chiffre comprend quelques millions de non-Allemands : Polonais émigrés des régions occupées par les Russes (environ 4 millions) vers les territoires de l'Ouest pris à l'Allemagne, Tchèques et Slovaques qui gagnèrent le territoire des Sudètes, personnes déplacées qui retournèrent dans leur pays, réfugiés juifs qui se rendirent en Palestine ou dans d'autres pays, etc.
2 Il est impossible de calculer la force du parti communiste dans les Sudètes parce qu'il n'était pas divisé en groupes nationaux.
3 Voir la citation de l'International Press Correspondence du 1er juin 1935, reproduite plus haut. Voici un autre exemple : le 13 novembre 1933, le groupe des députés communistes français refusa de s'associer à l'hommage rendu par le gouvernement à l'occasion du quinzième anniversaire de la création de la République tchécoslovaque : « Non, nous ne nous associerons pas à votre manifestation de sympathie à l'adresse du gouvernement de Tchécoslovaquie... Nous n'oublierons pas que, présentement, les maîtres de ce pays tiennent sous le joug les minorités nationales... Notre sympathie va tout entière aux masses laborieuses de Tchécoslovaquie, aux minorités nationales slovaques, juives, allemandes, hongroises, opprimées par le pouvoir central de Prague » (cité par Maurice ceyrat, La Trahison permanente, Paris, p. 25).
4 Il ne faut pas oublier, à ce propos, que le Kremlin, après l'annexion de la Bohême-Moravie par les Allemands et la création de la « Slovaquie indépendante » de Tiso, ferma la légation tchécoslovaque à Moscou et envoya un délégué soviétique auprès de Tiso.
5 Le livre de V. Gollancz (Our Threatened Values, Londres, 1946, p. 96-105) décrit, avec de nombreuses citations de presse, les façons brutales employées lors de l'expulsion des Allemands de l'Europe centrale, en traitant plus particulièrement des territoires annexés par la Pologne.