1952 |
« De même que la propriété par un groupe
d'actionnaires d'une
entreprise capitaliste s'accompagne du droit de voter au sujet de son
administration et de décider la nomination ou le renvoi de ses
directeurs, la propriété sociale de la richesse d'un pays doit
s'exprimer par le pouvoir donné à la société de décider de son
administration ainsi que de la nomination ou du renvoi de ses
dirigeants. Les « démocraties populaires » sont basées sur des
conceptions différentes. Une dictature policière et bureaucratique
s'est établie au-dessus du peuple et demeure indépendante de la volonté
de celui-ci, tout en prétendant gouverner au nom de ses intérêts. » |
Les satellites européens de Staline
DEUXIÈME
PARTIE — LA VIE POLITIQUE DANS LES SATELLITES RUSSES
Chapitre VIII — Autres conflits nationalistes
1952
Le sort des Hongrois fixés en Tchécoslovaquie depuis un millénaire fut meilleur que celui des Allemands, mais cependant pas très enviable. Gottwald déclara, le 27 septembre 1945 : « Nous essayons d'établir le principe selon lequel nous ne pouvons vivre côte à côte dans le même État avec les Hongrois » (East Europe, 3 octobre 1945). Le quotidien du parti communiste, Zemědělské Noviny, écrivait le 3 décembre 1946 : « La présence de cette minorité constitue une menace pour l'intégrité de notre État et, par conséquent, pour la paix de l'Europe » (East Europe, 11 décembre 1946). Le projet de les expulser, dit Gottwald, « a rencontré la compréhension et l'approbation totale du généralissime Staline et du ministre Molotov » (East Europe, 28 août 1946).
Ces paroles se traduisirent par des actes. Le ministre des Affaires étrangères hongrois fit à la Conférence de la Paix, à Paris, le 14 août 1946, cette déclaration à laquelle le représentant de la Tchécoslovaquie n'opposa pas de démenti :
650 000 Hongrois qui vivaient en Slovaquie ont été privés de leurs droits de citoyens et même des droits les plus élémentaires. Leurs biens ont été confisqués. Aucun d'eux ne peut plus remplir un travail intellectuel ou manuel. Il ne peut réclamer justice, entrer dans un syndicat, exercer ses droits civiques. L'emploi de la langue hongroise est interdit dans les bureaux, même à l'église et dans les lieux publics, sous peine de fortes pénalités. Aucun journal ou périodique ne peut paraître en langue hongroise dans la Tchécoslovaquie, il est également défendu de parler hongrois au téléphone et d'envoyer des télégrammes dans cette langue. Les Hongrois ne peuvent posséder de postes de radio. Toutes leurs écoles ont été fermées et l'enseignement donné en hongrois est passible de fortes peines. Les autorités tchécoslovaques ont renvoyé tous les fonctionnaires et employés d'origine hongroise et suspendu le paiement de leurs pensions. Les soldats invalides, les veuves et orphelins de guerre ne touchent plus leurs allocations.
Au même moment, le gouvernement tchécoslovaque, selon la presse hongroise, obligeait des Hongrois à travailler dans les mines de Kladno (loi sur le travail obligatoire pour les « traîtres et collaborateurs allemands et hongrois », signée le 21 février 1946).
La presse hongroise, les journaux communistes en particulier, signala que beaucoup de Hongrois expulsés de Tchécoslovaquie avaient été envoyés à Dachau par les Nazis et avaient reçu, pour ce fait, de hautes décorations tchèques. Beaucoup appartenaient au parti communiste hongrois. József Révai, rédacteur en chef du quotidien communiste Szabad Nép, après avoir critiqué le traitement des Hongrois par les Tchèques, « dont la conduite pendant la guerre fut bien différente de celle des Yougoslaves, et pourtant le maréchal Tito accorde aux Hongrois la pleine égalité des droits », demande : « Les Tchécoslovaques s'inquiètent-ils de savoir si leur État est démocratique ou réactionnaire à partir du moment où il est nationaliste ? » (15 juillet 1945). Le même jour, Rákosi, secrétaire général du parti communiste hongrois, condamnait l'expulsion des Hongrois de Tchécoslovaquie et « les excès ressemblant étrangement aux anciens procédés fascistes » (East Europe, 1er août 1945). (Il eut le tact de rejeter le blâme sur les fonctionnaires locaux.) En une autre occasion, le 26 mai 1946, Rákosi attaqua tous les partis tchécoslovaques, même le communiste, en déclarant : « Nous avons l'impression que tous les partis tchécoslovaques ont voulu cuire leur gâteau électoral au feu de leur traitement des Hongrois. Espérons que maintenant, les élections terminées, les Hongrois de Slovaquie seront traités enfin d'une manière plus convenable pour un pays démocratique » (East Europe, 5 juin 1946).
Les sévices n'en continuèrent pas moins. Même à l'époque du coup d'État de février 1948, le gouvernement tchécoslovaque n'oublia pas de donner des instructions interdisant aux Hongrois de faire partie des comités d'action, même s'ils étaient citoyens tchécoslovaques et s'étaient honorablement comportés dans la lutte contre les Nazis.
Au total, il fut expulsé 100 000 Hongrois.
C'est seulement après les événements du printemps 1947, qui consolidèrent le pouvoir du parti communiste en Hongrie, et après le coup d'État de février 1948 en Tchécoslovaquie, que Moscou jugea superflus les conflits nationalistes entre les Hongrois, d'une part, les Tchèques et les Slovaques, de l'autre. Aussi, à l'automne de 1948, un accord fut-il conclu entre les deux pays pour régulariser le statut de la minorité hongroise en Slovaquie. En janvier 1949, le parlement tchécoslovaque décida de rendre aux Hongrois tous leurs droits civiques et de les autoriser à séjourner de façon permanente dans le pays.
Conflits entre les Roumains et les Hongrois.
La pomme de discorde entre la Roumanie et la Hongrie fut la Transylvanie, où habitaient près de 2 millions de Hongrois. Dans les vingt-quatre heures qui suivirent l'arrivée au pouvoir du gouvernement Groza, la Transylvanie septentrionale, enlevée à la Roumanie par Hitler pour être donnée à la Hongrie, fut rendue aux Roumains, bien que la majorité de sa population fût hongroise. Vichinsky admit ouvertement qu'il s'agissait d'une récompense pour la mise en place du gouvernement Groza. Patrascanu, alors chef du parti communiste roumain, exprima des remerciements à la Russie responsable de ce transfert. Si étrange que cela puisse paraître, Rákosi profita aussi du conflit pour payer son tribut de reconnaissance à l'U. R. S. S. en déclarant, le 1er juin, que la Grande-Bretagne et les États-Unis n'avaient accepté ce transfert, à la conférence de Paris, qu'à cause de leurs intérêts dans l'industrie pétrolière roumaine. « La production de pétrole de la Roumanie est dix fois plus élevée que celle de la Hongrie et, naturellement, les pays qui s'intéressent au pétrole distribuent leurs sympathies ou leurs antipathies selon qu'il s'agit de 100 000 ou de 1 000 000 de tonnes de pétrole. Ce fait a, bien entendu, d'importantes répercussions sur leur jugement politique. Aussi, lorsque la question de la frontière roumano-hongroise fut abordée à la conférence de Paris, les États-Unis proposèrent-ils de rendre à la Roumanie ses limites de 1940. La Grande-Bretagne accepta immédiatement cette suggestion et la question se trouva réglée » (East Europe, 12 juin 1946).
Le parti communiste hongrois demanda, le 12 août 1946, que le traité de paix fût modifié de façon à rendre à la Hongrie au moins la partie de la Transylvanie habitée par des Hongrois. Mais au même moment, le parti communiste roumain se déclara opposé à toute modification.
Cependant, dès qu'il fut absolument clair que la Russie était favorable au rétablissement de la frontière de 1940, les deux gouvernements cessèrent de se disputer et, dans l'ensemble, celui de Bucarest adopta une attitude très libérale envers la grande minorité hongroise.
Aussitôt la guerre terminée, un conflit très aigu éclata entre la Pologne et la Tchécoslovaquie au sujet de la fixation de leur frontière. Il existait des Tchèques et des Slovaques dans la ville polonaise de Spig, dans le district d'Orava qui fut partagé entre les deux pays, ainsi que dans les villes silésiennes de Ratibor et de Hlubčice qui étaient aux mains des Polonais. La Tchécoslovaquie voulait que la frontière fût modifiée en sa faveur dans toutes ces régions. Mais le conflit le plus grave surgit pour la possession du riche territoire de Teschen. Il avait été partagé entre les deux pays après la première guerre mondiale ; en 1938, lors de la crise de Munich, la Pologne envahit la partie occupée par la Tchécoslovaquie. A la fin du deuxième conflit mondial, l'armée polonaise, commandée par le maréchal Rola-Żymierski, occupa Teschen de nouveau. Les Polonais et les Tchèques furent invités dès le lendemain à envoyer des délégués à Moscou pour discuter la question. Il fut décidé de rendre à la Tchécoslovaquie les territoires qu'elle possédait avant Munich, à titre de compensation pour la perte de la Ruthénie carpathique, prise par la Russie. Mais la fureur chauvine n'en fut pas diminuée, les minorités tchécoslovaques et polonaises eurent à en souffrir dans les deux régions. Le Central European Observer écrivit,le 19 octobre 1945 : « Les Tchèques subissent des abus à Ratibor et à Hlubčice : leurs récoltes leur sont enlevées, leurs biens confisqués. On les arrête pour les emmener à l'intérieur du pays. Les services religieux en tchèque ou dans le dialecte local ont été interdits. Des Tchèques fuient à travers la frontière. Il y a déjà plusieurs milliers de réfugiés. » Le 27 décembre 1945, Radio-Prague se plaignit de ce que les Polonais eussent dissous les comités nationaux dans la partie de Teschen habitée par des Tchèques et les avaient remplacés par des maires polonais désignés par eux, de ce qu'ils eussent fermé toutes les écoles non polonaises. Le 27 mars 1946, le conseil national tchèque de Moravská Ostrava, en représailles, interdit l'emploi du polonais dans les écoles de Teschen (East Europe, 3 avril 1946).
Cette politique d'entretenir les antagonismes nationalistes, particulièrement entre les Slaves et les Teutons, gêna le Kremlin lorsque ses agents eurent établi leur plein contrôle sur les États satellites et lorsqu'il consacra ses efforts à la lutte pour l'Allemagne contre les puissances occidentales.
C'est pourquoi, depuis la fin de 1947, date de création du Kominform, l'ancienne politique relative aux nationalités a été abandonnée et remplacée par l' « internationalisme », qui est, en réalité, un autre instrument de l'impérialisme russe. En juin 1948, une conférence des ministres des Affaires étrangères de l'U. R. S. S. et des « démocraties populaires », réunie à Varsovie, proclama son amitié pour le peuple allemand. En janvier 1949, Fierlinger félicita les staliniens germaniques (parti socialiste unifié), qui « professaient fièrement l'ancien internationalisme sous sa forme inaltérée ». D'autres dirigeants de Tchécoslovaquie, de Pologne, de Roumanie, etc., brodèrent indéfiniment sur le même thème. Staline lui-même écrivit une lettre à Pieck, président de la « République démocratique allemande », le 13 octobre 1949, en lui disant que les Allemands et les Russes étaient « les deux peuples possédant les plus grandes possibilités en Europe pour accomplir de grandes actions, d'importance mondiale ». Malheur à qui parle désormais de l'union des « Slaves » contre les « Teutons » !
La nouvelle politique fut principalement dirigée contre les satellites osant désirer leur indépendance nationale et opposés à leur transformation en provinces soviétiques.