1982

"Les révolutions vaincues sont vite oubliées. Pourtant, de tous les bouleversements après la Première Guerre Mondiale, ce sont les événements en Allemagne qui ont fait dire au premier ministre britannique Lloyd George : « Tout l'ordre politique, dans ses aspects politique, social, et économique, est mis en question par les masses d'un bout à l'autre de l'Europe. » Voilà que survenait une grande agitation révolutionnaire, dans une société industrialisée avancée, et en Europe occidentale. Sans comprendre sa défaite, les grandes barbaries qui se sont répandus sur l'Europe dans les années 30 ne peuvent pas être compris – car la croix gammée est d'abord entrée dans l'histoire moderne sur les uniformes des troupes contre-révolutionnaires allemandes de 1918-1923, et parce que la défaite en Allemagne a fait tomber la Russie dans l'isolation qui donna à Staline son chemin vers le pouvoir."

Chris Harman

La révolution perdue

Chapitre 6 - Les mois de guerre civile

1982

Les militaires et la bourgeoisie, qui aident aujourd’hui Ebert et Scheidemann à se sortir du bourbier, veulent jouir eux-mêmes des fruits de la moisson sanglante. Ces éléments ne voulaient soutenir le gouvernement « socialiste » qu’aussi longtemps qu’ils pouvaient croire tenir la bride sur le cou du des masses prolétariennes avec le faux drapeau. (...) Désormais le charme est rompu. La semaine écoulée a rendu béant l’abîme qui sépare le gouvernement Ebert de la révolution. Aujourd’hui il est évident qu’Ebert et Scheidemann ne peuvent régner que par les baïonnettes. Mais dans ce cas, les baïonnettes règneront sans Ebert et Scheidemann. (...) Ainsi le corps des officiers contre-révolutionnaires se rebelle contre le gouvernement Ebert. (...)
Quel que soit, demain ou le jour d’après, le résultat et la solution de la crise, ce sera un arrangement provisoire, un château de cartes (…) A très court terme la force primitive de la révolution, les luttes économiques, barrera d'un trait tous ces calculs (...) Les ruines et les cadavres de ce dernier épisode seront à peine déblayés que la révolution reprendra son inlassable travail quotidien.1

C’est ainsi que Rosa Luxemburg, l’avant-veille de son assassinat, pointait les problèmes auxquels faisaient face les vainqueurs de janvier 1919. Ses prédictions devaient bientôt s’avérer correctes.

L’écrasement de la gauche révolutionnaire à Berlin avait permis aux dirigeants sociaux-démocrates et au Haut Commandement militaire de réaliser leurs premiers buts. Ils avaient créé les conditions dans lesquels les élections de janvier à l’Assemblée Nationale pouvaient se tenir en toute sécurité ; ils s’assuraient que les élections étaient dominées, d’une part par le vieil appareil du SPD et, d’autre part, par les fonds massifs versés par les milieux d’affaires aux partis bourgeois ; et ils laissaient intactes les vieilles structures du pouvoir dans la presse, la fonction publique, l’armée et la magistrature.

Mais leur victoire sur les révolutionnaires était précaire. La plus grande partie de l’Allemagne était toujours sous l’influence des conseils d’ouvriers et de soldats. La fonction publique dépendait toujours de leur bonne volonté pour que les choses soient faites, et les seules forces de police, dans de nombreuses localités, étaient les « détachements de sécurité » ou les « armées populaires » sous les ordres des conseils.

Dans les premiers jours de la révolution, les sociaux-démocrates avaient dans l’ensemble réussi à dominer ces conseils, parce que la plupart des travailleurs et des soldats étaient complètement nouveaux à la politique et croyaient que le SPD poursuivait une stratégie socialiste « réaliste ». Mais les sociaux-démocrates ne pouvaient conserver ce soutien que s’ils faisaient des concession verbales aux travailleurs. Ils n’entraient pas dans la bataille sous la bannière de la contre-révolution. Bien au contraire. Ils faisaient des promesses qui, dans d’autres temps, auraient paru révolutionnaires.

Les premières proclamations du gouvernement insistaient sur sa « composition purement socialiste » et sur le fait qu’il « se donnait pour tâche d’appliquer le programme socialiste », comme l’a noté un historien favorable aux dirigeants du SPD.2 C’était vrai en particulier dans la sphère économique, où il était continuellement question de « socialisation ». Le même Congrès National qui avait voté pour transmettre le pouvoir à l’Assemblée Nationale avait aussi voté pour « la socialisation de l’industrie, en particulier des mines ». Et le Congrès était dominé par les sociaux-démocrates.

Le SPD devait aussi faire des concessions verbales en ce qui concernait les conseils ouvriers eux-mêmes. Les conseils étaient extrêmement populaires dans de larges couches de travailleurs, y compris parmi ceux qui soutenaient le gouvernement ; là encore, le Congrès National des conseils avait approuvé la résolution de Hambourg qui donnait aux conseils de soldats des pouvoirs étendus.

Une des raisons pour lesquelles le gouvernement avait si facilement brisé le mouvement de janvier à Berlin était qu’une section importante des ouvriers de la ville était toujours prête à collaborer activement à la lutte contre la révolution. Les plus grandes usines et certains des régiments les plus importants étaient restés neutres, exhortant les deux camps à la « paix ». L’Exécutif des Conseils de Berlin dénonça le soulèvement. En fait, cela signifiait que la défaite des forces de gauche n’était pas égale à la destruction du pouvoir de la classe ouvrière dans son ensemble, mais seulement de ses éléments les plus révolutionnaires. Une défaite complète des travailleurs n’aurait pas seulement signifié la déroute des spartakistes et des Indépendants de gauche, mais aussi de certaines forces social-démocrates qui avaient combattu les révolutionnaires. Il y avait des dizaines de milliers de travailleurs et de soldats qui étaient prêts à donner leur accord au désarmement, voire même à l’exécution des « rouges », mais qui étaient loin d’être disposés à accéder aux autres exigences de la contre-révolution – la restauration de l’essentiel du régime d’avant Novembre, la destruction du pouvoir des syndicats, le retour à la discipline militaire, et une augmentation des salaires inférieure à la hausse des prix.

Il était dès lors possible pour les sociaux-démocrates d’obtenir, et de loin, la majorité des voix de la classe ouvrière aux élections de l’Assemblée Nationale, tenues moins d’une semaine après le bain de sang de Berlin. Ils eurent 11,5 millions de voix, contre 2,3 millions aux Indépendants, sur un électorat total de 30 millions. Seul un électeur sur 13 montra un signe de sympathie pour le socialisme révolutionnaire. La plupart des travailleurs voulaient le socialisme – mais ils pensaient toujours pouvoir y accéder par des moyens autres que révolutionnaires.

Cela dit, Berlin une fois écrasé et les élections à l’Assemblée tenues sans problème, les dirigeants sociaux-démocrates commencèrent à démontrer qu’ils avaient plutôt tendance à s’éloigner du socialisme qu’à s’en rapprocher. Ils formèrent un gouvernement de coalition avec les partis bourgeois, puis, le 19 janvier, Noske publia un décret mettant fin aux pouvoirs des conseils de soldats et restituant aux officiers toute leur ancienne autorité.

« La politique faible (...) des socialistes de droite, et la politique subséquente du gouvernement de coalition, suscitèrent une amertume d'autant plus profonde que les conditions d’existence (...) s’aggravaient », écrivit un observateur contemporain.

Non seulement le nombre des chômeurs a atteint des sommets avec la démobilisation de millions de soldats et l’arrêt de la production des industries de guerre, mais de plus la partie employée du prolétariat a souffert de plus en plus de la hausse incessante de tous les prix. Les efforts des travailleurs pour obtenir des compensations par des augmentations de salaires étaient vains.3

En novembre et décembre, alors que les Indépendants étaient toujours au gouvernement, ils avaient dénoncé les grèves visant à maintenir le niveau de vie – un peu de la même façon que de prétendus marxistes dénoncent aujourd’hui « l’économisme » ; l’indépendant de gauche Emil Barth, par exemple, s’insurgea contre la tentative « de rabaisser la révolution au niveau d’une grande revendication salariale ». Rosa Luxemburg, au contraire, proclamait avec insistance que seule la lutte économique pouvait permettre à la lutte politique de s’élever à un niveau supérieur. Son jugement était désormais confirmé. Dans une région de l’Allemagne après l’autre, la lutte pour les conditions d’existence amena les travailleurs à utiliser les institutions créées par la Révolution de Novembre – et par dessus tout les conseils – contre le gouvernement pour lequel la plupart d’entre eux avaient voté.

Les dirigeants sociaux-démocrates répondirent en se tournant vers leur amis militaires pour détruire le pouvoir des conseils et des forces de sécurité locales basées dans la classe ouvrière. Les Freikorps furent lancés dans une marche à travers l’Allemagne pour une opération de « nettoyage », de la même manière qu’ils avaient « nettoyé » la gauche à Berlin. Cela les amena de Berlin à Brême, de Brême dans la Ruhr, de la Ruhr en Allemagne centrale, de l’Allemagne centrale à Berlin, de Berlin à nouveau dans la Ruhr, puis encore une fois en Allemagne centrale, puis à Munich, de Munich à Chemnitz et à Hambourg. Les Freikorps étaient de plus en plus dirigés contre toutes les organisations ouvrières, et pas uniquement la minorité révolutionnaire. Des milliers de travailleurs furent tués, et à la fin une grande partie de la classe ouvrière allemande avait l’impression de vivre sous une occupation militaire.

Brême

La gauche révolutionnaire avait acquis à Brême une influence sans équivalente ailleurs. La ville, sur la côte nord-ouest de l’Allemagne, était un centre de l’opposition interne du SPD dès avant 1914, son parti local publiant des articles de Luxemburg, Mehring et Radek. La scission du SPD de 1917 se fit dans des termes beaucoup plus favorables à l’opposition à Brême qu’ailleurs, ne laissant au « vieux parti » que « quelques centaines » de membres.4 En même temps, la gauche révolutionnaire, sous la direction du très capable Johann Knief, avait réussi à produire un hebdomadaire local, Arbeiterpolitik. Ils avaient pu neutraliser la répression de l’Etat impérial en construisant une organisation illégale enracinée dans les lieux de travail.

Dans la première semaine après la révolution, les sociaux-démocrates purent prendre le contrôle : dans l’euphorie générale beaucoup pensaient que les conseils étaient compatibles avec le vieux Sénat qui avait dirigé la cité-Etat de Brême sous l’empire. Mais les attitudes commencèrent bientôt à changer, en particulier après l’arrivée en ville de Knief le 16 novembre avec un détachement de marins révolutionnaires, déterminé à construire « le noyau du pouvoir ouvrier armé ».5

Dès le 24 novembre les révolutionnaires conduisaient des manifestations de masse devant l’hôtel de ville, et le conseil d’ouvriers et de soldats de la ville votait pour la dictature du prolétariat et contre la réunion de l’Assemblée Nationale. Les communistes avaient « une majorité des travailleurs industriels derrière eux »6, même si les sociaux-démocrates conservaient une base dans la garnison. Lors d’une réélection des conseils ouvriers le 6 janvier, le SPD bénéficia d’un peu moins de la moitié des voix – 113, contre 64 pour les Indépendants et 62 pour les communistes.

Les combats continuaient à Berlin lorsque le nouveau conseil se réunit à l’hôtel de ville de Brême le 10 janvier. Les rues environnantes avaient été conquises par une énorme manifestation de travailleurs armés dirigée par les communistes. Les Indépendants du conseil se soumirent à l’humeur ambiante. Ils votèrent avec les communistes pour déclarer Brême « république socialiste indépendante ». Un « Conseil des Commissaires du Peuple » (cinq Indépendants et quatre communistes) fut élu, et un certain nombre de mesures révolutionnaires furent prises : la loi martiale, qui devait être mise en œuvre par « l’armée prolétarienne du peuple » ; la remise de toutes leurs armes par la bourgeoisie et les officiers dans les 24 heures ; la censure de la presse bourgeoise.

A ce stade, le mouvement révolutionnaire de Brême connut un recul tout à fait inattendu et inévitable : Johann Knief, son dirigeant de loin le plus capable, tomba fatalement malade. Son dernier acte politique avait été de sonner l’alarme contre toute tentative de soutenir Berlin militairement ou contre une insurrection locale. Son avis fut ignoré.

La justesse de l’avertissement de Knief se trouva prouvée à peine trois jours plus tard, alors que la plupart des Indépendants commençaient à quitter le navire. Le conseil des ouvriers et des soldats vota, à une courte majorité, pour permettre la tenue dans la ville des élections à l’Assemblée Nationale. Les communistes se rendirent compte qu’ils n’avaient pas assez de soutien dans la population pour maintenir la « république ». Le 21 janvier, le conseil votait pour la mise en place dans la ville d’une nouvelle autorité au moyens « d’élections citoyennes » à tenir en mars. La « république socialiste indépendante » était oubliée par ses initiateurs – mais elle continua à fournir une excuse pour l’intervention militaire.

Pour l’instant les conseils ouvriers demeuraient le pouvoir à Brême, et les travailleurs restaient armés. Cela constituait en soi un affront au gouvernement de Berlin. Dès que les élections à l’Assemblée Nationale furent terminées, les opérations contre Brême purent commencer.

Une campagne de presse prétendit que le régime radical de Brême retenait des fournitures alimentaires américaines destinées au reste de l’Allemagne. « L’opinion publique » une fois mise en rage, l’action militaire se mit en branle. Le 28 janvier, le commandant des Freikorps, le futur nazi Erhardt, lança ses troupes à l’assaut de la base navale de Wilhelmshaven. Mitrailleuses, artillerie et grenades furent utilisées pour briser le pouvoir des conseils de marins. Il y eut huit morts. Le 30 janvier, les troupes reçurent l’ordre de se porter sur Brême.

A certains égards, la situation était la même qu’à Berlin au début du mois. L’extrême gauche avait échoué dans une tentative de prendre le pouvoir. Elle pouvait dès lors être présentée au reste du pays comme étant composée de « fanatiques » et de « putschistes » qui voulaient interrompre « la marche dans l’ordre à la socialisation » entreprise par le gouvernement de Berlin.

Mais il y avait une différence importante. A Berlin, l’Exécutif des Conseils Ouvriers, le corps qui détenait la légitimité depuis la Révolution de Novembre, avait soutenu le gouvernement. A Brême, c’était le pouvoir des conseils ouvriers lui-même qui était attaqué.

La gauche de Brême se trouva donc soutenue par un large éventail d’opinion de la classe ouvrière, à la fois dans la ville et à l’extérieur. « La classe ouvrière de toute la Waterkant (la côte nord-ouest) considéra l’action contre Brême comme une menace ».7 Le journal social-démocrate de l’autre grande ville de la région, Hambourg, le Hamburger Echo, posait la question : « Devons-nous laisser la révolution se faire étrangler par le militarisme ? »

La région avait été le berceau du mouvement des conseils qui avait renversé l’empire à peine trois mois auparavant. Et tous les conseils semblaient devoir présenter un front uni pour la défense de Brême.

Le conseil de soldats du XIème Corps d’Armée, basé à Hambourg, promit son aide. Le conseil ouvrier de Hamburg décida, par 232 voix contre 206, que le XIème Corps devait empêcher toute marche sur Brême ; il se prononça également pour « l’armement des travailleurs de Hambourg dans les 48 heures », l’occupation des quais pour prendre le contrôle de tous les moyens d’existence, et le soutien à Brême « par tous les moyens militaires ».

A Brême, les Commissaires du Peuple et les conseils d’ouvriers et de soldats proposèrent au gouvernement un compromis, selon lequel les travailleurs de Brême ne rendraient pas les armes aux Freikorps, mais à des unités stationnées à Hambourg et Brême, et le Conseil des Commissaires lui-même serait réaménagé, la moitié des sièges étant réservés aux sociaux-démocrates.

Les sociaux-démocrates de Brême étaient très contents de cette proposition. Mais Noske n’était pas intéressé. Les chefs des Freikorps Lüttwitz et Erhardt lui avaient dit que « le prestige du commandement militaire ne pourrait pas résister à un retrait ».8 Passer un compromis avec Brême revenait à accepter le droit des conseils de soldats de déterminer les mouvements de l’armée.

Le 3 février, les Freikorps entrèrent dans la ville, où les combats étaient bientôt acharnés :

Les travailleurs n’avait pas laissé les négociations les entraîner à un sentiment trompeur de sécurité, comme cela s’était trop souvent passé dans cette révolution. Depuis que le télégramme d’avertissement venu de Berlin le 30 janvier avait mis en branle les sirènes de l’usine, on avait travaillé à l’armement des ouvriers.9

Les Freikorps durent faire refluer les travailleurs rue par rue. Les ouvriers tenant les ponts essuyèrent attaque après attaque de véhicules blindés : seul, l’usage de grenades put les déloger. Dans le combat lui-même 46 Freikorps furent tués, presque le double des 28 ouvriers qui tombèrent.10

Mais les travailleurs comptaient sur le soutien de Hambourg – et ce soutien ne vint jamais. Les sociaux-démocrates de Hambourg, qui avaient dénoncé verbalement les menaces du gouvernement contre Brême, n’étaient pas prêts à transformer en actes leurs rodomontades. Ils restèrent passifs, et Brême fut réduite.

Le « nettoyage » de Brême se solda par une centaine de morts, des arrestations arbitraires suivies d’exécutions sommaires et de perquisitions en quête d’armes dans les maisons des travailleurs. Ces mêmes sociaux-démocrates qui avaient « négocié » pour faire cesser l’assaut collaboraient désormais avec les Freikorps pour former un gouvernement d’Etat provisoire.

Cela dit, l’état d’esprit révolutionnaire des travailleurs n’était pas complètement brisé. En avril, la ville fut paralysée par une grève générale pour la libération des prisonniers de février. Une nouvelle intervention militaire fut nécessaire pour y mettre un terme, avec des combats de rues, des arrestations en masse, des procès militaires et des condamnations pour « pillage » allant jusqu’à 15 ans de prison.

La Ruhr

Dans la révolution, comme dans la guerre, le facteur temps peut être déterminant. Quelques jours, ou même quelques heures, peuvent décider de la victoire ou de la défaite. Si les sociaux-démocrates et le Haut Commandement avaient dû faire face à une révolte contre leur politique explosant de façon simultanée dans tout le pays, ils n’auraient pas pu survivre. Mais leur organisation centralisée leur permit de conserver l’initiative. Ils ne pouvaient pas empêcher la révolte – mais ils pouvaient faire en sorte que les travailleurs de différentes villes et régions se rebellent séparément, et soient vaincus séparément.

C’était particulièrement important en février. Alors que les Freikorps allaient de Berlin à Brême, la Ruhr entra en ébullition. Ebert et Noske risquaient de devoir livrer bataille sur deux fronts, ce qui aurait pu facilement les engloutir. Il leur fallut toute leur science des concessions verbales pour différer la confrontation dans la Ruhr jusqu’à ce que Brême eut été écrasée.

La Ruhr était le cœur industriel du capitalisme allemand. Ses mines et ses aciéries formaient la base des grands trusts dirigés par Krupp, Thyssen et Stinnes, qui avaient été la force motrice de la guerre, qui devaient dominer la vie économique de la république de Weimar, et qui financeraient l’accession d’Hitler au pouvoir.

Le 9 novembre, lorsque l’empire s’effondra, les travailleurs de la région étaient déjà d’humeur maussade. Six ans plus tôt, une grève des mineurs avait été écrasée par la police et la troupe, et les ouvriers s’étaient retrouvés avec des salaires réduits et de plus longues journées de travail. Leur organisation n’avait jamais été traditionnellement forte – elle était divisée en quatre, avec un syndicat « libre » social-démocrate, un syndicat chrétien qui était assez puissant dans la région d’Essen, un syndicat libéral « apolitique », et une organisation spéciale pour les travailleurs immigrés polonais. Pendant la guerre, l’organisation avait été encore affaiblie par l’utilisation de prisonniers de guerre comme travailleurs privés de droits. Malgré tout, il y avait eu de plus en plus de grèves en 1916, 1917 et 1918.

La Révolution de Novembre s’était, en tant que telle, déroulée paisiblement dans la Ruhr, où elle n’avait rencontré pratiquement aucune opposition. Et, dans l’ensemble, les sociaux-démocrates dominaient les conseils ouvriers fraîchement élus. Mais avant longtemps les ouvriers commençaient à faire usage de leur liberté nouvelle pour remettre à l’ordre du jour les revendications économiques qui n’avaient pas abouti dans le passé.

Déjà, en octobre, les employeurs s’étaient empressés, pour la première fois, de reconnaître les syndicats. Ils avaient, pour essayer de calmer les mineurs, accepté la journée de huit heures. Mais les mineurs exigeaient déjà davantage – ils voulaient la journée de six heures, faisant observer que la malnutrition rendait impossible un travail de huit heures. Le nombre de grèves se multiplia. Au sommet de la période de famine, la colère contre les employeurs, qui avaient augmenté le prix du charbon de 50 % en décembre, était latente.

Les syndicats mettaient en garde contre les grèves sauvages, et les travailleurs commencèrent à se retourner contre les bureaucrates, d’abord dans le syndicat chrétien, puis dans la « Vieille Ligue », le syndicat social-démocrates.11 Ils étaient aussi, inévitablement, déçus par ceux qui contrôlaient les syndicats, les dignitaires sociaux-démocrates qui dominaient les conseils ouvriers.

Les conseils ouvriers dirigeaient dans la plupart des villes des « forces de sécurité » improvisées ou des « forces du peuple », dont ils avaient purgé dès novembre les éléments révolutionnaires. Désormais elles étaient utilisées contre les grévistes : à Gladbach la force de sécurité tua trois manifestants le 17 décembre, et deux autres le 13 janvier.

De tels incidents amenèrent un nombre croissant de travailleurs à exiger la réélection des conseils – et dans de nombreux endroits ce furent en réalité les premières élections, les sociaux-démocrates ayant simplement nommé leurs propres hommes aux « conseils ouvriers » dans les premiers jours de la révolution. A Gladbach, le SPD fut contraint, pour apaiser la colère provoquée par la fusillade, d’accepter trois communistes dans le conseil d’ouvriers et de soldats. A Oberhausen, un « conseil » mis en place par des représentants du SPD et des partis bourgeois fut forcé, sous la pression d’éléments radicaux dans les forces de sécurité locales, de se démettre au profit d’un autre, constitué de communistes et d’Indépendants. Des développements semblables menèrent à des changements dans les conseils de Hamborn, Duisburg, Ickern et Hervest-Dorstein. A Buer, après de nouvelles élections, un bureaucrate d’Etat qui avait été membre de l’ancien conseil ouvrier persuada des soldats mécontents d’assiéger l’hôtel de ville et d’ouvrir le feu sur la réunion du nouveau conseil, tuant cinq personnes.

La colère grandissante des mineurs trouva son expression dans la revendication politique de « socialisation » de l’industrie minière. Cette dernière avait toujours fait partie du programme de la social-démocratie et n’avait fait que gagner en popularité après la chute de l’empire. Cela ne semblait être qu’une question de temps. Mais les mineurs ne se contentèrent pas d’attendre que Berlin agisse. Le 10 janvier – alors que la gauche était écrasée à Berlin et la « république socialiste » proclamée à Brême – une conférence d’ouvriers et de soldats tenue à Essen élut une Commission de Contrôle de neuf personnes pour occuper les bureaux des trusts miniers. Leur but était « la préparation de la socialisation des mines » en collaboration avec le ministère de la socialisation à Berlin.

La décision fut approuvée par les sociaux-démocrates locaux aussi bien que par les Indépendants et les communistes, et chacun des trois partis était également représenté dans la commission de neuf hommes. Comme un des dirigeants du mouvement le disait plus tard, « Pendant qu’à Berlin, Brême et ailleurs, des batailles de rues sanglantes opposaient les troupes du « Commissaire du Peuple » social-démocrate aux ouvriers révolutionnaires, à Essen les dirigeants sociaux-démocrates, indépendants et spartakistes siégeaient tranquillement ensemble, et votaient aux conseils des puits ».12

Une déclaration conjointe des trois partis déclara que la conférence avait décidé « de prendre en mains la socialisation des mines » et qu’ainsi « la révolution, de politique, devient sociale ».

Mais les tentatives de superviser les bureaux miniers se heurta à des sabotages de tous côtés. Les sociétés et la bureaucratie étatique rendirent aussi malaisée que possible la tâche de la commission de neuf membres, pendant que les dirigeants syndicaux trouvaient mille raisons pour ne pas coopérer avec elle.

Au début, le gouvernement semblait en accord avec le mouvement de socialisation. Il nomma sa propre commission d’experts chargée d’élaborer un plan de socialisation, qui bien évidemment laissa s’écouler de nombreuses semaines avant de déposer son rapport. Cela suffisait pour empêcher une éruption de colère dans la Ruhr pendant les semaines cruciales où Berlin et Brême étaient écrasées.

Mais au début de février, même les plus chauds partisans du gouvernement dans les bassins houillers commençaient à trouver qu’il prenait son temps avec la socialisation. Une nouvelle conférence des conseils d’ouvriers et de soldats nomma le communiste Karski « conseiller économique et journalistique » de la commission de neuf membres, et présenta au gouvernement un ultimatum d’une semaine : si la commission ne se voyait pas investie des pleins pouvoirs pour mettre en œuvre la socialisation, il y aurait une grève générale.

Le jour suivant, la position des mineurs fut renforcée par une décision du conseil des soldats du VIIème Corps d’Armée basé à Münster, en Westphalie, juste au nord de la Ruhr, d’ignorer le règlement gouvernemental du 19 janvier restreignant leur pouvoir et de maintenir un droit de veto sur tous les ordres militaires dans la région. Il semblait que tout refus du gouvernement de poursuivre la socialisation rencontrerait une forte opposition de tous les conseils et de tous les partis ouvriers de la Ruhr.

Mais le gouvernement, tout en prétendant mettre en œuvre ses propres plans de socialisation, faisait de soigneux préparatifs avec le Haut Commandement militaire. Des unités de Freikorps commencèrent à faire mouvement de Brême vers la Ruhr, et le général Watter les utilisa pour désarmer la force de sécurité locale de Munster et pour arrêter le conseil de soldats. De Münster, les unités passèrent dans la Ruhr elle-même, entrant dans le village minier d’Hervest-Dorstein. Une centaine de mineurs armés tentèrent de résister à leur entrée. Mais l’artillerie brisa bientôt toute résistance et les villages de mineurs du district furent occupés, avec les habituelles arrestations de masse. A la fin de la journée 40 mineurs avaient été tués, parmi lesquels Fest, le dirigeant du conseil ouvrier, qui fut battu à mort alors qu’il se cachait dans une église.

Des actions d’une telle brutalité provoquèrent une grande colère même là où l’influence du SPD était dominante. Une conférence des conseils ouvriers convoquée à la hâte – mais non représentative – appela à la grève générale immédiate. Alors que le travail commençait à cesser, une réunion plus représentative confirma la décision – mais pas avant que la majorité des dirigeants sociaux-démocrates aient quitté la salle, dénonçant un mouvement qu’ils avaient prétendu jusque là soutenir. Un grand nombre de sociaux-démocrates se joignirent à la grève, mais d’autres étaient encore suffisamment sous l’emprise de leurs dirigeants pour les aider à tenter de « rétablir l’ordre » contre ceux que la presse sociale-démocrate appelait les « bandits ». Les détachements de sécurité sociaux-démocrates attaquèrent les travailleurs dans un certain nombre d’endroits : à Elberfeld, des patrouilles des chemins de fer tirèrent sur les ouvriers ; à Dortmund, la force de sécurité arrêta des travailleurs qui appelaient à la grève générale ; à Essen, une compagnie de marins abattit deux ouvriers ; à Barbeck, « l’armée du peuple » locale tua encore deux personnes, et d’autres affrontements à Elberfeld laissèrent 12 morts sur le pavé.

Mais tout n’allait pas comme le voulaient les autorités. A Bottrop, des ouvriers armés s’emparèrent de l’hôtel de ville et, après une bataille acharnée dans laquelle périrent 72 travailleurs, firent prisonniers les membres de la force de sécurité.

Ce que l’on a parfois appelé la « première Armée Rouge de la Ruhr » exista pendant les quelques jours où les travailleurs armés agissant au nom des divers conseils ouvriers combattirent l’avance des Freikorps dans les villes minières et sidérurgiques de l’Ouest de la Ruhr. Une étude détaillée a récemment conclu :

Le 19 février, les forces de la gauche étaient à leur zénith. Elles contrôlaient toute la région occidentale à l’exception de Duisburg. En plus de Dusseldorf, Remscheid, Mülheim et Hamborn, les conseils d’ouvriers et de soldats radicaux contrôlaient Obershausen, les villes de la Wupper, Dinslaken et Sterkrade. Leur force militaire était suffisante pour stopper les troupes de Freikorps sur la rivière Boye, entre Gladbach et Bottrop.13

La participation à la grève fut massive. Le 20 février, 183 000 ouvriers avaient débrayé. Mais la combinaison de répression militaire et de trahison social-démocrate commençait à porter ses fruits ; le jour suivant, leur nombre était tombé à 154 000. Le jour même, des renforts de Freikorps en provenance de Brême commençaient à prendre Hamborn.

A ce moment là, les dirigeants Indépendants décidèrent que la grève avait échoué. Mais au lieu d’organiser une retraite en ordre, ils firent la même erreur qu’à Berlin et tentèrent de négocier avec leurs ennemis. Le noyau de la force armée des travailleurs était à Bottrop. Mais le succès même des travailleurs était insupportable pour certains dirigeants Indépendants.

Ils avaient parlé un langage radical, mais confrontés brusquement à la réalité de l’effusion de sang ils perdirent courage. Le tour violent que prenait la grève était trop pour Baade, le dirigeant pacifiste de l’USPD d’Essen ; les reportages tendancieux sur la bataille de Bottrop durent aussi décourager Wills (de l’USPD de Mülheim). Les deux hommes commencèrent à négocier avec les autorités militaires à Munster.14

Watter, toujours dans l’attente de ses renforts de Brême, se montra fort obligeant – mais revint deux jours plus tard sur ses engagements et recommença sa marche de ville en ville, entrant dans Bottrop le 23 février avec le cortège habituel d’arrestations massives et d’exécutions sommaires.

Les premières secousses de la Ruhr avaient été réprimées – mais au prix de la radicalisation d’une large couche de travailleurs, comme le gouvernement aussi bien que le Haut Commandement devaient le découvrir plus tard à leurs dépens. Avant la lutte, les bassins houillers du centre et de l’est de la Ruhr étaient encore des bastions sociaux-démocrates ; après, ce n’était plus le cas.

L’Allemagne centrale

A quelques jours de la défaite de la grève générale dans la Ruhr, l’Allemagne centrale s’enflamma. La région était une des principales zones minières et tenait, géographiquement, une importante position stratégique, séparant Berlin du sud et du sud-ouest du pays – de Munich, Francfort, Stuttgart et de la Ruhr.

Sous l’empire, sa structure gouvernementale était complexe – et cela continuait dans les premières années de la république de Weimar. L’empire était constitué d’une multitude de petites principautés, de royaumes, et « d’Etats libres ». En Allemagne centrale, il y avait le royaume de Saxe, qui comprenait Leipzig, Dresde et Chemnitz, une pléthore d’Etats libres qui constituaient la Thuringe, comportant Weimar, Gotha et Erfurt, et la province prussienne de Saxe, avec Halle et Magdebourg – elle-même souvent appelée de façon à induire en erreur « l’Allemagne moyenne ».

Au début de 1919, cette géographie fracturée avait pour équivalent une importante variété politique. A Halle, Leipzig, Magdebourg et dans les villes et villages industriels de Thuringe, les Sociaux-Démocrates Indépendants étaient fortement implantés avant même la révolution. A l’inverse, à Dresde et Chemnitz le SPD était au début majoritaire dans la classe ouvrière.

Là où les Indépendants étaient dominants, l’appareil du gouvernement local, y compris les pouvoirs de police des détachements de sécurité, restaient entre les mains des conseils ouvriers, même après les élections à l’Assemblée Nationale. Le gouvernement de Berlin était résolu à mettre un terme à cette situation, mais en faisant en sorte de ne pas attaquer les conseils d’Allemagne centrale en même temps que Berlin, Brême ou la Ruhr. Le premier problème était la Thuringe, pour la simple raison que l’Assemblée Nationale s’était réfugiée à Weimar en vue de se soustraire à la pression des travailleurs berlinois.

Noske envoya une section de Freikorps à Weimar « pour protéger l’Assemblée Nationale ». Le conseil des soldats de Thuringe s’insurgea, au motif qu’il était tout à fait capable de s’acquitter de la tâche lui-même, et s’opposa à la présence de « troupes extérieures » : le général Märcher se fit un devoir de dissoudre le conseil au début de février et décréta une zone close de 10 kilomètres autour de Weimar. Puis il dirigea son attention vers les autres villes, à commencer par Gotha, où il occupa les bâtiments gouvernementaux, les Freikorps faisant feu sur les manifestants qui protestaient.

Pendant ce temps des travailleurs, dans une autre partie de l’Allemagne centrale, passaient à l’action sur une question complètement différente. Il y avait de plus en plus d’agitation, en particulier dans les bassins houillers, sur le pouvoir des conseils d’usine et de puits, que les Sociaux-Démocrates Indépendants présentaient comme « le premier pas vers la socialisation ». Le gouvernement faisait de son mieux pour noyer le poisson par des négociations : c’était la troisième semaine de février et, avec les problèmes qu’il avait dans la Ruhr, il ne voulait pas devoir lutter sur deux fronts.

Le 23 février, il n’était plus possible d’atermoyer, surtout après que Märcher ait dissous le gouvernement des conseils de Gotha. Une conférence des délégués des conseils d’ouvriers et de soldats d’Erfurt et de Merseberg, des puits, des travailleurs de l’électricité, de la chimie et des chemins de fer vota pour une action gréviste totale. La moitié des délégués étaient des Indépendants et le quart des communistes. Mais – détail important – le reste était constitué de sociaux-démocrates majoritaires. L’appel à la grève provenait de la direction de la totalité de la classe ouvrière de la région.

La grève fut une réussite totale, extraordinaire. Non seulement elle mit au point mort l’industrie de toute la région, elle stoppa aussi l’approvisionnement en énergie de Berlin et coupa les liens ferroviaires entre la capitale et le sud du pays. Les députés de l’Assemblée Nationale, à Weimar, étaient sans lien avec les ministères de Berlin. « L’Assemblée Nationale qui s’était réfugiée à Weimar pour échapper à « l’influence de la rue » était maintenant au milieu d'un territoire en grève ».15

Les Freikorps n’étaient pas adaptés à la résolution d’une telle crise. Seuls les « certificats de socialisme » dont pouvaient encore se prévaloir les ministres SPD étaient à même de calmer la colère des travailleurs. Le gouvernement eut recours à une manœuvre destinée à diviser les grévistes. Il distribua un tract ruisselant de phraséologie « de gauche » : « Nous sommes sur le point fonder les statuts de la démocratie économique. Nous allons développer les organes de la démocratie économique : les conseils d’usine ». Une première page proclamait : « La socialisation est en marche, avant tout dans les mines ». Mais, avertissait le texte gouvernemental, tout cela était compromis par des « terroristes qui voulaient éliminer l’Assemblée Nationale et détruire le Reich par l'anarchie politique et économique ».16

Pendant que ce tract agissait sur ceux des travailleurs qui croyaient encore aux intentions socialistes du gouvernement, Noske ordonnait aux Freikorps de marcher de Gotha sur Halle. Cette ville, proche des chantiers de la Leuna, la plus grande usine d’Allemagne, était dirigée par un conseil ouvrier Indépendant de gauche, avec un détachement de sécurité sous l’influence des communistes. Face à des tentatives de la classe moyenne locale d’affamer les travailleurs par une « contre-grève », le conseil ouvrier avait censuré, puis interdit la presse bourgeoise.

Le conseil ouvrier décida qu’une résistance efficace contre les Freikorps, lorsque ceux-ci investirent la ville le 1er mars, avait peu de chances de succès, mais le comportement ignoble des troupes déclencha bientôt des combats acharnés dans lesquels 27 ouvriers et sept Freikorps furent tués. Märcher mit ensuite sur pied une version locale des Freikorps, un « Régiment de Garde » formé de petits bourgeois et d’étudiants, pour tenir en respect les travailleurs lorsque ses propres troupes auraient quitté la ville.

Pourtant le gouvernement essayait encore de présenter une visage « de gauche » aux grévistes. Dans des négociations, il accepta de légiférer dans le sens d’un « ancrage » des conseils d’usine dans la constitution. Même si l’accord réduisait soigneusement le pouvoir des conseils d’usine, limité à une fonction de « participation » indolore aux décisions des employeurs, les délégués d’usine, influencés par les Indépendants, considéraient que suffisamment de concessions avaient été faites. Ils appelèrent à la reprise le 6 mars – au moment même où les Freikorps retournaient à Berlin pour faire face à un mouvement qui avait en partie commencé par un appel à la solidarité avec les travailleurs d’Allemagne centrale.

A nouveau Berlin

Le soulèvement berlinois de janvier avait été écrasé parce que ses participants constituaient une minorité de la classe ouvrière. Ils avaient été en grande partie désarmés par des soldats qui subissaient l’influence des sociaux-démocrates avant que les Freikorps n’entrent dans la ville. Mais les buts des Freikorps et ceux des soldats qui voulaient une « marche pacifique vers le socialisme » étaient diamétralement opposés. Il y eut très rapidement un antagonisme déclaré entre les deux groupes armés qui avaient vaincu les « spartakistes ». Selon le commandant des Corps de Soldats Républicains Sociaux-Démocrates :

Parmi les troupes de Noske une propagande constante était organisée contre « Berlin la rebelle’ » et ses défenseurs socialistes. (...) Lorsqu’ils entrèrent à Berlin, ils n’avaient rien de mieux à faire qu’arracher les brassards des membres du Corps de Soldats Républicains et de les insulter à tout propos.17

Le comportement des Freikorps inquiéta même un de leurs généraux. Märcher écrivit à son supérieur Lüttwitz le 25 janvier :

Il est avéré que la population de Berlin a été maintenue pendant dix jours dans une terreur mortelle par des éléments irresponsables des Freikorps. Ceux-ci deviennent un danger pour la capitale, et je considère comme très probable que tôt ou tard des combats opposeront les différents korps.18

Un historien a soutenu, par ailleurs, que des sections de Freikorps commençaient à hésiter à accomplir leurs tâches :

Le fait de tirer sur des travailleurs allemands, de fouiller leurs appartements à la recherche d’armes et de faire face aux regards haineux des gens dans les rues devenait trop ; même pour les Freikorps. Les officiers s’alarmèrent du changement d’attitude des troupes et les retirèrent à la hâte de la capitale.19

Il y avait, en fait, une raison de plus pour retirer la plupart des Freikorps de Berlin après une quinzaine de jours – on avait besoin d’eux pour réprimer les travailleurs dans une autre partie de l’Allemagne. Mais parmi les travailleurs qui s’étaient tenus à l’écart des combats de janvier il y avait certainement une hostilité croissante envers les soudards de Noske. Les Indépendants lui donnèrent une expression en appelant à une grève de protestation après le meurtre de Luxemburg et de Liebknecht, s’adressant à « tous les travailleurs, hommes et femmes, même s’ils n’étaient pas d’accord avec Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht ».20 D’après un dirigeant des Indépendants de droite, « L’enterrement (...) fut la plus impressionnante manifestation de masse que Berlin ait jamais vue ».21

Les grandes grèves combatives de la Ruhr et de l’Allemagne centrale en février bénéficièrent de la sympathie des travailleurs de Berlin. Six semaines d’occupation militaire n’avaient pas détruit leur moral, et un mouvement se développa, qui devait mettre à nouveau le feu aux poudres.

Le 27 février, les ouvriers des entreprises d’Etat de Spandau appelèrent à une grève, en solidarité avec l’Allemagne centrale aussi bien que pour une liste de revendications qui leur étaient propres, allant des augmentations de salaire à l’élection de conseils d’usine et à la mise en place de tribunaux révolutionnaires pour juger les anciens chefs militaires. Le lendemain, la question fut discutée dans une assemblée générale des conseils de Berlin. Mille cinq cent délégués étaient présents, chacun représentant 1 000 travailleurs. La réélection de l’Exécutif des conseils de Berlin révéla un déplacement politique dans la classe ouvrière : les Indépendants eurent 205 voix, les Sociaux-Démocrates 271, les communistes 99 et les Démocrates (le plus « à gauche » des partis bourgeois) 95. Le nouvel Exécutif comportait sept membres SPD, sept USPD, deux communistes et un Démocrate ; pour la première fois « l’organe de la révolution » de Berlin pouvait être dominé par la gauche si les communistes et les Indépendants votaient ensemble.

L’assemblée générale se réunit à nouveau le 4 mars et cette fois, après une préparation vigoureuse de la part de travailleurs de Spandau, Siemens et Schwartzkopf, appela à la grève générale à une large majorité, comportant les voix des délégués qui soutenaient le SPD. Les revendications étaient, entre autres, la reconnaissance des conseils, la libération des prisonniers politiques, l’organisation d’une garde ouvrière et la dissolution des Freikorps.

Les spartakistes refusèrent de siéger au comité de grève parce qu’il comptait des membres du SPD : ils disaient que c’était contradictoire avec les revendications de la grève, qui étaient en opposition à la politique du gouvernement social-démocrate.

La grève fut beaucoup plus suivie que celle de janvier. Toute l’activité industrielle de Berlin était paralysée, l’électricité coupée, les bus, les tramways et les trains arrêtés. Ce n’était pas l’action d’une minorité impatiente de la classe ouvrière, voulant la révolution socialiste immédiate. C’était une grève à laquelle participaient un grand nombre de travailleurs qui se considéraient toujours comme de loyaux sociaux-démocrates, mais qui étaient perturbés par le résultat des élections (qui avaient donné la majorité aux partis bourgeois), d’autres qui craignaient que leur contrôle virtuel des usines ne soit supprimé, ou qui protestaient contre la répression par les Freikorps, d’autres encore qui désiraient protéger leur niveau de vie.

Il y avait aussi une différence marquante dans la façon dont le Parti Communiste était considéré par comparaison avec janvier. Comme nous l’avons vu, en janvier la direction était partisane d’une action défensive – mais le ton des publications du parti était « offensif » et fit peu pour neutraliser l’agitation insurrectionnelle menée par Liebknecht. Là, le quotidien communiste, Die Rote Fahne, insistait fortement et clairement sur le fait que la grève n’était pas une insurrection. Elle commençait par appeler à une action gréviste massive :

Travailleurs ! Prolétaires ! Les morts se lèvent à nouveau. A nouveau, ceux qui étaient piétinés partent en cavalcades. (...) Le gouvernement « socialiste » d’Ebert-Scheidemann-Noske est devenu le bourreau du prolétariat allemand. Aujourd’hui ils ne font que guetter une occasion de « défendre l’ordre ». Partout où des prolétaires se dressent, Noske a envoyé ses sbires. Berlin, Brême, Wilhelshaven, Cuxhaven, Rhénanie-Westphalie, Gotha, Erfurt, Halle, Düsseldorf : ce sont là les étapes sanglantes de la croisade de Noske contre le prolétariat allemand.

Elle continuait en mettant en garde contre la provocation :

Travailleurs ! Camarades du parti ! (...) Que le travail s’arrête ! Restez constamment dans les usines, pour que les usines ne puissent vous être enlevées. Rassemblez-vous dans les usines ! Expliquez les choses à ceux qui hésitent et qui sont restés en arrière. Ne vous laissez pas pousser à ouvrir le feu sans raison. Noske n’attend que cela pour avoir une raison de répandre encore plus de sang. (...)
La plus grande discipline ! La plus grande attention ! Un calme de fer ! Mais aussi une volonté de fer ! Vous tenez le sort du monde entre vos mains.22

Malheureusement, le parti était encore trop petit pour contrôler la situation comme il le souhaitait. Ses dirigeants avaient appris les leçons de janvier, mais un grand nombre d’ouvriers et de soldats qui étaient jusque là passifs ou du côté du gouvernement étaient attirés par la lutte. Beaucoup avaient ressenti une profonde déception dans les semaines qui avaient suivi janvier. Ils détestaient le gouvernement et les Freikorps, mais ne considéraient pas le petit Parti Communiste comme le dirigeant naturel de leurs luttes.

Le gouvernement se préparait à renouveler sa tactique de janvier. Malgré la grande popularité de la grève parmi les travailleurs sociaux-démocrates, le gouvernement SPD de Prusse proclama l’état de siège « pour protéger le grand Berlin des attaques terroristes d’une minorité ». Noske stationna à nouveau des unités de Freikorps dans la ville. Dès le second jour de la grève, malgré les appels à l’action non violente, « Berlin était ébranlée par les tirs d’artillerie, des obus s’écrasaient sur les maisons des quartiers ouvriers, et les mitrailleuses crépitaient ».23

Il y a différentes versions de la façon dont les combats furent déclenchés – étant donné la grande quantité de travailleurs engagés dans la grève, il n’est pas surprenant qu’il soit malaisé d’établir avec précision le déroulement exact des évènements. L’historien marxiste français Pierre Broué, par exemple, décrit comment

Dans la nuit du 3 au 4 mars, des incidents éclatent dans plusieurs quartiers de Berlin entre policiers et ouvriers. Plusieurs pillages de magasins se produisent, dans lesquels les révolutionnaires et les grévistes vont dénoncer l'oeuvre de provocateurs. Au matin du 4, tenant un prétexte, Noske donne aux corps francs l'ordre de marcher sur Berlin.
Le 4, une foule énorme se rassemble au début de l'après-midi sur la place Alexandre à proximité de la préfecture de police : la colère y monte rapidement quand parviennent les nouvelles des Incidents de Spandau : les corps francs ont désarmé les soldats qui gardaient le dépôt de mitrailleuses et des fusillades se sont produites. Un détachement des corps francs de von Lüttwitz tente de pénétrer dans la foule : l'officier qui le commande est malmené, et les chars d'assaut interviennent, tirant sur la foule pour faire évacuer la place : c'est « une effroyable boucherie ». (...)

Le jour suivant, les Freikorps firent mouvement contre un détachement des marins de la Division du Peuple – qui étaient restés neutres en janvier. L’incident fut décisif : les marins, dans leur majorité, se retournèrent contre les Freikorps, distribuant à la foule les stocks d’armes à leur disposition.24

L’historien américain R M Watt, lui, met le déclenchement des combats sur le compte d’une action concertée d’un partie des révolutionnaires :

La grève n’avait pas été sitôt proclamée que des révolutionnaires armés attaquaient et prenaient 32 postes de police berlinois. Les matelots de la Division de Marine du Peuple marchèrent dans les rues et assiégèrent les plus importants commissariats.25

Aussi bien M Phillips Price que Heinrich Ströbel – qui étaient en Allemagne à l’époque – avancent des versions plus proches de Broué que de Watt. Phillips Price écrit :

Il s’avéra bientôt que le combat n’opposait pas le corps de volontaires de l’ancienne armée aux forces spartakistes, mais les premiers, d’une part, à la Division de Marine du Peuple et aux Corps de Soldats Républicains, qui avaient toujours été considérés comme une force loyale envers le gouvernement.26

Et Ströbel écrit :

Les combats de mars a Berlin n'avait pour origine rien d'autre que les jalousies et la méfiance des gardes de Noske envers les pauvres restes des troupes révolutionnaires des journées de novembre, la Division Populaire de Marine et la Garde Républicaine. Ces troupes étaient une épine dans le pied des officiers et des généraux qui commandaient les Corps Francs de Noske, et elles devaient être dispersées à tout prix. (...) Ces combats étaient donc issus aussi de conflits entre ces deux corps de troupe. Les communistes avaient aussi peu à voir là dedans que les Indépendants.27
Le 5 mars une foule se rassembla sur l’Alexanderplatz, face au quartier général de la police, et des voyous commencèrent à piller un entrepôt. La Division Populaire de Marine (...) envoya 800 hommes et deux camions en réponse à un appel téléphonique du quartier général de la Police leur demandant de rétablir l’ordre. Ce détachement arrêta 20 pillards et plaça un garde devant l’entrepôt.
Alors qu’une députation de la Division de Marine quittait le quartier général de la police (dirigé par la droite depuis janvier) le chef de la députation fut blessé par un coup de feu. (...) En un clin d’œil, des tirs étaient échangés entre la Division de Marine et le bâtiment de la police. Et les évènements de la semaine Spartakus se répétèrent, avec de légères variations. Une section de la Division de Marine et les Gardes Républicains, renforcés par des civils en armes, se retranchèrent dans le quartier est de Berlin, pendant que les troupes de Noske occupaient le centre et les autres parties de la ville.28

Le commandant du Corps de Soldats Républicains, Fischer, donne une version à peu près identique.29

Le Parti Communiste continuait à se dissocier complètement du combat. Il distribua un tract qui expliquait que les affrontements étaient le fait des sections de la Division de Marine du Peuple et du Corps de Soldats Républicains, qui avaient été contre les travailleurs en janvier :

Nous luttons pour le socialisme et contre le capitalisme, et leurs chefs luttent pour leurs postes militaires contre leurs employeurs avec qui ils se sont brouillés. C'est tout cela et plus encore qui nous sépare d'eux. Entre eux et nous n'existe aucune solidarité politique30

Le moins qu’on puisse dire, c’est que les dirigeants communistes avaient vis à vis du combat une attitude trop abstentionniste. Le fait que les marins et les sociaux-démocrates de base du Corps Républicain aient été du mauvais côté en janvier ne signifiait pas qu’ils étaient incapables de comprendre – à la dure – leurs erreurs passées.

Mais les déclarations du Parti Communiste avaient de toute façon peu d’effets. Les dirigeants syndicaux sociaux-démocrates de Berlin, qui s’étaient sentis obligés de soutenir la grève du fait de la pression de leur base, prirent alors prétexte des combats pour changer de camp. Le 6 mars, ils appelèrent à la reprise. Lorsqu’ils se trouvèrent en minorité dans l’assemblée des conseils ouvriers, ils se retirèrent purement et simplement, faisant distribuer des tracts et coller des affiches appelant à reprendre le travail.

Les Freikorps profitèrent immédiatement de cette trahison et des divisions dans les rangs des travailleurs. Ils commencèrent par briser la grève, assurant la distribution du ravitaillement dans la partie bourgeoise de la ville. Au but de deux jours, la grève n’avait plus aucun effet, et le comité de grève fut obligé à appeler à une reprise sans conditions. Le 9 mars, la grève et les combats étaient terminés.

Mais Noske et ses amis ne s’estimaient pas satisfaits. Ils voulaient gagner la guerre, et pas seulement une bataille. Et ils pensaient que ni la gauche révolutionnaire ni le mouvement ouvrier n’étaient alors en mesure de se défendre. L’attaque qui suivit

dépassait de loin en horreur sanglante tout ce que Berlin avait connu en janvier lors de la « semaine spartakiste ». Pendant des jours, la Reichswehr a combattu dans les quartiers prolétariens de Berlin avec toutes les ressources de la guerre moderne – des canons, des lance-mines et des avions. D’innombrables maisons furent endommagées, certaines complètement détruites par des grenades et des bombes. (...) Dans de nombreux cas, les travailleurs chez lesquels on trouvait une arme à feu étaient même exécutés sur place.31

Le nombre de morts a été estimé à entre 1 500 et 2 000, avec 20 000 blessés. Le nombre des tués, à gauche, était dix fois supérieur à ceux du camp gouvernemental.

Noske eut recours à des mensonges éhontés – auxquels la presse, social-démocrate et bourgeoise, emboîta le pas sans sourciller – pour justifier un tel bain de sang. On proclama que les spartakistes étaient à l’origine des combats et qu’ils avaient massacré 70 policiers du poste de Lichtenberg. « C’était faux et Noske le savait », a conclu récemment un historien qui n’est pas suspect de sentiments de gauche, « mais il était commode qu’il y eût une « atrocité » à venger : cela fournissait une excuse pour des représailles ».32

Noske édicta un décret selon lequel tout individu trouvé les armes à la main serait exécuté sommairement. Vorwärts, le quotidien social-démocrate, estima que c’était la seule réponse possible aux « atrocités de Lichtenberg ». De nombreux travailleurs et soldats loyaux envers le SPD furent ainsi assassinés. Exemplaire fut le sort de certains membres de la Division de Marine du Peuple qui n’avaient pas pris part aux combats. Ils furent attirés dans un bâtiment où, leur avait-on dit, ils allaient toucher leur solde. A leur arrivée, 29 d’entre eux reçurent l’ordre de se rendre derrière le bâtiment, où ils furent abattus sur le champ.

Dans les districts ouvriers, des centaines de personnes connurent un sort semblable – parmi lesquels Leo Jogiches, le collègue de toute une vie de Rosa Luxemburg et le dernier des dirigeants les plus expérimentés du Parti Communiste.

A nouveau La Ruhr

Les premières expéditions des Freikorps, en janvier et février, étaient rarement suffisantes pour en finir une fois pour toutes avec la résistance armée des travailleurs. Max Hoeltz – qui devint une vedette nationale comme une espèce de Robin des Bois communiste ou de Che Guevara – a décrit dans ses mémoires la situation dans le Vogtland, la région proche de la frontière tchèque. Les Freikorps pénétraient dans une ville le matin ; les travailleurs armés se cachaient dans les forêts environnantes ; les Freikorps partaient à midi ; les travailleurs armés entraient à nouveau dans la ville et tenaient un meeting pour les milliers de chômeurs.33

Cela devait être la situation de nombreuses villes industrielles où les Freikorps n’avaient pas suffisamment de soldats pour conserver une garnison permanente – même si cela ne prenait pas toujours une forme aussi dramatique. La force armée pouvait briser une minorité isolée de travailleurs, comme les révolutionnaires de Berlin en janvier ; elle pouvait empêcher la classe ouvrière dans son ensemble de prendre le pouvoir dans une localité particulière ; mais elle ne pouvait pas annihiler toute résistance.

Cela fut démontré de façon éclatante dans la Ruhr. A la fin mars, il s’y développa un nouveau mouvement qui avait beaucoup moins d’illusions sur le gouvernement. Les ouvriers en avaient assez des vagues discours sur la « socialisation ». Au lieu de cela, ils se tournèrent vers des questions qui étaient en rapport avec la substance de leur vie quotidienne – la journée de six heures. Comme Rosa Luxemburg l’avait prédit en décembre, la révolution s’approfondissait dans la lutte sur le lieu de travail.

Le soutien à la revendication de la journée de six heures grandit au cours du mois de mars, de telle sorte que les bureaucrates qui dirigeaient les syndicats de mineurs durent la soutenir verbalement – même s’ils parlaient d’en répartir l’application sur une période de deux ans. Les mineurs n’avaient pas envie d’attendre. Le 27 mars, 32 puits imposèrent la journée de six heures de la façon la plus simple : en débauchant deux heures plus tôt. Une conférence sur ce thème à la fin du mois réunit 475 délégués de 195 puits. Une tentative de la part du syndicat contrôlé par les sociaux-démocrates de mettre un terme à la lutte ne servit qu’à mettre en colère les délégués, qui votèrent pour la formation d’un « Syndicat Général des Travailleurs des Mines » révolutionnaire, avec une direction conjointe KPD-USPD – une décision contre laquelle le dirigeant communiste Karski mit en garde.

La lutte qui suivit fut acharnée. Huit travailleurs furent abattus par les « forces de l’ordre » à Castrop le 31 mars. Le 1er avril, le mouvement parti des mines gagna l’industrie lourde, où les ateliers de martelage Krupp se mirent en grève. Le 4 avril, des délégués de 211 puits appelèrent à une grève conjointe avec l’Allemagne centrale et la Haute Silésie – les deux autres régions houillères d’Allemagne. Le gouvernement coupa alors l’approvisionnement en vivres des deux zones en grève, et envoya les Freikorps occuper les centres principaux.

Les troupes eurent recours aux méthodes les plus brutales pour tenter de briser la grève. Ce n’était plus seulement les manifestants et les piquets qui étaient attaqués : les soldats ouvrirent le feu sur une réunion syndicaliste, tuant quatre personnes, et à nouveau quelques jours plus tard sur une réunion de plusieurs centaines de délégués des grévistes, dont quatre cents furent conduits en prison.

La grève, confrontée à une telle provocation, ne fit que monter en puissance : 160 000 grévistes le 1er avril, 300 000 le 10 ; selon une étude historique le nombre total aurait atteint 800 000.34 Le nombre de mineurs grévistes fut dépassé par celui des autres travailleurs en grève de solidarité, avec également des arrêts de travail de sympathie dans d’autres régions d’Allemagne – à Württemburg, à Berlin, à Francfort, à Dantzig.

Le gouvernement perdait de plus en plus le contrôle de la situation. Les dirigeants syndicaux lui disaient qu’une seule chose pouvait arrêter la grève : « Seule la mise en place de la journée de six heures peut ramener les mineurs sous le contrôle des organisations ».

Noske avait nommé le politicien social-démocrate Severing commissaire spécial pour la Ruhr, avec des pouvoirs quasi-dictatoriaux. C’est lui qui avait supervisé la plupart des mesures répressives. Mais il devint rapidement clair que seules des concessions pouvaient mettre fin à la grève. Les mineurs se virent finalement offrir la journée de sept heures – à condition qu’ils fassent des heures supplémentaires lorsque c’était « essentiel ». La proposition était enrobée de nouvelles menaces – des décrets prévoyaient des amendes de 500 marks ou des sentences de 12 mois de prison pour quiconque continuerait la grève. Cette combinaison – en plus de la faim très réelle dont souffraient la plupart des familles de mineurs – commença à porter ses fruits. Dès le 24 avril, le nombre des mineurs grévistes était descendu à 130 000. En même temps que la grève donnait des signes de fatigue, la répression s’intensifia, jusqu’à ce que la majorité des dirigeants élus des travailleurs de la région fussent les prisonniers du gouvernements et de ses chiens de chasse militaires.35

Le retour de l’ordre ancien

La marche des Freikorps à travers l’Allemagne annihila les conseils d’ouvriers et de soldats naguère si puissants. Le pouvoir des conseils – en particulier celui des conseils de soldats en armes et les sections de gauche des détachements de sécurité – fut remplacé par la vieille structure étatique de l’Allemagne du Kaiser, avec ses bureaucrates, ses officiers, ses juges et ses commissaires de police qui, dans l’ensemble, avaient les mêmes opinions que les membres des Freikorps qui avaient restauré leur pouvoir – ils soutenaient les partis bourgeois les plus à droite. Comme le personnel des Freikorps, ils devaient finalement devenir des supporters enthousiastes du IIIème Reich nazi. Mais, pour l’instant, la bourgeoisie ne se sentait pas encore suffisamment en sécurité pour permettre à l’extrême droite de se pousser au centre de la scène politique : elle avait encore besoin des dirigeants sociaux-démocrates.

Comme le formulait Stresemann, dirigeant du parti des grands milieux d’affaires, le Parti National du Peuple Allemand :

Un gouvernement sans ministres sociaux-démocrates me paraît tout à fait impossible dans les deux ou trois prochaines années, sinon nous allons avoir grève générale sur grève générale.36

Un signe que le mouvement ouvrier était loin d’être définitivement brisé fut l’entrée dans la lutte, au cours de l’été 1919, des éléments les plus attardés de la classe ouvrière. Des centaines de milliers de salariés agricoles adhérèrent à un syndicat pour la première fois en été 1919 (après la marche des Freikorps en Allemagne), portant ses effectifs à 700 000. Ils défiaient les grands propriétaires jadis tout-puissants, les Junkers, exigeant des augmentations de salaire et la fin des restrictions imposées à leurs vies personnelles.

Dans un tel contexte, les sociaux-démocrates eux-mêmes ne pouvaient survivre s’ils permettaient à l’opinion de les considérer comme une simple façade des Freikorps. Il leur fallait encore faire des phrases sur la « socialisation », la « démocratie industrielle », même s’ils y mettaient moins de conviction. Et il leur fallait faire semblant de croire que les conseils ouvriers existaient encore. Ils convoquèrent un Second Congrès National des Conseils Ouvriers à la mi-avril. C’était un exemple, s’il en fut, dont la façon dont l’histoire se répète, la première fois comme une tragédie, la seconde comme une farce.

Les délégués du Premier Congrès avaient le pouvoir, et l’abandonnèrent tragiquement. Le Second Congrès, lui, fut réuni après que le pouvoir des conseils ait été détruit à peu près partout. Ses 219 délégués n’étaient plus élus par des conseils locaux, basés dans les usines et les casernes, mais par des scrutins de district ouverts à tous ceux qui avaient un revenu inférieur à 10 000 marks, ce qui assurait au SPD une majorité des trois quarts. Les communistes boycottèrent le congrès qualifié de « parent pauvre de l’Assemblée Nationale ». Après que le congrès eut entériné la reconstitution du pouvoir bourgeois, on n’entendit plus parler de lui.

Cela dit, pour le gouvernement le « nettoyage » n’était pas terminé. Non seulement il y avait le royaume de Bavière, autrefois autonome, où le mouvement des conseils connaissait son zénith au moment même où le Second Congrès l’enterrait partout ailleurs, mais il y avait d’autres districts où le pouvoir était toujours entre les mains d’élus de la classe ouvrière.

L’écrasement définitif de l’Allemagne centrale avait été remis à plus tard, les Freikorps étant absorbés par des troubles à Berlin, puis par un regain des luttes dans la Ruhr.

Magdebourg était toujours administrée par un conseil d’ouvriers et de soldats dirigé par les Indépendants. La région était tranquille depuis la révolution et ne s’était pas associée à la grève de février. Mais cela n’empêcha pas Noske de donner à un fabricant local de spiritueux (un futur nazi) tout pouvoir pour constituer une « Garde locale » petite-bourgeoise afin de « rétablir l’ordre », ni de traîner trois dirigeants des conseils ouvriers (dont un SPD) à Berlin sous mandat d’arrêt. Le 9 avril, les Freikorps entrèrent dans la ville, tirèrent sur des manifestants, en tuant sept, arrêtèrent le conseil ouvrier et armèrent les forces de la classe moyenne, la Garde locale et le « Régiment de Magdebourg ».

Puis ce fut le tour de la ville de Braunschweig, où les travailleurs s’étaient joints en avril à une grève générale de toute l’Allemagne en solidarité avec la Ruhr. Les dirigeants de la grève étaient en fait le pouvoir de la ville depuis plusieurs jours, contrôlant la distribution du ravitaillement et faisant respecter un couvre-feu. Le 11 avril, 10 000 Freikorps pénétraient dans la ville. Ils rencontrèrent au début une résistance armée, et 11 travailleurs furent tués dans des escarmouches. Puis les chefs grévistes décidèrent que toute résistance était devenue inutile – ce qui n’empêcha pas les Freikorps de satisfaire pleinement leur appétit de meurtre habituel.

Finalement, des mouvements furent opérés contre Leipzig – un point sensible non seulement pour les autorités d’Allemagne centrale, mais aussi pour le gouvernement national. En même temps que le reste de la Saxe – en particulier Chemnitz – restait un bastion du SPD, Leipzig subissait fortement l’influence de conseils d’ouvriers et de soldats à majorité Indépendante. Ses travailleurs avaient pris part à la grève générale de février, et le journal communiste Rote Fahne se réfugia à Leipzig lorsqu’il fut interdit à Berlin. Le 11 mai, 20 000 Freikorps occupaient la ville sans rencontrer de résistance, dissolvaient les conseils, interdisaient la presse de gauche et mettaient en place une « Garde locale » à composition petite bourgeoise pour maintenir l’ordre.37

Hambourg, la deuxième ville allemande, était un bastion traditionnel de la social-démocratie. En 1913, le parti y comptait 40 000 membres et les « syndicats libres » 140 000, sur une population d’un million d’habitants. Il tenait tous les sièges de la ville au parlement national, même si le mode de scrutin peu démocratique « à trois classes » le maintenait en minorité au Sénat et à la Burgerschaft qui gouvernaient la ville.

Avant la guerre, Hambourg était aussi un des rares centres industriels dans lesquels l’activisme syndical tendait à échapper au contrôle du mouvement ouvrier « officiel ». Il y eut des grèves dures en 1896-97, en 1906 et en 1912. « Il y avait (...) dans le mouvement ouvrier de Hambourg un élément qui grandissait rapidement. (...) Un groupe de travailleurs relativement important, d’abord dans le port puis aussi dans d’autres zones, qui n’était pas vraiment représenté dans les syndicats, les coopératives ou les organisations du parti ». Dans les années de l’immédiat avant-guerre, « les grèves sauvages se suivaient de près ».38

La ville aurait dû être idéale pour devenir un centre de l’extrême gauche en 1918-19, et au début c’était la direction que semblaient prendre les choses. Elle avait été, comme nous l’avons vu, la première ville à suivre l’exemple de Kiel et à renverser l’ordre ancien, le 5 novembre. Les sociaux-démocrates majoritaires locaux furent complètement dépassés par les évènements. Les conseils ouvriers, élus par des délégués des usines dans les premiers jours de la révolution, avaient une claire majorité à gauche du SPD, et élurent comme président et dirigeant réel de la ville le Radical de Gauche Heinrich Laufenberg.

Laufenberg était un ancien social-démocrate de droite qui était passé à gauche en réaction à la guerre et qui avait établi des liens avec les « Radicaux de Gauche » de Brême. Il avait acquis une énorme popularité dans de larges couches de travailleurs lorsque la lassitude de la guerre s’était répandue. Cela lui permettait de dominer le conseil ouvrier, même si la « majorité de gauche » était essentiellement composée d’Indépendants.

Mais les sociaux-démocrates, ainsi que les banquiers et les négociants qui naguère dominaient la ville, passèrent bientôt à la contre-attaque. Les sociaux-démocrates s’empressèrent de se constituer une majorité dans les conseils de soldats, pendant que les banquiers menaçaient de couper tout crédit au gouvernement local.

Laufenberg se fit plus tard une réputation comme « ultra-gauche ». Cela dit, à cette époque son comportement était du genre normalement associé avec l’USPD. Il subordonnait tout à des manœuvres destinées à lui conserver le contrôle des conseils, son gouvernement « de gauche » bien installé aux commandes. Il accepta l’argument des sociaux-démocrates sur la nécessité des élections à l’Assemblée Nationale39, et, après avoir dissout le Sénat municipal le 10 novembre, le rétablissait le 18 pour obtenir des crédits bancaires.

Laufenberg continuait à faire usage des ministères et de leurs équipes de fonctionnaires. (...) A Hambourg, le véritable pouvoir résidait exactement là où il avait toujours été – entre les mains de la grande bourgeoisie des affaires et de la finance, et de la bureaucratie d’Etat.40

Laufenberg ne se préoccupa même pas d’assurer l’existence d’une presse révolutionnaire indépendante – au lieu de cela, il négocia avec les sociaux-démocrates le contrôle conjoint d’un journal imprimé sur leurs presses.

Un gouvernement basé sur la conciliation avec les banquiers et les sociaux-démocrates pouvait difficilement passer à l’action face au chômage et à la pénurie de denrées alimentaires. Il était facile pour les sociaux-démocrates de mettre tous les problèmes de la classe ouvrière sur le compte du gauchiste Laufenberg. Au début de janvier, ils furent en mesure de contrer les grandes manifestations pro-Laufenberg par des manifestations encore plus importantes. Un signe du manque de soutien réel pour la politique de Laufenberg dans la majorité de la classe ouvrière fut donné par les résultats des élections à l’Assemblée Nationale de la mi-janvier : le SPD obtenait 51 % des voix à Hambourg, l’USPD 7 % seulement. Un autre signe était que le conseil ouvrier n’exerçait aucun contrôle sur des troupes qui avaient été constituées en « armée du peuple » : celle-ci arrêta même une fois Laufenberg.

Finalement, le 19 janvier, Laufenberg fut contraint de reconnaître que les manœuvres politiques n’étaient pas un substitut satisfaisant à l’organisation sur le terrain. Il démissionna de son poste de président des conseils, permettant une nouvelle élection qui donna la majorité au SPD. Cette majorité devait bientôt transmettre le pouvoir à un nouveau Sénat dirigé conjointement par les vieux oligarques de la ville et la majorité électorale social-démocrate.

Cela dit, le SPD avait encore une crise majeure à surmonter. L’invasion de la voisine Brême par les Freikorps à la fin de janvier provoqua à Hambourg une colère profonde, et Laufenberg n’eut aucun mal à faire voter au conseil ouvrier une résolution selon laquelle une assistance armée devait être dépêchée à Brême.

Mais Laufenberg n’avait pas encore appris que le succès de ses discours et de ses résolutions n’était pas égal à l’action. Le manque d’organisation de la gauche révolutionnaire, qu’il avait refusé de construire, était désormais une faiblesse fatale. Des travailleurs armés s’assemblèrent pour partir pour Brême – et s’aperçurent que les fonctionnaires des chemins de fer et les bureaucrates syndicaux sociaux-démocrates avaient saboté les moyens de transports.41 De violentes manifestations suivirent, mais les sociaux-démocrates de Hambourg montrèrent qu’ils pouvaient y maintenir l’ordre avec leur propre force armée et n’avaient pas besoin des Freikorps de Brême – dont la présence, d’ailleurs, était requise d’extrême urgence dans la Ruhr.

Malgré tout, une fois que les sociaux-démocrates furent de façon visible la force politique dominante à Hambourg, ils ne pouvaient plus accuser les autres de la misère endémique et commencèrent à voir s’effriter leur popularité parmi les travailleurs. Il y eut à la mi-avril de violentes manifestations contre le chômage, et – mauvais présage – l’armée du peuple témoigna d’une grande sympathie envers les manifestants.

L’hostilité pour le nouveau pouvoir s’exacerba à la fin de juin. A l’occasion d’une manifestation apparemment spontanée, des travailleurs, des soldats et des marins dirigèrent une procession de brouettes partant d’une conserverie locale de viande où était fabriquée la Sülze (viande en gelée). La première brouette transportait le propriétaire de l’usine, suivie par d’autres portant des travailleuses de l’usine qui agitaient des têtes de chien et des rats morts qui, semble-t-il, entraient dans la composition de la viande en gelée. La manifestation bon enfant fut conclue par l’immersion du propriétaire dans les eaux de l’Alster.

Les autorités étaient profondément perturbées par ces événements. Une fois de plus, l’armée du peuple s’était rangée du côté des manifestants. Le commandant de la ville décida que le moment était venu de montrer où était le vrai pouvoir – il envoya 300 hommes des Bahrenfelder, une version locale des Freikorps, prendre le contrôle de l’hôtel de ville. Mais il sous-estimait les capacités combattantes des ouvriers hambourgeois. Une véritable guerre civile fit rage cette nuit là, et, au matin, les Bahrenfelder avaient été expulsés de l’hôtel de ville et désarmés. Dix-neuf des soldats de droite furent tués dans les combats pendant que la gauche perdait seize hommes – six sociaux-démocrates, cinq Indépendants et cinq communistes.

La paix régna bientôt. La gauche avait assimilé l’amère leçon de Berlin et de Brême, et ne fit aucune tentative pour prendre le pouvoir. Une fois les Bahrenfelder désarmés, elle exhorta les travailleurs à ne pas rester dans les rues. Mais cet « ordre » ne valait rien pour Noske à Berlin. L’armée du peuple de Hambourg avait montré qu’elle ne pouvait pas protéger les profiteurs de l’humiliation – elle devait donc être remplacée par une force « sûre’. Le 30 juin, 10 000 Freikorps entrèrent dans la ville avec auto-mitrailleuses, torpilleurs et artillerie. Il s’ensuivit une occupation militaire qui devait durer jusqu’en décembre.

A Chemnitz, de l’autre côté de l’Allemagne, les évènements furent, en août, très semblables à ceux de juin à Hambourg. La ville était aussi, et depuis longtemps, un bastion social-démocrate. La gauche révolutionnaire, qui avait joué un rôle important en novembre, n’avait pas fait l’erreur de s’accrocher au pouvoir en l’absence d’un soutien de la majorité de la classe ouvrière. La ville était dirigée par les sociaux-démocrates, qui maintenaient l’ordre au moyen de leurs propres forces de sécurité.

Les sociaux-démocrates au pouvoir perdaient rapidement leur soutien populaire. En août, il y eut des troubles – liés en particulier à la pénurie de produits alimentaires. Il y eut au début du mois une semaine de manifestations pacifiques. Les militaires s’employèrent alors à créer des désordres. Des tracts antisémites incitaient les foules à la violence. Puis, le 7 août, des troupes locales tirèrent sur la foule. L’ensemble de la classe ouvrière de la ville se souleva contre la provocation militaire. Alors que les sociaux-démocrates du gouvernement saxon décrétaient que tout travailleur qui prendrait les armes contre les troupes serait fusillé, le SPD local était contraint de se joindre aux protestations contre les soldats.

Cette première attaque des militaires fut rapidement maîtrisée – 14 soldats et 15 travailleurs avaient été tués – mais Noske disposait désormais de l’excuse dont il avait besoin. Dix jours plus tard, un large contingent de troupes entra dans la ville, interdit la presse communiste, et commença à constituer une force de police « sûre ».42

Hambourg et Chemnitz prouvèrent de façon définitive que la marche des Freikorps n’était pas seulement dirigée contre la gauche, mais contre toute force armée indépendante basée dans le mouvement ouvrier. Dans les deux cas, l’intervention armée provoqua une grande colère contre les sociaux-démocrates, mais il y avait des différences – différences qui devaient s’avérer vitales dans le cours suivant de la révolution.

A Hambourg, il n’y avait personne pour former une organisation révolutionnaire substantielle à la gauche des Indépendants. C’était la conséquence inévitable du jeu de Laufenberg avec le pouvoir et la confiance illimitée qu’il avait dans les résolutions. C’est l’USPD qui recueillit en termes de croissance les fruits du mécontentement des travailleurs, et non le parti communiste. Mais l’USPD était incapable de fournir une ligne claire dans les moments décisifs. Lorsque la grande crise suivante de la révolution éclata en mars, l’USPD était un salmigondis de tendances rivales incapables de donner la moindre orientation au mouvement des travailleurs.

On parla beaucoup, plus tard, de « Hambourg la Rouge ». Pourtant, le fait est que les échecs organisationnels de 1919 devaient hanter la ville tout au long de l’histoire de la République de Weimar : les sociaux-démocrates restèrent plus forts que les communistes dans le mouvement ouvrier local.

A Chemnitz, au contraire, la gauche révolutionnaire avait commencé, dès après la Révolution de Novembre, par faire une évaluation honnête de ses forces. Sous le leadership du travailleur du bâtiment Heinrich Brandler, elle avait évité tout insurrectionnisme prématuré ou toute tentative de s’accrocher au pouvoir à l’aide de subterfuges. Au lieu de cela, elle avait soigneusement construit ses forces, servant de point de ralliement à tous ceux qui perdaient leurs illusions dans le SPD, et empêcha l’USPD de s’enraciner profondément. Au printemps 1920, elle était en position de conduire tout le mouvement ouvrier de la ville à la bataille.

Notes

1 Rosa Luxemburg, Kartenhäuser, Die Rote Fahne, 13 janvier 1919.

2 Landauer, European Socialism (Berkeley 1959) p. 814.

3 Heinrich Ströbel, Die deutsche Revoltion. Ihr Unglück und ihre Rettung, (Berlin 1920), p. 123

4 Illustrierte Geschichte der deutschen Revolution (Berlin 1929, Francfort 1970) p. 334.

5 Ibid., p. 335.

6 Ibid.

7 Ibid., p. 342.

8 Ibid., p. 344.

9 Ibid.

10 Ibid., p. 345.

11 Ibid., p. 314

12 H Teuber, Für die Sozialisierung des Ruhrberghaus (Francfort 1973) p. 55. Traduit de l'anglais.

13 J Tampke, Ruhr and Revolution (Canberra 1978) p. 135.

14 Ibid., p. 136.

15 Illustrierte Geschichte der deutschen Revolution, p. 374.

16 Ibid.

17 Cité in M Phillips Price, Germany in Transition (Londres 1923) p. 32.

18 Cité Ibid., p. 33.

19 R M Watt, The Kings Depart (Londres 1973) p. 331.

20 Freiheit, 17 janvier 1919. Traduit de l'anglais.

21 Heinrich Ströbel, Die deutsche Revolution. Ihr Unglück und ihre Rettung, Berlin 1920, pp. 116-117.

22 Die Rote Fahne, 3 mars 1919, réimprimé in Dokumenten und Materialen zur Geschichte der deutschen Arbeiterbewegung, Ruhe 11 (1914-45) vol 3 (Berlin Est 1957) pp. 282-2

23 M Phillips Price, op. cit., p. 34.

24 P Broué, Révolution en Allemagne (Paris 1971) p. 271.

25 R M Watt, op. cit., p. 340.

26 M Phillips Price, op. cit., p. 34.

27 Heinrich Ströbel : Die deutsche Revolution. Ihr Unglück und ihre Rettung, Berlin 1920, p. 136.

28 Idem, pp. 137 et suivantes.

29 Illustrierte Geschichte der deutschen Revolution, p. 362.

30 Cité in P Broué, op. cit., p. 272.

31 H Ströbel, op. cit., p. 132.

32 R M Watt, op. cit., p. 342.

33 Voir ses mémoires, Un rebelle dans la revolution: Allemagne 1918-1921, Paris, 1988.

34 J Tampke, op. cit., p. 164.

35 Pour des détails sur la grève, voir Beuer, pp. 63-65, et Temple, pp. 153-158.

36 Cité in H A Turner, Stresemann and the Politics of the Weimar Republic (Princeton 1963) p. 44. Traduit de l'anglais.

37 Les détails de la lutte en Allemagne centrale viennent de Illustrierte Geschichte der deutschen Revolution, op. cit., pp. 377-384.

38 R A Comfort, Revolution in Hamburg (Londres 1970), p. 28.

39 Illustrierte Geschichte der deutschen Revolution, pp. 351-352.

40 R A Comfort, op. cit., pp. 48-49.

41 Illustrierte Geschichte der deutschen Revolution, op. cit., p. 354. Pour une version légèrement différente, voir R A Comfort, op. cit., p. 71.

42 Illustrierte Geschichte der deutschen Revolution, op. cit., p. 384.

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