1965 |
"(...) de toute l'histoire antérieure du mouvement ouvrier, des enseignements de toute cette première période des guerres et des révolutions, de 1914 à 1938, analysés scientifiquement, est né le programme de transition sur lequel fut fondée la IV° Internationale. (...) Il est impossible de reconstruire une Internationale révolutionnaire et ses sections sans adopter le programme de fondation de la IV° Internationale comme base programmatique, au sens que lui conférait Trotsky dans la critique du programme de l'I.C. : définissant la stratégie et la tactique de la révolution prolétarienne." |
Défense du trotskysme (1)
Pablo révise le marxisme
Trotsky, dès 1928, alors que la bureaucratie du Kremlin était encore loin d'être devenue ce qu'elle est aujourd'hui, écrivait, dans sa critique du projet de programme de l'Internationale Communiste, à propos des rapports entre le développement des « forces matérielles et techniques » et de la révolution prolétarienne, les lignes suivantes :
« Le projet exprime une pensée incontestable quand il dit que les succès économiques de l'U.R.S.S. constituent une partie inséparable de la révolution prolétarienne mondiale. Mais le danger politique de la théorie nouvelle » ( décidément Pablo a moins de mérite que nous ne le croyions, il n'a rien découvert ) « gît dans le jugement comparatif erroné porté sur les deux leviers de commande du socialisme mondial : celui de nos réalisations économiques et celui de la révolution prolétarienne mondiale. Sans que celle-ci triomphe, nous ne construirons pas le socialisme. Les ouvriers d'Europe et du monde entier doivent clairement comprendre cela. Le levier de la construction économique a une importance énorme. Si la direction fait des fautes, la dictature du prolétariat s'affaiblit; la chute de cette dictature porterait un tel coup à la révolution mondiale que celle-ci n'en guérirait pas pendant une longue suite d'années. Mais la solution à apporter au procès fondamental de l'histoire suspendu entre le monde du socialisme et celui du capitalisme dépend du second levier, c'est-à-dire de la révolution prolétarienne mondiale. L'énorme importance de l'Union Soviétique consiste en ce qu'elle constitue la base sur laquelle s'appuie la révolution mondiale, et nullement en ce qu'indépendamment de cette révolution l'Union Soviétique serait capable de construire le socialisme. »
(« L'Internationale communiste après Lénine », édition française, p. 157.)
Trotsky, par malheur pour lui, n'avait pas eu la chance de lire Pablo, il ne connaissait que Marx, Engels et Lénine, et ne faisait que reprendre en les concrétisant les idées qu'exprimait Marx dans les textes que nous avons cité plus haut :
« La lutte du prolétariat contre la bourgeoisie, bien qu'elle ne soit pas, quant au fond, une lutte nationale, en revêt cependant, tout d'abord, la forme. Il va sans dire que le prolétariat de chaque pays doit en finir, avant tout, avec sa propre bourgeoisie », mais cela pour accomplir ses « fonctions internationales ».
Examinons cependant pourquoi Staline, révisant Marx avant Pablo, mettait au premier plan les « forces matérielles et techniques » et ce qu'il en est advenu.
Trotsky, dans l'appendice de « la Révolution trahie », consacré au « socialisme dans un seul pays », écrit :
« La « DECLARATION DES DROITS DU PEUPLE TRAVAILLEUR ET EXPLOITE » rédigée par Lénine et soumise par le Conseil des commissaires du peuple à la sanction de lAssemblée Constituante, dans les heures courtes que vécut celle-ci, définit en ces termes « L'OBJECTIF ESSENTIEL » du nouveau régime: « L'ETABLISSEMENT D'UNE ORGANISATION SOCIALISTE DE LA SOCIÉTÉ ET LA VICTOIRE DU SOCIALISME DANS TOUS LES PAYS »... En avril 1924, trois mois après la mort de Lénine, Staline écrivait encore dans sa compilation sur « Les bases du léninisme » : « Il suffit des efforts d'un pays pour renverser la bourgeoisie, l'histoire de notre révolution l'enseigne. Pour la victoire définitive du socialisme, pour l'organisation de la production socialiste, les efforts d'un seul pays, surtout paysan comme le nôtre, sont déjà insuffisants; il y faut les efforts réunis des prolétaires de plusieurs pays avancés. » Ces lignes n'ont pas besoin d'être commentées. Mais l'édition dans laquelle elles figurent a été retirée de la circulation. Les grandes défaites du prolétariat européen et les premiers succès, fort modestes, cependant, de léconomie soviétique, suggérèrent à Staline, au cours de l'automne 1924, que la mission historique de la bureaucratie était de bâtir le socialisme dans un seul pays. Une discussion s'ouvrit autour de cette question, qui parut académique ou scolastique à beaucoup d'esprits superficiels, mais qui, en réalité, exprimait la dégénérescence de la Troisième Internationale et préparait la naissance de la Quatrième. »
Les choses sont fort claires. La « théorie du socialisme dans un seul pays » est l'expression des intérêts spécifiques de la bureaucratie en tant que caste privilégiée. Elle a pour corollaire la subordination du mouvement ouvrier international aux intérêts spécifiques de la bureaucratie « construisant le socialisme », donc aux « forces matérielles et techniques » de l'U.R.S.S.
Sur ce même sujet précisément, Trotsky écrivait en 1928 :
« La nouvelle doctrine dit : le socialisme peut être construit sur la base d'un Etat national, POURVU QU'IL NE PRODUISE PAS D'INTERVENTION. De là peut et doit découler une politique collaborationniste envers la bourgeoisie de l'extérieur, malgré toutes les déclarations solennelles du projet de programme. Le but est d'éviter l'intervention : en effet ceci assurera la construction du socialisme, ainsi le problème historique fondamental se trouvera résolu. La tâche des partis de l'Internationale Communiste prend de cette façon un caractère secondaire : préserver lU.R.S.S. des interventions, et non pas lutter pour la conquête du pouvoir... Si nos difficultés, obstacles, contradictions intérieures, qui ne sont principalement que la réfraction des contradictions mondiales, peuvent être résolues simplement par les « propres forces de notre révolution », sans sortir « sur la scène de la révolution mondiale », alors lInternationale est une institution mi-auxiliaire, mi-décorative, dont on peut convoquer les congrès tous les quatre ans, tous les dix ans, ou même ne pas les convoquer du tout. Si l'on ajoute aussi que le prolétariat des autres pays doit protéger notre construction contre une intervention militaire, l'Internationale devrait d'après ce schéma faire le rôle d'un INSTRUMENT PACIFISTE. Son rôle fondamental, celui d'outil de la révolution mondiale, recule alors inévitablement à l'arrière-plan. »
(« L'Internationale Communiste après Lénine », édition française, p. 156.)
Qu'est donc devenue, en effet, l'Internationale Communiste, sinon un instrument pur et simple de la bureaucratie du Kremlin, finalement dissoute en 1943 par Staline afin de tranquilliser ses alliés capitalistes ?
Et que fit Pablo en 1952 ? Il présenta au 10° plénum du Comité Exécutif International un rapport dans lequel il ouvrait la voie de la liquidation de la IV° Internationale au profit du stalinisme et des appareils réformistes :
« L'évolution de la situation objective agit actuellement (et ce processus ira en s'amplifiant avec I'évolution vers la guerre et la guerre elle-même) sur toute organisation ouvrière de masse » (rien de moins !) « CONTRE LA TENDANCE OPPORTUNISTE DROITIERE et pour la transformation en CENTRISME. Ce processus n'est pas rectiligne, pas partout le même, etc., mais en général est INÉVITABLE et va dans cette DIRECTION GÉNÉRALE.
C'est la profondeur extraordinaire de la crise du régime capitaliste, crise sans issue, irréversible, qui provoque tous les phénomènes. Il faut - encore une fois - comprendre cela.
Le stalinisme, y compris la bureaucratie soviétique, est placé, depuis la « guerre froide », dans des conditions nouvelles par rapport à tout ce quétait la situation jusqu'alors. Ses tendances opportunistes droitières inhérentes à sa nature, sont constamment contrecarrées, mises en échec par l'évolution de la situation, aussi bien par l'attitude des capitalistes que par les réactions des masses. Les conditions qui ont permis son jeu de 1934 jusqu'à la fin de la guerre ne se renouvelleront jamais plus. A cette époque, les antagonismes impérialistes ont été encore assez virulents pour provoquer une rupture effective entre deux blocs de puissances et le conflit à mort entre eux. La lutte de l'impérialisme coalisé contre l'U.R.S.S. fut subordonnée à la lutte entre les deux blocs, et la politique de la bureaucratie soviétique misant exclusivement sur cet antagonisme et sur l'alliance avec une partie de la bourgeoisie contre l'autre avait un sens. Aujourd'hui la rupture provoquée dans le monde capitaliste par l'apparition, à côté de l'U.R.S.S., de la Chine, des « démocraties populaires » européennes, du mouvement révolutionnaire colonial et de celui des masses métropolitaines, rend tout compromis stable et viable impossible, et a mis au centre le conflit inévitable entre l'impérialisme coalisé et ces formes et forces variées de la révolution. »
(« Quatrième Internationale », février-avril 1952, vol. 10 n° 2-4, pp. 46 à 58.)
Y compris, par conséquent, cette « forme révolutionnaire » que constitue la bureaucratie stalinienne contre-révolutionnaire elle-même ! Mais laissons encore la parole à Pablo :
« La bureaucratie soviétique est acculée au combat final et décisif; le mouvement stalinien est partout pris entre cette réalité et les réactions des masses devant la crise sans cesse aggravée du capitalisme.
« Dans ces CONDITIONS NOUVELLES, que la bureaucratie soviétique n'a pas créées volontairement mais qu'elle subit obligatoirement, le stalinisme fait réapparaître des TENDANCES CENTRISTES qui prendront le dessus sur L'OPPORTUNISME DROITIER.
Jusqu'où iront ces tendances ? PEUVENT-ELLES TRANSFORMER la nature du stalinisme, faire des partis communistes de vrais partis révolutionnaires ? »
(Idem, p. 55.)
Nous trouvons ici le « pablisme » dans toute sa gloire; tout y est un chef-duvre d'hypocrisie. Immédiatement, Pablo répond :
« Absolument pas aussi longtemps que ces partis dépendants seront contrôlés par la bureaucratie soviétique qui, tout en étant elle-même obligée - dans les nouvelles conditions - de gauchir sa politique, de faire appel aux masses, de chercher à s'appuyer, ne fera cela qu'en subordonnant toute action de sa part à la question de son contrôle bureaucratique sur les masses, qui ne doit pas être mis en danger.
Les zigzags de la bureaucratie soviétique ne changent pas sa nature réactionnaire, qui est déterminée par SA POSITION SOCIALE EN TANT QUE CASTE PRIVILEGIEE OMNIPOTENTE EN U.R.S.S... »
Mais «...les partis « (staliniens) » dans de telles conditions, développent inévitablement des TENDANCES CENTRISTES de plus en plus prononcées... Ces TENDANCES CENTRISTES vont-elles conquérir et transformer l'ensemble de tel ou tel Parti communiste de masse ?
Nous ne le savons pas, nous ne pouvons pas le savoir, ceci n'est pas déterminant... »
(Idem, p. 55.)
L'important, pour, l'instant, c'est que les militants trotskystes entrent dans le P.C.F. (et les P.C. staliniens en général) :
« AFIN DE S'INTÉGRER DANS LE REEL MOUVEMENT DES MASSES, DE TRAVAILLER ET DE RESTER PAR EXEMPLE DANS LES SYNDICATS DE MASSE » (que viennent faire ici les syndicats, puisqu'il s'agit des P.C ?), « LES « RUSES » ET LES « CAPITULATIONS » SONT NON SEULEMENT ADMISES MAIS NECESSAIRES. »
Or, bien que « les tendances centristes prennent le dessus sur l'opportunisme droitier » (Pablo ne nous dira d'ailleurs pas en quoi consiste le « centrisme » de ces « tendances » ), bien que « la bureaucratie soviétique » soit « acculée au combat final et décisif », bien que « aujourd'hui,... le conflit » (soit) « inévitable entre l'impérialisme coalisé » et les « forces variées de la révolution », dont, nous l'avons vu, fait partie « le stalinisme, y compris la bureaucratie soviétique », bien que, lisons-nous un peu plus loin dans le même rapport (p. 57) : « La direction stalinienne » (des P.C.) « elle-même subit la pression de la situation, de sa logique et cherche à se dégager de l'impasse de sa propre politique », etc., etc., il n'en reste pas moins vrai que « la nature réactionnaire de la bureaucratie du Kremlin ne change pas) » (on est « trotskyste » ou on ne l'est pas !).
Aussi s'ensuit-il, dans la logique très particulière de Pablo et de ses partisans, que les militants « trotskystes » devront, non seulement accepter de capituler devant les appareils staliniens, mais faire de cette capitulation l'essence de leur politique comme l'exige la « nécessité historique ». Cela signifie leur liquidation politique, car la « capitulation », même entre guillemets, a un sens précis face aux appareils; d'autres que nous, les Zinoviev, les Kamenev, les Rakovski, etc., en ont fait la tragique expérience. Et, en même temps que la liquidation des militants pris individuellement, cela signifiait la liquidation des organisations trotskystes, de la IV° Internationale.
Trotsky prévoyait, dès 1928, que l'Internationale Communiste deviendrait, à partir de la conception stalinienne de la primauté des « forces matérielles et techniques » sur la lutte mondiale des classes. un simple instrument « pacifiste » de la bureaucratie du Kremlin. Pablo, à partir de cette même conception, entreprenait la liquidation de la IV° Internationale, et mettait les militants « trotskystes » au service de la bureaucratie du Kremlin.