1978
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"Le titre du livre synthétise ma position :
à la place de la démocratie socialiste et de la dictature du
prolétariat du SU, je suis revenu aux sources, ai tenté de faire
revivre la vieille formule marxiste, tant de fois reprise par
Trotsky, de dictature révolutionnaire. Dit d'une autre manière, une
dictature pour développer la révolution, et non pour produire de la
"démocratie socialiste" immédiatement."
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Nahuel Moreno
La dictature révolutionnaire du prolétariat
II. Messianisme européiste :
La contre-révolution impérialiste disparaît.
3. Un choix malheureux de Mandel : l'exemple
chilien.
Quand il explique pourquoi l'Europe élue se sauvera
presqu'assurément des affrontements armés, Mandel a la prétention de se servir de
l'exemple chilien mais la réalité s'infiltre et il doit reconnaître, en une
phrase, que les choses ne seront peut-être si pacifiques :
"L'arrivée au pouvoir d'un gouvernement de gauche va donc être
accompagnée inévitablement d'une exacerbation de la lutte de classes, d'une
évasion des capitaux, d'une grève du Capital (c'est-à-dire des
investissements), d'un sabotage de la production, de complots
permanents de la réaction et de l'extrême-droite, contre ces
gouvernements avec l'appui de l'appareil d'Etat, d'un terrorisme
d'extrême-droite, etc. ; comme on l'a vu au Portugal l'année
passée, en Espagne en 1936, au Chili après 1970, comme on le verra demain en
Italie, en Espagne et en France". (Idem) [14]. Nous sommes entièrement d'accord avec la
perspective que signale Mandel dans cette
phrase unique et isolée. Tout le mouvement trotskyste mondial doit se
préparer à cela, et élaborer des thèses sur la dictature du prolétariat
tournant autour des inévitables attaques armées de la contre-révolution. Il
faut ajouter à cela que si le prolétariat prend le pouvoir, cette lutte va
s'approfondir pour se transformer en un grave problème pour la survie de la
première dictature triomphante en Europe.
Il semblerait qu'après ce pronostic il faille se
demander : si la bourgeoisie est disposée à faire cela contre un
gouvernement bourgeois de gauche comme celui d'Allende, que ne fera-t-elle
pas contre la dictature révolutionnaire du prolétariat ? Poser
la question est y répondre. Mais quel programme propose Mandel - et de fait la
résolution - pour affronter cette situation inévitable ?
Se référant aux gouvernements réformistes, ils disent qu'il faut leur
adresser "des demandes d'épuration radicale, d'élimination radicale de tout
l'appareil de répression de la bourgeoisie, de dissolution des corps
répressifs, des juges permanents, tout ce qui s'est inscrit dans la tête des
masses depuis les expériences de l'Espagne de 1936 et du Chili. A cela
s'ajoutent toutes les revendications économiques des masses, exprimant la
logique de la dualité du pouvoir, qui tournent autour de la nationalisation
sous contrôle ouvrier. Tout cela constitue le premier volet des
revendications adressées a ce gouvernement." (Idem) [15].
Là se trouve synthétisée toute la capitulation révisionniste, réformiste,
des membres du SU, par l'intermédiaire du camarade Mandel, apparemment son meilleur
porte-parole. Si les perspectives sont "les complots permanents de
l'extrême-droite, avec l'appui de l'appareil d'état, le terrorisme de
l'extrême-droite", comment peut-on dire que la solution soit d'exiger de ces
gouvernements réformistes et collaborationnistes "l'épuration radicale,
l'élimination radicale de tout l'appareil répressif, des juges
permanents" ? Ni plus, ni moins : ils font
confiance au gouvernement, ils font pression sur lui, non comme méthode
pédagogique pour le démasquer devant les masses, mais comme seule issue
! Pourquoi ni la résolution, ni Mandel, ne disent-ils un seul mot de la
nécessité de la mobilisation armée du prolétariat ? Simplement
parce qu'ils considèrent que ces gouvernements, sociaux-démocrates et
front-populistes, démantèleront l'appareil répressif sur la demande du
mouvement ouvrier. Alors pourquoi verser le sang ? Cependant les
affrontements armés ne seront pas seulement l'unique forme effective
d'affrontement à la droite réactionnaire, mais aussi la seule base possible
pour appeler à un front unique avec les ouvriers sociaux-démocrates et
staliniens : "réalisons des actions communes contre
l'extrême-droite".
"Le second volet, c'est la riposte à toutes les mesures
bourgeoises de sabotage et de désarticulation économique qui seront
inévitablement prises. C'est la politique de riposte du tac au tac, des
occupations d'usine, des saisies des usines et de leur coordination, de
l'élaboration d'un plan ouvrier de reconversion et de redémarrage de
l'économie, de l'extension et de la généralisation du contrôle ouvrier vers
l'auto-gestion, de la prise en main de toute une série de domaines de la vie
sociale par les intéressés eux-mêmes (transport en commun; marchés
populaires; crèches, universités; domaines agricoles, etc. ). Et c'est dans
le débat autour des questions de ce genre, dans le cadre de la
démocratie prolétarienne, à travers les expériences que les masses feront,
dans la défense la plus intransigeante de la liberté d'action et de
mobilisation des masses, (souligné dans l'original) même quand elle
"gêne" les projets du gouvernement, ou va à contresens des plans
réformistes ; dans l'illustration, la consolidation, la
centralisation des expériences variées d'auto-organisation, sans excès
sectaires, sans insultes du type "social-fasciste", tout en tenant compte de
la sensibilité particulière des secteurs qui ont encore une confiance, il est
vrai décroissante dans les réformistes, que le passage de couches de plus en
plus nombreuses, du réformisme vers le centrisme de gauche et le
marxisme-révolutionnaire se fera. Dans ce sens, il y a une unité et une
articulation cohérente entre la politique de conquête des masses par le front
unique, et la politique d'affirmation, d'extension et de généralisation de la
dualité de pouvoir, jusque et y compris la consolidation du pouvoir ouvrier
par l'insurrection". (Idem) [16]. C'est la
même chose avec le second volet ! Toute cette politique a pour
but d'affronter économiquement la contre-révolution, de réorganiser
l'économie sur des bases ouvrières, pour convaincre lentement et
pacifiquement les travailleurs des bienfaits du pouvoir ouvrier. Pas un seul
mot de l'affrontement armé dans la rue avec la contre-révolution. Le fait que
Mandel cite comme exemples "l'Espagne de
36 et le Chili", alors que dans ces pays l'élément déterminant fut
l'affrontement armé au coup d'Etat contre-révolutionnaire, semble ainsi
incroyable.
C'est la grande expérience du Chili. Les masses appliquèrent très
exactement la politique de Mandel :
elles réalisèrent le premier volet, en s'abrutissant à exiger
d'Allende qu'il réprime l'extrême-droite. En même temps, elles développèrent
le second volet : en occupant les usines et en se rendant
maîtres des cordons industriels. On connaît le résultat : le
coup d'Etat de Pinochet triompha. La leçon du Chili, de l'Espagne, et de la
Bolivie en 1971, est qu'à cette étape de gouvernements réformistes, la grande
tâche est l'armement du prolétariat et le front unique avec les ouvriers
réformistes pour affronter, les armes à la main, la contre-révolution, et non
la politique en deux volets de Mandel : exigences au gouvernement,
et occupation des usines pour démontrer aux ouvriers opportunistes que nous
sommes plus démocratiques et meilleurs administrateurs de l'économie que la
bourgeoisie. Ce qu'il faut démontrer aux travailleurs réformistes est comment
affronter et vaincre physiquement la bourgeoisie et la contre-révolution
impérialiste.
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