1978
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"Le titre du livre synthétise ma position :
à la place de la démocratie socialiste et de la dictature du
prolétariat du SU, je suis revenu aux sources, ai tenté de faire
revivre la vieille formule marxiste, tant de fois reprise par
Trotsky, de dictature révolutionnaire. Dit d'une autre manière, une
dictature pour développer la révolution, et non pour produire de la
"démocratie socialiste" immédiatement."
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Nahuel Moreno
La dictature révolutionnaire du prolétariat
III. Démocratie bourgeoise ou
démocratie ouvrière ?
7. Trotsky sur la liberté de la presse.
Les partisans du document du SU considèrent que le fameux article de
Trotsky en 1938, "La liberté de la presse et la classe ouvrière", leur donne
raison. Ce n'est pas par hasard s'ils ne peuvent citer que cela, car dans
toute l'oeuvre de Trotsky ils ne trouvent nulle part un raisonnement qui les
soutienne. Mais même cet article ne fait que confirmer ce que nous venons de
dire, sur le caractère inégal et relatif des libertés que doit accorder la
dictature du prolétariat.
Les staliniens et Lombardo Tolédano soutenaient le droit
de l'état bourgeois mexicain de contrôler et exproprier la presse jaune
pro-impérialiste. Une des analogies qu'ils faisaient pour justifier une telle
bêtise était de comparer le gouvernement mexicain au gouvernement soviétique.
Trotsky répondit à ce raisonnement avec deux arguments. Le premier argument,
qu'il signale en passant, est la citation qui fascine les sympathisants des
positions de la majorité du SU : "Les véritables tâches de
l'Etat ouvrier résident non pas à apposer le bâillon de la police sur
l'opinion publique, mais bien à la libérer du joug du capital. Il n'y a que
cela qui puisse faire passer les moyens de production, y compris la
production de l'information publique, entre les mains de toute la société.
Une fois effectué ce pas socialiste fondamental, tous les courants de
l'opinion publique qui n'ont pas pris les armes contre la dictature du
prolétariat doivent avoir la possibilité de s'exprimer librement. Le devoir
de l'état ouvrier est de leur rendre accessible, proportionnellement à leur
nombre, tous les moyens techniques dont ils font la demande, presse, papier,
transports. Une des principales causes de la dégénérescence de
l'appareil d'état est la monopolisation de la presse de la part de la
bureaucratie stalinienne, qui menace de réduire toutes les conquêtes de la
Révolution d'octobre, jusqu'à la ruine totale." (Trotsky, 1938) [13]. Mais il faut replacer cette citation dans le
cadre du raisonnement qui prédomine dans l'article : on peut
sous la dictature du prolétariat, à des moments déterminés, supprimer la
liberté de la presse, ce qui ne doit pas se transformer en une norme
programmatique. L'erreur stalinienne se réduit à identifier un état ouvrier à
un état bourgeois. "Bien que le Mexique soit un pays semi-colonial, c'est
aussi un état bourgeois, et en aucune manière un état ouvrier. Cependant, du
point de vue des intérêts de la dictature du prolétariat, interdire des
journaux bourgeois ou les censurer ne constitue pas le moins du monde un
"programme", un "principe" ou un idéal établi. Des mesures de cette nature ne
peuvent être qu'un mal temporaire et inévitable.". "Tolédano et
ses compagnons en doctrine tentent essentiellement d'introduire dans un
système démocratique-bourgeois des moyens et des méthodes qui peuvent,
à certaines conditions passagères, être inévitables sous la dictature du
prolétariat." (Trotsky, 1938) [14].
Ce qui caractérise le raisonnement de Trotsky est qu'il parle de "courants
de l'opinion publique", et non de partis politiques. Il y a une raison
profonde : il ne veut pas se compromettre à accorder la liberté
de la presse à des partis russes tels que les cadets et les menchéviks, sinon
il l'aurait dit au lieu de l'expression qu'il emploie. Cette ambiguïté, comme
celle de la "liberté pour les partis soviétiques", sans mentionner les cadets
et les menchéviks, obéit au fait que Trotsky laisse la porte ouverte, dans un
cas comme dans l'autre, à ce que la dictature du prolétariat restreigne la
liberté de la presse ou des partis politiques quand elle le juge
nécessaire.