Œuvres - janvier 1932

Léon Trotsky

Lettre à H. Molinier

5 janvier 1932

Cher Camarade Henri,

La question Treint m'inquiète beaucoup. Le camarade Frank m'a écrit une fois qu’il n’était pas assez flexible. Mais tout de même il faut apprendre à travailler collectivement. Le camarade Treint, qui a de grandes qualités, a aussi ses côtés inquiétants. Son rapprochement avec nous était et reste encore bien douloureux. Mais cela n'exclut guère que la collaboration deviendra durable et solide. Anticiper artificiellement des divergences possibles et les transformer en obstacle pour le travail d’aujourd’hui est une politique absolument fausse. Elle est doublement fausse maintenant où vous êtes en lutte avec les éléments qui ont démontré leur stérilité et leur mauvaise foi. Pour mettre un peu d'ordre dans la Ligue, la collaboration avec Treint me paraît absolument nécessaire. Personne ne propose de lui confier toute la direction. Elle doit rester collective dans le sens le plus ferme du mot. Mais cette collaboration, il faut la diriger par des considérations politiques et non par des pronostics psychanalytiques.

Quant à la grande discussion sur la fraction, elle me parait tout à fait scolastique. Vous existez comme fraction. Est-ce que cela ne suffit pas ? Quelle définition savante cherche-t-on ? Marx a dit : les philosophes ont interprété le monde, il s'agit maintenant de le transformer. Ne croyez-vous pas que les philosophes de Paris ont trop interprété la fraction tandis qu'il s'agit de la pratiquer ? Il faut en finir avec cette exégèse ecclésiastique qui ne peut que disloquer le reste de la Ligue. L'application d’un programme développe la presse centripète. L’analyse passive, l'autocritique stérile développent inévitablement les forces centrifuges. Il faut passer à l’ordre du jour.

Je ne crois même pas que la lutte avec Félix et Mill soit bien engagée sur le terrain des principes. Ce sont des éléments déracinés et [ilisible - NDE]. Ils changent bien des principes, des alliances, d'orientation, mais ils ne changent pas les méthodes de la lutte stérile. C’est pourquoi je persiste que ma proposition sur l'élimination de la Ligue des éléments qui ne font aucun travail positif est la seule qui corresponde à la situation. Elle apparaît comme tout à fait empirique, mais elle est plus saine, plus juste que ce jeu de principes auquel on se donne si acharnément pour démontrer la fausseté des conceptions des gens qui n'en ont aucune.

Le camarade Frank a démontré vraiment un "libéralisme pourri" envers le S.I. dont il porte la responsabilité et où il ne s'agit pas de suppositions, appréhensions, mais de faits. En même temps, il s'affaiblit contre Treint par une lutte qui est au moins prématurée et crée par cela une situation absolument sans issue. Je voudrais bien savoir comment vous appréciez la situation.