1940 |
Compte rendu sténographique (T 4294 & 4295), traduit de l'anglais, avec la permission de la Houghton Library. Ce texte a été publié dans divers bulletins sous le titre “ Discussions avec Lund ” et des extraits en ont paru aux éditions du Seuil dans le livre souvent cité "Sur la Deuxième Guerre mondiale" - textes de Léon Trotsky réunis et présentés par Daniel Guérin (Éditions du Seuil, Paris, 1974) : nous avons mis entre [ ] les passages que cette dernière a cru pouvoir supprimer. Ce compte rendu n'a visiblement pas été vérifié et ce n'est pas seulement la traduction qui manque de clarté. Les interlocuteurs de Lund-Trotsky étaient ses visiteurs, Cannon, Dobbs, Gordon, Konikow, et ses collaborateurs, Cornell, Hansen, Robins. |
Œuvres - Juin 1940
Discussion avec les visiteurs américains du S.W.P.
Présents : Trotsky, Cannon, Dobbs, Cornell, Gordon, Hansen, Konikow, Robins.
Trotsky. — Il est extrêmement difficile de faire des pronostics du fait du caractère sans précédent de cette guerre. Le facteur moral, en ce qui concerne l'armée française, est la grande inconnue. L'intervention de l'Italie complique et simplifie en même temps la situation. Si la Grande-Bretagne et la France ne capitulent pas, elles doivent chercher à établir une position de force en Méditerranée. Cela signifierait une politique agressive vis-à-vis de l'Italie. Le fait que l'Italie soit en train de détruire les ponts sur sa frontière avec la France signifie qu'elle n'entend pas envahir la France, mais redoute qu'elle l'envahisse. Les Alpes favorisent la France. Ses pentes combattent de son côté. Sur les Alpes, l'Italie a une position purement défensive, mais une politique offensive sur le canal de Suez, l'Afrique du Nord, etc. Tandis que l'invasion des Îles britanniques par Hitler mettrait en jeu l'existence nationale de l'Angleterre, les opérations en Méditerranée mettent en jeu l'Empire britannique.
Il n'est pas exclu que l'Italie se révèle le maillon faible de l'Allemagne. La Grande-Bretagne peut faire de l'Afrique du Nord une base d'opérations nouvelles. Cela signifierait le blocus de l'Europe. Face à l'invasion de la Grande-Bretagne, Churchill [1] parle de se replier au Canada mais ne mentionne pas la Méditerranée. Sont-ils prêts à abandonner cette zone ? Il serait plus naturel qu'ils continuent à se battre tout en se repliant sur la Méditerranée. L'Amérique serait alors la troisième possibilité. Si la Grande-Bretagne n'avait pas à défendre ses îles plus longtemps, elle aurait la prépondérance en Méditerranée. Elle ferait de l'Italie l'objectif d'une lutte acharnée et isolerait l'Europe, c'est-à-dire l'Allemagne.
Il est également exclu que la Russie s'engage dans la guerre aux côtés de Hitler et de Mussolini. Si les États-Unis entrent dans la danse et je crois que ce sera le cas, cela aura une influence considérable sur Moscou. Imaginons qu'ils restent en dehors. La rapidité même de l'avance de Hitler renforce la position des isolationnistes qui attendraient que le Canada, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, l'Amérique latine tombent dans leurs mains. Il y aurait alors une guerre contre le Japon avant d'affronter d'Hitler. Mais ce ne sont pas seulement les isolationnistes mais aussi la marche de la guerre en Europe qui détermineront ce qui se passera ensuite.
Je dois avouer que je n'ai pas lu grand-chose sur la guerre ces dernières semaines, sauf ce qu'on en dit dans la presse. Les prétendus isolationnistes sont enclins à accepter la défaite de l'Empire britannique : ils ont peur de Hitler, ils savent qu'ils ne peuvent ajourner la guerre contre lui. Il pourrait en effet les empêcher de recueillir l'héritage anglais. C'est pourquoi on a pu lire dans les journaux que le Sénat, à l'unanimité, avait accordé à Roosevelt des pouvoirs sans précédent. C'est une indication qu'il a réussi à faire l'accord entre républicains et démocrates sur la nécessité d'entrer en guerre.
Le télégramme de Cárdenas exprimant sa sympathie à la France lors de l'entrée en guerre de l'Italie a constitué la réponse du Mexique aux rumeurs américaines selon lesquelles Mexico serait nazi et qu'il faut donc intervenir. Il signifie qu'il y a accord entre Cárdenas et Washington. Bien entendu, ce sont là mes impressions, plus que des conclusions certaines. Comme je l'ai dit, je n'ai pas suivi les événements des dernières semaines d'aussi près qu'il aurait fallu afin d'en tirer des conclusions sûres. Les derniers événements ont rapproché les États-Unis de la guerre. Quelle forme prendra-t-elle ? Si les Alliés l'emportaient sur l'Italie, ils se ménageraient de bonnes bases aériennes contre l'Allemagne. Un succès sur l'Italie, c'est la maîtrise de l'Espagne. Un soutien des États-Unis sous forme de matériel de guerre peut alors devenir très efficace. L'entrée en guerre des États-Unis pourrait se concrétiser au début par l'envoi d'avions, de navires de guerre, peut-être de fusiliers marins, mais non de l'armée, au moins au début. Les flottes de guerre [américaines] devront être organisées de concert avec la Grande-Bretagne et la France; il faut organiser un blocus de l'Europe pour étouffer économiquement Hitler, en dépit de ses victoires. Cela peut se faire si les Alliés gagnent Moscou à leur cause, ce qui est très probable. De tels discours contre l'Italie devraient amener Moscou à se tourner vers les Alliés, au moins autant qu'actuellement vers l'Allemagne — comme un satellite attiré par une force nouvelle.
Notre hypothèse de travail en matière de propagande doit être la suivante : encore six mois de légalité, pas plus. Nous avons souvent discuté de l'illégalité et de la façon d'y travailler. Elle n'est possible que si nous sommes cachés dans les organisations de masse.
La militarisation se poursuit actuellement à une échelle formidable. On ne peut s'y opposer par des phrases pacifistes. Cette militarisation rencontre un large soutien des masses ouvrières. Ces dernières portent à Hitler une haine sentimentale mêlée à des sentiments de classe confus. Elles haïssent les brigands victorieux. La bureaucratie utilise cela en disant qu'il faut aider à vaincre le gangster. Nos conclusions sont tout à fait différentes. Mais ce sentiment-là est la base inévitable pour la dernière période de préparation. Il nous faut trouver des bases réalistes pour elle, il nous faut nous opposer à l'envoi de nos garçons sur le champ de bataille. Les syndicats doivent, non seulement protéger les ouvriers et protéger leur qualification en temps de paix, mais aussi exiger aujourd'hui de l'État la possibilité d'étudier l'art militaire.
Par exemple, dans les syndicats, il nous faut argumenter ainsi : “ Je suis un socialiste et vous êtes un patriote. Bien. Nous discuterons de cette divergence. Mais nous pourrions être d'accord que les ouvriers doivent être entraînés aux frais du gouvernement pour avoir des qualifications militaires. Il faudrait ouvrir des écoles liées aux syndicats, aux frais du gouvernement mais contrôlées par les syndicats. ” Ce type d'approche nous permettrait de prendre contact avec les ouvriers qui sont patriotes à 95 ou 98 %, même aujourd'hui.
Ce n'est que dans cette perspective, et pas en nous opposant abstraitement à la militarisation, que nous pouvons connaître des succès dans les syndicats et les organisations militaires. Nous pouvons trouver dans cette voie des itinéraires nouveaux et des sympathies nouvelles pour une situation illégale. Bien entendu, l'aspect technique de l'activité clandestine est important, mais il ne constitue qu'une faible part de l'activité illégale.
Et maintenant, les staliniens. Ils ne s'opposent à l'entrée en guerre des États-Unis que jusqu'à ce que Moscou en donne le signal. Mais, en attendant, il y a entre eux et nous une différence importante. Les mots d'ordre abstraits se ressemblent. Mais, comme leur organisation est plus importante, ils font plus de bruit que nous. Il nous faut établir avec eux une nette distinction en ce qui concerne le militarisme. Bien entendu, nous nous opposons à tout ça en général, mais nous avons des divergences particulières en matière de militarisation. D'où la très importante différence dans la préparation à l'illégalité.
Tout indique que Moscou prépare un tournant. Au Mexique, où ils se manifestent souvent en premier, le P.C. a le droit de placer Hitler et Churchill sur le même plan. Le jour où Moscou fera un demi-tour vers les démocraties comme demi-amies, il y aura une nouvelle explosion dans les rangs du P.C.. Il nous faut être prêts à l'exploiter. Pour moi, les perspectives sont bonnes, pour le P.C., malgré son radicalisme transitoire, qui ne peut durer longtemps. De même, en général, malgré le radicalisme du P.C., les perspectives sont bonnes. Peut-être que les États-Unis vont entrer en guerre dans les six mois. Ils le feront en tant que machine militaire. Il nous faut apprendre à nous servir des armes. Tout sera désormais tranché sur le front des opérations militaires.
L'État aujourd'hui est en train d'organiser des machines militaires énormes avec des millions d'hommes. Nous ne pourrons vraiment plus désormais n'avoir longtemps que les minces possibilités offertes par les Defense Guards [2] : nous allons avoir les larges possibilités données par l'État bourgeois lui-même.
Cannon. — Cela peut-il prendre la forme de résolutions dans les syndicats ? Exigeons-nous l'équipement, l'entraînement ? Comment ne pas être confondus avec les patriotes ?
Trotsky. — Surtout au début on n'évitera pas une confusion partielle. Mais toute notre agitation, nous la situons sur une base de classe. Nous sommes contre les officiers bourgeois qui nous traitent comme du bétail, qui font de nous de la chair à canon. Nous nous sentons en revanche, à la différence des officiers bourgeois, concernés par le fait que des ouvriers sont tués. Nous voulons des officiers ouvriers. On peut dire aux ouvriers : nous, nous sommes prêts pour la révolution, mais pas vous. Mais les uns et les autres, dans cette situation, nous voulons nos officiers ouvriers, nous voulons des écoles spéciales pour ouvriers qui nous apprendront à être des officiers. Au début la presse bourgeoise va hésiter. Peut-être même soutiendra-t-elle l'idée. Mais si les lignes de classe sont nettement tracées, elle va s'inquiéter et nous attaquer.
Cannon. — Le New York Times vient de faire un éditorial revendiquant l'instruction militaire pour tous. Sommes-nous d'accord ?
Trotsky. — Oui. C'est correct — mais sous le contrôle de nos propres organisations. Nous rejetons le contrôle des “ soixante familles ”. Nous exigeons une amélioration des conditions pour l'ouvrier-soldat. Nous voulons préserver sa vie. Pas la gaspiller. Oui, messieurs les bourgeois, il faut que vous dépendiez des travailleurs. Vous les entraînez pour vos objectifs à vous. Nous voulons qu'ils le soient pour leurs objectifs à eux. Nous ne voulons pas qu'on les forme pour les placer sous le commandement d'officiers bourgeois indifférents et stupides qui en feront de la chair à canon.
Dobbs. — Côté technique, il y a beaucoup de matériel pour une telle agitation. Des hommes mobilisés en mai étaient tués en France deux ou trois mois plus tard. Ils n'étaient pas convenablement entraînés pour se protéger. On peut rassembler beaucoup de faits en rapport avec l'expérience passée. En plaidant pour que les ouvriers aient un entraînement d'officiers, on peut rassembler du matériel sur la façon dont les officiers ont gaspillé le matériel humain. C'est aussi un bon argument contre les patriotes de dire que les ouvriers se sont faits tuer faute d'être entraînés. C'est un argument qui impressionne beaucoup les ouvriers.
Cannon. — Cette ligne ne trace-t-elle pas une ligne de rupture nette avec les pacifistes à la Norman Thomas et l'équipe des “ Gardez l'Amérique en dehors de la Guerre ” [3] ? Longtemps, notre agitation a été trop abstraite. Elle était contre la guerre en général. Seule la révolution peut arrêter la guerre. C'est pourquoi nous sommes pour l'entraînement de tous. La difficulté est de bien démontrer que nous sommes réellement contre la guerre. Il nous faut des formulations claires et précises.
Dobbs. — Nous pouvons attaquer les pacifistes. Cela ne réglerait-il pas la question ? C'est inévitable : il faudra nous battre. Il faut nous former. Dans une armée rouge ou bourgeoise, il le faudra.
Cannon. — Cela implique aussi une réorganisation de notre propre mouvement. La jeunesse a été imprégnée d'une attitude anti-militariste et de volonté d'échapper à la guerre. Beaucoup ont déjà demandé comment aller au Mexique pour se cacher. Notre propagande n'est pas suffisamment distincte de celle des pacifistes. Nous disons qu'il ne faut pas de guerre ! En même temps, nous disons qu'on ne peut pas l'empêcher ! Il manque un maillon quelque part. Toutes les questions seront réglées par la guerre. La simple opposition n'a pas de sens. Mais le problème qui exige la formulation la meilleure, c'est de nous distinguer nettement des patriotes.]
Konikow. — Qu'en est-il de notre mot d'ordre “ pas un cent pour la guerre ” ?
Trotsky. — Supposez que nous ayons
un sénateur. Il proposerait un décret en faveur de camps d'entraînement pour les ouvriers. Il pourrait demander pour cela 500 millions. En même temps, il voterait contre le budget militaire parce qu'il est contrôlé par les classes ennemies. Nous ne pouvons exproprier maintenant la bourgeoisie, aussi nous la laissons exploiter les ouvriers. Mais nous essayons de les protéger par des syndicats. Les tribunaux sont bourgeois, mais nous ne les boycottons pas comme le font les anarchistes. Nous essayons de les utiliser et nous y combattons. Comme pour les parlements. Nous sommes des ennemis de la bourgeoisie et de ses institutions, mais nous les utilisons. Les pacifistes acceptent tout ce qui est bourgeois, sauf le militarisme. Ils acceptent les écoles, les parlements, les tribunaux, sans problème. Tout est bon en temps de paix. Mais le militarisme qui est aussi bourgeois que le reste ? Non, ils reculent, ils disent qu'ils n'en veulent pas. Les marxistes essaient d'utiliser la guerre comme toute autre institution bourgeoise. Il est clair maintenant que, dans la prochaine période, notre opposition au militarisme va constituer la base de notre propagande; notre agitation se fera en faveur de l'entraînement militaire des masses.Notre programme de transition militaire est un programme d'agitation. Notre programme révolutionnaire socialiste est de la propagande.
Nous devons être tout à fait catégoriques dans la période qui vient. Nous devons stigmatiser Thomas comme le plus perfide ennemi. Nous devons dire que la guerre est inévitable. Bureaucrates ! Cette guerre signifie la mort de vos syndicats. Il nous faut faire les prédictions les plus terribles sous les couleurs les plus sombres. Nous devons nous prononcer catégoriquement pour la dictature du prolétariat. Nous devons rompre complètement avec les pacifistes. Il n'y a pas très longtemps, tout le monde était contre la guerre. Toute confusion avec les pacifistes est cent fois plus dangereuse qu'une confusion temporaire avec les militaristes bourgeois. Nous préparons l'arène nouvelle où nous abattrons les militaristes. Les pacifistes aident à duper les ouvriers et les faire aider les militaristes. Nous devons le prédire, [Norman] Thomas va soutenir la guerre — la guerre est inévitable. Nous devons apprendre à manipuler les armes. Quant à ceux qui cherchent à lui échapper — y compris de notre propre parti — nous devons en parler avec le plus grand mépris. Ce sont des déserteurs. Exactement comme les objecteurs de conscience qui acceptent tout en temps de paix, mais ne veulent pas accepter la guerre. Ils sont des déserteurs de leur classe et de la révolution.
[Konikow. — Oui, il ne faut pas nous éloigner des masses.]
Gordon. — Je crois que la militarisation rapide au sein des larges masses va aider à faire prévaloir ce programme et rendra les choses plus faciles que parmi les radicaux où il y a une longue tradition d'antimilitarisme. Des hommes comme Debs sont des héros. Cette tradition vit encore dans le mouvement ouvrier. Comment s'en sortir exactement, ce n'est pas clair dans ma tête.
Trotsky. — Debs n'avait même pas la perspective de prendre le pouvoir et de créer une société socialiste. Il proclamait son aversion pour la guerre et on le jeta en prison. Il était courageux et honnête mais il n'avait pas la perspective de la révolution.
[Cannon. — C'était une protestation, pas une façon révolutionnaire d'aborder les choses. Notre mouvement en est infecté, contaminé, surtout les jeunes qui ont la tradition socialiste de protestation mais pas celle d'entrer dans les forces armées et de les gagner.]
Trotsky. — Le mot d'ordre n'est plus “ Du travail, pas de canons ! ”. Dans une situation militaire, il faut des mots d'ordre nouveaux. Ce serait bien d'avoir une discussion dans le parti, peut-être une petite conférence pour élaborer un bon point de départ pour cette agitation. On pourrait faire une petite expérience à Minneapolis et Saint-Paul, et voir. Il nous faudrait des articles dans la revue sur des questions militaires. De même dans Socialist Appeal. En quatre ou cinq semaines, on peut se réorienter. Même ceux de la majorité qui ont un vieux fond syndicaliste peuvent être rééduqués sur un rythme très rapide. Thomas et son engeance vont se ridiculiser très vite et perdre leur audience. Pour combattre le véritable ennemi, il nous faut pénétrer dans son pays qui est aujourd'hui le militarisme.
[Cannon. — Pouvons-nous être appelés militaristes ?]
Trotsky. — Oui, dans un certain sens — nous sommes des militaristes révolutionnaires socialistes prolétariens. Peut-être ne devrions-nous pas employer le mot tout de suite. Attendre d'être appelés militaristes par Thomas ou quelqu'un comme ça et faire une réponse polémique : Thomas nous a appelés militaristes, oui, on peut nous appeler militaristes dans un certain sens. Et nous pourrons utiliser le mot avec l'explication.
[Konikow. — Nous avons commencé à discuter de ça dans notre branche, mais nous avions peur d'aller plus loin à cause des mouchards. Nous ne voulons pas les laisser mettre nos jeunes dans des camps de concentration au lieu de l'armée. Nous avions peur que nos militants soient exclus de l'armée. Comment mener notre agitation sans qu'on nous étiquette d'avance comme des traîtres ?
Trotsky. — Il y aura des victimes chez nous. Il y aura des légèretés et tout ça. Mais la ligne générale nous protège.] Dans le syndicat, je puis dire que je suis pour la IV° Internationale. Je suis contre la guerre. Mais je suis avec vous. Je ne vais pas saboter la guerre. Je veux être le meilleur soldat exactement comme j'étais le meilleur ouvrier, le plus qualifié à l'usine. En même temps, j'essaierai de vous convaincre qu'il nous faudrait changer la société. Devant le tribunal mon camarade soldat va dire : “ Il disait qu'il serait un soldat discipliné, qu'il ne provoquerait pas de révoltes. Tout ce qu'il demandait, c'est de pouvoir exprimer son opinion. ” [Nous pouvons nous défendre de la même façon devant un tribunal à propos de notre prédiction que la société bourgeoise est perdue. Si la bourgeoisie pouvait préserver la démocratie, bien, mais d'ici un an, elle va imposer sa dictature. Nous combattrons cette dictature les armes à la main. Naturellement, en principe, nous renverserions la prétendue démocratie bourgeoise, si une chance nous était laissée, mais les bourgeois ne nous laisseront pas le temps.
Dobbs. — De même qu'il faut être un très bon ouvrier à l'usine pour influencer les autres ouvriers, de même, à la guerre, il faut être un bon soldat.
Konikow. — Il faut de la prudence dans notre agitation.
Cannon. — Dans quelle mesure utiliser l'analogie entre armée et usine ? Peut-on le faire de façon aussi catégorique que vous venez de le faire ?
Trotsky. — Oui, je crois. Dans les usines maintenant, plus de la moitié de la production, ce sont des productions pour la guerre.
Dobbs. — Savoir si on s'engage ou si on attend d'être mobilisé ou si on cherche à l'éviter, c'est une question pratique, n'est-ce pas ? S'engager volontairement, attendre ou éviter la mobilisation... c'est une question pratique quotidienne.]
Trotsky. — Nous devons être pour l'entraînement militaire obligatoire pour les ouvriers et sous le contrôle des ouvriers. C'est une façon d'aborder la question de la milice ouvrière. Quant à l'entrée dans l'armée, c'est une question individuelle. Bien entendu nous ne faisons pas de l'agitation pour qu'on s'engage !
[Dobbs. — Un représentant, au Texas, propose des mesures pour la création d'unités militaires de combat contre la V° Colonne. Il s'agirait d'ouvriers, entraînés par des officiers choisis par le patron. C'est le cas idéal, celui qu'il faut reprendre pour montrer comment l'utiliser et le tourner.
Trotsky. — Il y aura des dizaines d'autres exemples.]
Un point de plus : nous devons polémiquer contre l'argument stupide qui assure que les États-Unis ne peuvent pas être attaqués. Bien sûr ils le sont. Tout empire moderne est attaqué par les changements de la puissance militaire des autres pays. L'Allemagne menace l'empire des États-Unis. Le capitalisme est international.
Notes
[1] Winston Churchill était depuis le mois de mai le Premier ministre de Grande-Bretagne, partisan de la lutte à outrance contre l'Allemagne. Au cours de la période précédente, il était un “ fauteur de guerre ” pour tous les P.C. et, dans le prolétariat des pays semi-coloniaux et coloniaux, il symbolisait la vieille oppression impérialiste.
[2] Les Defense Guards étaient des unités de milices ouvrières que les trotskystes avaient essayé de promouvoir pour lutter contre les agressions fascistes contre les travailleurs syndiqués.
[3] Le groupe “ Gardez l'Amérique hors de la guerre ” défendait un mélange de pacifisme et d'isolationnisme.