1966 |
� Ce qui unit les diff�rentes esp�ces de socialisme par en haut est l'id�e que le socialisme (ou son imitation raisonnable) doit �tre octroy� aux masses reconnaissantes, sous une forme ou sous une autre, par une �lite dirigeante qui n'est pas r�ellement soumise � leur contr�le. Le cœur du socialisme par en bas est l'id�e que le socialisme ne peut �tre r�alis� que par l'auto-�mancipation des masses, dans un mouvement � par en bas �, au cours d'une lutte pour se saisir de leur destin en tant qu'acteurs (et non plus comme sujets passifs) sur la sc�ne de l'histoire.. � |
Nous venons de voir qu'il existe un certain nombre de courants diff�rents dans le socialisme par en haut. Ils sont habituellement entrem�l�s, mais nous allons en s�parer certains des aspects les plus importants pour les examiner de plus pr�s.
Le socialisme (ou � la libert� �, ou tout ce que vous voulez) doit �tre octroy�, � pour le bien du peuple �, par les riches et les puissants mus par la bont� de leur coeur. Comme le fait remarquer le Manifeste Communiste � propos des premiers utopistes du genre de Robert Owen, � Pour eux le prol�tariat n'existe que sous cet aspect de la classe la plus souffrante �. Par gratitude, les pauvres pi�tin�s doivent avant tout �viter de se comporter de mani�re � causer du d�sordre, et tr�ve d'inepties sur la lutte des classes et l'auto-�mancipation. Cet aspect peut �tre consid�r� comme un cas particulier de :
Nous avons mentionn� plusieurs exemples de l'opinion selon laquelle le socialisme est l'affaire d'une minorit� dirigeante, de nature non-capitaliste et par cons�quent garantie pure, imposant sa domination soit temporairement (pour une simple p�riode historique), soit de fa�on permanente. Dans les deux cas, cette nouvelle classe dirigeante est susceptible de consid�rer sa mission comme une dictature �ducative sur les masses - � pour leur bien �, �videmment - la dictature �tant exerc�e par un parti d'�lite, qui supprime tout contr�le par en bas, par des despotes bienveillants ou par un homme providentiel, par les � surhommes � de Shaw ou des manipulateurs eug�nistes, par les directeurs � anarchistes � de Proudhon ou les technocrates de Saint-Simon - ou leurs �quivalents modernes, avec des appellations au go�t du jour, ou des �crans verbaux consid�r�s comme une th�orie sociale nouvelle � opposer au � marxisme du 19e si�cle �.
D'un autre c�t�, les d�mocrates r�volutionnaires partisans du socialisme par en bas ont toujours �t� une minorit�, mais le clivage entre les approches �litiste et avant-gardiste est fondamental, comme nous l'avons vu dans le cas de Debs. Pour lui, comme pour Marx et Rosa Luxemburg, la fonction de l'avant-garde r�volutionnaire est de pousser les masses � se rendre capables de prendre le pouvoir en leur propre nom par leurs propres luttes. La question n'est pas de nier l'importance critique des minorit�s, mais d'�tablir une relation diff�rente entre la minorit� avanc�e et les masses attard�es.
Les mots-cl� sont : efficacit�, ordre, planification, syst�me - et encadrement. Le socialisme se trouve r�duit � une ing�nierie sociale exerc�e par un pouvoir qui est au-dessus de la soci�t�. Encore une fois, il n'est pas question de nier la n�cessit�, pour un socialisme efficace, de planifier (ni que l'ordre et la m�thode ne soient en eux-m�mes bons), mais la r�duction du socialisme � la production planifi�e est autre chose, de la m�me fa�on que la d�mocratie suppose le droit de vote mais que r�duire la d�mocratie au droit de vote est une falsification.
En r�alit�, il est important de d�montrer qu’en s�parant la planification du contr�le d�mocratique par en bas on la vide de son contenu. Les soci�t�s industrielles d'aujourd'hui sont trop complexes pour pouvoir �tre g�r�es par les oukases d'un comit� central tout-puissant, qui inhibe et terrorise le libre jeu de l'initiative et de la communication par en bas. C'est l�, v�ritablement, la contradiction fondamentale du type, historiquement nouveau, de syst�me social d'exploitation repr�sent� par le collectivisme bureaucratique sovi�tique. Mais il n'est malheureusement pas possible d'approfondir ce sujet ici.
La substitution du planisme au socialisme a derri�re elle une longue histoire, ind�pendamment de son incorporation au mythe sovi�tique selon lequel �tatisation = socialisme, un argument qui, nous l'avons vu, a �t� syst�matis� tr�s t�t par le r�formisme social-d�mocrate (en particulier par Bernstein et les Fabiens). Pendant les ann�es 30 la mystique du � plan �, provenant en partie de la propagande sovi�tique, conquit une place dominante � l'aile droite de la social-d�mocratie, et Hendrik de Man fut c�l�br� comme son proph�te et le successeur de Marx. De Man est aujourd'hui oubli� parce qu'il a eu la mauvaise id�e de pousser ses th�ories r�visionnistes jusqu'au corporatisme et � la collaboration avec les nazis. En dehors des constructions th�oriques, le planisme appara�t le plus souvent, dans le mouvement socialiste, en association avec un certain type psychologique de radical. Pour donner � chacun ce qui lui revient, une des premi�res esquisses de ce type apparut dans L'Etat servile de Belloc, qui songeait aux Fabiens. Il le d�crit comme :
aimant l'id�al collectiviste en lui-m�me... parce que c'est une forme ordonn�e et r�guli�re de soci�t�. Il aime � se repr�senter l'id�al d'un �tat dans lequel la terre et le capital seront entre les mains de fonctionnaires publics, qui dirigeront les hommes et les pr�serveront ainsi de leurs vices, de leur ignorance et de leur folie... L'exploitation de l'homme ne provoque en lui aucune indignation. En v�rit�, il n'est pas du genre � qui l'indignation ou toute autre passion est famili�re [Belloc pense ici � Sidney Webb]... La perspective d'une �norme bureaucratie par laquelle la totalit� des aspects de la vie sera organis�e et r�duite � certains sch�mas simples... donne � son petit estomac une satisfaction extr�me.
On peut trouver des exemples contemporains de ce qui pr�c�de, teint�s de stalinisme et en quantit� illimit�e, dans les colonnes de Monthly Review, le magazine de Paul Sweezy.
Dans un article de 1930 sur les � sch�mas moteurs du socialisme �, �crit alors qu'il croyait encore �tre l�niniste, Max Eastman d�crivait ce sp�cimen comme centr� sur � l'efficacit� et l'organisation intelligente... Une v�ritable passion pour le plan... une organisation s�rieuse �. Sur ceux-l�, commentait-il, la Russie de Staline exer�ait une v�ritable fascination :
C'est une r�gion qui a, pour le moins, besoin d'�tre d�fendue dans d'autres pays - certainement pas d�nonc�e comme un r�ve fou d'�mancipation des travailleurs et de l'humanit� tout enti�re. Chez ceux qui ont construit le mouvement marxiste et ceux qui ont organis� sa victoire en Russie, le r�ve fou �tait le motif central. Ils �taient, et certains ont tendance � l'oublier aujourd'hui, des opposants acharn�s � l'oppression. L�nine sera peut-�tre un jour, lorsque le tapage qui entoure ses id�es se sera apais�, consid�r� comme le plus grand rebelle de l'histoire. Sa passion majeure �tait de lib�rer les hommes... Si on devait choisir une seule id�e pour r�sumer le but de la lutte des classes telle qu'elle est d�finie dans les �crits marxistes, et particuli�rement ceux de L�nine, son nom est : libert� humaine...
A cela on peut ajouter que L�nine a plus d'une fois critiqu� la tendance � la planification totale comme une � utopie bureaucratique �.
Il y a dans le planisme une subdivision qui m�rite �galement un nom - appelons-la productivisme. �videmment, tout le monde est � pour � la production, comme tout le monde est pour la vertu et une vie agr�able. Mais pour ce type particulier, la production est le test d�cisif et la fin derni�re de la soci�t�. Le collectivisme bureaucratique russe est � progressif � � cause des statistiques de la production de fonte (les m�mes ignorent g�n�ralement les impressionnantes statistiques d'augmentation de la production sous le capitalisme nazi ou japonais). C'est tr�s bien de d�truire ou d'emp�cher la formation de syndicats ind�pendants sous l'autorit� de Nasser, Castro, Sukarno ou Nkrumah, parce que le pr�tendu � d�veloppement �conomique � est prioritaire sur les droits de l'homme. Cette attitude audacieuse n'a �videmment pas �t� invent�e par ces � extr�mistes �, mais par des exploiteurs sans scrupules au cours de la r�volution industrielle capitaliste. Et le mouvement socialiste est venu au monde en combattant bec et ongles ces th�oriciens de l'exploitation � progressiste �. Sur ce terrain aussi, les apologistes des r�gimes autoritaires � de gauche � des temps modernes ont tendance � consid�rer cette antiquit� poussi�reuse comme le dernier cri en mati�re de doctrine sociologique.
Dans son article de 1930, Max Eastman appelait cela le � sch�ma de la fraternit� unie � des � gr�gaires ou des socialistes de la solidarit� humaine �. Ce qu'il ne faut pas confondre avec la notion de solidarit� dans les gr�ves, ni assimiler � ce qu'on appelle habituellement la camaraderie dans le mouvement socialiste ou le � sentiment communautaire � ailleurs. Son contenu sp�cifique, comme dit Eastman, est � la qu�te de l'immersion dans une totalit�, de la n�gation de soi dans les profondeurs d'un substitut � Dieu �.
Eastman d�signe ici l'�crivain du Parti Communiste Mike Gold. Nous trouvons un autre excellent exemple en la personne de Harry F. Ward, le compagnon de route cl�rical sans nuance du P.C., dont les livres th�orisent ce type d'aspiration � oc�anique � � l’annihilation de l'individualit�. Les notes de Bellamy r�v�lent un cas d'anthologie : il �crit sur l'espoir � en l'absorption dans la gigantesque omnipotence de l'univers �. Sa � religion de la solidarit� � refl�te sa m�fiance envers l'individualisme de la personnalit�, son d�sir de dissoudre l'individu dans une communion avec quelque chose de plus grand.
Cette tendance est tr�s pr�sente parmi les plus autoritaristes des socialismes par en haut et n'est pas rare dans des cas de figure plus mod�r�s, comme les philanthropes �litistes aux opinions socialistes chr�tiennes. Naturellement, ce type de socialisme � communioniste � est toujours c�l�br� comme un � socialisme �thique �, qui a une sainte horreur de la lutte des classes. Car il ne doit pas y avoir de conflit � l'int�rieur d'une ruche. Il tend � opposer platement le � collectivisme � � l' � individualisme � (une opposition fausse d'un point de vue humaniste), mais en r�alit� ce qu'il rejette est l'individualit�.
Le socialisme par en haut conna�t une grande vari�t� - pour la raison bien simple qu'il y a toujours beaucoup d'autres solutions que l'auto-mobilisation des masses par en bas. Cependant les exemples pass�s en revue mettent en �vidence deux grandes familles.
L'une a pour perspective de renverser la soci�t� capitaliste hi�rarchis�e telle que nous la connaissons aujourd'hui, pour la remplacer par un nouveau type, non-capitaliste, de soci�t� hi�rarchis�e bas�e sur une nouvelle esp�ce d'�lite �tablie en classe dominante (ces vari�t�s sont habituellement �tiquet�es � r�volutionnaires � dans l'histoire du socialisme). L'autre se donne pour projet d'infiltrer - d'impr�gner - les centres du pouvoir de la soci�t� actuelle afin de la m�tamorphoser - in�vitablement de fa�on graduelle - en un collectivisme stratifi� mol�cule par mol�cule, un peu comme le bois se p�trifie pour devenir de l'agate. C'est la marque caract�ristique des vari�t�s r�formistes social-d�mocrates du socialisme par en haut.
Le terme m�me d'infiltrationnisme (� permeationism �) a �t� invent� par le repr�sentant de la forme la plus � pure � de r�formisme ayant jamais exist�, le fabianisme de Sidney Webb. Tout l’infiltrationnisme social-d�mocrate est bas� sur la th�orie de l'in�vitabilit� m�canique, l'inexorable auto-collectivisation par en haut du capitalisme, qui est �quivalente au socialisme. La pression d'en bas (lorsqu'elle est consid�r�e comme admissible) peut h�ter et r�guler le processus, � condition qu'elle soit contr�l�e pour �viter d'effrayer les auto-collectivisateurs. Par cons�quent, les infiltrationnistes sociaux-d�mocrates ne sont pas seulement consentants, mais empress�s de rejoindre les couches dirigeantes, comme laquais ou membres du minist�re. La fonction de leur mouvement par en bas est essentiellement d'exercer un chantage sur le pouvoir en place, pour qu'il les gratifie de postes dans lesquels ils pourront s'adonner � l'infiltration.
La tendance � la collectivisation du capitalisme est vraiment une r�alit�. Comme nous l'avons vu, cela signifie la collectivisation bureaucratique du capitalisme. En m�me temps que ce processus s'est d�velopp�, la social-d�mocratie a elle-m�me connu une m�tamorphose. Aujourd'hui, le th�oricien principal de ce n�o-r�formisme, C. A. R. Crosland, condamne comme � extr�miste � la d�claration mod�r�e en faveur des nationalisations qui avait �t� � l'origine inscrite dans les statuts du Labour Party britannique (art. 4) � l'initiative de nul autre que Sidney Webb ! Le nombre de partis sociaux-d�mocrates d'Europe continentale qui ont d�finitivement �limin� de leurs programmes toute r�f�rence anticapitaliste - un ph�nom�ne nouveau dans l'histoire du socialisme - montre comment la collectivisation bureaucratique en cours est accept�e comme une �ch�ance du � socialisme � p�trifi�.
Ceci pour l'infiltrationnisme comme strat�gie globale. Cela conduit, bien �videmment, � l'infiltrationnisme en tant que tactique politique, un sujet que nous ne pouvons poursuivre ici au-del� de la mention de sa forme am�ricaine dominante : la politique de soutien au Parti D�mocrate et la coalition � lib-lab �1 autour du � consensus Johnson �, ses pr�curseurs et ses successeurs.
La distinction entre ces deux � familles � du socialisme par en haut s'applique � des socialismes qui se sont d�velopp�s, de Babeuf � Harold Wilson, � l’int�rieur des pays concern�s, dans lesquels la base sociale d'un courant socialiste donn� se situe � l'int�rieur du syst�me national, que ce soit l'aristocratie syndicale ou des �l�ments d�class�s ou autres. Le cas est diff�rent de ces � socialismes du dehors � repr�sent�s par les partis communistes contemporains, dont la strat�gie et la tactique d�pendent en dernier ressort d'une base de pouvoir ext�rieure aux couches sociales nationales ; en l’occurrence, des classes collectivistes bureaucratiques � l'Est.
Les partis communistes se sont montr�s diff�rents de tous les mouvements nationaux dans leur capacit� � alterner ou � combiner les tactiques � r�volutionnaires � d'opposition et d'int�gration pour satisfaire leurs besoins. Ainsi le Parti Communiste Am�ricain a-t-il pu passer de l'aventurisme ultra-gauche de type � troisi�me p�riode � de 1928-1934 � la tactique ultra-infiltrationniste de la p�riode des fronts populaires, puis � nouveau � un � r�volutionnarisme � enflamm� � l'�poque du pacte Hitler-Staline, et encore, durant les hauts et les bas de la Guerre Froide, � des degr�s divers de combinaison des deux. Aujourd'hui (1966), avec la rupture entre Moscou et P�kin, les � khrouchtch�viens � et les mao�stes tendent � incorporer l'une des deux tactiques qui auparavant alternaient.
Il est ainsi fr�quent qu'en politique int�rieure le Parti Communiste officiel et les partis sociaux-d�mocrates convergent dans une politique infiltrationniste, bien que sous l'angle d'un socialisme par en haut diff�rent.
Les pr�c�dentes vari�t�s de socialisme par en haut consid�rent le pouvoir au sommet de la soci�t�. Nous en arrivons maintenant � l'attitude qui consiste � attendre du secours de l'ext�rieur.
Le culte de la soucoupe volante en est la forme pathologique, le messianisme une forme plus traditionnelle, lorsque � ailleurs � signifie hors du monde. Mais pour notre propos � ailleurs � veut dire en dehors de la lutte sociale sur la sc�ne nationale. Pour les communistes de l'Europe de l'Est d'apr�s-guerre, l'ordre nouveau devait �tre import� � la pointe des ba�onnettes russes. Pour les sociaux-d�mocrates allemands en exil, la lib�ration de leur propre peuple ne pouvait �tre imagin�e que par la gr�ce d'une victoire militaire �trang�re.
La vari�t� du temps de paix est le socialisme par l'exemple. C'�tait, bien �videmment, la m�thode des vieux utopistes, qui ont construit leurs colonies-mod�les au fond des bois de l'Am�rique dans le but de d�montrer la sup�riorit� de leur syst�me et de convaincre les sceptiques. Aujourd'hui, c'est ce substitut � la lutte sociale nationale qui constitue de plus en plus l'espoir essentiel du mouvement communiste occidental.
Le mod�le est fourni par la Russie (ou par la Chine, pour les mao�stes), et en m�me temps qu'il est difficile, m�me � l'aide d'une dose g�n�reuse de mensonges, de rendre le sort des masses russes attirant pour les travailleurs occidentaux, on peut attendre de meilleurs r�sultats des deux approches suivantes :
La position relativement privil�gi�e des �l�ments gestionnaires, bureaucrates et intellectuels aux ordres dans le syst�me collectiviste russe, peut �tre mise pertinemment en opposition avec la situation � l'Ouest, o� les m�mes �l�ments sont subordonn�s aux d�tenteurs de capitaux et aux manipulateurs de la richesse. A ce stade, la s�duction du syst�me sovi�tique d'�conomie stratifi�e co�ncide avec l'attrait historique qu'exerce le socialisme petit-bourgeois sur les �l�ments m�contents de l'intelligentsia, techniciens, scientifiques et employ�s de la recherche, bureaucrates administratifs et organisateurs divers, qui peuvent plus facilement s'identifier � une nouvelle classe dirigeante bas�e sur le pouvoir d'Etat que sur le pouvoir de l'argent et de la propri�t�, et se voient par cons�quent comme les nouveaux hommes de pouvoir dans un ordre non-capitaliste, mais �litiste.
Alors que les partis communistes officiels sont tenus de maintenir une fa�ade d'orthodoxie dans une chose baptis�e � marxisme-l�ninisme �, il devient courant de voir des th�oriciens s�rieux du n�o-stalinisme qui ne sont pas li�s au parti se lib�rer d'un tel simulacre. L'un des d�veloppements en est l’abandon explicite de toute perspective de victoire par la lutte sociale dans les pays capitalistes. La � r�volution mondiale � �quivaut simplement � la d�monstrations par les Etats communistes de la sup�riorit� de leur syst�me. Ceci existe d�sormais sous forme de th�se par les deux th�oriciens majeurs du n�o-stalinisme, Paul Sweezy et Isaac Deutscher.
L'ouvrage de Baran et Sweezy Le capitalisme monopoliste (1966) rejette purement et simplement � la r�ponse de l'orthodoxie marxiste traditionnelle - selon laquelle le prol�tariat industriel doit finalement se soulever de mani�re r�volutionnaire contre ses oppresseurs capitalistes �. M�me chose pour tous les autres groupes � marginaux � de la soci�t� - salari�s agricoles sans emploi, masses des ghettos, etc. Ils ne peuvent pas � constituer une force coh�rente dans la soci�t� �. Cela ne laisse de place � personne. Le capitalisme ne peut pas avec quelque chance de succ�s �tre mis en �chec de l'int�rieur. Et alors ? Un jour, expliquent les auteurs � la derni�re page, � peut-�tre pas dans le si�cle pr�sent �, le peuple perdra ses illusions sur le capitalisme � en m�me temps que la r�volution mondiale se r�pand et que les pays socialistes montrent par leur exemple qu'il est possible � de b�tir une soci�t� rationnelle �. C'est tout. Ainsi, les phrases marxistes remplissant les autres 366 pages de cet essai se r�duisent � une simple incantation, comme la lecture du Sermon sur la Montagne � la Cath�drale Saint Patrick.
La m�me perspective est pr�sent�e, moins froidement, par un �crivain plus nuanc�, dans The Great Contest (la grande comp�tition), de Deutscher. Celui-ci v�hicule la nouvelle th�orie sovi�tique selon laquelle � le capitalisme occidental ne succombera pas tant du fait de ses crises et des contradictions qui lui sont inh�rentes - en tout cas pas directement - qu'� cause de son incapacit� � concurrencer les r�alisations du socialisme � (c'est-�-dire des Etats communistes). Et plus loin : � On peut dire que c'est ce qui a, jusqu'� un certain point, remplac� l'anticipation marxiste d'une r�volution permanente �. Nous avons ici une explication th�orique de ce qui a longtemps �t� la fonction du mouvement communiste � l'Ouest : agir comme garde-fronti�re pour l'ordre social rival de l'Est. Par dessus tout, la perspective du socialisme par en bas est aussi �trang�re � ces professeurs de collectivisme bureaucratique qu'elle l'est pour les apologistes du capitalisme dans les acad�mies am�ricaines.
Ce type d'id�ologie n�o-stalinienne
est souvent critique � l'�gard du r�gime sovi�tique tel qu'il est
- Deutscher est un bon exemple de quelqu'un qui est tr�s loin d'�tre
un inconditionnel de Moscou semblable aux communistes officiels. Il
doit �tre consid�r� comme infiltr� dans le collectivisme
bureaucratique. Ce qui appara�t comme un � socialisme venu
d’ailleurs � du point de vue du monde capitaliste devient une
esp�ce de fabianisme vu dans le cadre du syst�me communiste. Dans
ce contexte, le changement par en haut est un principe aussi solide,
pour ces th�oriciens, qu'il l'�tait pour Sidney Webb. Ceci a �t�
d�montr�, notamment, par l'attitude hostile de Deutscher envers la
r�volte Est-allemande de 1953 et la r�volution hongroise de 1956,
sur la base, classique, que de tels soul�vements par en bas
pouvaient d�tourner l'ordre sovi�tique de sa marche vers la
� lib�ralisation � - in�vitablement graduelle.
Note
1 Lib�raux et syndicalistes - N.D.T.